La nuit à l'auberge avait été plus que profitable pour me reposer, tant de corps que d'esprit. Ilsa avait partagée la chambre avec moi et nous avons eu la chance de faire plus ample connaissance. Son offre tenait toujours de me ramener à notre point de départ et je ne pouvais qu'être reconnaissante pour l'aide fournie alors que je n'avais rien à lui remettre en récompense de tout son labeur. Lorsque je m'étais excusée sur ce fait, elle avait posé les mains sur mes joues et déposé un bisou sur mon front en riant. «Moussaillon, je t'ai rien demandé. Je t'ai suivi dans cette aventure pour le doux plaisir de voguer.» Un sourire pour réponse, cela devenait une habitude face à elle, j'avais une sensation de bien être à ces côtés et je ne pouvais qu'être heureuse de pouvoir profiter de sa présence plus longuement. D'autant plus que le voyage de retour n'avait rien d'urgent cette fois. Pour l'heure il était temps d'aller prendre un bon repas, ma compagne de voyage et moi étions descendu au rez-de-chaussée pour se mettre à table et profiter d'une délicieuse boisson chaude et la spécialité de la maison pour commencer la journée. Nul doute, cette auberge avait ce qu'il faut pour attirer les voyageurs qui venaient d'accoster au port. Autant pour combler l'appétit qu'un sommeil des plus confortable. Tandis que je discutais avec Ilsa, une ombre passait à ma droite et un parchemin se retrouva sur notre table. La capitaine se levait aussitôt pour suivre l'inconnu dans l'arrière boutique puis à l'extérieur mais elle ne vit personne, frustrée elle est revenue à la table pour lire ce dont je venais de prendre connaissance. Son visage exprimait la colère de cet échec, elle semblait tout aussi curieuse que moi de connaître l'origine de ces écrits qui me font vivre aventure après aventure. Jamais je n'avais autant voyagé autre que pour retrouver ma famille. L'on dit que les voyages forment la jeunesse et bien que cette dernière soit derrière moi, les périples me donnent tout une expérience de vie.

Mon regard était rempli d'espoir qu'elle dise oui à nouveau, que l'on fasse équipe une fois de plus mais je n'osais pas croiser le sien. Le voyage qui était prévu de débuter aujourd'hui risquait de ne plus être de rentrer vers le point de départ mais pour une toute autre destination. Encore une fois il me fallait foncer vers l'inconnu et nulle autre qu'Ilsa pouvait m'y aider vu que la mer était le périple à traverser. Une enquête à effectuer pour comprendre cette sinistre vague de suicides qui avait lieu sur la Mer Maudite. J'étais nerveuse et n'osait poser la question pourtant si évidente, les quelques couverts sur la table se mirent à se torde l'un après l'autre pour s'unir, s'étirer et se déformer jusqu'à prendre l'allure d'un navire en tout point identique à celui de la capitaine. L'instant suivant elle posait le parchemin pour voir l'oeuvre éphémère qui représentait mon espoir que je laissais aussitôt couler en un amas difforme. Je fermais les yeux dans l'attente de sa réaction et une main est venue se poser sur mon épaule. «Je t'y mènerais et nous comprendrons ce qui se passe.» «Merci... merci...» Ce fut tout ce que je put murmurer pour le moment.

Tandis qu'elle voulait poursuivre son repas avant de partir, elle pointe la flaque de métal durcit qui trône au centre de la table. «Je suis supposée manger avec quoi maintenant ? » «Tes doigts ! » Un rire partagé se fit entendre, ce qui attirait l'attention des autres clients de l'auberge présent à cette heure très matinale. Après tout, bon nombre sont marins et savent que la journée appartient à ceux qui se lève tôt. La tenancière vint porter des couverts en bon état sans oublier un regard furieux vers moi, ce à quoi je répondis de les rajouter à l'ardoise du repas et de la chambre. Elle s'en retournait satisfaite de cette réponse, le stress de cette escapade m'avait un peu coupé l'appétit. Je m'amusais donc à faire une boule de métal avec les restes de ma sculpture, jouant à la faire rouler d'une main à l'autre en passant sur les bras. Ilsa se levait pour sonner le glas du départ, la balle rendu entre mes doigts disparu peu à peu entre ceux-ci sans laisser la moindre trace. La capitaine payait la note, j'ajoutais quelques pièces sur le comptoir pour régler ma part tel que promis puis attendit dehors.

Je flânais dans la rue en attendant la capitaine qui sortie de l'auberge avec deux sacs de victuailles, elle m'en tendais un pour l'aider à porter jusqu'au navire. «Elle offre pour emporter aussi et tu as vidé ses réserves ?» «Non, seulement ce qu'elle avait en trop qui pouvait nous permettre de bien manger sur la route.» L'idée était futée, d'autant plus que le repas avait été savoureux, je n'allais pas rechigner d'avoir mieux que de la viande séchée et du pain sec. Je n'avais pas la moindre idée du temps qu'il nous faudrait, raison de plus pour faire face à tout éventualité et Ilsa y montrait bien son expérience. Quelques achats ici et là parmi les marchands du coin, tous viendrait livrer dans l'heure qui suit sur le quai devant leur moyen de transport. J'étais déjà à bord pour placer en sécurité la nourriture quand les bruits de pas résonnèrent dans toute la coque, l'un après l'autre les hommes descendaient à la cale pour déposer la marchandise. Guidée par Ilsa pour mettre au bon endroit et équilibré les charges pour une stabilité idéale. Je remontais sur le pont, la passerelle déjà rangée, un homme venait de tirer l'amarre sur le pont et sautait sur le quai après une brève salutation. Le départ était donné.

Ilsa menait avec brio la barre, tant par temps calme que tempête, elle gardait le cap grâce au soleil et les étoiles. Moi j'étais à quelques mètres derrière elle, assise en tailleur à façonner du métal comme bon me semble ou bien à aiguiser mes lames. J'avais perdu la notion du temps, jour, nuit, une boucle sans fin que je ne comptais plus. Je préférais savourer chaque instant sans me soucier du lendemain même si bien des détails me ramenaient à la raison de mieux considérer la suite. Alors que l'astre diurne était à son zénith, l'accumulation de cadavres à la dérive fut visible à l'horizon. Une odeur bien représentative de l'état des corps s'ajoutait bien évidemment à ce spectacle macabre. «Et on commence où pour comprendre ?» La capitaine me pointait vers le haut. «Monte à la vigie, tu y verras plus clair.» Sans poser de questions, je m'y rendis pour observer avec un meilleur point de vue et je restais figée devant l'ampleur de la situation. Lorsque le message avait indiqué une vague de suicide, j'avais songé à au plus quelques dizaines, une histoire de pacte ou un défi ridicule entre amis. La situation était tout autre, plus d'une centaine était là à flotter sans aucune trace de débris, des corps venant de nulle part à priori. Le plus troublant était dans la disposition, une série de cercles aux grandeurs variés qui s'imbriquaient les uns dans les autres, une cohésion parfaite alors que la mort règne en maître sur cette zone. «Isla, jette l'ancre et viens voir ! » Elle s'exécuta sans attendre, empêchant ainsi le navire d'aller trop près et observer avant d'être à l'intérieur de cette zone à risque. «Pourquoi ici ? Pourquoi ces formes ? Comment ils sont arrivés ? » «Des questions que nous devons répondre moussaillon, c'est ce pour quoi nous sommes venues.» J'eus un certain dégoût à l'idée d'aller plus proche. «Un bateau payé pour les amener et partir ensuite ? » «Possible mais vu le nombre, ça prend tout un bâtiment. Tu explique comment la position ? » «J'aurais bien dit des attaches de l'un à l'autre mais d'ici je ne vois rien de tel. Sorcellerie alors ?» «Pas mon domaine ça, j'aime bien voir les effets d'une magie pacifique mais de ce genre, je peux m'en passer sans soucis.» Sous l'eau on pouvait remarquer le passage de créatures marines, certaines petites et d'autres plus imposantes mais d'aucun ne venait se rassasier de cette chair. L'odeur était largement signe d'un manque de fraîcheur mais au moment du drame, alors qu'ils se débattaient dans l'eau avant de mourir, c'était tout ce qu'il y a de plus à point pour croquer.

La capitaine redescendit pour avancer de nouveau avec son bateau jusqu'aux cadavres. Au bruit des vagues se mêlaient les impacts des corps, de ces crânes qui percutent la coque avant de s'écarter de la trajectoire. Du haut de mon perchoir, je voyais sans mal les formes dessinées dans la Mer Maudite, s'ouvrant à notre passage pour se reformer ensuite... nul doute une magie puissante était derrière ceci. Nous étions là, au coeur du glyphe qui reprenait sa forme au gré des vagues.

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Une sensation étrange m'envahit, comme un désir de me lancer à l'eau et de voir ce qui se passe en dessous. Pourtant c'est loin d'être l'amour fou entre cet élément et moi, une impression qui plongeait me rendrait totalement folle. Était-ce le glyphe qui avait effet sur moi ? Si c'était aussi simple, pourquoi de simple noyés ne seraient pas dévorés par les créatures marines qui attendent, assoiffées de chair et de sang ? Cette force qui les gardent a cet endroit précis de la Mer Maudite, était-ce la même qui repousse les prédateurs potentiels ? Dans tout les cas, l'odeur n'avait rien d'agréable et la vue de tout ces corps n'avait rien d'inspirant non plus. Pourtant j'étais là pour ça, pour comprendre et découvrir la source de tout ceci dans un mince espoir que cela cesse. Je rejoignis Ilsa dans sa cabine, elle c'était attachée une cheville au lit pour se retenir de plonger, elle y était assise, tête basse, avec les larmes aux yeux. «Cette force qui nous amène à plonger et prendre une grande respiration alors que nous sommes sous l'eau, à accueillir le liquide plutôt que l'air sans se soucier de l'effet mortel sur un être qui n'est pas fait pour ça...» Je me plaçais à genoux devant elle, mains sur ses cuisses tandis que je la regardais dans les yeux. «Et pourtant il faut y aller, je sens que la solution s'y trouve. » Elle faisait non de la tête, elle ne voulait pas faire le grand saut et risquer de succomber à la tentation, elle voulait vivre des aventures encore et encore. Abandonner son navire à la mer tandis qu'elle plonge n'était pas une option non plus.

Je me levais pour prendre son visage au creux de mes mains, il était à mon tour de prendre soin d'elle comme elle avait prit soins de moi depuis notre première rencontre. Un baiser sur son front puis je montais sur le pont pour remonter l'ancre, le navire commença à dériver lentement puis plus vite à mesure que je laissais la voile se tendre. Gonflée d'air par le vent, c'est sans mal que le glyphe fut traversé de nouveau, j'attachais la barre pour qu'elle garde son cap avant de redescendre en cabine. Ilsa venait tout juste de se détacher, ne sentant presque plus cette pulsion de suicide. J'avais moi-même fait aussi vite que possible pour résister à cette envie grandissante et pourtant je devais y retourner pour accomplir ma tâche. «Continue ta route, retourne à bon port et prie pour moi. » «Ne me dis pas que tu y retourne ! »«Je n'ai pas le choix... il me faut comprendre.» Son visage ne pouvait mentir sur la tristesse qui envahissait son visage et son esprit. Je la pris dans mes bras pour une accolade tout en lui murmurant à l'oreille que ce n'était pas la dernière fois qu'elle me voyait. Elle émit un soupir, une part d'elle-même considérait cela comme des paroles en l'air bien que l'autre part voulait que ce soit vrai. Je quittais sa cabine et montait à bord de la petite chaloupe à l'arrière du navire. Avec mon sac et pour seul autre bagage une hache et des anneaux de fer provenant de barils brisé, le point de départ à la création que j'aurais à faire pour me laisser couler vers le fond mais avec une protection.

Alors que les vagues me ramenaient au coeur du glyphe, Ilsa s'éloignait avec son bateau, elle se tenait sur la proue sans bouger à regarder dans ma direction jusqu'à ne plus pouvoir. J'avais attendu qu'elle disparaisse à l'horizon pour agir, les cerceaux de fer autour de moi qui par ma magie se transformait en une fine cloche de métal. Je me levais avec l'objet tout autour de moi pour sauter à l'eau, le poids me menant vers le fond, une bulle d'air à l'intérieur pour me permettre de respirer. L'obscurité était nuisible dans les profondeurs, je ne pouvais faire aucune distinction jusqu'à ce que deux lueurs m'éblouissent de plus en plus à mesure que j'approchais. Je ne savais pas à quelle distance j'étais de la surface mais il y a bien assez d'eau pour que ce ne soit pas vu de la surface.

Tout au long de la descente cette voix continuait d'en ma tête, elle incitait à ce que je quitte ma carcasse de métal pour savourer la froideur de l'eau jusqu'au plus profond de mes poumons. L'impact avait été rude et déstabilisant sur le fond de roc de la Mer Maudite, j'avais fermé les yeux depuis un moment, je m'étais recroquevillé dans l'attente de toucher le fond et dans l'espoir de ne pas me blesser. Un craquement c'était fait entendre puis une secousse c'était fait sentir une fraction de seconde ensuite. Telle une vague dans les profondeurs, j'avais senti ma protection se faire pousser plus loin, m'empêchant de savoir ce qui avait pu être brisé dans ma chute. Ce ne pouvait être moi tandis que je ne ressentais aucune douleur. Chance ou soutien des dieux dans ma quête, j'avais toujours de l'air pour respirer bien que je dois à demi immergée dans l'eau. Je pris conscience que la voix ne résonnait plus dans ma tête, avais-je dérivé grâce à la secousse au point d'être assez loin ? Je me remis debout marchant au fond de l'eau pour suivre la lueur qui me parvenait à nouveau, c'était glacial et je me doutais bien que je ne pourrais durer longtemps ainsi. Chaque pas devenait pénible jusqu'à me laisser tomber, je ne pouvais nager jusqu'à la surface ni me réchauffer, je ne voyais que l'abandon. Cette magie avait finalement eu raison de moi. Mes yeux se fermaient, je tombais sur le côté et l'eau envahissait ma seule protection, je me sentais rouler alors que dans un dernier effort je retenais mon souffle. L'instinct de survie même si tout était perdu. Je perdis connaissance alors que je sentais l'effet d'une chute qui ne pouvait que m'être fatale.

J'ouvris les yeux tout en crachant de l'eau, m'essuyant le visage du mieux que je pouvais avec mes doigts tandis que ma tenue était totalement détrempée. Je retirais aussitôt mes vêtements sans vraiment comprendre comment je m'étais retrouvée là, le soleil me réchauffait tandis que je regardais autour de moi. Une lueur attirait mon attention, je m'y rendis pas à pas pour regarder l'anneau qui ondulait en un cadre difforme, son centre montrait une étendue d'eau. Ma cloche de métal s'y trouvait, un objet inconnu cassé non loin, dont la brillance se dissipait peu à peu. «Un portail ? Et cet objet qui faiblit... la source de cet vague de suicide ? Encore un artéfact maudit qui sème la mort ?» Je n'avais pas de confirmation mais l'absence de pulsion à mourir avant de perdre connaissance me donnait espoir que j'avais réussie ma mission. Pour l'heure, une fois sèche, tout comme mes habits et mon petit bagage, je devais trouver à quel endroit j'étais. Un château aux allure macabres malgré la clarté du jour se dessinait à l'horizon, seule référence possible pour guider mes pas, c'était ma destination. Une fois sur place, la grandeur du château était surprenante mais entouré de grilles imposantes aux pics acérés, il semblait impossible d'y entrer. J'en faisais le tour, essayant tour à tour les quelques portes d'accès qui étaient toutes verrouillées. L'envie ne manquait pas de tordre le métal pour me frayer un passage mais j'étais déjà épuisée. Il me fallait du repos et un repas convenable avant de songer à user de magie encore.

Je n'avais aucune idée du lieu où je pouvais être, de comment retourner à la maison, de faire savoir à Ilsa que j'étais encore en vie. Je m'arrêtais devant le portail le plus gros de l'enceinte, effleurant des doigts la serrure qui retenait en place l'ouverture. Je fixais le verrou de plus en plus, sa forme ne m'était pas inconnue, je me penchais pour mieux observer puis me relavait d'un trait pour fouiller dans mon sac. J'en ressortie une clé quelques instant plus tard. «La voila !! » Sans attendre, je menais la pointe dans la serrure, la clé y entrait à merveille, un déclic se fit entendre alors que je tournais d'un tour complet. Une faible poussée dans la porte la fit ouvrir dans un grincement désagréable, je rangeais la clef à sa place puis m'avançais vers l'intérieur de la cour.