Qu'est-ce qu'elle se plaignait, cette bougresse. Bon, en fait non. Elle ne disait rien, conformément aux ordres. Le fait est que la Maquerelle n'appréciait guère ses manières de mijaurée. C'était, au sens propre du terme, une vierge effarouchée. Ethel se sentait comme une sainte, pour avoir ne serait-ce qu'empêché les autres démons de faire bien pire à cette ange-là. Alors la voir geindre... ça lui donnait envie d'exploser les entrailles d'un nain. Pourquoi un nain, me direz-vous ? Eh bien, il y a longtemps, elle avait traversé la moitié de ces terres pour demander à l'un d'entre eux de lui prêter une de ses sœurs, puisque les femmes de ce peuples étaient censées être des plus belles. Figurez-vous que l'homme lui refusa, avant de conseiller à la démone de fuir si elle ne voulait pas se faire plus d'ennemis ici. La rousse avait mis ce refus sur le dos des relations diplomatiques inexistantes entre leurs deux peuples — il faut dire qu'avoir exterminé la quasi-totalité de leur population il y a des siècles de cela n'aidait pas —. Elle détestait qu'on lui dise non. Cette expérience l'avait rendue hargneuse comme elle ne l'avait jamais été. Mais revenons plutôt à notre histoire.

« Je vais t'avouer la vérité, mais tu ne dois strictement rien dire. C'est clair ? » Vu le contexte, Ethel n'attendit pas de réponse de la part de l'emplumée. « Si je t'ai chouchoutée, si j'ai réussi à te faire quitter la Terre blanche, c'est pour te libérer. C'est aussi pour cela que tu n'as pas été commandée aussi tôt que les autres arrivantes. » Ce mensonge débutait bien. La démone comptait détourner l'intention, sans mentir directement quant aux faits. « Je n'ai jamais compté te prostituer. C'était une machination habile pour te transférer ici, puis te faire partir. Cependant... » Elle fut interrompue par un cri. C'est bon, on rentrait juste un bijou dans sa chair, c'était pas la fin du monde ! Ethel décida de ne pas poursuivre sa tirade, se doutant que la capacité mentale de l'esclave — future affranchie — était au plus bas. Alors, elle attendit gentiment que le supplice prenne fin, et que Danthès désinfecte la plaie du mieux qu'il le pouvait.

« Alors, ça va mieux ? » L'ange avait probablement frôlé l'évanouissement, et gisait encore sur la table. La constitution des prisonniers que l'on récoltait en Terre blanche frôlait souvent le néant. « Donc, je disais : je n'ai jamais voulu te faire de mal. Jamais voulu te prostituer. Jamais voulu t'utiliser comme objet ou vache à pièces d'or. » Elle posa son doigt sur la bouche de Shanxi, au cas où cette dernière ait eu l'audace de vouloir parler. « Je comptais te libérer depuis le début. En fait, je voulais même te laisser intacte, mais j'ai été forcée de rajouter l'Ancradoseur dans ta peau... » Ethel désigna le bijou, qui était entouré de boursouflures. Elle devrait cicatriser, après quelques mois. « Il me permet d'être sûre que tu iras bien. » C'était partiellement vrai. « J'ai dû agir dans le secret, mais mon objectif n'a pas changé... je devais te sauver. » La toile de ses mensonges s'agrandissait un peu plus à chaque mot prononcé.

« Moi et Danthès allons te maquiller, te mettre une perruque, une tenue sobre et, enfin, tu pourras partir. En ce qui me concerne, Vexena est morte et ne sera pas enterrée. Shanxi... disons qu'elle n'existe pas à Giniyi. Fais ce que tu veux ailleurs, mais dans cette ville, j'exigerais de toi la plus grande discrétion. » Son ton était ferme. « Si jamais tu étais remarquée, ils remonteraient à moi et verraient que j'aide à libérer des anges. Ce qui veut dire que je ne pourrais plus faire ça à l'avenir, en supposant que je survive. Je ne te demande donc pas de te faire petite pour rien. Si jamais tu fautais, tu serais directement responsable de la condamnation de plusieurs personnes. Pas seulement moi, mais aussi des anges qui allaient être sauvés. » C'était du chantage émotionnel, certes. Cela dit, Ethel tenait à ce que la prisonnière joue le jeu, même une fois libérée de son joug. Il en allait de sa réputation. Si le personnel voyait une ancienne employée sauvée avant même d'avoir commencé le travail, ils commenceraient à nouveau avec leurs foutues revendications de conditions de travail. La démone avait d'autres chats à fouetter.

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Au final, tout allait pour le mieux. Le serviteur de la Dame Rouge avait daigné payer Ethel en contrepartie pour le dérangement. Une fois ce remboursement fait, elle considérait que tout était en ordre. Les choses auraient pu rester ainsi. Néanmoins, le destin en décida autrement.

« Vous pensez vivre encore longtemps... mais ce n'est pas le cas, madame Shantsor. » La maquerelle foudroyait l’intruse du regard. « Qui êtes-vous ? Que faites-vous ? Gar- » D'un geste, la femme étouffa le moindre son. Cela faisait partie de ces pouvoirs bien pratiques. « Je ne suis personne. Je suis là seulement pour que les choses se déroulent correctement. Les gardes ne viendront pas. J'ai fait en sorte que notre conversation soit privée. Maintenant, écoutez, et faites-le bien. Vous allez mourir. La maladie ne vous emportera pas. Un accident non plus. Non, vous perdrez votre vie de la main d'un autre. Cependant, une chose est essentielle : vous ne devez pas rejoindre l'outre-tombe. Sous aucun prétexte. Trouvez un moyen. Exigez des services. Utilisez la magie qui est en votre possession pour persister. Les hommes armés ne suffiront pas. Il vous faudra un appui différent. » La dame avait disparu aussitôt, comme si elle n'avait été qu'une hallucination.

Ethel savait extirper les mensonges pour préserver la vérité. Son instinct lui dictait que cette étrangère n'était pas une simple diseuse de bonne aventure. Il y avait autre chose. Il allait falloir prendre des mesures d'urgence.

1010 mots et des poussières. Faudra que tu me dises les gains que tu veux o/.