La Couronne des Profondeurs

Musique

« Perséphone. » souffla l’Ange en entrant dans la pièce. Edwina contemplait la rue depuis la fenêtre. Songeuse, elle était restée ici un temps indéfini. Sa dernière confrontation avec le Monarque Démoniaque la laissait encore perplexe. Erwan n’avait pas à le savoir. Elle ferait en sorte qu’il ne lise pas en elle. En d’autres circonstances, sans doute l’Ange aurait-il pu être un confident. Seulement, elle le connaissait trop et elle voyait, un peu plus chaque jour, les griffes de la malédiction se refermer sur lui, inéluctablement. Aussi, elle se retourna, son visage éclairé par un sourire qu’elle voulait sincère. Il l’effrayait pourtant à bien des égards. Elle le voyait lutter contre des pulsions qui n’avaient rien de naturel. Par sa faute, cet Ange risquait de perdre ce qu’il lui restait de vertueux. Sa situation la peinait, en un sens. Peut-être prenait-elle plus de plaisir à observer les affres de ses baisers agir sur les maléfiques ; et encore. « Vous me semblez troublé, Erwan. » murmura-t-elle. Qui était-elle, au fond ? Mettre cette couronne sur sa tête lui faisait parfois perdre le sens des réalités. Des souvenirs enfouis étaient remontés à la surface, comme de vieux cauchemars qu’elle avait préféré enfouir. Les Cieux ne la rendaient pas meilleure. Ce n’était, en tout cas, guère l’impression qu’elle avait. La tristesse de la situation des siens la plongeait dans une dépression dont elle avait du mal à sortir. Trouver la force lui semblait bien plus délicat qu’à l’accoutumer. Les jeux de séduction paraissaient fades car seul l’amour était une valeur « normale ». Elle ne comprenait pas ce nouveau statut, empli de contraintes. Elle qui se sentait parfois enfermée en tant qu’Impératrice Blanche, trouvait à présent son rang plus qu’enviable. Comme pour tenter le diable, elle s’avança vers l’Olori. « Êtes-vous souffrant ? ». Feindre était sans doute lâche. Elle savait ce qu’il avait mais n’en possédait pas le remède. « J’ai une demande à vous faire. » dit-il pour toute réponse. Elle pencha légèrement le visage, intriguée. Il paraissait on ne peut plus sérieux. « J’y ai réfléchi longuement. Je sais que nous ne nous connaissons peu, aussi parce que vous n’êtes pas bavarde sur votre passé. ». La dernière partie de la phrase sonnait comme un reproche. Elle savait qu’elle le torturait. Il voulait en savoir plus. Il voulait plus. Elle le sentait l’observer la nuit, lorsqu’elle faisait semblant de dormir. Deux fois, il avait posé ses lèvres sur les siennes. « Seulement, puisque vous n’avez plus réellement de famille proche, que vous vivez chez moi et que… Disons que je pense que nous sommes devenus bien plus que des amis. Lorsque je vous ai vu sur les Terres Arides, j’ai su que vous me seriez spéciale… ». « M’aimez-vous ? » demanda-t-elle sans attendre qu’il finisse ses explications. L’amour… une fable à la finalité toujours dramatique. Aimait-elle, elle ? La différence entre le désir et l’amour pouvait être si ténu parfois, tout comme elle l’était entre l’amour et l’amitié. « Oui. Et je vous désire. ». Il la désirait, tout court. Que pouvait-elle y faire, si ce n’était accepter ce qu’il allait lui demander. Elle vivait chez lui depuis quelques lunes, calquant son emploi du temps personnel sur celui de l’Olori qui était souvent absent. Remettre en cause cet équilibre serait compromettre son infiltration. Il était un allié de poids, celui qui était témoin de sa présence sur le territoire démoniaque. « Demandez-le-moi dans ce cas. » murmura-t-elle. Elle n’en avait pas envie, pas plus qu’elle n’avait eu envie d’épouser son neveu. Finalement, très peu d’hommes avaient le pouvoir de briser les chaînes des obligations qui pesaient sur elle. Faire ci ou ça, par utilité ou pour rassurer le peuple, était son quotidien. Un mari, deux maris, trois maris, qu’en avait-elle à faire, finalement ? Elle capta le resserrement de la mâchoire d’Erwan. Il s’avança un peu plus et lui prit la main. « Consentiriez-vous à m’épouser ? ». Elle sourit et eut une pensée fugace pour le Roi Démoniaque. Leur mariage n’était pas encore décidé, suspendu à la finalité d’un jeu qui n’était pas terminé. Et pourtant, il était le seul à qui elle avait opposé une franche résistance. Pourquoi ? Parce qu’il était le Diable ? Ou parce qu’elle était paradoxale ? Actuellement, songer à lui la hérissait mais ce n’était pas le cas en temps normal, lorsque cette couronne ne trônait pas sur sa tête. « Bien sûr. » répondit-elle. C’était étrange car, à ce moment-là, elle imagina l’Olori trainé jusqu’en Enfer, pour recevoir son dernier châtiment.  

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