Un Destin tout tracé - Le rêve

Dans son lit, Aliénor se remémorait cet oiseau qu’elle avait croisé plusieurs fois dans la journée. Au rythme des cours, il lui était apparu. Elle ne savait pas exactement ce que c’était. Son ventre valsait entre le blanc et l’argenté. Sur son dos et ses ailes, plusieurs nuances de bleu se donnaient la réplique, saupoudrées de quelques tâches semblables à du sucre semoule. Il avait une sorte de houppette sur le sommet du crâne. « C’était un geai bleu. ». La jeune femme se redressa avec une hâte qui en aurait fait rigoler plus d’un si le contexte s’y était prêté. Dans le dortoir, il n’y avait que des filles, qui dormaient toutes depuis de longues minutes. Les conversations étaient animées depuis quelques jours et les bruits les plus fous couraient ici et là sur ce qu’il s’était passé sur les Terres du Lac Bleu. Beaucoup de Mages Blancs ne croyaient pas la nouvelle selon laquelle l’Impératrice Blanche était encore en vie. Certains l’avaient vu s’effondrer et tout s’était passé tellement vite que personne ne savait rien, hormis les Chanceliers d’Albâtre sans doute. Si elle vivait encore, pourquoi donc n’était-elle pas réapparue pour rassurer ses sujets ? Les hauts gradés n’osaient pas dire la vérité : oui, la Reine vivait toujours, mais aucun d’eux ne savait où elle était et la seule à avoir une vague idée de la réalité s’était volatilisée. Ils avaient pensé à créer une illusion pour le bien général, c’est vrai, mais comme ils ne pouvaient écarter l’hypothèse d’un non-retour, ils avaient renoncé à l’exercice. Il fallait attendre.

« Ne criez pas. » fit l’inconnu. Aliénor le regarda et se mit à crier, attrapant son oreiller pour le lui lancer dessus. À quelques millimètres du visage de l’homme, il s’éventra, les plumes qu’il contenait virevoltant dans la pièce, telle une neige merveilleuse. La Magicienne regarda à droite et à gauche, espérant trouver une source de réconfort, de l’aide, mais les silhouettes endormies n’avaient pas bougé. C’était étrange car les plumes stagnaient presque dans l’air. Elles tournaient sur elles-mêmes mais avaient cessé de descendre vers le sol. « En fait vous pouvez crier. ». Aliénor resta totalement silencieuse. « Vous aimez me contredire, hein ? ». Elle fit une drôle de tête, l’attitude de son interlocuteur la troublant tellement qu’elle ne savait qu’en penser. Il dégageait quelque chose d’impressionnant. « Que… ». « Qui je suis ? Qu’est ce que je fais là ? Eh bien, j’allais vous l’expliquer avant que vous ne criiez. ». « Ah euh… oui, pardon. ». Il sourit et se rapprocha un peu d’elle. « Savez-vous pourquoi la Reine doit porter ce voile, constamment ? ». « La… reine… La reine est morte ? ». « Bon, L’Empereur Blanc ou L’impératrice Blanche, en termes génériques si cela vous trouble moins. ». Elle ne voyait pas du tout où il voulait en venir. « Quelque chose à voir avec le culte des Dieux… ». « Yaveäth est un Dieu plutôt possessif qui veut garder le visage de son Élue pour lui. ». La Magicienne prit un air affolé. « Ne dîtes pas cela sur l’Æther de la Paix ! Il… Je… ». « Qu’il me punisse s’il le juge utile. » ricana-t-il. « Il se trouve que c’est toute la silhouette de l’Impératrice Blanche qu’il veut à présent gommer aux yeux du public. Il veut en faire l’une des Souveraines les plus mystérieuses des Terres du Yin et du Yang… ». « Mais… quoi ? ». « Mais un Souverain qui ne fait aucune apparition paraît bien fade et inutile aux yeux de son peuple. » continua-t-il sans tenir compte de ses commentaires. « Il faut donc une figure pour l’illustrer. Un visage pour ses représentations, une bouche pour que ses mots puissent être prononcés et annoncés à tous. ». « Oh je vois… » fit-elle en imaginant un Chancelier se charger de cette mission. « Je veux que ce soit vous. » dit-il. Elle faillit s’étrangler. « Quoi ? Mais… ». « Au fait, vous n’allez pas tarder à recevoir une mauvaise nouvelle. Je vous ai un peu observé. Vous n’arrêtiez pas de vous demander ce que vous feriez plus tard, dans la vie. Eh bien, ne vous en inquiétez plus, votre chemin a été tracé pour vous ! ». « Je ne… ». « À la prochaine ! » s’amusa-t-il avant de disparaître en lui faisant un signe de la main.

La Magicienne se réveilla en sursaut. C’était le matin.