Edwina inspira devant la porte, calmement. Elle attendit que le jeune homme lui ouvre. Les choses allaient être délicates, peut-être. Il l’avait prévenue. Lorsqu’elle se retrouva en face de celui qui venait tout juste de terminer son adolescence, les doutes se dissipèrent comme les nuages à la saison chaude. Elle resta un instant à l’observer avant d’entrer dans la salle. « Je sais que cela doit vous paraître étrange que je sois votre interlocutrice en ce jour. » commença-t-elle après s’être assise à la table. Fouillant dans son sac, elle en sortit un ouvrage. Il s’agissait vraisemblablement d’une robe qu’elle était en train d’assembler. Elle l’avait commencée quelques lunes plus tôt, après une énième discussion houleuse avec ses ancêtres. Le fait qu’elle n’ait toujours pas engendré d’héritière pour la lignée posait problème et les femmes Syrkell s’inquiétaient. Toutes lui murmuraient les noms d’hommes prestigieux avec lesquels elle serait susceptible d’avoir un enfant. Elle ne les écoutait que d’une oreille distraite. Peu importe. Elle n’était pas l’une d’elles. « Nous avons bien plus en commun que ce que vous pensez, Kaahl. » rajouta-t-elle après avoir piqué le fil dans le tissu. « Et je suis désolée si mon comportement vous semble étrange mais vous comprendrez bientôt pourquoi je l’adopte. ». Il s’agissait de la seule façon pour elle d’user de sa magie. Elle en aurait besoin. « Quoi qu’il en soit, il est de mon devoir de surveiller les hommes et les femmes que le Mal a quitté afin de m’assurer de la prospérité de mon peuple. Il y a quelques Ères de cela, il s’est avéré que beaucoup de mes conseillers proches étaient en réalité des Sorciers, colportant les secrets les plus importants de mon peuple jusqu’aux oreilles de Lord et de ceux qui lui ont précédés. ». Elle sourit. « Je suis, bien sûr, consciente qu’il y a des choses qu’il est difficile d’éviter. J’arrête celles qu’il m’est possible d’arrêter, même si cela signifie tuer. Vous ne voudriez pas que je vous tue, n’est-ce pas ? » demanda-t-elle en levant les yeux vers lui. Elle se mit à l’examiner. Elle avait l’avantage, pour l’instant. Il lui semblait n’être qu’un enfant, immature, non encore sûr de lui. Pourtant, elle décelait cette lueur dans son regard.

Piquant de nouveau la future robe, elle se concentra un instant sur sa tâche sans parler. Elle devait être sûre d’être en pleine possession de sa magie avant de commencer la vraie discussion. Il fallait être fou pour penser qu’elle était ici par hasard. Elle ne s’occupait pas des nouveaux Magiciens. Elle laissait cette tâche à ses conseillers, qui la laissaient ensuite à des individus spécialement formés à cette problématique. Lorsque ses doigts se teintèrent d’une douce couleur bleutée, ses lèvres s’étirèrent en un sourire radieux. « Bien… » murmura la Reine. « J’ai besoin que vous m’écoutiez attentivement. ». Ses mains quittèrent le tissu et elle se leva pour faire face au jeune homme.

La conversation dura près d’une heure. Ce fut elle qui parla le plus. Ce qu’il avait à dire ne lui importait pas, pour le moment. Apprendre à se connaître, ils en auraient le temps. À la fin, elle sourit, posant sa main droite sur sa joue. « Vous vous rappellerez de tout ceci un jour, lorsque vous en aurez besoin, lorsque vous en serez digne. ». Elle inspira, activant sa magie pour effacer les souvenirs qu’il avait construit depuis qu’elle était arrivée. Reculant doucement vers la porte tout en l’entraînant avec elle, elle ouvrit celle-ci de sa main libre et sortit. Enfin, elle la referma, comme si de rien n’était. Une fois dehors, elle resta immobile et attendit simplement que Kaahl lui ouvre. Cette fois-ci, elle jouerait son rôle et guiderait le nouveau Magicien dans sa nouvelle existence. Elle lui parlerait du parcours qu’il devrait suivre, de ses possibilités, de la patience dont il devrait faire preuve pour espérer un jour atteindre les hauts rangs hiérarchiques. Elle l’apprécierait.

Fin