Cela faisait bien longtemps que la jeune femme ne s'était pas rendue en ce lieu : le rocher au clair de lune. Une terre imprégnée de souvenirs douloureux. Malgré tout, ce n'était pas le cœur lourd en regret que Jaagd s'était décidée à revenir en arrière. Une missive d'un esprit-totem où d'inquiétantes rumeurs étaient couchées noir sur blanc l'avaient poussé à prendre la route, les pas chargés d'appréhension. En effet, celle-ci affirmait une seule et unique chose : qu'un clan de cerfs avait été massacré. Quant à la quantité colossale de rumeurs existantes sur ce fait, elles n'avaient hélas pas bien aidé la bélua à s'éclairer quant à la raison d'un tel méfait. Elle espérait néanmoins que les pistes ne seraient pas trop refroidies à son arrivée. Alors que ses pas la menaient monotonement en direction de sa destination, la lancière se remémorait la teneur de la missive qu'elle avait reçu concernant cet incident. Quelque part, elle ne savait qu'en penser. Ses doigts se resserraient lentement sur le papier tandis que la jeune femme s'énumérait les différentes hypothèses sur ce qui avait pu se passer cette nuit-là. Celles-ci n'avaient rien de réjouissant, hélas.


Enfin, Jaagd pouvait depuis peu apercevoir l'immense forêt qui bordait le rocher au clair de lune. Plus elle réduisait la distance qui la séparait de sa destination, plus la bélua sentait sa gorge et son estomac se nouer. De bien des façons, ce périple l'inquiétait au plus haut point. Quelques heures suffirent à ce que la lancière atteigne enfin le pied du grand édifice. Elle balaya les environs du regard, constatant une certaine agitation qui semblait alourdir l'air. Quoi qu'il puisse en être, la bélua allait bien devoir entreprendre le début de son enquête quelque part. Elle s'attarda quelques instants sur un homme aux cheveux grisonnant. De quelques foulées, la lancière vint lui faire face. « Excusez-moi… J'ai été envoyée ici pour me joindre à l'enquête concernant le clan de cerfs qui a été décimé. » interpella-t-elle. Il n'y avait pas à dire, Jaagd était bel et bien maladroite dans sa manière de s'exprimer.


Son interlocuteur leva un sourcil. « Je vois. Vous n'êtes certainement pas la première. Bon nombre de personnes veulent savoir ce qui s'est passé et se sont engagées dans cette enquête macabre, moi y compris. » finit par rétorquer l'homme. La lancière se doutait bien que les enfants de Phoebe ne tiendraient pas en place face à pareille atrocité. « Qu'avez-vous appris jusqu'à présent ? » demanda-t-elle légèrement anxieuse. L'homme laissa échapper un long soupir. « Pour tout vous dire, ça part dans tous les sens. Chacun se fait sa version des faits et nous manquons de bases solides. Cependant, certains d'entre nous pensent à une hypothèse bien moins plaisante. Vous avez dû en entendre parler je pense. » expliqua-t-il. La bélua fronça les sourcils à cette énonciation. « Un clan de béluas carnivores pourrait en être l'auteur. » cita-t-elle. « Nombre de personnes tiquent à cette idée. Je préférerais honnêtement que ce ne soit pas le cas aussi, mais… Ça me paraît hélas comme étant l'explication la plus plausible. » poursuivit l'homme.


Quelques instants durant, ce fut le silence et la peur qui dominèrent les deux êtres. Puis, le grisonnant se décida enfin à reprendre la parole. « Quoi qu'il en soit, il n'y a qu'une manière de tirer les choses au clair. Vous avez dit être venue pour enquêter, n'est-ce pas ? Dans ce cas c'est ce que nous allons faire. Je vais réunir quelques gars pour nous aider. » reprit-il avant de s'éloigner en direction d'un petit attroupement d'hommes. Quant à elle, Jaagd ne pu s'empêcher de lâcher un long soupir. L'enquête ne semblait déjà pas bien se présenter, compliquant fatalement la tâche qui avait été confiée à la lancière. Portant une main à son visage, elle plongeait dans un flot de pensées. Investiguer n'était guère un domaine où elle excellait. Il fallait dire que cette fois-ci, elle n'en avait pas fait une habitude.


Rapidement, le fil de sa pensée fut rompu par l'arrivée de trois hommes, le grisonnant à leur tête. « J'ai trouvé un peu de main d’œuvre pour notre enquête. Voici Franz et Ares. » l'homme marqua une pause tandis que les deux autres saluèrent la bélua de la tête. « Ce qui me fait penser que je ne me suis pas présenté tout à l'heure, et vous non plus d'ailleurs. Mon nom est Allen. J'aurais préféré vous rencontrer dans d'autres circonstances mais il semblerait que nous n'ayons guère le choix. » finit-il par se présenter. « Mon nom est Jaagd. » répondit simplement la jeune femme. « Bien maintenant que les présentations sont faites… Il est temps d'y aller. Avez-vous décidé de notre destination ? » demanda le grisonnant. La lancière ne disposait pas de toutes les cartes, il allait donc lui falloir reprendre au commencement de ce macabre méfait. « Je n'ai pas encore eu connaissance du lieu où le massacre a été perpétré… Nous devrions sûrement commencer par là. » suggéra-t-elle. « Très bien, dans ce cas allons-y. » lança Allen avant de faire signe aux deux autres de suivre.


Ainsi, le petit groupe leva le pas avec pour destination, un lieu devenu des plus macabres. Quelques heures seulement les séparaient du lieu où vivait auparavant le clan de cerfs. A leur arrivée, ils ne purent prétendre méconnaître l'endroit. Ce qui avait pu être auparavant un lit d'herbes fraîches avait viré au rouge d'une manière qui ne pouvait que marquer l'esprit de ceux qui avait pu assister à cette scène à tout jamais. « Ils ne méritent pas de giser au sol ainsi... » commenta l'un des hommes d'une voix aussi tremblante que sa colère semblait gronder en lui. « Nous avons dû laisser les choses ainsi bien que nous voudrions leur offrir le respect qui leur est dû par leur inhumation. » expliqua plus avant Allen. De quelques foulées lentes, il vint s'agenouiller aux côtés de la carcasse d'un des nombreux cerfs qui couvraient le sol de leur sang. « Leurs blessures incitent à une telle violence... » l'homme marqua une pause tandis que la bélua le rejoint. « Qu'en pensez-vous ? Lorsque je les regarde, je ne peux m'empêcher de refuser d'écarter l'hypothèse la plus folle de toutes. » reprit-il la gorge étouffée dans l’amertume et la colère. Les mirettes écarlates de Jaagd vinrent à leur tour se plonger au sein d'un spectacle qui lui rappelait ses propres traits.


Tandis que l'un après l'autre semblaient rassembler leur courage pour investir les lieux, une tension naissante vint alourdir le climat. « Maintenant que j'y pense… Je vous ai jamais vue dans le coin. Vous n'êtes pas d'ici, non ? Pourquoi dépêcherait-on une étrangère pour enquêter sur un incident qui ne la concerne pas ? » interrogea le plus jeune des hommes. « Garde ton insolence pour toi, Ares. On a mieux à faire. » rétorqua le grisonnant. « Non attends, il n'a pas tort. Je dirais même que ces propos sont parfaitement justifiés. J'aimerais bien savoir certaines choses moi aussi. » enchérit le deuxième. Allen ne pu s'empêcher de soupirer face au comportement de ses comparses. « Très bien. De toute façon on finira par le savoir et on ne pourra pas avancer sans cela. » finit-il par acquiescer. « Dites-moi… Vous n'avez pas encore été interrogée à ce sujet, je me trompe ? » avança le grisonnant tandis que les deux autres ne semblaient désormais se concentrer qu'uniquement sur la jeune femme, et la fameuse réponse qu'elle allait devoir leur donner. « Non, en effet. » répondit-elle simplement.


La bélua ne pouvait s'empêcher d'appréhender la suite des événements. Si elle était amenée à être interrogée, sa condition de carnivore ne pourrait hélas être ignorée. Le temps manquait au fil de ses pensées qui se fut rapidement interrompre par une voix masculine. « Alors qu'est-ce qu'on attend ? Il faut l'emmener voir Gadoh. Lui, il saura tirer ça au clair. » exposa-t-il d'un étrange entrain. A nouveau, l’aîné poussa un soupire. « Très bien... » acquiesça-t-il avant de se tourner vers la lancière. « Nous allons vous emmener voir les personnes qui s'occupent des interrogatoires. N'ayez crainte, chacun d'entre nous y a eut droit. Ça ne veut en rien dire que vous êtes considérée comme coupable, mais disons que nous ne pouvons nous permettre de laisser courir des zones d'ombres ainsi. » reprit-il, entreprenant de faire chuter les tensions qui tiraillaient le quatuor. Jaagd acquiesça d'un signe de tête alors que le groupe se mit en route pour le rocher au clair de lune. Tandis que la sylve abondante défilait devant les mirettes écarlates de la jeune femme, le silence régnait, rythmé par leurs pas.


Enfin, lorsqu'ils purent apercevoir le monument qui trônait fièrement entouré d'une masse végétale, le petit groupe se hâta au pied de celui-ci, où un homme à la silhouette imposante semblait s'entretenir avec un groupe de personnes dont le mécontentement vint faire siffler les oreilles de la bélua et ses comparses. Le plus jeune s'avança, saluant l'homme d'un entrain difficilement dissimulé. « Ah. Vous êtes revenus de la clairière ? Comment ça s'est passé ? » demanda-t-il. Allen s'avança à son tour. « Nous t'amenons une jeune femme qui n'a apparemment pas encore été interrogée. » annonça-t-il, désignant la lancière d'un geste de la main. « Je vois. Et qui est-ce ? » interrogea Gadoh. « Elle s'appelle Jaagd. Il semblerait qu'elle ait été dépêchée pour enquêter sur l'incident. » répondit le grisonnant. « Très bien. Je vous remercie de me l'avoir amenée. » dit-il avant de se tourner vers la jeune femme. « Suivez-moi. Nous n'en aurons pas pour longtemps. » intima l'homme avant de lever le pas. Le silence s'installait tandis qu'ils s'éloignaient du groupe. La bélua pouvait voir les minutes perler alors que ses pas marchaient dans ceux de son compagnon.


Au bout de ce qui semblait être une éternité, l'homme daigna enfin piper mot. « Ça devrait faire l'affaire. Excusez-moi de ne pas pouvoir vous proposer un lieu plus propice à la discussion que nous allons avoir, mais je préfère ne pas trop m'éloigner du rocher. » déclara-t-il en tournant les talons de façon à faire face à son interlocutrice. « Moi qui pensais avoir interrogé tout le monde et exploré toutes les pistes envisageables… Cela pourrait vous paraître étrange, mais votre présence en ces lieux me redonne espoir. » annonça Gadoh, avant de vider toute l'air qui encombrait ses poumons. « Vous dites être venue pour enquêter, c'est cela ? » reprit-il rapidement. « Oui. » répondit Jaagd, suppléant d'un signe de la tête. « Je vois. Je vais vous interroger concernant l'incident, et si tout se passe bien, vous pourrez reprendre votre enquête. » expliqua-t-il. « Si vous êtes prête, nous allons commencer. » poursuivit l'homme tandis que la jeune femme acquiesça d'un signe tête. « J'imagine que si l'on vous a dépêchée pour enquêter sur cet incident, c'est que vous êtes l'une des nôtres. Cependant, il y a beaucoup de zones d'ombres vous concernant, et j'aimerais que vous les éclaircissiez. Je ne vais pas vous demander de me dévoiler votre totem, en revanche, je vais vous demander quel est votre régime alimentaire. » finit-il par énoncer.


L'interrogatoire débutait à peine que la première question ne manqua guère de déstabiliser la lancière. S'il y avait bien une question qu'elle redoutait, il ne pouvait s'agir que de celle-ci. Quelques instants durant, ce fut le silence qui dominait les deux individus. Jaagd ne pouvait ignorer l'impact qu'aurait sa réponse sur la suite des événements, et c'était principalement ce qui l'empêchait de répondre. Quant à lui, l'homme demeurait silencieux, bien qu'il savait pertinemment ce que l'absence de réponse signifiait dans ce cas là. Néanmoins, il préférait l'entendre de sa bouche, peu importe le temps que cela pourrait prendre. Hélas, la jeune femme elle-même ne pouvait ignorer l’interprétation que l'homme prêterait à son silence. Retenant tout l'air qu'elle pouvait dans ses poumons, elle rassemblait tout son courage afin de donner une réponse aussi franche que son double tranchant pourrait se retourner contre la bélua. « Carnivore. » finit-elle par avouer. « Je vois. Vous dites être venue pour enquêter… Cela veut-il dire que vous n'étiez pas présente sur ces terres avant que l'on fasse appel à vous ? » interrogea Gadoh.


Jaagd évacua l'air qu'elle avait pu contenir jusque là d'un long soupir, bien que discret. « En effet. » répondit-elle simplement. « Et où vous trouviez-vous ? » renouvela l'homme. « À bouton d'Or. » affirma la lancière. « À Bouton d'Or ? Pour quelles raisons vous trouviez-vous en ce lieu ? » s'étonna-t-il avant de poursuivre son interrogatoire. « Je réceptionne mes lettres auprès d'une échoppe du village. » expliqua-t-elle. « Dont celle qui vous a assignée à cette enquête ? » demanda l'homme. « Oui. » confirma la bélua. « Pourrais-je la voir ? » quémanda Gadoh. Jaagd acquiesça d'un geste de la tête avant de plonger une main dans une petite bourse qui ornait sa ceinture, dont elle sortit la-dite missive pour la présenter à son interlocuteur qui s'enquit de la lire. A mesure qu'il prenait connaissance de son contenu, l'expression de l'homme changeait pour ne laisser place qu'à une profonde déception marquée par des sourcils excessivement froncés. Relevant la tête afin de poser les yeux sur le faciès de la jeune femme, il tendit la missive à celle-ci. « Au vu de la date à laquelle elle a été écrite et le temps de voyage de bouton d'or pour arriver jusqu'ici… Vous ne pouviez pas être présente sur les lieux au moment où le massacre a été perpétré. » déduit-il. « Et puis, je ne pense pas que vous soyez coupable de toute façon. » ajouta l'homme. « Nous en avons fini ici. Je vous remercie pour votre honnêteté. A présent je vais vous raccompagner auprès de vos compagnons. » finit-il par annoncer. Ils allaient enfin pouvoir regagner le rocher au clair de lune, et de ce fait, ne tardèrent pas à se mettre en route.


Il ne leur fallut guère plus de temps qu'à l'aller pour rallier leur destination, et rejoindre aussitôt leurs comparses. « Alors ? J'imagine que si elle n'est pas derrière les barreaux, c'est qu'elle va pouvoir poursuivre son enquête à nos côtés ? » s'enquit le grisonnant. « Exact. Elle est libre de reprendre son enquête. » confirma Gadoh. « Fort bien. Dans ce cas, ne tardons pas. Nous avons fort à faire. Entendu, vous deux ? » sollicita Allen. « Je m'en remets au verdict de Gadoh. » rétorqua le plus jeune tandis que son compagnon acquiesça d'un signe de la tête. « Bien. Alors on peut y aller. » fit-il. « Je vous souhaite bonne chance dans votre enquête. Soyez prudents. » ajouta l'homme. Enfin, l'enquête allait pouvoir suivre son cours. Le quatuor se mit aussitôt en route pour la clairière où le sang et les dépouilles de leurs comparses gisaient au sol. Lorsqu'ils rallièrent enfin la scène macabre, le petite groupe se divisa rapidement en duo afin d'augmenter leur efficacité. « Là, regardez. Certains corps ont été traînés un peu plus loin. » constata le grisonnant, tout en suivant les traînées de sang. La bélua, quant à elle, se pencha sur l'un des corps. De grande entailles se dessinaient sur le ventre de celui-ci. Plus elle observait les innombrables plaies qui serpentaient sur les parties supérieurs du corps, plus la jeune femme ressentait une étrange familiarité. Elle avait déjà vu une chose similaire, et malgré les années qui s'étaient écoulées depuis le jour où elle avait pu observer ce fait, le souvenir que la lancière en gardait en était presque palpable.


En effet, il devait s'agir d'un des jours les plus macabres qu'elle ait vécu, et assurément celui qui avait le plus marqué son existence. Aujourd'hui encore, les séquelles qu'il avait laissé étaient bien présentes. Il incarnait la raison même pour laquelle Jaagd refusait catégoriquement de prendre la vie de qui que ce soit. Tout comme ces cerfs avaient été arrachés à la vie, la bélua avait une fois été à la place de la chose qui avait pu commettre un tel crime. Au fond, elle ne pouvait s'empêcher de penser que cette tragédie n'était autre qu'une malédiction qui ne cesserait de la poursuivre, telle une boucle qui ne se refermerait jamais. Ses mains tremblaient tandis que ses doigts se refermaient sur la terre imprégnée du sang de ses semblables. Alors que piège semblait se refermer sur son esprit, une main vint se poser sur son épaule, ne manquant guère de lui couper le souffle. « Alors ? Vous avez trouvé quelque chose ? » demanda l'homme.


La jeune femme ne pu s'empêcher de soupirer de soulagement. « Tout va bien ? Vous êtes toute raide. » s’enquérit le grisonnant. « Oui, je vais bien... » répondit-elle simplement. « Je sais que ce n'est pas facile de devoir regarder toutes ces horreurs en face mais… On a pas le choix. Ce serait irrespectueux de notre part que d'ignorer ce qui a pu leur arriver. » déclara-t-il, conservant l'emprise de sa main sur l'épaule de son interlocutrice. « Que pensez-vous de tout cela ? » demanda la lancière. L'homme leva un sourcil. « Honnêtement… J'appréhende le jour où la vérité sera dévoilée au grand jour tout autant que je l'attends avec impatience. Ce que je crains le plus, comme la plupart des nôtres je pense, est que cette rumeur folle puisse s'avérer. » répondit-il, le visage sombre. Quelques instants durant, le silence fut roi. Puis, ce fut la bélua qui le brisa. « Des béluas carnivores. » dit-elle simplement. Le grisonnant releva la tête pour diriger son regard sur la jeune femme. « Lorsque je les regarde… Je ne parviens pas à m’ôter cette idée de la tête. » reprit Jaagd. « Nous y avons pensé aussi mais… C'est tellement difficile à concevoir… Qu'est-ce qui vous fait penser que ça pourrait être le cas ? » demanda-t-il. La lancière dirigea ses mirettes écarlate sur l'un des corps qui gisait plus loin.


Alors qu'elle s'apprêtait à formuler ses hypothèses, un craquement de brindille provenant de son flan gauche attira non seulement son attention, mais aussi celle de ses comparses. Soudainement, une silhouette sortit de derrière un arbre pour entamer une course folle. « Hey ! Il s'enfuit ! » s'écria l'aîné tandis que Jaagd se leva d'un bond, se lançant à sa poursuite, les autres à sa suite. Au milieu de cette course folle entre les arbres, la bélua ne voyait désormais plus qu'une seule et unique chose : le dos de la personne qu'elle poursuivait tandis que sa silhouette s'éloignait de plus en plus. La lancière savait pertinemment qu'elle manquait d'endurance et qu'étant armée de sa lance, la vitesse ne serait pas sa meilleure alliée. Elle ne pouvait pourtant pas se résoudre à la laisser derrière elle, et abandonner n'était guère plus envisageable. A ce rythme, Jaagd risquait de perdre la trace du fugitif. Fort heureusement pour elle, la jeune femme n'était pas dépourvu d'atout qui puisse lui permettre de combler ses failles. D'un bond, elle usa de sa téléportation afin de réduire progressivement la distance qui la séparait de sa cible. Lorsque la lancière arriva au niveau de celle-ci, elle se servit de la hampe de sa lance pour faire trébucher le fuyard. Une fois celui-ci au sol, elle vint le maintenir afin qu'il ne puisse plus prendre la fuite.


L'homme n'eut pas à se débattre longtemps pour voir les comparses de la bélua arriver lui prêter main forte. « Vous l'avez eu… Bien joué. On va l'amener à Gadoh, il saura en tirer profit. » annonça l'aîné légèrement essoufflé de sa course. Deux des hommes aidèrent Jaagd à relever l'inconnu, qui serait bien entouré jusqu'à son arrivée au rocher au clair de lune. Au bout d'un certain temps, l'homme cessa de se débattre, et le petit groupe pouvait désormais apercevoir le grand édifice de leur peuple. A partir de là, ce n'était que question de quelques minutes pour rallier leur destination. Lorsqu'ils purent enfin atteindre le pied du rocher, ce fut à nouveau l'imposante silhouette de leur ami qui les accueilli. « Qu'est-ce que vous m'amenez cette fois-ci ? » demanda-t-il quelques peu surpris des agissements de ses comparses. « On ne sait pas vraiment qui il est… Il nous espionnait à la clairière et il s'est enfuit quand on l'a vu. C'est la jeune demoiselle qui l'a attrapé. » expliqua Allen. « Quelqu'un qui s'enfuit à vue a forcément quelque chose à se reprocher… Voyons de quoi peut-il s'agir. Venez avec moi et ne le lâchez surtout pas. » intima Gadoh.


Le convoi s'éloigna de quelques dizaines de mètres du rocher. « Bon… Commençons par le commencement. Comment vous appelez-vous ? » interrogea-t-il. Le jeune homme ne daigna donner comme réponse guère plus que le silence. « Je vois… Je vais être honnête avec vous. Cette affaire n'a que trop duré. Alors venons-en à l'essentiel : Pourquoi avez-vous prit la fuite face à ces individus ? Et pour quelles raisons vous trouviez-vous à la clairière ? » poursuivit-il. A nouveau, ce fut le silence le plus total. Gadoh, tout comme ses comparses commençaient à perdre patience. « On a tout notre temps, vous savez. Si vous tenez à ce qu'on y passe la journée, et celle d'après, et ainsi de suite… Ça ne tient qu'à vous. Quoi qu'il arrive vous serez condamné. Je serais vous, je n’aggraverais pas mon cas en refusant de coopérer. Vous auriez plus à perdre que nous, croyez-moi. » déclara-t-il d'une voix ferme. A nouveau, le fugitif ne répondit que d'un silence. Cette situation qui semblait être dans l'impasse rappelait vaguement à la bélua sa rencontre avec un jeune homme mystérieux au sein du cimetière du continent du matin calme. Ce jour-là, la jeune femme avait dû employer une tout autre méthode que celle dont elle usait habituellement.


Cette fois-ci encore, elle n'avait rien à perdre, et il en était sûrement le cas pour ses comparses aussi. Jaagd ignorait cependant si ses compagnons accepteraient une telle solution. « Puis-je m'entretenir avec vous, Gadoh ? » quémanda-t-elle. L'homme leva un sourcil. « Bien sûr. » répondit-il en lui faisait signe de le suivre. Les deux individus s'éloignèrent de quelques pas du groupe. « Qu'y a-t-il ? Je vous écoute. » annonça l'homme. « Je ne pense pas qu'il parlera… Pas de cette façon. Ecoutez-moi… Nous allons essayer une autre méthode, ou tout du moins, il faut qu'il croit que ce soit le cas. » suggéra-t-elle. « Que voulez-vous dire, exactement ? » renouvela Gadoh. « J'aimerais que nous jouions sur la peur. Bien sûr, je n'irais pas au bout des choses, mais il faut qu'il croit le contraire. » finit-elle par expliquer. « Vous voulez une méthode plus… Radicale ? » interrogea-t-il. La jeune femme acquiesça d'un signe de la tête.


L'homme croisa les bras. « Eh bien… Je dois avouer que l'idée est plutôt bonne. Autant tout miser maintenant. » lança-t-il. Le duo ne tarda guère à rejoindre les autres. « Alors ? Auriez-vous changé d'avis en notre absence ? » demanda Gadoh. Le suspect ne daigna à nouveau pas répondre. « Fort bien. Vous ne me laissez pas le choix… Cette entrevue n'a rien d'officiel. Par conséquent, personne n'aura à fermer les yeux sur un fait que tout le monde ignore, n'est-ce pas ? » déclara-t-il avec une certaine assurance. « Vous savez quoi faire. » intima-t-il en regardant la bélua, qui empoigna de ce fait sa lance. Tandis que le jeune homme voyait la lame s'approcher de sa gorge, il se mit à trembler frénétiquement en marmonnant. « Non, non, non ! S'il vous plaît ! Attendez, attendez ! » s'exclama-t-il soudainement. « Je vais tout vous dire… Je vous en prie… » sanglotait le jeune homme.


Gadoh fit signe à la lancière de se retirer. « Très bien. Nous t'écoutons. » annonça-t-il. Le garçon reprit sa respiration. « C'est mon clan… Ce sont eux qui les ont tués… Ils m'ont envoyé pour voir où en était l'enquête mais... » expliquait-il maladroitement. « C'est à ce moment là que mes hommes te sont tombés dessus. J'en ai assez entendu. Emmenez-le hors de ma vue. » intima-t-il à bout de nerfs. « Jaagd… Venez avec moi. » incita Gadoh d'un geste de la main. Quelques minutes durant, les deux individus marchaient en silence. Puis, l'homme s'adossa à un arbre avant de se laisser glisser contre lui en soupirant. « Nous vous devons beaucoup. Je suis content de ne pas vous avoir enfermée. » déclara-t-il. Jaagd remua la tête. « Les autres y sont pour beaucoup aussi. » répondit-elle. Gadoh ne pu s'empêcher d'éclater de rire. « De sacrés phénomènes ceux-là, n'est-ce pas ? Nous sommes bien lotis ici. » lança-t-il. La journée avait certes été longue, mais au moins touchait-elle à sa fin tandis que la bélua avait accompli sa mission avec brio.

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