Un homme pouvait faire d’autres choses que la guerre ou le sexe pour s’occuper et tuer le temps. Les activités ne manquaient pas au sein des métropoles. Avec un peu d’imagination, tout était envisageable du moment que la loi était respectée. Non pas que le beau diable se souciait de ce genre de détails, mais il n’était pas suicidaire pour autant, évitant un maximum de causer trop de vacarme sans d’excellentes raisons ou intérêts à la clé. Les jeux interdits étaient en revanche un bon moyen de compléter ce manque d’adrénaline en pariant des gains absolument insensés, par exemple des services très particuliers, tel que des pincées d’esclavagisme. C’était bien plus amusant que de se soumettre des pactes, qui de toute façon devaient respecter un code et étaient donc trop limités par l’absence de sournoiserie. Pour ça, les génies leur étaient largement supérieurs. Enfin, avoir une ou deux qualités restait essentiels pour les espèces inférieures. Le jeu auquel il se confrontait aux autres parieurs se composait de cartes. Il s’agissait de l’un des amusements les plus anciens et populaires de tous les continents, mais il était spécialement pris au sérieux sur celui-ci, à tel point qu’il organisait parfois des tournois officiels. Zane étant un adorateur de l’art du jeu sous toutes ses formes, il se passionnait à l’idée de construire des concours semblables en enfer. Ses confrères étaient tout aussi jouasses que lui dans ce domaine, c’est pourquoi il pourrait sans doute y voir une repartie dans le futur. Mais pour en revenir à son match actuel, le démon remporta tout juste sa quatrième joute consécutive. Si la fortune intervenait assurément dans la partie comme n’importe quel jeu, le bluff et la stratégie étaient davantage axés dans sa composante. Tacticien comme il était, il ne risquait pas de perdre, car les rares fois où Dame Chance lui avait tourné le dos, il était rapidement rentré en relation avec la tricherie ; compagne de fortune qui le servait constamment de sa grande loyauté. De toute façon, qu’importe comment il parvenait à gagner ses parties, le plus essentiel étant le résultat.

L’auberge dans laquelle il se complaisait ne logeait plus beaucoup d’adversaires à cause de l’heure tardive. Ceux qui avaient échoué face à lui se trouvaient inexorablement sur le côté, aussi attristés et dépités que pouvait l’être un enfant à qui l’on avait volé ses sucreries. Comme bien souvent dans ce genre de situations, l’homme en profitait alors pour faire le malin à l’aide de sa légendaire prétention. « Je vous avais prévenu les gars, vous ne faites clairement pas le poids contre l’as des as. Un jour, un vieillard m’a conté une drôle d’histoire. Il m’a assuré que j’allais perdre face à d’ingénieux adversaires. En dehors du fait que je ne l’ai pas pris au sérieux pour d’évidentes raisons, je tiens à vous promettre que je n’attendais rien de votre part au vu de vos têtes de vainqueurs. » La provocation… il s’en était servi à foison lors de tous ses matchs. C’est en grande partie grâce à cette pratique qu’il réussissait à désorienter leurs sens déjà peu affutés. Enfin bref, il pouvait bien se permettre toutes les railleries qu’il souhaitait étant donné qu’il était désormais assez célèbre dans les contrées pour faire reculer les rares insoumis. Il n’était pas encore roi, mais possédait tous les fondements de ce dernier. Le socle étant bâti, il ne restait plus qu’à assembler la statue pour passer d’un rang officieux à officiel. Si on faisait l’impasse sur les titres, il demeurait le démon le plus terrible de cette génération, une réalité avantageuse dont il était conscient, ce qui expliquait son attitude devenue plus hautaine que jamais. Lorsque l’un des balourds se sentit vexé et qu’il se révéla devant ses beaux yeux ébahis de stupeur, le prince de la mort siffla sereinement sa boisson tandis qu’il laissa ses pupilles glaciales répondre à sa place. Les ténèbres dans lesquelles son cœur habitait furent suffisamment palpables en cet instant pour le résoudre à commettre l’irréparable. Il se devisa alors et regagna son poste avec le regard d’un chien battu. Il n’était pas utile de le sacrifier pour exposer un quelconque exemple. Cet homme avait peut-être une famille aimante qui attendait son retour.

Ce n’était pas dans ses habitudes de faire souffrir l’entourage d’autrui, même s’il trouvait cela très amusant. « Personne n’a quelque chose à ajouter, j’imagine ? Parfait. Dans ce cas je vais me retirer et me dégoter une femme en quête d’attention. Les nuits sont plutôt froides, j’ai besoin de chaleur. » Il claqua des doigts pour interpeller le patron du bar, lui indiquant d’un signe tout à fait simpliste de bien vouloir le rejoindre. Le silence qui régna laissa une hésitation le surprendre. Il avait complètement oublié le nom du gérant. Tant pis. « Philibert c’est ça ? Veux-tu bien me rassembler mes gains dans n’importe quel contenant que tu as ? J’ai un long voyage qui m’attend tu comprends ? Et pendant que j’y suis, donne-moi toutes les informations que tu as à propos de cette demoiselle. » Sans ménagement, il claqua la table en bois sur laquelle il buvait, sous sa main se trouvant une affiche de recherche. Celle-ci dévoilait une femme aux traits séduisants, mais également une récompense largement au-dessus des criminels de base. Avec une somme pareille promise, les chasseurs de primes devaient être aux affuts, c’est pourquoi il était presque certain de trouver ce qu’il convoitait dans les environs. Si la majorité des clients marmonnèrent et qu’il ne parvenait pas à comprendre le moindre mot, l’un de ces chasseurs eut au moins la délicatesse de lui répondre. « Effectivement, elle est très recherchée par mes collèges et moi-même. La puissance seule ne te suffira pas pour obtenir l’or pour le coup. Cette femme est très douée lorsqu’il s’agit de camoufler sa présence. La dernière fois que je l’ai poursuivi, elle se trouvait près d’ici, non loin de la plage. Malheureusement, je l’ai perdu de vue après être tombé sur un nécrophage. J’ai cherché partout dans les environs. C’est foutu d’avance. » Il en disait beaucoup. Beaucoup trop même. Voilà bien le réflexe d’un homme qui avait renoncé à la capturer, d’où sa présente générosité qui aurait fait pâlir un ange. Toutefois, Zane était persuadé qu’elle n’avait pas pu se volatiliser aussi simplement.

Ses notions pélagiques étant limitées, il ne pouvait pas affirmer avec exactitude ce qu’il pensait, néanmoins il connaissait un individu capable de davantage donner de matière à ses théories. Il devait le retrouver au plus vite afin de s’en assurer. L’or promis à sa capture ne l’intéressait guère, car c’est seulement la personne qui éveillait ses vicieux profits. Son objectif secondaire n’avait pas évolué depuis qu’il s’était mis en tête de composer un à un les membres de sa future famille. Trouver une compagne, faire un enfant… tout était tellement dépassé. Rien n’était plus efficace que de la construire soi-même avec de solide base. Et puis, nul ne doute qu’un tas de femelles avaient accouché d’un diablotin plus d’une fois. Seulement, voilà, il s’en moquait comme de sa première brosse à cheveux. « Merci. À la prochaine. Finalement, vous pouvez partager les gains entre vous. Ils ne m’intéressent plus. » Il se lassait vite de ce qu’il obtenait, soit la conséquence de ceux qui désiraient tout conquérir uniquement par principe. Il quitta la pièce sans formalités, s’effaçant comme une ombre qui passait de la lumière à l’obscurité. L’homme n’avait plus rien à faire dans les horizons, se devant de rejoindre un personnage haut en couleur. Contournant les montagnes, il se repéra aisément — contrairement à toutes les fois précédentes — en s’aidant d’un moyen mnémotechnique qu’il avait récemment appris pour ne plus se perdre lamentablement. C’est plus que prévu qu’il arriva devant la grotte de son émissaire. Lorsqu’il pénétra dans l’encoche quasiment invisible pour celui qui ne connaissait pas lieu, il manqua de trébucher sur parterre de roche. La caverne semblait vide, jusqu’à ce que le locataire intervienne d’une drôle de façon : en tombant lourdement du plafond. Toujours aussi maladroit, l’ermite n’avait pas changé depuis sa précédente entrevue. Armé d’une vieille canne qui ne servait à rien d’autre qu’à se localiser dans la pénombre constante de son lieu de travail, il tapa dans les tibias du démon — qui ne commit aucune réaction — avant de reprendre le chemin de son bureau.

Par le biais d’un pouvoir récemment et provisoirement dérobé, Zane fit naitre un orbe de feu dans le creux de sa main. Cette méthode était beaucoup plus accessible. C’est à se demander pourquoi il refusait catégoriquement de placer des torches un peu partout. « Arthus, j’ai besoin que tu me rendes un service. Je cherche… » « Tu veux un objet spécial pour pouvoir respirer sous la masse aqueuse. Je le sais bien. » « Impressionnant. Comment as-tu… non laisse tomber. Ça ne m’intéresse pas. Je dois en effet plonger sous l’eau, mais comme tu le sais je n’ai rien d’un poisson. » Le vieux sage passa derrière son comptoir, après quoi il brandit une paire de lunettes qu’il posa sur le bout de son nez. Avec la lenteur d’un escargot, il vérifia les accessoires à sa disposition. La patience étant la première épreuve de cette visite, le démon faillit se laisser au sommeil une bonne dizaine de fois avant qu’une bonne proposition ne succède à ses larmes. « Ce bracelet est un peu plus résistant que ceux que je t’ai présentés préalablement. Il s’agit là de l’une de mes meilleures pièces. Par contre, je n’ai aucune idée du temps qu’il te maintiendra sous l’eau. Deux minutes, une demi-journée, un hiver entier… je n’en sais rien. » Ce n’était pas un gros problème. Combien de fois avait-il échappé à la mort à cause d’incompréhension mêlée à de l’imprudence ? Bien plus qu’il n’avait de doigts. Zane ne se fiait qu’à lui-même, le reste n’étant que bonus qu’il avait la bonté de tester pour entreprendre les limites de ladite chose. « Je t’en dirais des nouvelles. Et comme d’habitude, je te rapporterais une bourse digne de ton soutien. » Il hissa la main et salua son fournisseur, quittant ensuite la grotte pour retourner auprès de la plage, qui n’était pas très loin à vol d’oiseau. C’est ainsi qu’il se faufila dans les airs, au travers des nuages et des oiseaux pour repérer plus facilement sa destination. Lorsqu’il fut sur place, il jeta un coup d’œil à l’horizon tout en enfilant le fameux bracelet. D’après d’autres informations qu’il avait obtenues d’espions de sa propre solde, nombreux étaient les navires à s’échouer près de la côte, ce qui expliquait la venue fréquente des pirates sur cette partie du continent. Il mettait sa main à couper que la jeune femme qu’il pourchassait éperdument cherchait justement à s’emparer du trésor. Il ne tenait qu’à lui d’aller le vérifier.

1800+

La barque dans laquelle reposait l’homme tenait à peine sur l’eau. Elle semblait pouvoir se briser à tout instant. Il suffisait qu’elle rencontre un obstacle de pacotille pour se voir sombrer dans l’abîme océanique et ne plus jamais revenir à la surface. Zane aurait sans doute trouvé un moyen plus stable pour traverser, mais cet homme disposait d’outils qui lui seraient fort utiles pour la suite. Si la bête avait bien appris quelque chose durant ses nombreux voyages, c’est qu’il ne pouvait pas toujours compter que sur sa propre personne. Parfois, il devait nécessairement faire confiance à certains individus pour avancer dans l’histoire qu’il écrivait de sa plume métallique. Cela ne l’empêchait guère de zigouiller les têtes de ceux qui ne lui revenaient pas. De plus, le guide n’était pas réellement un étranger, c’est pourquoi il savait qu’il pouvait s’y fier sans trop de contraintes. En s’installant à bord du petit navire, le démon prit place à l’arrière en s’allongeant, les bras ballants en dehors de la barque. Il profitait de l’embarquement pour se reposer, car il allait forcément en avoir besoin pour plonger au fond de la mer. C’est la première fois qu’il se rendait dans un environnement qu’il ne contrôlait pas, dont ses compétences seraient amoindries face à l’évidente pression du lieu. Scrutant son reflet qui affectait la surface de la couche aquatique, il devait néanmoins concéder que les divers sons qui l’entouraient permettaient une relaxation à la hauteur de son génie. L’océan répercutait son humeur sur celui de la créature des enfers, qui aurait pu somnoler à n’importe quel instant si seulement une quête ne l’attendait pas. Toutefois, il retiendrait ce sentiment et prendrait probablement la mer à la première occasion. S’il ne faisait pas un démon d’exception, alors sans doute se serait-il converti à la piraterie, une vie alternative qui sied parfaitement à ses principes outranciers. Les pillages, les viols, les batailles, le quotidien de ces mercenaires n’étaient en réalité qu’une reproduction de leurs coutumes démoniaques, à l’échelle humaine cependant. Il devait néanmoins reconnaître leur talent pour la découverte des trésors ainsi que leur ingéniosité pour les préserver des autres pilleurs.

Malgré tout le mal qui pouvait les habiter, un code réglementait leurs principes, drôle de concept qui pouvait les rendre étrangement faibles. Quoi qu’il en soit, il était grand temps de parler affaires, notamment du moyen qui allait lui permettre de respirer normalement sous l’eau sans se noyer au terme de quelques minutes. Zane avait beau être un excellent nageur, ses organes demeuraient tout aussi faiblards que les autres espèces qui ne possédaient ni branchies ni queues de poisson. D’une certaine manière, il préférait largement être dans cette optique de se promener avec une esthétique qui ne lui convenait pas. Et puis, ce n’est pas comme s’il accordait une quelconque importance aux espèces maritimes. Il ne trouvait rien d’intéressant à creuser, sa personne n’ayant aucun usage à gouverner dans ces horizons. La terre ferme était nettement plus amusante, bien plus encore que les cieux qui n’attiraient guère plus ses belles pupilles. Passant une main sur sa tempe, il dégagea une longue mèche qui obstruait partiellement sa vue. Ses yeux percèrent ceux du guide, après quoi il prit une grande inspiration. « Pour aller droit au but, où est donc cette mémorable potion qui me permettra l’accès exclusif aux fonds sous-marins ? » Le vieil homme déglutit avant d’enfouir sa main sous la barque. Il dévoila un sac en toile dans lequel il plongea ses doigts. Entre ceux-ci apparut ensuite la fameuse fiole qu’il lui envoya sans différer. Zane le réceptionna dans le creux de sa paume, introduisant la mixture dans sa gorge aussitôt la barque parvenue à destination. Il se leva alors, jetant un œil par-dessus bord, essayant d’y voir quelque chose au travers de l’obscurité abyssale. « Voilà votre destination, mon brave. N’oubliez pas votre promesse concernant mon paiement. Je vous attendrais un peu plus loin, au niveau de ce javeau. » Il désigna une grande motte de terre qui ressemblait plus à une plate-forme sur le point de sombrer qu’à un morceau d’île. « Oui. Du moins, si votre préparation tient suffisamment de temps pour que je survive jusqu’ici. » « Bien que ce soit très aléatoire, cela dure généralement assez longuement pour s’amuser dans quelques heures. » « Je vous en dirais des nouvelles. Sur ce, à plus tard. » Avant toute chose, le démon se débarrassa de ses vêtements afin de nager avec plus d’aisance. Il les abandonna sur la barque pour ensuite plonger à la manière d’un expert en la matière.

À la seconde où sa tête fut immergée dans l’eau, il jugea immédiatement l’efficacité du produit qui lui permettait effectivement de ressentir ses bienfaits. Ni effets secondaires ni désagréments, il n’avait l’impression de se trouver à l’air libre, à l’image d’un poisson anthropomorphe, le physique ingrat en moins. Ne perdant pas davantage de temps en détail superflus, il employa toute son énergie à se rendre au plus profond de la fosse. D’innombrables créatures dont il méconnaissait totalement l’existence se trouvaient ici et là tandis qu’ils s’ôtaient de son chemin sans qu’il ait besoin de passer par la violence. Même s’il ne pouvait pas se servir de ses armes sous l’eau de par leur inefficacité à projeter des dommages, il pouvait toujours envisager de les étriper avec la bonne vieille méthode, à savoir l’usage de ses poings. Il manquait certes d’agilité pour causer un véritable carnage, mais ce genre d’arguments ne l’avaient jamais retenue de faire tout aussi mal que dans son élément naturel. Si la potion lui octroyait bel et bien un bonus intéressant, elle ne faisait malheureusement pas tout le travail, et pour cette raison il rencontrait justement quelques difficultés pour se repérer dans la pénombre ou pour se dresser contre la pression. Par chance, ses brassées intrépides l’amenèrent à la première épave. De par sa taille loin d’être exceptionnelle, il était peu probable que ce dernier ait un jour accueilli un quelconque équipage de pirate, et donc un trésor grandiose, mais qui sait, il pouvait toujours faire la rencontré de dame surprise. À l’aide d’une pirouette noblement exécutée, il dirigea son corps à l’intérieur du cadavre de bois, posant ses grandes mains sur les planches vermoulues afin de se procurer davantage d’élan. Il contourna divers objets massifs et s’engouffra entre deux cloisons pour entrer dans ce qui était l’ancienne cabine du feu capitaine. Il pouvait s’en assurer la véracité grâce aux nombreux indices éparpillés, tel que le bicorne en lambeaux qui essayait de se faire la malle ou encore les ossements qui figuraient aux côtés d’un vieux coffre.

Lorsque le démon vérifia ses richesses, il ne fut alors que peu surpris de ne rien y trouver. Pointant une mine de dépit, il ne renonça pas pour autant, accomplissant aussitôt un demi-tour dans le but de revenir sur ses pas. Ses sens étant habitués à localiser toute pièce légitime, son regard cibla promptement ce qui était potentiellement intéressant de ce qui ne l’était pas, d’où la rapidité de ses actions à ouvrir tout ce qui pouvait l’être. Hormis quelques vieilles broutilles sans la moindre valeur, il ne toucha rien qui puisse lui honorer de remontée à la surface. Puisqu’il ne trouverait rien ici, il décida donc de partir une fois de plus pour la découverte des fonds marins. Lorsqu’il perça à l’extérieur, un énorme cri insurgea sa terreur au point de faire vibrer l’eau, en plus de faire fuir les autres locataires. Voici enfin l’indice qu’il attendait le plus. Après tout, là où sommeillait une bête reposait généralement un grand trésor près de lui. Il n’était pas rare qu'un gardien tout désigné soit à ses côtés au cas où des voleurs mal intentionnés voudraient s’en mettre plein les poches. C’est avec son large sourire entreposé sur ses lèvres que le vil super prédateur se lança tel une torpille dans la gueule du loup, et quel loup ! Arrivant plus vite que prévu, il avait cessé tout mouvement dès l’instant où ses yeux s’étaient posés sur la terrifiante créature. À une distance plus que raisonnable, celle-ci dépassait largement les dix mètres, sa forme étant un juste milieu entre un serpent géant de par sa longueur filiforme et sa tête reptilienne ainsi qu’un dragon, par ses quatre pattes imposantes ainsi que ses dents probablement aptes à déchirer tout ce qui s’opposait à elle. Difficile également de louper l’énorme carcasse autour duquel elle tournait sans raison. Il ne fait aucun doute que de précieux éléments s’y cachaient, mais qu’elle refusait à quiconque le droit de passages. Les nombreuses dépouilles en témoignaient volontiers pour lui. Malgré l’écart de taille ridiculement notable, le diable demeurait symboliquement la créature la plus terrifiante de toutes les contrées réunies.

De plus, il était improprement le plus aliéné également, ce qui lui valait toutes sortes d’expositions plus ou moins extraordinaires comme dans celle qu’il allait s’impliquer présentement. Les dieux pouvaient bien rire de lui s’ils le souhaitaient, il n’y a que comme ça que la vie valait d’être vécu. Le risque d’y laisser des plumes étant plus que jamais réel, l’adrénaline qui lui servait d’essence commençait justement à envelopper ses traits d’une aura de défiance. Le gardien tombait à pic. Zane avait objectivement dans l’intention de voir jusqu’où se situaient ses limites, alors autant prendre le taureau par les cornes et s’occuper du titan des mers en personne. Il n’avait rien d’un petit joueur, optant toujours pour la solution de délicatesse plutôt que la trop grande facilité. Toutefois, avant de passer aux choses sérieuses, il trouvait préférable de s’équiper convenablement. Pour ça, rien de mieux que de partir en acquisition de l’outil qu’il venait de repérer : une lance implantée dans la coque du navire échoué. Même si le serpent flottait autour, il n’avait guère le luxe du choix. Avec la vivacité d’un dauphin, le plongeur nouvellement né navigua fièrement d’avant en arrière, prenant le soin artistique de faire quelques zigzags pour désorienter légèrement la créature qui le repéra assez rapidement. Ses iris se dilatèrent de la même façon qu’un prédateur ayant marqué sa proie, après quoi elle se hâta de fondre sur lui. Sa vitesse était clairement plus impressionnante que ce qu’il avait anticipé, de telle manière qu’elle ne lui laissa aucune avance. La mâchoire de la vipère aquatique s’ouvrit de telle façon qu’elle recouvrit une large zone semblable au plus étriqué des pièges qu’il avait vu jusqu’alors. Ne pouvant réagir aussi expressément qu’un animal qui vivait constamment dans l’élément, ses puissantes dents tranchantes se refermèrent sur lui, son buste se divisant du bas de son corps dans une giclée de sang qui se répandit en une bulle cramoisie, après quoi l’illusion disparut pour ne laisser aucune trace du démon. Cet interlude lui avait permis de se rendre auprès de la lance qu’il venait tout juste d’extraire de son point d’ancrage. Heureusement que la magie fonctionnait en ces lieux, auquel cas il serait déjà six pieds sous terre à l’heure qu’il est.