« Larguez les amarres ! ». Un petit rire mesquin, cristallin, puis un sourire déformant les traits angéliques de la Dullahan. Rien de plus singulier que de distinguer dans son regard cette pointe de joie, cette esquisse d'extase, ce soupçon d'exaltation qui coulait dans ses veines comme l'aurait fait l'adrénaline. Replaçant la cape qui s'envolait dans son dos, elle se déplaçait sur le pont, retenant son excitation de retourner ainsi sur un navire de qualité. Depuis qu'elle était revenue à la vie, la seule vue de l'Océan ravivait en elle des souvenirs évoquant des sentiments contraires. Elle appréciait la vue des vagues, la violence des vents forçant les marins à faire demi-tour là où elle savait qu'autrefois, elle aurait continué son chemin et tracé sa route. Mais redoutait avec force qu'elle ne puisse jamais redevenir ce qu'elle était, retrouver sa grâce d'antan. Cette crainte, loin de la hanter, ressurgissait de temps en temps, la faisant cogiter pendant quelques minutes avant de s'éclipser de son esprit comme elle était arrivée : par magie. Et c'est en jetant un rapide coup d’œil à l'équipage qu'elle laissa un soupir franchir l'entre ouverture de ses lèvres. Aucun d'entre eux ne la reconnaissait, mais ce n'était peut-être pas plus mal qu'elle garde l'anonymat pour encore quelques temps. Le monde saurait bien assez tôt.

Aujourd'hui, elle baignait dans la solitude. Il n'y avait ni reine des elfes ni ange folle ni démon assoiffé de sang dans ses rangs, et l'on ne pouvait nier que cela la rendait inconditionnellement heureuse. Craquant méthodiquement les os de ses doigts elle poursuivit sa promenade, observant d'un œil expert le capitaine qui se dirigeait lentement vers cette île que trop peu fréquentaient, que trop craignaient sans y avoir jamais posé les pieds. En plongeant son regard dans l'eau bleutée, Julia se remémora les derniers événements, croyant voir une sirène nager dans le sillage, s'approcher un peu trop de la coque du bateau. Elle se redressa, faiblement, envoyant balancer sa longue chevelure immaculée en arrière par habitude, avant de froncer les sourcils.

Le calme ne l'avait jamais satisfaite, et la terreur qu'avait instauré la Dame des Abysses en s'en allant comme une voleuse – ce qu'elle était par ailleurs – n'avait été que de trop courte durée. Passant une main distraite sur le bois composant l'embarcation, elle vit la silhouette de l'endroit tant redouté se dessiner au loin. Nériona. La Dullahan pesta intérieurement. Les légendes disaient-elles vraies ? Était-il possible que depuis des années, la magie avait protégé ce lieu de toutes découvertes ? C'était si désagréable de se voir cacher de telles richesses. Les instincts de pirate de la morte vivante commençaient à remonter quand elle quitta le pont, allant s'enfermer dans la cabine. L'on ne la reverrait plus de tout le voyage, et c'est à peine si sa voix s’élèverait dans les airs pour répondre si on l'appelait. La jeune femme s'isolait. Elle ne voulait plus rien savoir, plus rien voir, à une exception près. Ce qui avait été masqué pendant des décennies et qui ne demandait qu'à se retrouver entre ses mains.

Et quand l'on vint frapper à sa porte pour lui annoncer qu'ils approchaient de la rive, il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour retrouver toute la fraîcheur qui la caractérisait. Ouvrant dans un grand fracas, ses affaires sur le dos, elle déploya ses grandes ailes de chauve souris et les étira longuement, prête à en découdre. L'espace d'un instant, elle se demanda s'il était bien sage d'abandonner le navire si près du but. Puis elle haussa les épaules, pliant les genoux pour s'élancer dans les airs. Elle virevolta quelques secondes avant de se diriger vers l'île et d'y poser ses fragiles jambes, observant les environs. A première vue, cela n'avait rien d'impressionnant. Rien de tout ce qu'avait bien pu lui conter Mircella dans ses nombreux livres sur le sujet. Encore des fous auxquels on met des plumes entre les doigts qui font peur à qui veut bien l'entendre.. Croisant le regard d'un passant, elle s'en approcha presque instantanément, ne se retrouvant plus qu'à quelques millimètres de sa jeune personne. « Excusez-moi, sauriez-vous me guider vers l'endroit le plus.. ». Elle fit une pause, laissant un rictus déformer ses traits et ses yeux reprendre la teinte malsaine qui leur siait si bien « Intéressant de cette île ? ». Le bougre s'enfuit alors, sans laisser de traces, et des pleurs se mirent à retentir dans son dos. « Les bouquins, vraiment que des c*nneries bonnes pour ceux qui ch*ent dans leurs frocs de se confronter à la réalité... ».

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La Dullahan fulminait dans son coin. Elle se trouvait dans une position bien délicate qui ne lui siait absolument pas et pour cause : elle s'ennuyait, seule, sur cette plage qu'elle aurait rêvée remplie de pirates tous aussi sadiques et puissants les uns que les autres. Mais rien de tout ceci ne prendrait forme, à son plus grand regret. Nériona, dont on lui avait tant compté les louanges, ne se trouvait être qu'une vague cité perdue au beau milieu de la mer. Et si la blonde des bois possédait bel et bien une envie de découvrir le monde, on ne pouvait pas en dire autant de la défunte qui, si elle avait pu, ne serait jamais sortie de chez elle et se serait contentée de regarder l'univers s'effondrer sur lui-même depuis la fenêtre de son appartement à Avalon, assise sur le rebord, balançant ses jambes dans le vide comme une gamine ennuyée. Toute cette excursion n'avait donc servi à rien, et Julia s'en voulait d'avoir pris de son énergie pour se rendre sur cette île misérable qui n'aurait rien à lui offrir, pas même un souffre-douleur, étant donné que les uniques passants qu'elle croisait se contentaient de s'enfuir en courant avant même qu'elle n'ait le temps de leur montrer toute l'étendue de ses pouvoirs.

Seulement, quelque chose la dérangeait, et la brusquait dans sa réflexion. Si elle n'était pas de ceux qui aimaient s'asseoir et penser posément, elle appréciait néanmoins que, le peu de fois où elle se permette de s'accorder quelques instants qui ne regardent qu'elle, personne ne vienne la mettre en rogne. Et qu'est-ce qui énervait plus la jeune femme que des enfants ? Rien, absolument rien. Les mioches étaient son pire cauchemar, ce qu'elle aurait désiré le moins voir en ces lieux. Où plutôt, si, si elle avait l'occasion de leur arracher les tripes pour en faire une corde à sauter, mais c'était une autre histoire. Craquant les os de ses mains de manière presque mécanique, elle se contenta tout d'abord d'ignorer les gémissements de l'insupportable enfant se trouvant dans son dos. Lui accorder de l'attention ne ferait que renforcer les sanglots, elle le savait bien pour avoir cotoyé malgré elle bon nombre de gosses mal elevés. Et puis qui était cette gamine qui venait chialer dans le dos de purs inconnus ? La Morte se contenait de toutes ses forces pour ne pas se retourner et l'envoyer valser dans le décor. Elle détestait ce genre de plaintes, encore plus dés lors qu'elles n'étaient pas justifiées.

Et c'est dans un accès de colère qu'elle se retourna brutalement, plongeant son regard dans celui de la petite, désirant user de ses pouvoirs dans la seconde pour la faire enfin taire. « Qu'est-ce que t'as le sac à vomi, ta mère t'as abandonnée parce que t'étais pas désirée ? ». Elle écarquilla les yeux, et sentit sa tête tourner, des vertiges la saisir. Cherchant à se rattraper à la première chose venue, elle voulut agripper l'épaule de la gamine qu'elle voulait tuer quelques secondes auparavant, mais ne put saisir que du vide, avant qu'une douleur dans son ventre ne la fasse s'agenouiller. « Ord..ure.. ». Et ce fut le dernier mot qu'elle prononça avant de sombrer, de manière forcée, dans les bras de Morphée. Son sommeil ne fut pas sans encombres, et de nombreux cauchemars vinrent la hanter, lui rappeler qui elle était et surtout qu'elle n'avait rien à faire en ces lieux. Qu'elle ferait mieux de déguerpir avant qu'elle ne puisse plus jamais s'en sortir. Tentant de relever une main pour revenir à la réalité, elle sentit un contact froid, glacial, rugueux contre son visage. Poussant de toutes ses forces sur ses bras, elle peina à se redresser, affaiblie. Ses yeux s'habituèrent ensuite assez rapidement à la pénombre quand elle réalisa qu'elle se trouvait dans une cage. Posant ses doigts sur les barreaux, elle tenta de les faire céder, sans succès, et un grognement la rappela à l'ordre. Un zombie gardait l'endroit. Plissant les yeux, fronçant les sourcils, la Dullahan se remit calmement assise sans regarder dans son dos, et s'appuya malencontreusement contre ce qui devait être un autre prisonnier. « Déjà que c'est pas grand, en plus ils nous foutent à plusieurs dans la même cellule.. 'Scuse moi de t'être rentrée dedans. ». Elle leva les yeux, puis haussa les épaules. Personne ne daignerait lui expliquer ce qu'elle foutait là, mais elle n'avait pas non plus l'intention de faire l'honneur aux inconnus de leur poser la question. Ils étaient tous bloqués là, maintenant..

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