« Je commence à être fatiguée Sakura... ». L'enfant était rentrée à Basphel il y avait quelques temps déjà et, depuis, s'y était intégré à merveille. Cependant, pendant les vacances, l'Humaine qui avait sa charge venait la récupérer afin de l'éduquer sur d'autres plans. Mitsuko s'était montrée très claire : si elle disparaissait, Sakura devait prendre en charge tous les enfants Taiji, ou en lien avec les Taiji, qui se présenteraient à elle. Prendre en charge signifiait clairement les accompagner pour une durée plus ou moins longue sur le chemin de la vie. L'avantage avec l'enfant dont elle avait la garde en ce moment même, était qu'elles avaient quelque chose en commun : l'appartenance raciale. Humaines toutes les deux, Sakura entendait bien montrer à Violette l'étendu des richesses de son peuple. D'un côté, la chose était sans doute un peu étrange, puisque l'enfant n'était autre que la reine qui avait réuni le peuple il y avait de cela très longtemps. Y penser la faisait sourire mais créait en elle une réelle volonté de réussir cette tâche qui était de faire de la petite Violette une bonne personne, une personne droite et respectueuse. « Nous y sommes presque, Violette. Utopia nous ouvrira bientôt ses portes. Sais-tu que c'est grâce à toi que la cité existe ? ». « Pas vraiment. » murmura l'adolescente. Sakura était au courant de l'étrangeté qui s'était emparée de l'enfant jadis. Un Humain avec des pouvoirs, c'était du jamais vu, sauf pour les rares élus des Ætheri. Ça avait été son cas et fort heureusement. Le peuple aurait continué à vivre dispersé sur les Terres du Yin et du Yang, sans abris et sans espoirs. « Je suis convaincue que si une reine est née de l'enfant que tu étais alors, c'est parce qu'en toi se trouvait une grande puissance. Tu es encore jeune, Violette, et personne ne connaît ton Destin. Peut-être sera-t-il grand ? Tu ne crois pas ? ». « Je ne sais pas. ». Elle était très loin de toutes ces considérations. La rouquine était naturelle, elle ne prévoyait jamais. Elle se contentait de vivre et, curieusement, malgré les différents traumatismes qui avaient rythmé sa vie, elle voyait toujours du positif dans tout ce qui se présentait à elle. Motivée pour tout, avec tout le monde, elle n'avait pas encore l'âge de faire des distinctions. Elle n'avait pas de préjugés, même pas sur les Démons vu qu'elle avait vécu une partie de son existence en Enfer. Violette était donc spéciale sur certains aspects et, surtout, qu'il pleuve ou qu'il vente, elle était toujours motivée par tout ce qu'on lui proposait. C'est d'ailleurs ce dernier aspect de sa personnalité qui allait faire en sorte que les jours à venir soient plutôt effrénés.

En pénétrant dans la cité, Violette ne reconnut pas grand chose. L'époque où « elle » avait régné était lointaine et, depuis, bien des événements avaient mis à mal les défenses d'Utopia. La ville avait dû être reconstruite au moins une fois, minimum. Mais l'adolescente y trouva une ambiance qui semblait à peu de choses près la même que dans ses souvenirs, même si elle n'avait pas eu beaucoup l'occasion de gambader au sein de cette terre promise. Partout, il y avait des gens comme elle, des gens qui la comprenaient, qui savaient ce qu'était que le fardeau d'être un Humain. On lui avait toujours dit que c'était un honneur, l'Æther de la Justice elle-même protégeait les Hommes, mais en grandissant, Violette avait pris conscience du fait qu'elle pouvait vraiment handicaper les autres parfois. Elle qui avait un cœur altruiste s'en trouvait de temps en temps démunie.

« Que se passe-t-il ? » s'enquit Sakura devant une mère de famille semblant surexcitée par la présence d'un affichage coloré collé sur un mur. Son regard se porta vers la nouvelle : Mikaïl, le Roi, avait donné l'ordre d'organiser un carnaval pour les enfants mais qui aurait la particularité d'être préparé par eux, ou, du moins, par deux d'entre eux, gagnants d'un concours de pâtisserie. « Un carnaval va avoir lieu ! Je vais de ce pas inscrire mes enfants ! ». La femme fixa Violette un instant. « Peut-être pourriez-vous inscrire votre fille également ? Un peu de compétition ne peut pas faire de mal, tant que cela reste pour le plaisir ! ». Sakura sourit. Elle n'avait pas envie de s'attarder sur le fait que Violette n'était pas sa fille. « Oui, je vais lui en parler. Elle est souvent dans la lune ces derniers temps. A croire que Phoebe lui parle ! ». Elle rit, se dirigeant vers la jeune fille qui fixait la ruelle d'un air absent. Maintenant qu'elle était en dehors de Basphel, elle se rendait compte que l'école lui donnait un certain confort. Pendant qu'elle étudiait, elle ne pensait pas au reste. Près de ses amis, elle avait appris à vivre comme une adolescente normale, pas comme la protégée d'une Déesse, comme une ancienne Reine ou comme la fille adoptive d'un ancien Empereur Démoniaque. La simplicité lui allait si bien. « Violette, souhaites-tu participer à un concours de pâtisserie ? Le vainqueur aura la charge de l'organisation d'un carnaval au sein de la cité. Je me suis dit que ça pourrait te plaire, tu ne crois pas ? ». « Oh oui ! ». L'exclamation fut des plus sincères, chassant immédiatement les pensées moroses de l'adolescente. C'était très rare qu'elle se retrouve plongée dans cet état, elle naturellement si joyeuse, mais ça lui arrivait, comme tout le monde. Elle n'était pas à plaindre, loin de là, surtout que ses prières avaient enfin pu être exhaussées : avoir une vie à elle et pouvoir se développer normalement. Elle n'était plus bloquée à cinq ans avec une vie par étape de quelques jours, la grande Violette prenant le contrôle la plupart du temps. Son esprit et son corps lui appartenaient à présent totalement et elle comptait bien mordre sa vie à pleines dents.

Le verdict l'étonnait encore. La jeune fille n'avait jamais fait de pâtisserie avant, ou si peu, mais elle était l'une des deux finalistes du concours. Elle allait, avec l'aide d'un garçon, organiser le carnaval. Sakura avait sauté de joie à l'annonce de la nouvelle. L'Humaine s'attachait vite aux enfants qu'elle gardait et, à vrai dire, elle avait vu défiler pas mal de jeunes Taiji jusqu'ici. Tous avaient leur caractère mais elle était triste de les voir partir, retourner à leurs occupations. Pourtant, aujourd'hui, la nourrice avait un bon pressentiment pour l'évolution de la fillette au sein de son peuple. Préparer un événement la mettrait sur le devant de la scène et peut-être serait-elle remarquée. Elle était encore jeune mais si elle pouvait rejoindre un comité chargé d'organiser des événements au sein d'Utopia, cela pourrait déjà lui donner une certaine importance, un certain poids. C'était avant tout la mission de Sakura de faire en sorte que la famille Taiji continue de s'élever dans les hautes sphères. Violette avait sa scolarité à assurer, mais si pendant les vacances elle pouvait prétendre à la gloire de la cité, ce serait un bénéfice non négligeable.

« Il va vous falloir trouver un thème au carnaval. Violette, Hiro, avez vous des idées ? ». « Nous devons également parler de la chorégraphie ! Les enfants ayant participé au concours de pâtisserie vous aideront, ne vous inquiétez pas ! Nous aussi ! Mais c'est très important que les idées viennent de vous. ». Les deux adultes qui avaient parlé étaient d'une douceur infinie. Bien entendu, les deux enfants n'auraient pu organiser un carnaval seuls. Néanmoins, leurs volontés seraient respectées au mieux. Hiro fixa un moment la jeune fille. Ils ne s'étaient jamais vus mais, étant roux tous les deux, ils se sentirent tout de suite assez proches. « Je ne sais pas trop... » commença le garçon en pleine réflexion. Violette était dans le même état que son compagnon. Elle aurait bien choisi le thème des masques mais le soucis résidait dans le fait que la population des Terres du Yin et du Yang avaient vécu l'horreur il y a peu de temps à cause de ceux que l'on avait appelé Les Masques d'Or. L'Humaine n'avait pas vécu ces heures sombres, elle en avait juste entendu parler, mais du haut de ses onze années, elle savait déjà que c'était une mauvaise idée. Par contre, une autre lui vint, plus actuelle, plus amusante ! « Et si l'on donnait comme thème : les gâteaux du monde entier ? ». Gourmande par excellence, le projet lui plut à la seconde même où elle l'énonça. « Après tout, tous les peuples ont leur spécialité ! Je suis sûre qu'on pourrait découvrir des choses et les costumes seraient appétissants ! ». Et puis, qui n'aimait pas les gâteaux ? Il y en avait pour tous les goûts et de toute sorte ! « Ça pourrait être chouette ! » sourit Hiro. Lui aussi adorait les pâtisseries ; c'était d'ailleurs pour cette raison qu'il avait participé au concours. Organiser le carnaval lui avait paru trop utopique et puis, il n'était pas venu pour ça de base. Il souhaitait devenir pâtissier et avait cru bon de faire partager ses talents naissants. Il avait gagné par le goût, Violette plus par l'esthétique. « On pourrait se partager la tâche. Moi je me charge de la chorégraphie et toi de la décoration et de la publicité ? » dit l'adolescent, ayant déjà une idée en tête. Il voyait bien les enfants avec des costumes représentant une partie d'un énorme gâteau. Ils danseraient un certain temps puis reconstitueraient la pâtisserie petit à petit. « D'accord ! » s'écria la jeune fille, déjà sous le charme et pleines d'idées. Elle allait confectionner des affiches colorées avec l'aide des adultes et les envoyer un peu partout dans le monde si c'était possible ! Certains peuples détestaient Utopia à cause de la perte de magie mais si elle lançait un appel afin qu'ils leur fassent découvrir leurs pâtisseries, elle était quasiment sûre qu'au moins des artisans se déplaceraient ! Il faudrait bien sûr faire des gâteaux pour garnir les buffets et trouver des musiciens ! Tant de choses à faire ! « Que dirais-tu de faire une liste ? Comme ça nous pourrions nous partager les tâches entre organisateurs ? » lui proposa un adulte. Violette accepta volontiers et l'organisation avança plutôt vite. Le plus dur était sans doute la tâche d'Hiro car il devait inventer toute une chorégraphie que les enfants avaient à apprendre par cœur. Néanmoins, malgré quelques petits imprévus, ils s'en sortirent à merveille et quelques jours après eu lieu le fameux carnaval, attirant des bambins issus de plusieurs peuples. Comme prévu, des artisans se présentèrent quelques jours avant, s'engageant à confectionner divers friandises et pâtisseries. On sentait parfois de la méfiance vis à vis du peuple Humain mais l'ambiance bon enfant suffisait souvent à attendrir les cœurs. Certains artisans étaient neutres, en plus de cela, ayant en tête que de faire partager leur savoir faire et, peut-être, d'obtenir un contrat. De partout des individus arrivèrent et pendant quelques jours, ce fut la fête, une fête sensée radoucir les esprits. Les conséquences des événements passés pouvaient s'effacer le temps d'un carnaval.

« Je peux la voir ? ». « Oui, tiens ! » répondit Violette en tendant sa médaille à Sakura. « Et c'est Mikaïl lui-même qui te l'a donné ? » « Oui. » sourit l'adolescente. Elle se demandait s'il savait qui elle était mais pensait cela impossible. Peu importait au final. Elle était tellement contente de sa récompense qu'elle allait la mettre dans le tiroir de son chevet dès qu'elle serait de retour à Basphel. Et puis, elle avait pris l'adresse d'Hiro. Peut-être pourraient-ils rester en contact, même s'ils ne fréquentaient pas la même école ?

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