Balayant la ville de son aura crépusculaire, le Soleil n'avait que peu de spectateurs pour apprécier le spectacle de ses ombres sur les murs, comme le faisait autrefois quelques regards paresseux après un travail de dur labeur. Tous semblaient insensibles à ses rayons chaleureux et s'étaient réfugiés à l'abri de ces derniers, laissant les alentours immédiats déserts. Si l'heure avancée n'était pas étrangère à cette désertion, les volontaires avaient simplement échangés leurs outils de déblaiements contre les ustensiles nécessaires à se remplir le ventre. D'un geste mécanique, Mancinia abaissa sa cuillère dans le brouet qu'on lui avait servi. Il n'avait que peu de goût, mais il était chaud et callerait son estomac pour quelques heures. Elle gardait son quignon de pain comme dessert, car il s'agissait là d'un véritable luxe. Entre les tribulations de la nature et les combats de ces dernières semaines, les relations commerciales avaient été calamiteuses, voire inexistantes, engendrant ainsi un rationnement de certaines denrées. Le Roi avait tout fait pour maintenir des prix raisonnables, mais ne savait empêcher la création d'un marché noir, inévitable en ces temps de crise. Une nouvelle épreuve pour les Humains, mais qu'importe, après tout. Ils avaient l'habitude d'encaisser les aléas de la vie et de se relever avec le front encore plus haut.

Dès que les assauts démoniaques avaient cessés suite à l'éruption du Volcan Ardent - et ce n'était qu'une supposition - il avait fallu faire un bilan de tous les dégâts et de toutes les pertes subies par les Humains. A nouveau, il avait fallu pleurer les disparus, reconstruire ce qui avait été détruit, comme un acte devenu coutumier. La Capitale des Humains avait souffert des secousses successives et des attaques ennemies, Mancinia aidait à la reconstruction autant que sa condition physique le lui permettait. Ses principaux soucis étaient d'assurer la stabilité des bâtiments et l'éclairage nocturne, permettant aux Gardes de surveiller au mieux la ville des pillards. Car oui, encore une fois, le malheur des uns faisait le bonheur des autres. Et mieux valait considérer cela comme un des plus gros problèmes. Quelques Anges se trouvaient à Utopia et aidaient au déblayement, même s'ils étaient maladroits comparés aux ouvriers de son peuple, habitués au labeur physique. Qu'on soit homme ou femme, les Humains étaient doués dans tous les domaines et ce, dès que la magie disparaissait des mains de ses utilisateurs, une chose qui la faisait toujours rire. Si leur antimagie avait peu d'impact contre les Anges, certains d'entre eux étaient encore inexpérimentés et avaient du mal à s'habituer au rythme de vie qui était le sien. C'est que leur construction relevait de la logique et de l'ingénierie, pas d'artifices mystérieux.

Observant le ciel d'un bleu cristallin, Mancinia se souvenait de son périple depuis le Continent Dévasté, alors que son voyage là-bas avait été mouvementé et, pas souvent en bien, le chemin pour revenir chez elle avait été plus long encore. Elle avait eu la chance de réchapper aux attaques maritimes, même si elle s'était fait happer par un combat contre les sombres créatures des abysses, où elle avait vu un homme se faire dévorer vivant par un Calamar aux abords de la Plage de Sable Fin. Mancinia se demandait d'ailleurs comment allait Meishan, une femme Réprouvée qui avait fait la traversée avec elle et qui était venue l'aider à combattre le Naitaka, lui sauvant ainsi la vie. La seule à vouloir prendre sa défense ensuite...Sa main se referma rageusement sur son assiette. Suite à ces combats, elle n'avait retrouvé le groupe de villageois qu'elle avait protégé pour mieux s'en faire chasser. Poliment, sans doute, mais cela l'avait écoeurée. Pourquoi un tel rejet ? Uniquement à cause de sa nature raciale. Elle était Humaine, elle était une sorte de menace insidieuse. Son antimagie était comme un poison qui, soit disant, les tueraient tous. Désormais contrainte de voler dans des demeures abandonnées ce qu'elle pouvait trouver comme nourriture, évitant des lieux autrefois paisibles, elle s'était diriger vers le nord, vers Drosera.

C'étant avant tout pour y prendre du repos et y soigner son ami malade, à peine eut elle traversé la Forêt des Murmures qu'un déluge de feu bleu s'était abattue sur sa tête. Un feu bleu qui annonçait la venue d'une Statue d'un blanc lugubre, celle qui décimait tout sur son passage. C'est là qu'elle était tombée sur Rosace, une fillette aux cheveux rosés et qu'elle avait essayé de l'aider, avant de le regretter amèrement. Son frère, Roseau, ne valait guère mieux. De vraies teignes. Tant que leur ennui était n'existait pas et que l'amusement était au sommet de son art, ils se moquaient de passer dans l'autre monde. En tout cas, ils l'avaient suivi à l'Edelweiss Enneigée au point d'affronter un Masque d'Or ensemble. Comment avaient-ils tenus ? Lui qui avait anéantit sa précieuse arme avant terminé sa course dans un four. Mancinia s'était ensuite séparée des Jumeaux, elle qui se devait de revenir à Utopia, mais après une déviation imprévue, elle s'était retrouvée au Temple de Drejtësi, à prier cet Aether en qui elle croyait. Si la jeune femme ne s'était pas attendue à une réponse, elle avait été surprise de voir sa lance détruite se reconstituer et porter en son sein la magie de cette dernière. Défendre les siens, défendre les Humains. Sa mission, c'était de faire de son mieux, toujours plus haut ! Voilà à quoi elle pensait à longueur de temps. C'est le chant du vent à ses oreilles et l'alternance des ombres et des rayons solaires sur son Soleil qui la ramenait à la réalité avant qu'elle ne replonge dans ses songeries.

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A quoi pouvait-elle se raccrocher d'autre ? C'était sa première bataille d'envergure et elle en avait gardé des séquelles. Les odeurs putrides lui collaient à la peau, les gestes mortels qu'elle avait provoqués résonnaient dans ses os. Mancinia avait recraché ses tripes dès qu'elle avait vu tout ce qu'elle avait fait le lendemain, son corps fatigué n'avait pas été capable de se retenir. Ce qu'ils avaient tous faits. Au lendemain de ce conflit sanglant, le Désert lui-même était comme imprégner d'un rouge sombre. Des déserteurs, il y en avait eu, mais qui irait les traiter de lâches ? Ils porteront eux-mêmes la tâche de la honte pour le restant de leur vie. Ces actions n'étaient que défensives, mais il y avait eu tant de pertes. Si elle s'était attendue à une tape sur l'épaule de la part de son nouveau frère d'armes, ce dernier s'était effondré devant elle, blessé sur tout son flanc gauche par une sorte de longue sica noire. Mancinia l'avait crû mort en cet instant, mais rien ne semblait venir à bout de ce guerrier. Son coeur avait été meurtri de le voir dans cet état, encore maintenant, ce dernier se trouvait dans un des hôpitaux de fortune qui avaient été construits à la hâte pour accueillir le flot continu de blessés divers et variés. La dernière fois qu'elle avait été voir Shapûr, c'était il y a quelques jours et il s'en remettait doucement.

Si les Humains étaient résistants de nature, les combats s'étant déroulés au sein d'Utopia les avaient tous ébranlés. Être au milieu d'une bataille n'était pas plaisant, ravivant les différences entre eux et les autres races, mais les unissant autour d'un même but ; survivre. Démontrer dès à présent qu'il ne formait plus qu'un, comme l'aurait sans doute souhaité celle qui avait annexé le Désert pour eux. Un cadeau, un héritage qu'ils se devaient de protéger et perpétuer. Utopia avait été construire dans ce but d'unification, si leur belle ville allait connaitre une longue période de deuil, ce n'était que pour mieux renaître de ses cendres. Certes, Mancinia n'était pas la seule à s'être fait engloutir dans cette galère qu'est la guerre, elle pouvait encore côtoyer du monde pour penser à autre chose, mais elle avait perdu sa gaieté et son envie d'aller vers les autres. L'Humaine avait à la place cette irréversible envie de se venger des Démons, comme le monstre sombre qui se tapissait dans son coeur et qui haïssait les Sorciers. Ils avaient encore été assaillis par cette race maléfique, uniquement car il n'était pas des êtres magiques, qu'on les considérait comme des insectes et qu'ils étaient protégés par les Anges. Certains d'entre eux avaient péris dans l'assaut et leurs corps avaient été ramenés à la Citadelle Blanche, elle aussi assiégée par ses adversaires millénaires.

C'est au cours de ce combat qu'elle avait rencontrée Shapûr. Elle avait quelques amis au sein d'Utopia, mais lui avait une sorte d'aura qui la fascinait. Impossible pour lui de tourner le dos à n'ennemi, laissant les coups de son arme parler en son nom, même lorsqu'il s'était retrouvé à terre. Son regard et ses gestes avaient témoignés l'expérience du combat. Elle avait eu quelques aprioris à son propos lorsqu'elle l'avait croisé au hasard dans cette ruelle, avec les autres combattants, alors que l'Humaine venait à peine de revenir en ville. Cependant, elle avait appris à l'apprécier malgré tout ce qui pouvait les opposer - c'était dans la nature des Humains de s'envoyer des piques de temps en temps. Quand les Démons avaient assiégés Utopia, il avait été là. Sans mot, seulement avec sa présence qui l'avait crispée, avant de l'apaiser. Un combat commun pour défendre ce qui leur appartenait. Et sans trop chercher à comprendre pourquoi, Mancinia recherchait sa compagnie. Shapûr avait un esprit intéressant, leurs conversations pouvaient être autant profondes qu'amusantes, les confidences sortaient naturellement, sans éprouver une grande gêne. En effet, les hommes et les femmes avec qui elle avait combattue étaient devenus des frères et soeurs, encore plus qu'elle ne l'aurait cru.

Si en des temps moins sombres, ce lieu était rempli d'animation, l'éclat de la ville s'était terni après l'assaut qu'elle avait subi. Désormais, il ne régnait que l'odeur de chair brûlée des disparus et la douleur des survivants, ayant la crainte constante de vivre un nouveau drame. Cet endroit où elle se trouvait était devenu particulier au fil des semaines, de par la solitude qu'elle y trouvait. Vous étiez certain de trouver l'Humaine à cet endroit, assise sur une lourde pierre, repensant à ce qui s'était passé ces dernières semaines comme si elle pouvait modeler le temps et le changer, le rendre moins cruel. Dès que le repas du soir était servi, la jeune femme venait en ce lieu y trouver un calme ambiant relativement reposant. Écrasée par les tracas, elle avait besoin de se changer les idées et quoi de mieux qu'un lieu choisi au hasard pour méditer ? Ce genre de lieu que l'on ne partage pas lorsqu'on ne souhaitait pas être dérangé ? Tout était terminé, c'était ce qu'elle devait retenir. Tout s'était terminé aussi brutalement que cela avait commencé. Mancinia n'en avait rien tiré de glorieux, des cicatrices et un corps à moitié déglingué. Sa vue était voilée, elle se sentait faible, vieille. Elle avait l'impression que son corps était lourd, mais cette sensation ne lui venait que de son esprit. Incroyable cette capacité de l'esprit à dominer un corps, au point de le rendre malade.

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Une douleur glaçante ne la quittait pas, l'impression que son être s'était éveillé à la cruauté de tuer ses ennemis sans éprouver de remords. A quoi ressemblait le premier homme qu'elle avait tué déjà ? Celui qui avait menacé sa vie dans un endroit sordide, alors qu'il cherchait à la vendre ? Raphaël avait vu son geste et ne l'avait pas blâmé de défendre sa vie. Était-elle devenue une sorte d'assassin ? Ou bien étaient-ceux qui l'attaquait alors qu'il la croyait sans défense qui subissait le contrecoup de leur bêtise ? Qui pouvait la sortir de cet état ? Kamiya ? C'était sans doute l'un de ses rares soutiens. Son corbeau était à ses côtés, mordant dans un morceau de viande séchée. Les séismes avaient rendus son compagnon malade, mais il était parvenu à surmonter ces désagréments et, maintenant que tout était terminé, il avait retrouvé son entrain habituel. Caressant son plumage d'un noir d'encre d'un air distrait, Mancinia se rendit compte de son état. Elle en rit dans son coin. Les quelques guetteurs qui venaient d'apparaître au coin de la rue la regardait d'un air perplexe, comme si cette femme venait de perdre sa raison, mais n'avait pas cherché à l'ennuyer, tandis qu'ils poursuivaient leur ronde aux abords des remparts. Quel privilège de gambader fièrement après que les principaux défenseurs aient repoussés la ville.

Kamiya détendit ses ailes, observa sa maîtresse qui approuva d'un battement des cils et partit les rejoindre, c'était sa manière à lui d'aller aux nouvelles. Pour elle. Un silence profond régnait sur la Capitale, dans une atmosphère lourde et pesante. Tous semblaient s'être isolés afin de méditer sur les récents événements, avec un seul mot venait à l'esprit ; Pourquoi ? Comment une telle situation avait-elle pu se produire ? Ce n'était pas tant le conflit qui venait d'éclater contre les Démons, mais tout ce qui avait conduit à cela. Les tremblements de terre, les Masques d'Or, les Statues appartenant aux Alfars, la corruption du Gouvernement des Magiciens, les conflits armés entre nations...Combien de fois n'avait-elle pas cru mourir ces dernières semaines ? Une chose était certaine, elle n'avait pas eu le temps de s'ennuyer et le temps de la tranquillité n'était pas encore venu. Non, la véritable criminelle n'avait pas encore été capturée. On murmurait que la Reine des Sirènes, la Khaeleesi, Vanille Deslyce, la Dévoreuse ou quel que soit ses titres officiels, était la seule et unique responsable des calamités qui s'étaient abattues sur les terres du Yin et du Yang. Oui, pourquoi ? Pour une soit disant breloque ? Non, ce devait être autre chose. Seulement, elle n'était qu'une Humaine lambda, comment comprendre une ancienne Reine aussi redoutable ?

Rien n'était beau à voir, mais elle devait absolument ce ressaisir. Elle le savait, ce n'était pas le moment de pleurer sur son sort. Elle savait sa mère en sûreté, au sein de leur demeure de fortune qui avait résisté au mieux à toute cette folie. Elle-même était partie au front devant des monstres, mais avait réchappée au pire qu'avaient incarnée les monstres marins, une Statue de Alfars, un Masque d'Or qui eut chaud aux fesses et même les Démons. Après le combat d'Utopia, ils avaient réquisitionnés plusieurs dizaines de civils pour transporter les blessés, avant de déblayer plusieurs rues de leurs décombres et d'envisager de remettre la Capitale sur pieds. Une tâche rendue rude à cause du Soleil qui fracassait de ses rayons leurs crânes, les défenses de la ville ayant subie de lourds dégâts, elles aussi. Pourtant, avec les alliés Anges stationnés non loin, les choses s'étaient rapidement mises en place. Les hautes autorités avaient bien gérer la situation, évitant que tout ne sombre dans l'anarchie. Ce n'était que des choses positives, elle devait se concentrer là-dessus et ainsi éviter de retomber dans sa dépression nerveuse. Et si elle allait voir Shapûr ? Mancinia se redressa, animée d'une détermination nouvelle. Le temps d'effectuer un petit détour par une honnête boutique, débourser quelques sous et la voici devant l'hospice de fortune.

L'Humaine traversa ce lieu bâtit de draps et de piques de bois, une tempête aurait suffi à emporter la bâtisse, mais elle n'était pas faite pour durer dans le temps. Sautillant entre les lits de fortune, les soigneurs et leurs potions, ainsi que les familles de visiteurs, elle atteignit son but rapidement. Passant sa tête derrière le drap sale qui servait de séparation, Mancinia sourit en voyant la masse allongé qui regardait le plafond d'un air maussade.

— Shapûr, t'es mort ?

Ce dernier l'observa alors d'un air indigné ;

— Tu t'étais ensablée ?

Mancinia haussa les épaules tout en s'approchant de lui.

— Tu ne t'ennuies pas trop ?
— J'aimerais bien aller à la brune pour boire un coup, nous sommes interdits de tout ici !
— Quel soûlard tu fais.
— Frotte donc ton fessard et tais-toi.

Mancinia saisi un tabouret qui se trouvait un peu plus loin et se mit au côté du lit de son camarade blessé, s'asseyant dessus avec un sourire amusé.

— Alors, Mademoiselle l'Imprévisible ? Tu t'es remise de tes émotions ?
— Je te rappelle que tu me dois un verre.
— Ah, ouais...

Combien de temps allait-il rester ici ? Cela ne lui plairait pas non plus qu'on lui interdise de se lever, de bouger, d'aider, de servir à quelque chose ! Avec son sourire sur le visage, Mancinia sortit les deux bouteilles de gnôles locales de son dos. Elle n'avait pas l'habitude de boire, mais elle dérogerait à sa règle. A croire qu'il n'y avait pas d'heure pour prendre une cuite, même en temps de chaos.

— Ouh, du Khayyâm ?! T'es sérieuse ?
— L'alcool est un excellent désinfectant recommandé pour les convalescents ignorants !
— J'en savais foutre rien ! Moi qui te croyais sage...
— Désolée de te décevoir, mais mon humble personne se contentera d'Arkhi.
— Ben voyons !

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Le sourire de Mancinia s'élargit tandis qu'elle tendait sa bouteille à Shapûr, qui se redressa sur son lit à l'aide de ses coudes. Toutes ses pensées négatives envolées dès l'instant où elle avait vu son ami se portant comme un charme. Il confirma ses dires en affirmant que les soigneurs le laisseraient sortir dans quelques jours, tout en ôtant le bouchon qui recouvrait son alcool.

— Comment vont les tiens ? s'enquit-elle.
— Je n'ai pas de famille, Mancinia.
— Personne ?
— J'avais une soeur, dans le temps, mais elle est morte.
— Navrée, Shapûr.
— Doit-on obligatoirement parler de choses aussi morbides ?
— Ma mère va très bien, Kamiya est partit avec des patrouilleurs pour récolter des informations et, ah, on à renforcer les murs !
— Ah, c'est bien ça...

Elle but une gorgée au goulot de sa propre bouteille, entassant ses épaules de honte. Elle connaissait Shapûr depuis peu de temps, elle ne connaissait, pour ainsi dire, rien de sa personne et sa maladresse était excusable, mais elle ne pouvait s'empêcher de s'en vouloir. Beaucoup de ses congénères n'avaient pas eu la chance qu'elle ; certains n'avaient pas de famille, entre les massacres, les maladies et les embuscades. Oui, c'était une chanceuse de la vie. Tout était si imprévisible dans leurs existences ! A nouveau perdue dans ses songes, Mancinia ne vit pas le regard sombre de Shapûr l'observer et c'est seulement au son de sa voix qu'elle reprit pieds dans la réalité.

— Et toi, Mancinia, comment tu vas ?
— Je ne sais pas.

Que devait-elle dire ? Qu'elle allait bien ? Ce n'était pas le cas. Rien que les cernes qu'elle avait sous les yeux, les vêtements sales et déchirés par endroit, la crasse sur sa peau, la sueur qui coulait de son front et ses cheveux en bataille ne pouvait pas témoigner d'un état stable. Allait-elle si mal pour autant ? Elle ne savait pas, tout était si confus.

— Je ne sais pas, répéta-t-elle.
— Ce n'est pas grave de ne pas savoir, tu sais ?
— Je dors mal, admit-elle.
— Tu fais des cauchemars ?
— J'ai l'impression qu'ils vont revenir dès l'instant où mes yeux se fermeront.
— Ils ne reviendront pas, ces faces de rats ont fuis en voyant le navire fondre.

Shapûr ricana. Le Volcan Ardent s'était réveillé et ils avaient courus tandis qu'il crachait sa lave, dévastant certainement tout ce qui se trouvait sur son chemin. L'homme croisa ses bras, veillant à ne pas renverser une seule goutte de sa surprise.

— Tu retiens quoi de cette bataille ?
— Nous sommes vraiment mal organiser au niveau de notre défense.
— C'est que nous sommes peu nombreux...
— Il est temps de faire des enfants.
— Serait-ce une invitation ?

Prise au piège à ses propres dires, Mancinia ne sut que répondre dans un premier temps ;

— J'attends le bon.
— Ne tarde pas, la vie de notre race ne tient plus qu'à un fil tenu.
— Grâce à la Reine Violette, nous avons désormais un lieu où nous rassembler et nous faire reconnaître en tant que race.
— A quel prix ? Devenir une cible facile. Tous unis dans la mort ?
— Pour un soldat, c'est très sombre ce que tu dis.
— Je ne suis qu'un ermite.
— Tu veux dire que tu n'es pas un militaire ? s'étonna-t-elle.
— Moi ? rit-il. Je ne suis qu'un modeste voyageur ! On est venu me chercher parce qu'on connaît mes capacités dans les bistrots du coin, mais c'est tout.

Mancinia rit de sa nouvelle bêtise. Shapûr sourit également, ravi de voir qu'elle allait mieux.

— Tu vas te rendre sur Taelora ? dit-il d'une expression sérieuse.

Ah, c'est vrai, il y avait Taelora. Ce nouveau Continent qui avait surgit des flots et où les Sirènes y avaient établit une nouvelle ville. Que devait-elle lui répondre ? Ses propres projets étaient encore flous. Elle allait sans doute rester avec sa mère quelques semaines, avant de reprendre sa place au Lux'or, si toutefois ce dernier avait subi les réparations nécessaires à sa reprise. Son silence en disait long sur ses hésitations.

— Tu es libre d'utiliser le temps que tu as comme tu le souhaites. Ce monde est vaste, Mancinia.
— Je sais, Shapûr. Je sais.
— Si tu es aussi imprévisible que tu le montres, sois comme le vent et souffle.

Ce ne sont que des mots, mais Shapûr savait que rester à Utopia à longueur de temps, lorsqu'on avait l'habitude de faire de la route, était parfois d'un ennui mortel. Une situation ironique pour une femme qui aimait la tranquillité de sa ville, mais qui avait pris le goût du risque depuis un long moment. Ce besoin de bouger, d'explorer et de s'entraîner. Découvrir de nouvelles choses, tout comme elle avait besoin de ces moments de repos. Ce n'était pas la marche qui lui faisait peur, rien n'était plus plaisant pour elle, mais à quoi cela servait si ce n'était que pour faire couler le sang ?

— Je ne m'approcherais pas des Sirènes avant d'être certaine qu'elles n'ont rien à cacher de plus sanglant encore.
— Il paraît que c'est la Folle qui est l'unique responsable, elle aurait d'ailleurs quitté la Royauté après avoir lâchement abandonner son peuple. Tu ne te chercherais pas des excuses, des fois ?
— Shapûr, dit-elle plus fermement. Utopia est ma priorité. C'est ma ville, c'est mon peuple qui y vit. Je visiterai Taelora quand tout sera redevenu normal ici.
— Je ne te demandais pas de partir dans la seconde, hein ! Tu peux songer à ce que tu feras après ce travail terminé.

Il y eut un silence. Il soutenait le regard de sa camarade, perdu dans le vide tant cette réflexion l'avait prise au dépourvu. Comme si elle n'avait pas de suite à écrire dans son histoire. Non, cela ne pouvait pas rester d'un vide terne et sans éclat.

— Je crois...Non. Utopia est ma maison, mais une fois que cette dernière sera reconstruite...Je poursuivrais à nouveau mon voyage.

Mancinia sourit. Shapûr le lui rendit. Il n'y eut que le bruit de deux bouteilles qui s'entrechoquent.

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