« Pourquoi crois-tu que ceci t’appartient? » Le mouvement de Chayns se figea, écoutant d’une oreille attentive l’écho de la voix sortie d’il-ne-sait où. Doucement, le Fae leva la tête pour donner un visage à celui ou celle qui lui avait adressé la parole – son timbre de voix n’étant pas tenu de le guider sur la piste du sexe de son interlocuteur – avant de s’apercevoir que les torches qui avaient éclairés la pièce étaient désormais éteintes. Plongé dans l’obscurité, le jeune homme plissa les yeux, tentant vainement de percer les ombres agaçantes qui lui voilaient la vue, ne distinguant qu’une forme floue et brumeuse devant lui, ayant beaucoup plus de traits de parenté à un fantôme qu’à un véritable être fait de chair. OK, ça c’est franchement bizarre. Il se remit maladroitement debout sans s’éloigner d’un millimètre de l’objet qu’il garde sous son œil – déjà plus amusant à regarder qu’une sorte d’esprit dans une place noire. « Je suis désolé. », répondit-il quasi automatiquement. [color=blue]« Si c’est à vous, venez le prendre. » - « Je n’ai jamais dit que c’est l’une de mes propriétés. » Il lâcha un soupir d’où l’on pouvait distinguer une petite pointe d’énervement et pourtant, le Fae demeura calme lorsqu’il lui offrit sa réponse. « Écoutez monsieur… ou madame, y’a aucun nom écrit dessus. Si vous en voulez pas, je le prendrai bien. » Le fantôme lâcha un léger rire cristallin alors que Chayns croisait les bras, perdu. « Pourquoi vous riez? » - « Cet objet a peut-être été maudit. » Un sourire mystérieux s’esquissa sur ses lèvres, aussi arrogant et fourbe qu’à ses habitudes.

« Ça sonne comme un défi ton truc. Je suis prêt à prendre le risque. » Un nouveau rire résonna. « Tu es audacieux Chayns. » - « On me le dit souvent. » L’homme tiqua lorsque le fantôme l’avait appelé par son nom alors qu’il savait ne lui avoir jamais divulgué. Sa curiosité en fut saturée et désormais, il trépignait d’impatience à l’idée que l’identité de son « esprit » soit dévoilée. « Je suis prête à te l’offrir, mais avant, j’aurais deux questions à te poser. » - « Seulement deux? » Le fantôme l’ignora. « Pourquoi portes-tu autant d’intérêt pour cette arme? » - « Ça en fait rien qu’une… » - « Réponds. » Le Fae fit la moue avant de pousser un soupir tout en se craquant les doigts. Il recula d’un pas, heurtant son dos contre un mur qui – il en était sûr à quatre-vingt-dix-neuf pourcents – n’était pas là, il y a environ deux secondes auparavant. Cependant, voilà : ça faisait un sacré bout de temps que Chayns avait arrêté de vouloir tout comprendre, sachant enfin que son « fantôme » était peut-être plus qu’un simple esprit errant. Son objectif l’intriguait toujours plus au cours du temps qui s’écoulait, mais l’objet qui était au centre de leur discussion l’était davantage, comme si une voix lui ordonnait de la tenir dans ses mains. « Cette arme est carrément magnifique, un peu comme moi. Je sais pas trop pourquoi, mais elle m’attire comme une jolie fille… ou comme une jolie fille qui est attirée par moi. » - « Hum, quelle modestie. » - « J’y peux rien si je suis autant séduisant. » La forme bougea jusqu’à lui, déposant sa main de brume sur son épaule. Aussi étrange que cela puisse paraître, son contact était chaud. Le Fae sentit des frissons lui parcourir la colonne vertébrale, propageant une vague de plaisir comme il l’eut rarement ressenti. Le doigt du fantôme glissa sur la courbe de son visage et soudainement, le jeune homme fut gêné, rougissant sans qu’il ne semble y avoir de raison apparente. « Tu as un beau visage. », lui susurra la voix qui, abandonnant sa voix mécanique, devint aussi enjôleuse qu’une Sirène.

Chayns déglutit, affichant un air stupide que l’on lui connaissait si bien. Il entrouvrit les lèvres, étant prêt à se lancer dans l’une de ces « techniques de séduction » mais la femme de brume fut plus rapide, lui coupant net son élan. « Sauf que tu ne dégages comme présence. Ton aura est terne, aussi intéressante que celle d’un misérable insecte agaçant qui croit survivre dans une jungle. Tu crois que c’est avec ça que tu réaliseras ton objectif? Tu cours après un gibier que tu n’attraperas jamais puisqu’il ne s’agit que de ton prédateur naturel. Comme c’est pathétique. », conclut-elle sur un ton gorgé de sarcasmes. Ses mots eurent l’effet d’un coup de poing. « C-comment vous savez pour Lily-Lune? » Sur le coup, ce furent les seules paroles qui parvinrent à trouver un moyen de franchir ses lèvres tremblantes. « Le fantôme » croisa les bras, s’éloignant en ricanant pour lui faire face. « Je ne te parle pas de ça. » - « Ah… » Il voyait là où la femme de brume voulait précisément en venir et à cette seule pensée, ses paroles précédentes devinrent une acide qui lui brûlait la peau, éveillant une colère sourde contre la fatalité, contre la vérité articulée de la bouche d’une entité mystérieuse. « Alors c’est ça votre deuxième question? Vous croyez que je peux pas mener ma vengeance à bien? » - « Non. Je t’ai simplement demandé si tu crois pouvoir accomplir une telle chose à ton niveau actuel. Ne souhaites-tu pas obtenir beaucoup plus pour surprendre le démon qui t’attend? » - « Je veux bien affronter l’Enfer si au final, j’ai sa tête planté sur un pieu. » - « Et tes amis? Tu es prêt à t’opposer à eux? » - « Y’a pas de doute, ils essayeront de m’en empêcher. Je les considérerai comme n’importe quels obstacles à ce moment-là. » Le silence s’immisça soudainement avant qu’il ne soit brisé. « Quelle laideur derrière ce visage d’imbécile. » - « Comme c’est gentil. », rétorqua-t-il sarcastiquement. Sans crier gare, la femme fantôme s’élança vers lui, le plaquant avec une force insoupçonnée contre le mur, chuchotant de sa voix d’Ange au creux de son oreille : « Mais vrai. » La femme abandonna sa forme brumeuse, révélant derrière cette étrange brume blanche, un corps aux courbes séduisantes surmontée d’un crâne de squelette. Chayns frissonna, sentant d’un seul coup le poids de la puissance qui l’auréolait, inimaginable parmi le commun des Hommes, au-dessus de tous, de Tout. Il commençait à la craindre comme il ne pouvait pas s’empêcher de vouloir son corps, torturé avec une cruauté non-feinte qui, peu à peu, faisait grimper en lui une vague de folie.

« Tu devras apprendre à respecter ceux qui te sont supérieurs. » Sa voix était glaciale mais si irrésistible à la fois. Le Fae avait tant de misère à construire ses pensées et à articuler quelques mots. « Q-Qui êtes-vous? » - « Tu te daignes enfin à poser la question que tu aurais dû dire bien avant. Quelle lenteur d’esprit. » Ça ne répondait en rien à son interrogation. Elle finit par reculer, lâchant ses poignets endoloris par sa poigne de fer. Le jeune homme haletait, sous le choc, en se massant doucement ses membres souffrants. «Voici ce que je te propose : accepterais-tu de suivre la Voie du Dragon? » Elle marqua une courte pause. « Tu m’as drôlement divertie aujourd’hui, mais je ne te ferai pas cette proposition deux fois. » Chayns esquissa un sourire. « Alors oui, j’accepte. » La lance se matérialisa brutalement entre ses mains, faisant flancher son corps vers l’avant, surpris par le soudain surplus de poids. Avec une certaine maladresse, il finit par retrouver son équilibre, serrant fortement l’arme pour éviter qu’elle tombe au sol.

Lorsqu’il releva la tête, la femme avait disparu, laissant l’écho de son rire mourir sur des murs invisibles.

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