L’enfer, connu pour ses mutations incessantes où se mêlent drame et désespoir subissait dernièrement une autre de ces tumultes alarmants. Selon certaines sources plus ou moins fiables, la haute sphère s’intéressait de très près aux agissements d’un démon agité d’être parmi les siens. Tout récent dans l’habitat réunissant les pires créatures de ces terres, il semblerait que ce dernier ne se soit pas senti de taille, préférant écourter son séjour ici en envisageant la fuite. Un des supérieurs de Zane, fraichement de retour au sein de la hiérarchie se trouvait en face du brun, gaîment embusqué sur un siège muré de deux splendides jeunes femmes. Le silence, embarrassant lorsqu’il dura plus de cinq minutes, fut finalement interrompu par l’homme fortuné d’une paire de lunettes ; vestige d’une visite au sein d’un peuple sans nul doute décimé. Quoi qu’il en soit, son supérieur prit la parole tandis qu’il se distrayait avec une étrange pelote blanche. « Je vais aller droit au but. Tu n’es pas étranger à ce qui s’est passé, et nous avons besoin d’un tentateur pour le ramener à la raison. Ce mec est prometteur, et à part toi je ne vois personne correspondre au profil. » Quand il mentionna le profil, le séducteur comprit tout à fait ce qu’il prospectait : un démon malin et rusé susceptible de trouver les bons mots afin de l’entraîner jusqu’ici. Discerner les bons arguments était essentiel au couronnement de cette mission. En somme, il s’agissait ni plus ni moins que d’un rôle de médiateur, un poste similaire qui mettrait en pratique son exubérance domestique. « Que dois-je savoir à son sujet ? » L’intermédiaire hésita un instant puis cessa de jouer avec sa boule, lui jetant un regard acerbe. « Ce type a massacré toute sa famille sans aucune arme, et tous sont morts dans d’atroces souffrances par des catastrophes qu’il avait lui-même conçues. Mourir d’un coup de poignard est une chose, trépasser en étant éventré par un arbre en pleine ballade champêtre en est une autre. » Un ingénieux formateur en morts insolites donc ? Zane commençait à saisir à quel type d’adversaires il allait devoir à faire. Un psychotique qui savait aussi bien berner qu’annihiler de la pire des façons. « Tu comprends pourquoi nous le voulons à tout prix. Un phénomène pareil ne doit pas tomber entre de mauvaises mains. Il est trop imprévisible. » Une raillerie émana de la bouche du mercenaire. Les bras mêlés contre son torse, il se hissa d’un bond et frappa le bureau d’une main ferme. « Voyons Trax, ne te fais pas de tracas. Tu sais pourtant que je suis le plus impondérable de tous. » Les yeux grands ouverts le temps d’un instant, il assura ses dits d’un signe de tête. « A toi de le prouver. Je compte sur toi. » Le bras dressé en l’air en indication d’une victoire imminente, le négociateur décampa sur le champ à la recherche de l’énergumène en question. Il savait qu’en réussissant ce pour quoi on le commissionnait, il réaliserait une performance prédisposée à affrioler ses magistraux, lui concédant une place de premier choix dans la hiérarchie.

D’après les personnes qu’il avait cru bon d’interviewer, Zane apprit que le déserteur ne devait pas se trouver bien loin. Il avait quitté le palais depuis trop peu de temps pour être en dehors de l’enfer. Il était dans l’obligation de se trouver à proximité, dissimulé quelque part où personne ne serait susceptible de lui porter préjudice. Si les occurrences avaient été divergentes, sans doute aurait-il fait appel à quelques complices pour l’accompagner à débusquer ce gibier, mais il évaluait à juste titre que ça ne constituerait qu’à l’effrayer davantage. Selon le profil qu’il avait en tête, la proie était du genre à raisonner malgré son instabilité impulsive. Sûrement plus organisé qu’il était bon de le croire, sa façon de tromper autrui n’y était pas pour rien. Pour introduire ses affectations, le ténébreux préluda dans l’un des quartiers le plus proches, là où la cible était le plus plausible de se fondre dans la masse et de s’éteindre si jamais une complication avait lieu. Ambulant paisiblement entre tous les citoyens de la ville, ses pupilles dorées balayaient tous les environs, explorant la moindre piste capable de l’aiguiller davantage. On lui avait fait un rapide portrait du physique, une information étudiée qui lui permit de supprimer bon nombre d’individus par tout ce qui ne coïncidait pas. En s’engageant dans des ruelles étroites, une odeur nauséabonde caressa ses narines, lui rappelant un fumet familier qu’il avait l’habitude de flairer. Paume posée contre le mur adjacent, l’homme à la longue crinière longea ce dernier dans une pénombre si dense que le bout de ses pieds ne lui était même pas visible. Il heurta d’ailleurs quelque chose d’assez volumineux avant de se rendre compte qu’il s’agissait d’un cadavre nouvellement tué. Le sang qui s’en échappait disposait d’une odeur qu’il n’aurait pu confondre avec rien au monde. Un bruit singulier rappelant le métal frappa les alentours. Le démon orienta aussitôt le visage dans la direction perçue. « Montre-toi camarade. Je ne te veux aucun mal. Je suis seulement là pour converser un peu. » Un long silence s’insinua, et pourtant le démon était convaincu que le fugitif se trouvait ici, qu’il était en outre l’éventreur qui sévissait dans cette ruelle.

Un autre éclat se produisit à l’opposé du précédent, près d’une fenêtre se situant sur une bâtisse endommagée. Rapidement, Zane fit appel à ses ailes en prévision de s’exhausser en hauteur. Les bras en croix pour se forger une protection suffisante, il traversa les carreaux en les émiettant dans un brouhaha assourdissant. De par ses réflexes surhumains, le farceur étira son bras. Ses doigts se clôturèrent comme une pince, saisissant sa cible lors de sa tentative de fuite. Valeureux guerrier qu’il était, le combattant enchaina une prise qui chevilla celui-ci au sol, le clouant littéralement sur place à l’aide de son pied solidement compacté sur son torse. « Plutôt vif pour un novice. Je commence à comprendre… » Lâchant la pression qu’il avait sur lui, le grand brun lui offrit sa main dans à seule fin de le rétablir. Ils échangèrent un bref coup d’œil respectivement. Il était aussi élancé que lui, détenait des crins de jais lui tombant de chaque côté du visage et des pupilles orangés. Légèrement affaiblie pour une quelconque raison, son anhélation discourait pour lui. Sa cavale était probablement plus dure qu’il ne l’avait imaginé au départ. « Qui es-tu ? » Question existentielle que se posa l’inconnu. Si une banale réplique devait ordinairement s’imposer, celle de Zane se fit dans la précision humoristique qu’on lui connaissait. Enterrant ses mains dans les poches en tournant le dos à l’inconnu -insoucieux de sa potentielle évasion-, le renégat s’engouffra plus encore dans la demeure dans laquelle ils se trouvaient. « Je suis le futur roi des démons. J’étais comme toi au début… Il s’aménagea sur un fauteuil, emboitant une jambe sur l’autre en s’adressant officiellement à son collègue …J’avais peur de ne pas m’habituer à ce Nouveau Monde. Redouter qui l’on est assez fragilisant je te l’accorde, voir le plaisir que cela nous procure. Certains deviennent fous en déclinant recevoir ce don, car oui s’en est un. » Certainement un peu plus ouvert qu’au départ, l’effrayé s’approcha sereinement de son interlocuteur malgré l’incertitude lisible sur sa frimousse.

« Tu es ici pour me soumettre vers les tiens. Et si je refuse ? » Comme le formulaient les spéculations, le personnage était loin d’être idiot pour se faire avoir par un orateur avide de lui professer la vie. Il n’était pas ici pour converser, en fait il savait déjà tout ce que lui exposerait Zane. Différencier le vrai du faux lui serait tout aussi aisé que de distinguer un enfant d’un adulte. Le tentateur cajola sa belle chevelure avant de reprendre, plus ferment cette fois. « Parce que tu as une raison de repousser cette vie ? » « Pas plus que j’en ai de m'y jeter. » Ils se jaugèrent ainsi durant quelques secondes, s’offensant d’une manière ou d’une autre par le biais des mots. Un adversaire de taille se posait là, si bien que le démon ne discernait aucune issue en adoptant son éternel intellect. En terme de force brute en revanche, il était certainement plus à même de le distancer, et de loin. Sans dire un mot de plus, ce dernier se leva de son siège, dégourdissant ses articulations dans des mobilités qui devisaient pour lui. Il fit craquer ses poings, prêt à employer la violence pour lui faire taire son orgueil de petit nouveau. « Je vois que tu as compris qu’on ne me manipulait pas aussi facilement qu’on le voudrait. » Élisant une posture qu’il avait pour habitude de soutenir, le guerrier s’apprêtait à frapper à tout moment. « Tu me ressembles. Je suis persuadé que ta première défaite te fera prendre conscience des choses telles qu’elles sont. Comme s’eut été le cas pour moi. » Pour ça, des défaites il en avait essuyé, et pas des moindres. Comme tout à chacun, commencer en bas de l’échelle souscrivait de s’accorder avec ses propres déficiences. L’évolution, quand bien même colmataient ces cavités, il en persistait toujours. Zane n’avait jamais oublié d’où il venait et qu’à tout moment, n’importe qui pourrait lui faire ravaler sa fierté. Les prédateurs ne sont pas toujours qui l’on croit, c’est pourquoi il faisait tout son possible pour précéder ses limites.

Pour en revenir au sujet initial, le guerrier se propulsa en avant, les poings idéalement agencés pour ne laisser que très peu d’embrasures, il asséna le premier coup dans un battement d’air. Assez talentueux pour un débutant, l’individu s’en échappa de justesse, mais c’était sans compter un élan subsidiaire que s’était alloué Zane, caracolant de plus belle sur sa proie duquel il brutalisa un violent coup de pied dans l’estomac. Crachant ses poumons suite à la périlleuse secousse, l’estomac plié de douleur, celui-ci eut à peine le temps de se remettre de ses émotions que le vicieux démon l’empoigna précipitamment par la toison avant de lui étayer un coup de genou en plein visage, déformant partiellement son faciès d’une giclée de sang. Essayant tant bien que mal de ne pas se laisser abattre par les assauts fulgurants de son ennemi, il tendit son bras dans l’intention de lui appuyer ne serait-ce qu’un coup, en vain. Sans que l’inconnu n’en soit réellement conscient, Zane usait de petites illusions afin d’altérer ne serait-ce que légèrement ses assailles. Quoi qu’il en soit, la victime gisait à présent sur le plancher, stabilisé de par les nombreuses attaques qu’il avait dû endurer. « Tu veux devenir aussi fort que moi, voir me surpasser pour me le faire payer ? Alors, rejoins-nous et tu deviendras plus fort. La peur te nourrira au début, et tu finiras par la faire taire. » Quelle que soit sa repartie, son choix était très étréci, puisque de gré ou de force, il serait contraint de le domestiquer, là était sa seule mission. Toutefois, il devait au moins essayer de le persuader pour ne pas récidiver une débandade. « S’ils sont tous comme toi, je suis curieux d’en savoir plus. J’accepte. »  « Tu apprendras avec le temps que je suis un cas isolé, mon ami. » Un rictus gorgé de messages cachés. Laissant l’homme reprendre des forces, un nouvel allié perçait dans leurs héritages. Pari réussi, pour le moment.