Les hululements des hiboux se faisaient entendre par intervalle discontinue, venant briser le silence qui régnait alors dans la forêt des murmures. De temps en temps, une branche craquait, quelques buissons s’agitaient, de faibles grognements se faisaient entendre. Même les arbres semblaient hostiles, sombres saules pleureurs dont les branches ployaient sous le poids des feuilles. Lesdites branches s’agitaient parfois pour barrer le chemin ou, au contraire, inviter à s’enfoncer dans les profondeurs de la forêt. Au sol, des ronces serpentaient, leurs épines menaçant de réduire en charpie tout bout de vêtement ayant la malchance de s’y perdre. Au loin, un orchestre lupin venait de retentir, rappelant les histoires sur celle qu’on appelle « le chaperon rouge ».

Répandant une fébrile lumière lilas sur le tronc des arbres, une luciole au corps de jeune adolescente de la taille d’une main virevoltait, se faufilant à travers les branches, frôlant avec insouciance les formations de ronces et se perdent parfois dans les épais feuillages pour ressurgir quelques mètres plus loin. Marchant derrière la lueur, un individu à la crinière d’argent s’avançait dans les profondeurs de la forêt, son long manteau échappant miraculeusement aux épines des ronciers. En réalité, il semblait que les ronces mêmes l’évitaient, se décalant sur le côté afin de lui céder le passage.

« Je suis bien surprise qu’on n’ait pas croisé le moindre animal depuis tout à l’heure. »

Némésis s’était arrêtée, stabilisée en plein vol, et faisait désormais face à son grand-frère. La lueur violette qui l’auréolait vint alors éclairer la tête du sang-mêlé. Son visage de sorcier aux oreilles elfiques dégageait un air presque effrayant, sous le lugubre éclairage. Lorsqu’il s’arrêta de marcher, arrivant au niveau de la Nyxie, les ronces environnantes revinrent prendre leur position initiale, fermant le chemin derrière lui.

« Je pensais que tu avais compris que la majorité des bêtes de cette section de la forêt avaient fui, depuis l’arrivée présumée de braconniers, répondit-il sur un ton mélangeant sarcasme et ennui.

— Neh, si ce n’est que la majorité, il devrait bien en rester quelques-uns. Cesse donc de me prendre pour une idiote ! s’exclama la Fae, feintant l’indignation.

— Quoi qu’il en soit, je ne vais pas m’en plaindre. Retrouver les responsables se serait montré bien plus ardu si l’on avait également à tomber sur des Pashas. »

Lors de son passage à Stenfek, à la recherche de renseignements sur un ancien ami de son défunt parrain, Sacrys avait entendu les rumeurs circulant au sujet de braconniers sévissant dans la forêt des murmures, chassant les prédateurs de leur habitat naturel. Suspectant être capable de deviner où ces derniers s’étaient établis, il avait accepté d’aller s’occuper personnellement du problème. Il avait beau ne pas être un mercenaire particulièrement armé pour faire face à la faune environnante, les circonstances lui permettaient de s’aventurer librement sans risquer de tomber nez à nez avec une panthère à plaques. En effet, les agissements des braconniers avaient chassé le seul élément face auquel il était impuissant : Les bêtes sauvages. La flore, quant à elle, ne lui posait aucuns soucis. En Alfar digne de ce nom, il était capable d’un certain degré de contrôle sur cette dernière, ce qui expliquait d’ailleurs pourquoi il ne s’était pas pris la moindre égratignure bien qu’il ait traversé de nombreux ronciers depuis son entrée dans la forêt. Ayant grandi dans le manoir Aranea, dont les vestiges reposaient dans la sombre forêt, il avait appris avec le temps à se retrouver dans les environs. Il savait, par exemple, que plus la concentration d’ifs augmentait, plus il se rapprochait desdits vestiges. Ou alors, que s’il commençait à rencontrer de plus en plus de champignons phosphorescents, c’était qu’il se rapprochait de la demeure du chaperon. Dans un tel environnement, les Alfars avaient également l’avantage de pouvoir créer leur propre chemin, une habileté qui permettait d’économiser un temps conséquent.

« Nous devrions bientôt y… »

Un lourd concert de grognements vint interrompre Sacrys dans sa phrase. Brusquement, il se figea sur place. Dans son visage se lisait une incompréhension mêlée à une certaine peur. Il savait à quelle créature appartenaient ces grognements, et il redoutait le moment où il regarderait sur ses côtés pour percevoir des paires d’yeux luisant dans la pénombre. Pourtant, de tels prédateurs n’avaient rien à faire ici, si près de ce qui ne pouvait qu’être le repaire des braconniers : Les vestiges du manoir. Se serait-il trompé de direction, après tout ce temps passé hors de la forêt, à Drosera ? Non, cela paraissait peu vraisemblable, jamais il ne pourrait oublier la localisation de son premier foyer. Était-il alors possible qu’il se soit trompé au sujet des ruines servant de repaire aux braconniers ? Cette dernière supposition expliquerait pourquoi des félins traînaient encore dans les environs.

Lentement, il commença à canaliser la magie dans ses veines, se préparant à faire appel à son pouvoir de Dépassement pour esquiver la première panthère à plaque qui se jetterait des branchages dans sa direction. S’il pouvait survivre à un premier assaut de la sorte, il ne pouvait se contenter de renforcer son agilité de la sorte, car incapable de maintenir l’effet magique suffisamment longtemps pour fuir de telles masses de muscles blindées. En venir à bout avec sa simple arme d’entraînement en bois ne semblait pas non plus envisageable. Quelle idée aussi d’accepter de prendre en main l’enquête par lui-même dans un tel environnement, même pour un Alfar, sans aide d’une tierce-personne…