Haletante, Lûth courait à pleine vitesse dans le couloir sombre, la seule source de lumière étant rejetée par des torches aux flammes mornes, qui semblait s’étendre à l’infini au cœur du noir, ces deux murs littéraux l’oppressant écœurement au fur et à mesure que ses jambes enjambaient les mètres. Son corps lui semblait lourd et encombrant, raidi par l’épuisement qui la gagnait dangereusement, plus vite qu’elle l’aurait crue, dû à sa piètre condition physique qui, en ce moment précis, la handicapait considérablement à l’instar de l’aider. Elle tenait simplement le coup grâce à l’adrénaline qui fusait partout à travers ses membres chétifs, la peur lui ayant resserré le ventre, la poussant à continuer sa course folle sans oser regarder en arrière de son dos. Son cœur battait à tout rompre contre sa poitrine tandis que son esprit se ressassait en boucle et en boucle l’acte inconscient qu’elle avait commis pour échapper aux griffes de l’entité qu’elle surnommait « Maître du Jeu », se jetant toutes sortes grossièretés et d’injures dans sa tête, tremblante d’anxiété. Qu’avait-elle fait? Qu’est-ce qui lui avait prise de s’attaquer à lui bon sang? Même si elle se savait seule au fond de ce corridor lugubre et mal éclairé, la Nelphennéen ne parvenait pas à se défaire de la désagréable impression d’être traquée, constamment chassée par un ennemi qu’elle ne réussissait pas à voir parmi l’obscurité. Cette inquiétude, cette crainte démesurée qui l’assaillait comme du poison aurait pourtant été suffisante à la pousser d’accélérer son pas, mais la jeune Elfe Noire n’arrivait simplement plus à déloger la force et la volonté de le faire, ralentissant doucement le rythme, avant que sa fatigue ait finalement raison d’elle.

La jeune femme s’appuyait déjà sur l’un des murs pour éviter de s’effondrer au milieu du passage, le souffle coupé, fixant les ténèbres de ce couloir qui n’en finissait plus. Elle n’aurait jamais l’énergie nécessaire d’en venir à bout si elle continuait ainsi. Après s’être consciencieusement assuré que personne ne la suivait, accroché à ses talons, la Nelphennéen s’arrêta, se laissant glisser lentement sur la surface rugueuse du mur avant de s’assoir au sol. Elle avait la tête qui tournait. Le plancher semblait pivoter sur lui-même, de plus en plus vite. Ces sensation lui donnèrent rapidement la nausée alors qu’une odeur âcre, agressante et piquante se lève soudainement, venant accentuer son mal de cœur jusqu’à en devenir insupportable. Son corps maigre était traversé de secousses, secousses qui se transformèrent en convulsions étranges et douleurs qui la clouèrent aussitôt sur place. Incapable de remuer ne serait-ce que son petit doigt, les pensées de Lûth et sa Vision Sensorielle commencèrent à s’embrouiller, comme si on leur arrachait toutes cohérences, tout sens. La Nelphennéen ne savait plus quoi faire. Elle ne savait pas ce qui se passait, ce qui lui arrivait si brutalement, d’un seul coup. Elle voulait crier, hurler et se débattre contre cette force, ce mal qui la paralysait de la tête aux pieds, mais elle n’y parvenait simplement plus. La femme avait perdu le contrôle de son corps et à présent, il lui semblait étranger, hors de portée aux ordres qu’elle lui envoyait. Puis, il eut une voix. Se détachant des ombres, les mots qui sortaient de nulle part avaient adopté des accents menaçants et inquiétants, mêlé à une pointe de mesquinerie. Et pourtant, cette voix appartenait à un enfant. « Je n’apprécie pas que l’on me manque de respect – et d’une manière aussi grossière qui plus est. Vous auriez dû me dire au revoir avant de me quitter comme une criminelle Lûth. C’est très malpoli. » La Nelphennéen ne pouvait pas le voir – elle ne le pouvait plus – mais elle reconnaissait sa voix. Elle l’aurait reconnu entre mille. « Toi… », marmonna-t-elle en épuisant le reste de ses forces sur ce mot, tentant vainement de se redresser avec fierté.

L’enfant pinça son menton entre ses doigts crochus. La femme essaya un mouvement de recul, mais son corps ne broncha pas. La pétrification l’empêchait de bouger, la forçant à sentir ce contact dégueulasse sur sa peau sombre. La créature éclata de rire. « Ce n’est pas la peine de me regarder de cette façon Lûth! Un jeu reste un jeu. Tu as voulu enfreindre les règles, je dois de te donner une punition. » Un court silence s’installa durant lequel l’entité semblait réfléchir. « Je viens d’avoir une superbe idée tiens! » Il se perdit dans un second fou rire. « Tu seras le clou de mon spectacle très chère! »La femme sentait le souffle du garçon percuter son orbe d’oreille. Elle n’arriva pas à refréner son frisson. « Et j’espère que tu y resteras sale garce. », conclut-il dans un murmure. Et sa magie la frappa.

784 mots.

Ne réagissant pas à la pique envoyée par la Démone, je me contentais de fixer l’individu, n’abaissant pas les yeux face à son regard de fauve, comme si je le provoquais silencieusement. Mes doigts se serrèrent autour du manche de l’épée, prenant lentement une posture d’attaque, les yeux plissés. J’inspirai avec douceur pour accroître ma concentration, aussi immobile qu’une statue en pierre, réfléchissant à vive allure sur le problème qui s’imposait devant nous. Comme il nous l’avait si bien fait comprendre lorsque nos chemins s’étaient croisés, tenter de s’en sortir en essayant de le raisonner ne nous mènerait à rien – à vrai dire, je n’avais jamais eu véritablement l’intention de vouloir converser – appuyant le choix d’user de la manière forte pour espérer poursuivre notre route. Et récupérer Lûth qui attendait, au bout de ce dédale infernal, prise entre les griffes de cette entité qui s’amusait avec cruauté. Je clignai des yeux. Fondant sur moi comme une furie, l’homme profita aussitôt de ces courtes secondes pour bondir, extirpant une longue dague à la lame recourbée de sa manche, pointée en direction de mon cœur. D’un saut agile, je reculai, surpris par sa soudaine initiative, me positionnant à la défensive, prêt à parer le prochain coup qu’il me porterait et pourtant, j’avais bien noté qu’il ne possédait pas une rapidité exceptionnelle – il était d’ailleurs plutôt lent – et que son mouvement avec lequel il avait tenté de me poignarder manquait considérablement de force. Je fronçai les sourcils. Maintenant que j’y songeais, il y avait quelque chose qui clochait avec cet homme. Habilement, je m’élançai vers lui, le frappant avec le pommeau de mon épée. Alors qu’il se pliait en deux sous le choc de la douleur, je lui portai un coup de pied qui l’envoya balader à plusieurs mètres plus loin, ayant à peine eu le temps de réagir à mon offensive.

Il resta cloué au sol pendant au moins une bonne trentaine de secondes, haletant et soufflant avec une difficulté flagrante, avant de se redresser. Tous ses membres tremblaient et c’était à peine s’il était encore capable de tenir debout pour me faire à nouveau face. Et je mis aussitôt le doigt sur ce détail qui m’avait dérangé jusqu’ici. Cet homme était faible. Que ce soit au niveau de sa vitesse d’exécution ou de sa force physique, ses aptitudes étaient négligentes. Il était même trop faible à mon goût, éveillant une méfiance accrue à son égard. Qui tentait de se moquer de qui? J’étais affligé par cette constatation, essayant de voir à travers la mauvaise blague de la Tour, parant le second coup de l’homme qui avait retenté de m’assassiner, l’envoyant rouler un peu plus loin dans la poussière du labyrinthe. Au creux de mon esprit, je pouvais sentir l’agacement de mon double grimper en flèche qui, perdant patience rapidement au-devant du combat qui se prolongeait, encore et encore, tentait de prendre le dessus sur ma conscience pour achever lui-même l’homme étendu par terre. « Mais tue-le bon sang! Tu perds ton temps inutilement. » Je serrai les dents, refusant d’admettre la véracité de ses propos. Chaque seconde que je perdais ici était une seconde de perdue pour Lûth. « J’en ai bien conscience figure-toi, mais il y a… quelque chose qui cloche avec cet homme. » Le double ricana, exaspéré. « Il y a une seule chose dont tu devrais te préoccuper en ce moment et c’est Lûth. Si tu veux la retrouver, il va falloir le tuer. », lança-t-il d’un ton désinvolte. Puis, petit à petit, son influence se propagea dans l’ensemble de mon corps et, incapable de contrôler mes membres, le double s’approcha de l’ennemi. Il leva la lame de l’épée au-dessus de la tête de notre attaquant qui miroita sous la lueur des torches à proximité, avant de l’abattre sauvagement contre le bras de l’homme – ayant fait dévier l’arme de justesse pour éviter un coup fatal – sans toutefois trancher son membre. Le double émit un sifflement agacé. « Ce que tu peux être chiant… » Et sa présence s’évapora de mon esprit, terrée dans un coin.

Le cri que poussa l’ennemi fut strident et, peu à peu, il commença à se muter en bruit étrange… non, pas étrange. Mais féminin. Je sursautai soudainement, esquissant un pas rapide vers l’arrière. Devant mes yeux, l’adversaire changeait : ce n’était plus un homme qui hurlait à plein poumons devant mon regard mais une femme aux longs cheveux sombres et au visage caché par un masque bleu nuit dont les formes rappelaient celles d’un papillon. Mon cœur manqua aussitôt un battement lorsque je l’aperçus, bondissant comme une furie à son chevet.

« Lûth?! »


775 mots.

Le corps de la Nelphennéen bougea légèrement au son de ma voix, mais sa bouche restait inexorablement fermer, comme si elle était plongée dans un rêve. Avait-elle seulement conscience de ma présence à ses côtés? Lentement, j’effleurai son épaule du bout des doigts, sous le choc de la conscience d’avoir failli la tuer, resserrant peu à peu mon emprise pour l’obliger à se réveiller quand je vis qu’elle ne réagissait toujours pas à mes secousses. « Lûth! » La masquée sursauta brutalement en se levant si sèchement qu’elle en manqua de me renverser. « Qu’est-ce que..? Ezechyel?! » Sa voix était imprégnée par la surprise qu’elle ressentait de le voir ici, devant elle « Que fais-tu là? Où suis-je? » L’Elfe Noire grimaça de douleur, posant la paume de sa main sur sa blessure qui saignait abondamment, son étonnement étant parvenu à surpasser, pendant un court instant, la souffrance qui parcourait son bras. Je baissai les yeux, honteux. « Je suis désolé. C’est de ma faute si tu es blessée. » Un rapide coup d’œil autour de moi fut suffisant pour m’apercevoir qu’il y avait assez de végétation dans ce labyrinthe pour me permettre d’utiliser le pouvoir d’Earudien pour refermer sa plaie.

« Laisse-moi te soigner s’il te plaît. » À l’instar de la réaction estompée, la Nelphennéen recula. Je n’étais pas en mesure de voir ses yeux, mais lorsqu’elle reprit la parole, le ton auquel elle m’adressa la parole était saturé par le doute et la méfiance qu’elle ressentait. La Tour l’avait piégé trop de fois pour oser se laisser encore berner ainsi. « Qu’est-ce qui peut me confirmer que c’est bien toi Ezechyel? » Je ne savais pas quoi lui répondre. Après tout, j’ignorais totalement ce qui avait pu se produire quand elle avait été seule et d’un autre côté, je venais de lui affirmer être le responsable de sa blessure, ce qui n’aurait jamais dû arriver si les circonstances auraient été ordinaires. Mais elles ne l’étaient pas, elles ne l’avaient jamais été depuis que nous nous étions engouffrés dans cette Tour trompeuse. « Je n’ai aucun moyen de te le prouver Lûth. Cependant, si nous tardons trop, ta blessure finira par s’infecter ou pire encore. Laisse-moi faire. Je te promets que je ne te ferai pas de mal. » La jeune femme semblait toujours être aussi hésitante et peu sûre quant à la véracité de mes mots, mais elle finit par céder, tendant doucement son bras vers moi. « …D’accord. »

J’avais déjà commencé à canaliser la magie au creux de mes paumes, les appuyant sur sa plaie et laissant la magie se propager au travers de son corps tremblant. La lumière verte causée par Earudien éclairait le visage sombre de la Nelphennéen et ce fut dans le silence le plus complet que je parvins à faire arrêter le saignement de sa blessure. Les lueurs verdâtres finirent par s’éteindre, s’envolant dans le labyrinthe tandis que je sentais une vague de fatigue s’abattre sur moi, soutenant mon corps – qui me paraissait brusquement lourd – à l’aide de mes mains qui s’appuyaient sur le plancher froid. Mon souffle était devenu court et saccadé, le monde semblait s’être mis à tourner tout autour de moi dans un mouvement chaotique, mais je réussis toutefois à articuler quelques mots à l’intention de la masquée, rejetant en arrière les mèches de cheveux qui me bouchaient la vue. « A-alors? Est-ce une p-preuve suffisante qui s’agit b-bien de moi? » La Nelphennéen ne répondit pas aussitôt. Peut-être que oui, peut-être que non. Elle n’en savait plus rien. Son esprit était toujours légèrement embrouillé et son crâne l’a faisait tellement souffrir que la jeune femme n’avait plus aucun moyen de réfléchir correctement sans grimacer sous l’impact de la douleur qui fusait de partout. Dans ces conditions, comment pouvait-elle parvenir à démêler le vrai du faux? Mais je l’avais soigné sans lui faire de mal, comme je lui avais promis : c’était un fait qu’elle n’était pas en mesure de nier. Elle finit toutefois par céder, n’ayant plus la force et l’énergie de continuer à jouer à ce jeu-là.

« J-je suppose que oui. », balbutia-t-elle après un court silence, les mains appuyées sur ses tempes douloureuses. Cependant, j’avais bel et bien noté les touches de méfiance qui persistait dans sa voix, tentant de la rassurer. « Crois-moi, je te jure que… » - « Ennuyeux, ennuyeux, ennuyeux! » Sans crier gare, un jeune enfant venait de se matérialiser devant mes yeux écarquillés de surprise tandis que Lûth, grisée par un soudain regain d’adrénaline, se releva, aussi raide qu’un morceau de métal. « Qu’est-ce tu veux encore?! », hurla-t-elle en faisant de grands gestes, comme un volcan sur le point d’exploser. L’enfant prit une mine blasée. « Que veux-tu que j’obtienne de plus de la part de deux personnes aussi ennuyeuses? J’ai essayé de rendre le jeu un peu plus dramatique, mais à ce que je vois, ça ne s’est pas passé comme prévu. » Il sourit. « Changer ton apparence pour le tromper… » L’entité me pointa du doigt. …et t’hypnotiser pour ne répondre qu’à l’ordre de t’attaquer à lui a été l’une des meilleures idées auquel j’ai pensé. » Son visage réafficha la déception tandis que la Nelphennéen bouillonnait de rage. « Dommage que ça n’est pas fonctionné. » Il claqua des doigts.

« Je ne trouve plus d’intérêt à poursuivre plus longtemps ce jeu. Ce trésor que vous avez tant cherché n’existe pas au fait. » Elle rêvait ou il faisait vraiment preuve de gratitude? Comme s’il avait lu dans ses pensées, le garçon ajouta : « Partez avant que je ne change d’avis. L’ennui ne dure jamais trop longtemps pour moi. » Ce monde était peuplé de gens qu’il pouvait berner comme ça lui chantait, le forçant à toujours pousser sa créativité à aller un peu plus loin. Ça ne le dérangerait pas de recommencer le jeu avec eux – pour autant que ses idées différaient de celles qu’ils avaient eu. La Nelphennéen n’eut aucun mal à le comprendre d’ailleurs. « Ne traînons pas plus longtemps dans ce lieu maudit. » Elle jeta un coup d’œil à l’enfant avant de détourner le regard rapidement. Jamais elle n’aurait autant haï un petit garçon de toute son existence. « Si je reste une seconde de plus à côté de lui, je finirai par vomir. »

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