L'Ombre n'appréciait pas tout à fait d'être là et l'avait bien fait comprendre aux jeunes ombres qui avaient tenté une approche amicale. Ses mots prononcés ci et là étaient tranchants et sans appel. Elle n'avait pas le temps de converser avec les siens et n'était de toute façon par venue au château pour cela. C'était une tout autre mission qui l'amenait et cela ne lui plaisait pas. Pour la simple et bonne raison qu'elle n'avait encore jamais réaliser une telle mission et cela l'a mettait mal à l'aise. Comme allait-elle gérer la chose? C'était à l'Esprit de la Mort de s'occuper d'accueillir et de guider ceux qui gravissait les échelons de la hiérarchie. Et Aaliah savait que la jeune Shiro aurait les mots qu'il fallait. Car la conversation et les explications, ce n'était pas vraiment le domaine de la Gardienne du Sceau de la Nature qui aimait le silence, la discrétion et surtout, la solitude. Elle avait essayer de paraître moins austère, mais ce n'était pas toujours facile et cela l'était désormais d'autant plus depuis qu'elle avait réaliser que les seuls échanges chaleureux qu'elle avait pu offrir aux autres étaient dû à sa maîtrise de l'illusion d'Edel. Rien n'était vrai lorsqu'elle essayait de sourire chaleureux où qu'elle déclarait être ravie de revoir une personne... Alors pourquoi continuerait-elle de faire des efforts? Seules quelques rares personnes avaient encore droit à ce privilège, dont sa fille adoptive.

Aussi, l'Ombre n'avait pas traîné dans les couloirs qui lui étaient désormais familiers et avait de suite pris le chemin vers la salle du trône où devait le rejoindre celui qui pouvait prétendre au titre de passeur. Aaliah ignorait encore ce qu'elle lui dirait, essayant mentalement d'inventé un discours plus ou moins aimable. Cependant, peu importaient les mots utilisés et leur ordre, ceux-ci lui semblaient toujours futiles, voire imprononçables pour elle. Et adossé contre un mur à l'état de brume, elle réfléchit intensément, grimaçant sous l'ampleur de la tâche qui lui incombait aujourd'hui. Elle fut dérangé dans ses réflexions agaçantes par un jeune homme qui entra dans la salle sans même frapper et attendre d'être invité à franchir les portes. La politesse se perdait à une vitesse étonnant et elle en soupira presque. Qui était donc cet inconnu qui entrait ici comme dans un moulin? Peut-être un ami de Shiro; elle savait que la jeune femme avait tendance à laisser de côté les manières royales pour être plus proches de son peuple. Aaliah l'admira de savoir supporter cela, l'Ombre avait beaucoup de mal avec les familiarités... Elle s'apprêta de s'enquérir de l'identité de l'individu et de sa raison en ces lieux lorsque celui-ci prit la parole.

Aaliah arqua un sourcil brumeux devant le flot de paroles débitées, ne lui laissant pas le temps de rectifier la situation. Il l'avait pris pour l'Esprit de la mort, cependant, si tel était le cas, il manquait clairement de savoir vivre. A défaut de pouvoir le couper, elle fit l'effort de l'écouter jusqu'au bout. Les longs discours la fatiguaient et l'horripilaient. Aussi, la Gardienne hésita un instant de lui faire croire qu'elle était l'Esprit de la Mort, cela pouvait être amusant... Cependant, l'Ombre n'aimait pas vraiment rire et les blagues, ce n'était pas son genre. Elle repris son apparence humaine, marchant lentement vers le dénommé Heatosse, usant de sa prestance royale pour augmenter son charisme. D'un geste gracieux, elle ôta son large capuchon pour montrer son visage. La jeune femme était ténébreuse, autant dans le choix des couleurs de ses les vêtements que dans son physique. Seule sa peau était albâtre et contrastait avec ses yeux et ses longs cheveux étincelant d'un noir profond, rappelant le plumage des corbeaux. Un son méprisant sortit de sa bouche, prouvant que le futur passeur allait devait ramer fermement pour espérer remonter dans l'estime de l'Ombre au caractère instable.

« Tss... même vêtu avec élégance, cela n'aurait pas relevé votre niveau »

Ses mots claquèrent dans la pièce alors qu'elle ne les avait que murmurer. Cependant, elle n'avait guère user de l'illusion d'Edel pour paraître plus chaleureuse et ravi. C'était donc sur un ton dépourvu d'émotion qu'elle repris la parole afin d'expliquer sa vision des choses au bourru de campagne qui se trouvait en face d'elle.

« Je n'ai que faire de votre passé, le mien me suffit... Alors ne me contez pas les chemins qui vous ont amené jusqu'ici. Et la politesse aurait voulu que vous toquez à cette porte et daignez attendre que je vous invite à entrer, elle s'arrêta un instant pour soupirer avant de reprendre, chassant sa dernière phrase d'un geste de la main. Toutefois, je ne suis pas reine en ce lieu... Je suis la Gardienne du Sceau de la Nature, mais c'est moi qui doit juger si vous êtes digne de devenir Passeur. »

L'Ombre opta volontairement pour un instant de silence, faisant un pas sur le côte pour contempler l'individu. Elle ne donna pas son prénom, ne le jugeant pas nécessaire. Heatosse n'avait qu'à connaître le nom des Gardiens qui entouraient l'Esprit de la Mort ou bien faire en sorte de l'obtenir.

« Enfin soit, puisque vous êtes là, parlez-moi de vous et de vos projets... mais évitez de me faire un discours circonstancié », rajouta-t-elle en souvenir du discours précédent et craignant un plus long encore.

A peine l’Ombre ouvrit-il la bouche, qu’Aaliah regretta de lui avoir posé cette question. Il lui donna des précisions dont elle n’avait que faire et qu’elle ne retiendrait probablement pas. Elle se moquait bien de savoir qu’il préférait se faire appeler Tombale parce qu’il n’assumait pas le nom de son père. Il aurait même pu se faire surnommer «Épitaphe» ─ pour rester dans le même thème ─ que cela ne l’aurait pas fait plus sourire. Il lui confia également les origines de son paternel et elle arqua un sourcil. Croyait-il vraiment qu’elle allait s’apitoyer sur son sort ou qu’elle l’apprécierait mieux s’il lui parlait de ses origines chamaniques ? Sa race passée n’avait plus d’importance, il était une Ombre et Aaliah savait se contenter de cela. Heureusement, il eut l’ingéniosité de s’arrêter sur sa vie passé en déclarant que cela ne l’intéressait guère. *Alléluia !* pensa-t-elle en se demandant toutefois ce qui avait retenu Heatosse de ne pas prononcer cette phrase salvatrice un peu plus tôt.

La gardienne resta de marbre, dépourvue d’émotion à l’égard du discours que lui tenait le jeune Ombre. Elle ne grimaça pas non plus lorsqu’il prononça le terme « madame » qui n’était pourtant pas des plus appropriés. Elle aurait encore préféré qu’il ne lui donnât pas de titre. La plupart des Ombres avaient tendance à commencer par « Gardienne » lorsqu’elles étaient au courant de son titre et de sa nature, les autres se contentaient d’un « dame », certain parfois la surnommait « Dame Tempête ». Aussi, Aaliah s’y était habituée et elle ne se voyait pas recevoir du « madame » de manière récurrente. Cela faisait si vieux et si impersonnel. C’était comme utiliser du « on » au lieu du « nous ». Cela n’avait pas de poids, pas de valeur. Cependant, bien des valeurs se perdaient… Heureusement pour le futur Passeur, le reste de son discours fut plus intéressant, même si son interlocutrice ne laissait rien transparaître de ses pensées. Il voulait aider les Ombre perdues, celles les plus faibles et les plus fragiles. La jeune femme pouvait aisément comprendre, pour avoir suivi le même chemin. Lorsqu’elle avait basculé dans le monde des Ombres, la douleur avait été plus vive encore que la vision de son aimé assassiné. Personne n’avait été là pour lui tendre la main et la guider dans ce nouveau monde où le rêve, la nourriture et les émotions heureuses n’existaient plus. Il n’y avait que la damnation éternelle et un fardeau lourd à porter. Ce ne fut qu’en gravissant les échelons qu’elle avait appris à mieux vivre cette étrange errance qui était le quotidien des Ombres. L’homme termina son discours sur un mot d’excuse pour s’être laissé emporter, expliquant qu’il voulait juste aider les Ombres à se sentir moins mal dans leur peau. C’était noble, mais un brin idéaliste, les Ombres n’étaient, comme leur indiquait le nom, que des brumes condamnées à souffrir pour avoir commis l’acte le plus ignoble qu’était le suicide.

« C’est Dame… ou Gardienne » lança-t-elle pour toute réponse, espérant que le jeune homme comprendrait qu’elle n’apprécierait pas de l’entendre une nouvelle fois l’appeler madame.

Elle se contenta ensuite de le regarder, ou plutôt de le fixer en repensant à ses paroles. Aaliah faisait le tri dans l’inutile et l’exploitable, cherchant également la manière la plus rapide pour lui expliquer le tout. L’Ombre n’était pas bavarde et avait horreur de devoir faire de longues phrases. Subir un long discours lui suffisait déjà largement pour ne pas en rajouter de son côté. Elle cherchait donc les mots adéquats pour répondre à cette Ombre quelque peu utopiste.

« Etre condamné un temps sur le lieu de notre mort, c’est notre punition pour avoir commis un acte abject. Vous ne pourrez changer cela. Nous ne sommes alors que des fantômes aux yeux de ceux qui passent à côté de nous.»

La jeune femme s’arrêta un instant, laissant le temps à l’Ombre de prendre connaissance de ses paroles toujours aussi glaciales à défaut de pouvoir leur donner un peu plus de chaleur. La Gardienne connaissait la peine que l’on pouvait subir en se retrouvant seule, bloquée sur son lieu de suicide. Un moment terrifiant qu’elle ne voudrait plus connaître, même si sa peine et sa douleur n’avaient jamais disparu et ne disparaîtraient jamais.

« Je comprends toutefois votre envie d’aider les nôtres qui se sentent perdus. C’est un projet noble, mais qui ne sera guère aisé de mettre en place… »

Si la jeune femme ne paraissait toujours pas des plus aimables avec son visage inexpressif, sa voix toutefois fut moins glaciale et moins tranchante. Cela pouvait paraître étonnant de sa part, mais la Gardienne comprenait cette envie de protection. Son rang la poussait aussi à aider les siens, même si elle n’était pas la meilleure des interlocutrices et que certaines Ombre n’étaient pas des plus réceptives, notamment à cause de leurs émotions tronquées. Il était difficile de promettre le bonheur à une Ombre, car cela serait mentir... Aussi, Aaliah pouvait sembler froide et glaciale, mais le respect qu’elle avait pour ceux de sa race, depuis qu’elle avait atteint les hauts rangs de sa hiérarchie, était sincère. Elle ne savait juste pas montrer ses sentiments, par fierté et à cause de sa nature également. La Gardienne inspira une nouvelle pour reprendre son discours.

« N’oubliez pas que votre rang vous imposera certaines obligations. Savez-vous ce qui vous incombera une fois que nous vous nommerons Passeur, Heatosse ? » demanda alors la Gardienne, curieuse de savoir ce que l’Ombre savait sur le rôle des Passeurs.

Heatosse lui fit part des informations qu’il avait reçues d’une Passeuse dénommée Jua, celle qui l’avait aidé à approcher le monde des Passeurs et qui avait demandé une audience en son nom. Sa réponse était simple, mais au moins fut-elle correcte dans l’ensemble. L’inverse aurait fortement déçue l’Ombre. De toute façon, s’il avait déjà croisé le chemin d’une Passeuse, il était plutôt rassurant qu’il sût cela. L’homme supposa que certaines âmes devaient être plus spéciales et qu'elles ne correspondaient pas au schéma classique d’une bonne âme en ange et d’une mauvaise en démon. Toutefois, il rajouta rapidement qu’il se trompait peut-être. L’Ombre jusque-là inexpressive ne put s’empêcher d’arquer un sourcil étonné. C’était probablement l’énervement qui troublait ainsi ses propos. Elle ne se permit cependant pas de le couper dans son discours pour lui demander pourquoi il pensait se tromper sur sa supposition pourtant correcte. Il pensa également avoir des obligations envers les autres Ombres qu’étaient les Gardiens et l’Esprit de la Mort. En soi, ce n’était pas trop mal qu’il le reconnut, mais Aaliah aurait préféré qu’il évitât le verbe « penser » pas vraiment des mieux adapter. La Gardienne commençait cependant à s’y habituer à ses mots mal choisis; à croire qu’il le faisait exprès rien que pour l’ennuyer. D’ailleurs, il en rajouta une couche précisant que tout cela n’était que des suppositions. Elle arqua un second sourcil intrigué. Ces propos étaient confus par moment et elle avait du mal à suivre. Supposait-il pour ses obligations envers les Ombres communes, envers les gardiens ou était-ce pour le tout ? C’était trouble. Heureusement, Heatosse avec les excuses faciles et lui demanda de le pardonner pour ses paroles un peu longues.

« Certains talents ne sont pas donnés à tout le monde… »

Ce furent les premières paroles qui filèrent hors de ses lèvres, directes, franches et glaciales, comme l’Ombre savait si bien le faire. Elle avait rarement croisé le chemin d’être peu bavard et avait dû s’adapter en conversant de plus en plus ; elle qui autrefois ne prononçait que quelques mots de manière sporadique. Elle inspira lentement, profitant d’un moment de silence qu’elle appréciait tant. Le calme était un instant rare dans le monde des Ombres capable d’entendre la tristesse des fantômes et de voir l’avenir parfois funestes des êtres.

« Pourquoi utilisez-vous les termes supposer et penser ? Seriez-vous donc incertain sur les devoirs et obligations assignés aux Passeurs ? Cela serait plutôt malvenu au vu de tout le chemin effectué jusqu’ici… »

Comme à son habitude, l’Ombre laissa un silence oppressant s’installer entre eux afin de permettre au jeune homme en face d’elle d’analyser ses propos sans pour autant confirmer ou infirmer ses paroles. Elle voulait lui faire prendre conscience que son nouveau rôle l’appellerait à être plus sûr de lui avant de lui en confier tous les détails. Etre Passeur était un changement profond chez les Ombres, un palier important vers une nouvelle destinée. Le Passeur n’avait plus pour rôle premier de pousser des êtres au suicide pour s’assurer de la survie de la race. Il donnait une nouvelle vie aux âmes du monde. Il participait au mystérieux cycle de la vie qui régissait les Terres du Yin et du Yang depuis des millénaires. Et l’utopiste Heatosse avait également un autre objectif auquel l’Ombre commençait sérieusement à douter de sa réalisation. Certaines Ombres pouvaient être aussi froides qu’elle et supporteraient difficilement d’avoir pour guide un individu qui supposait les choses plutôt qu’il les affirmait; qu'elles fussent ou non erronées…

« Comment espérez-vous aider nos Ombres esseulées si vous n'êtes pas plus assurant dans vos propos ? lui fit-elle alors remarquer pour lui faire comprendre l’importance d’éviter certains mots peu sûrs. Enfin soit, revenons à votre cas et vos suppositions, dit-elle en faisant quelques pas pour s’occuper les jambes et montrer par là sa non envie de recevoir une réponse à sa précédente question. Certaines âmes sont effectivement spéciales, comme celles des jumeaux… Savez-vous où se situe leur particularité, Heatosse ? »

La Gardienne posa sur lui un regard imposant, retrouvant son visage de marbre, proche d’une pierre tombale. Elle attendit une nouvelle fois qu’il lui offrît une réponse satisfaisante.

Aaliah croisa les bras sur sa poitrine tandis que le jeune homme répondait à sa question. Une nouvelle fois, il conta les détails d’une histoire dont elle n’avait que faire. Toutefois, à l’annonce du marin partit sur un bateau de pêche, elle se fit plus attentive. Et si elle ne le montrait pas, l’Ombre était un plus intéressée par cette histoire qui lui rappelait certains souvenirs. En effet, son rôle de Gardienne du Sceau de la Nature lui donnait la capacité de faire mourir les gens pas la puissance des forces qu’offrait la nature. Les orages incendiaires, les tremblements de terres dévastateurs, les animaux affamés, les vents destructeurs et les eaux ravageuses étaient autant d’élément qui n’avait plus de secret pour elle lorsqu’ils fauchaient la vie d’innocent. La Gardienne se souvenait de la tempête qu’elle avait élevée en pleine mer ce soir-là pour faire chavirer l’embarcation et provoquer la mort de ses passagers.  Un Passeur était ensuite passé pour récolter les âmes, dont l’une n’était pas entière. Le sort du frère fut ainsi également scellé ce jour-là. Cela pouvait sembler triste et injuste, mais ainsi était régie la vie sur les Terres du Yin et du yang. Etre jumeaux apportaient un lien certain, une complicité unique, mais ils étaient malheureusement liés jusque dans leur mort. Nul jumeau ne pouvait survivre à cette règle fatale, d’une manière ou d’un autre, il rejoignait la tombe de son frère d’âme dans les heures qui suivaient. Tout dépendait du temps que le Passeur mettait pour récolter la partie de l’âme manquante.

Arrivée au terme de son histoire, Heatosse en déduisit qu’il devait y avoir un lien ou une âme pour deux. Aussi, il s’interrogea sur ce fait et demanda la permission de poser une question. Aaliah hocha simplement la tête pour l’y autoriser et écouta d’une oreille attentive ce qui le troublait, se demandant si son interrogation serait judicieuse. Il émit alors l’hypothèse où des jumeaux seraient diamétralement opposés et voulut savoir ce qui se passerait pour l’âme dans ces conditions. L’Ombre arqua pour la première fois un sourire satisfait qui signifiait que sa question n’était pas totalement stupide. Ses lèvres s’étirèrent toutefois de manière brève, faisant ainsi disparaître son sourire aussi subitement qu’il était apparu, comme s’il se fut agi d’une illusion. Fière et réservée, Aaliah ne prit pas la peine de lui signifier par mot que sa question en valait la peine. Cela était inutile et l’Ombre n’était pas d’un naturel éloquent, d’autant plus qu’elle savait qu’il lui faudrait parler plus pour expliquer le phénomène des jumeaux. Elle ne voulait donc pas se perdre dans des paroles en plus pour féliciter Heatosse sur son interrogation.

« Lors de la naissance de jumeau, qu’ils soient deux ou plus, l’âme se divisent en autant d'être conçu. Un Passeur ne peut récolter un morceau d’âme, il la lui faut complète pour la déverser dans le fleuve... »

L’Ombre laissa sa phrase en suspens afin que le jeune homme assimilât de lui-même l’information implicite et pût se faire une idée de la réponse à sa question. En effet, il ne s’agissait pas simplement d’une âme pour deux, mais plutôt d’une âme séparée en deux par la force des choses. Une séparation qui restait tant que les jumeaux vivaient. A la mort de l’un, il fallait réunit les morceaux pour reconstituer l’âme. Dans ces conditions, la suite réservée à l’âme dont l’un des morceaux était bon et l’autre mauvais, était un peu plus devinable.

« Dans la situation que vous avez émise, l’âme ne pourra être réincarnée ni en ange, ni en démon puisqu’une fois reconstituée, elle sera emplie de bon et de mauvais actes. L’âme sera alors nettoyée des esprits des défunts et retournera dans le ventre d’une femme pour qu'elle enfante afin de continuer le cycle de la vie. Tel sera votre futur rôle, Heatosse : récolter les âmes, réunir celles qui se sont divisées et les amener au fleuve pour leur recyclage. Enfin, cela, c’est la théorie. Vous savez que la pratique de cet art est un peu plus complexe, du moins, j’ose l’espérer… »

Aaliah soupira longuement, exaspérée par la longueur de son propre discours. Elle n’avait pas l’habitude de devoir s’exprimer et d’expliquer les choses à d’autres Ombres. Toutefois, elle ne pouvait pas se permettre d’oublier de donner des informations. Le rôle de Passeur devait être clair pour celui à en devenir et c’était son rôle à elle de bien l’en informer afin qu’il ne commît aucune erreur une fois hisser à son nouveau rang. Car viendrait peut-être le jour où ce sera lui qui devra faire la leçon à une autre Ombre. Aussi, la Gardienne espérait avoir été assez précise pour ne pas devoir répéter ces dires. D’autant plus, qu’il restait encore beaucoup de points à voir. Elle se serait vraiment bien passé de cette charge et pensa qu’un peu de mise en pratique serait la bienvenue. Elle pourrait ainsi voir le futur Passeur à l’œuvre. Bien sûr, elle savait qu'il avait déjà approché des âmes, sinon la Passeuse Jua ne lui aurait pas demandé une audience. L'Ombre aimerait cependant voir comment il agirait face à des âmes séparés ou un esprit récalcitrant à partir. Toutefois, il lui semblait qu’une dernière question s’imposait avant d’errer sur les chemins.

« Dites-moi Heatosse, savez-vous ce qu’est la dissensio ? »

La question était piégeuse, car le terme était peu connu à travers les Terres du Yin et du Yang, pour ne pas dire totalement inconnu. Seules les Ombres utilisaient cette dénomination et encore, toutes ne la connaissait pas. Résultant des erreurs que les Passeurs pouvaient parfois commettre, il n’était guère bienvenu d’en parler de manière récurrente, les Ombres préférant passer sous silence ce mal qui affectait certaines personnes. La Gardienne était curieuse de savoir si le jeune homme avait déjà été amené à entendre ce mot au détour d’une conversation entre Ombre et s’il en connaissait toutes ses conséquences.

Le jeune homme dû avouer en toute honnêteté qu’il ignorait la signification de la dissensio pour ne l’avoir encore jamais entendu auparavant. Cela n’étonnait guère l’Ombre qui resta silencieux pour l’écouter hasarder une définition. Au moins, la Gardienne devait-elle reconnaître qu’il ne manquait pas de courage, ni de mots. Plutôt que d’attendre qu’on lui fournît le sens sur un plateau dorée, il préférait se risquer à trouver la solution. Il termina toutefois en précisant bien qu’il ne s’agissait là que d’une idée, lui demandant alors de lui expliquer ce mot. Aaliah hocha lentement la tête, réfléchissant déjà à la manière d’aborder le sujet de manière claire et concise. Car ce n’était pas le tout de poser des questions, il fallait ensuite fournir des réponses. C'était probablement l'un des raisons qui l'empêchait par moment de s'attarder sur des questions. Cependant, elle ne pouvait pas rester éternellement enfermé dans son silence de glacial. A plusieurs reprises, Aaliah avait tenter de briser la glace qu'elle avait formé autour d'elle. Elle y était parvenue, mais n'avait jamais vraiment tenu longtemps. Son coeur avait été trop malmené pour risquer d'abîmer le peu qu'il en restait. Toutefois, elle fit un effort afin que sa voix parût plus douce, mais n'y mit aucunes émotions, comme pour conserver une certaine distance entre le nouveau passeur et elle.

« Le problème ne se situe pas au niveau de l'âme, mais au niveau de l'esprit qui se trouve à l'intérieur. Retenez bien ceci Heatosse: l'esprit est unique... pas l'âme. Celle-ci est recyclée constamment, nettoyée de l'esprit du défunt pour abriter celui du nouveau-né.»

Comme à son habitude, l'Ombre s'accorda une pause dans ses paroles et en profita pour se rapprocher du jeune homme. Elle l'invita à la suivre vers le coin le plus sombre de la pièce et à disparaître dans les méandres des ombres pour apparaître à proximité du fleuve où de nombreux Passeurs s'adonnaient à leur art avec parfois une méticulosité à faire peur. Autour des eaux agitées, il y avait des petites sphères lumineuses qui pouvait rendre l'endroit presque féerique s'il n'y avait pas les fantômes des défunts qui hantaient le lieu. Habituée par les esprits des défunts qui erraient éternellement sur les Terres du Yin et du Yang, invisibles pour la majorité des gens, Aaliah marcha d'un pas déterminé vers l'un des Passeurs en ignorant totalement le désespoir des fantômes. Elle attrapa l'âme que ce dernier avait entre les mains et se retourna vers le jeune homme pour la lui montrer. Si celle-ci pouvait ressemblait aux âmes qu'il avait déjà pu croiser, elle avait toutefois une chose de particulier.

« Séparer l'esprit d'une âme semble aisé, tout Passeur est capable de faire cela, même si parfois, des brides de l'ancien esprit reste dans l'âme. Tant que cela est infime, la personne n'éprouvera que des impressions de déjà-vu par moment. Cependant, méfiez-vous de l'habitude. »

L'Ombre fronça les sourcils pour donner plus de poids à ses paroles à venir, afin que le passeur à en devenir comprît que ce qui allait suivre serait très important pour son futur rôle. La Gardienne mettait un point d'honneur à prévenir les nouveaux Passeurs de la conséquence de leur erreur, montrant de ce fait, l'importance de leur acte au sein des Ombres. Il ne s'agissait plus de pousser des êtres aux suicides, mais de participer activement au cycle de la vie, de la mort et de la réincarnation.

« Un moment d'inattention, de distraction ou une envie d'en finir vite et l'erreur commise sera irréparable. Si les brides de l'ancien esprit sont trop importantes, il se divisera et provoquera ce que les autres appellent plus communément le dédoublement de personnalité. »

Tout en parlant, la Gardienne fit rouler la petite sphère sur ses paumes, la caressant presque d'un air navré qui trahissait le mal invisible qui affectait l'âme. Le Passeur qui la lui avait tendue eu lui-aussi une mine quelques peu attristée et désolée.

« Une seule âme, mais plusieurs esprits... reprit-elle en posant son regard sur la sphère lumineuse. Qui se disputent et peuvent même s'anéantir entre-eux, effaçant les souvenirs de chaque personnalité détruite lors de ce combat mental. Les fous qui vivent sur ces terres sont en réalité affectés par cette maladie de l'âme que nous, les Ombres, appelons: dissensio. Cette âme n'a pas été correctement nettoyée, mais son cycle doit continuer...»

Ainsi allait la vie, toujours cruelle et injuste à chaque instant. Il y avait malheureusement des choses qui ne pouvaient être changé et la Gardienne se pencha vers le fleur pour y déverser l'âme dans un geste gracieux qui trahissait une habitude passée, maintes fois répétées. Jadis, Aaliah avait aussi été Passeuse et avait elle-aussi, à certains moments, mal effectué son rôle. Amener l'âme, retirer l'esprit, la déverser dans le fleuve... C'était des gestes tellement évident, tellement simple, qui en devenait facile de faire des erreurs en ne restant pas attentif. Aussi, elle ne fit aucune remarque au Passeur, cela n'était pas la peine. Elle posa simplement une main sur son épaule afin de le rassurer avant de reprendre la parole à l'intention du jeune Heatosse.

« Nous pouvons tous commettre des erreurs, seulement, elles ne doivent pas devenir une habitude. Il ne faudrait pas que les médecins trouvent la véritable origine qui rongent certains des leurs... elle fit une petite pause avant d'interroger une nouvelle fois le jeune homme. La Passeuse Jua vous a-t-elle expliqué quelles âmes vous étiez en droit de récolter? »

Finalement, elle risquait de s'habituer à poser des questions et à attendre après une réponse. Il fut une époque où Aaliah avait énormément de questions, mais beaucoup était resté sans réponse, notamment la plus cruelle de tous: pourquoi avait-on assassiner Eldarius, son futur époux? Parfois encore, celle-ci la hantait. Aujourd'hui, elle avait l'avantage de recevoir des réponses, même si elles ne lui semblaient pas toujours satisfaisantes. Il fallait cependant beaucoup pour plaire à l'Ombre qui était connu pour détester à peu près tout et de ne pas être une compagnie des plus agréables; ses instants de sympathie étant rares. La Gardienne se demanda si le jeune Heatosse comprendrait le sens de sa question, car si les Passeurs erraient sur les Terres du Yin et du Yang pour récolter les âmes des êtres en fins de vie, ils ne pouvait décider par eux-même de la prendre, mais devaient avant tout obéirent aux Ombres qui leur étaient supérieures.

Dépourvue d'émotions et probablement un peu trop détachée par rapport à ce qui l'entourait, la Gardienne n'avait pas remarqué les quelques larmes qui s'étaient mises à couler le long des joues du jeune Passeur. Il lui répondit d'une voix faible qui la surprise, mais ne comprit son mal être à ses côté que lorsqu'il s'excusa. Il ne se sentait pas bien et l'informa qu'il reviendrait... ou pas. Elle arqua un sourcil étonné tandis qu'il disparaissait déjà dans les ombres. A ses côtés, le Passeur murmura quelques mots incompréhensibles. Aaliah le foudroya d'un regard sombre.

« Quoi? Qu'est-ce que j'ai dit ou fait de mal? Rien! Quelle idée d'être aussi sensible lorsqu'on est une Ombre! se défendit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.
— En même temps, vous n'êtes pas des plus délicates...
— Je fais ce que mon rôle m'impose: j'informe les futurs Passeurs de ce que sera désormais le leur.
— Vous pourriez y mettre un peu de douceur, ça m'a l'air d'un gentil garçon...
— Vous êtes tous exaspérants! »

La phrase fut lancée dans un soupire vaincu et le Passeur sourit. Il connaissait assez la Gardienne pour savoir qu'elle n'abandonnerait pas le nouveau venu à son sort, même si elle ne lui avouerait pas. Elle n’était pas profondément méchante et glacial, ce n’était qu’une façade longuement construite pour échapper à son propre désespoir d’Ombre. Parfois, celle-ci s’effritait un peu, mais il fallait fortement gratter pour y parvenir. Aaliah disparut donc dans les ombres et se renseigna auprès des siens qu’elle croisait pour savoir où avait filé le Passeur dont elle avait la charge. En chemin, elle essayait de trouver des mots plus adéquats, mais éprouvait quelques difficultés. Elle avait toujours eu du mal à comprendre certaines réactions des autres, manquant probablement d'empathie envers eux.  Il lui fallait cependant rattraper le coup et rassurer le jeune homme avant que cette histoire ne fît le tour du château. Elle avait tout de même sa fierté et ne se sentait pas l'envie de recevoir une remontrance de Shiro pour avoir effrayé un nouveau Passeur. Encore que, la jeune femme ignorait si c'était ses paroles, elle-même ou un tout qui avait fait ainsi fuir le jeune homme.

Arrivée au jardin, l'Ombre remarqua la silhouette de son Passeur, occupé de nettoyer ses armes. Du moins, c'était ce qui lui semblait ; elle n’était pas assez bien positionnée pour en être certaine. Son geste l'intriguait, mais hésita à apparaître devant lui pour demander des explications sur sa réaction. A coup sûr, il fuirait comme un lapin traqué et ce n’était pas vraiment le résultat qu’elle souhaitait. Elle usa de son contrôle des émotions pour se laisser envahir, détestant cette sensation qui lui rappelait l’illusion de l’amour maternel qu’elle offrait constamment à sa fille. Cependant, c’était l’unique moyen qu’elle avait pour paraître moins distance. La Gardienne fit ensuite quelques pas silencieux, puis, s'arrêta avant de toussoter légèrement pour signaler sa présence. Ce n'était pas dans ses habitudes de faire preuve de délicatesse et fut hésitante à rejoindre l'homme. Qu’allait-il bien pouvoir lui dire ? Le rouspéter pour avoir fui et lui rappeler l’importance qu’il prenait au sein de la race des Ombres? C’était bien dans sa nature, mais certainement pas la meilleure chose à faire. Elle inspira profondément avant de soupirer pour chasser ses protections glaciales et s'approcha d'Heatosse.

« Je suis navrée »

Ce fut la seule phrase qu'elle réussit à lui prononcer. Elle ne fournit pas plus de détail, à défaut d'avoir réellement comprit le geste du jeune homme. Il était déjà difficile pour elle de devoir s'excuser puisqu'elle le faisait qu'en de très rares occasions. Aussi, elle préférait faire dans le concis ; sa voix était déjà bien plus chaleureuse, il ne fallait pas trop lui demander en une fois. Elle s'assit sur une pierre pour regarder devant elle, les jardins qui se dessinaient. Aaliah avait envie d’être ironique et désagréable, il n’y avait que dans ses sentiments qu’elle se sentait plutôt bien. Etre aimable et faire preuve d’empathie, ça, c’était Shiro qui le maîtrisait le mieux.

« Expliquez-moi, Heatosse, ce qui a troublé vos pensées… » finit-elle par rajouter sans toutefois oser  le regarder dans les yeux.

Aaliah n’appréciait pas que l’on voit ses larmes, aussi, elle préférait ne pas fixer celle qu’Heatosse versait, par respect pour la fierté qu’il pourrait avoir.

A sa question, il resta silencieux un instant, continuant de nettoyer ses lames méticuleusement. La Gardienne attendit patiemment malgré l’effort que cela lui coûtait. Elle n’était pas du genre patient et appréciait que l’on lui répondît de suite. Le bruit du chiffon qui frottait le métal de l’épée commençait également à l’irriter quelque peu, lui donnant l’impression d’être invisible. Si elle aimait se faire discrète, elle détestait le silence en retour à ses paroles. Le Passeur la mettait finalement à l’épreuve, ce qui en soi, n’était pas totalement une mauvaise chose. Elle avait besoin d’apprendre à paraître moins glacial envers les siens. Lorsqu’il lui adressa enfin la parole, elle arqua un sourcil étonné à sa question. Aaliah ne s’attendait pas à cela et regarda l’épée qu’il venait de nettoyer patiemment. A première vue, l’épée semblait propre, étincelante comme un miroir qui lui renvoyait d’ailleurs son visage. La Gardienne savait que derrière la propreté de certaines choses, ce cachait de sombres actes. Il en valait de même pour certaines personnes qui cachaient derrière le visage d’ange l’âme d’un démon. Le jeune homme lui parla alors du sang d’innocentes personnes qui avait coulé sur son arme. Il parla alors de son âme souillée et rongé par un mystérieux mal. Il se demanda alors si avait le droit de juger l’âme des autres étant donné l’équilibre de la sienne. Vint alors la surprenante question pour savoir s’il pouvait réellement être Passeur.

« Vous n’êtes pas le seul dont l’âme est affectée par un mal. Toutes les Ombres souffrent d’un mal qui peut s’apparenté au vôtre. Nous avons toutes du sang sur nous, nous avons toutes quelque chose en nous qui peut nous faire basculer… »

Tout en parlant, la Gardienne posa son regard sur l’horizon sans regarder un point précis. Elle pensait à son propre mal qui la rongeait de l’intérieur. La mort de son aimé, son errance dans le royaume des Ombres, sa quête folle pour une vengeance inaboutie. Elle avait juré de rester solitaire, de refermer son cœur à tout pour ne plus connaître une telle souffrance, une telle folie. Pourtant, elle avait pris sous son aile des dragons et surtout, une enfant. Elle ne savait pas lui donner un amour maternel véritable, juste un semblant, une illusion, mais elle restait attacher à sa présence. Elle n’osait même pas pencher à ce qu’elle deviendrait si Lisseth venait à mourir assassiner comme son aimé. C’était une chose inimaginable pour elle. Tout comme elle savait que beaucoup d’Ombre se trouvait dans le même cas, en essayant de vivre une errance plus légère, elles basculaient dans la folie lorsqu’elles perdaient la seule chose qui le permettait d’avancer. Le fardeau des Ombres étaient très lourd à porter. La saveur des aliments, l’agréable sensation de s’hydrater, la beauté des rêves, l’amour, tout n’était plus que de simples souvenirs, lointain, voire ancestraux pour certaines…

« Oui, vous pouvez être un Passeur. Votre rang vous permettra petit à petit à mieux contrôler vos émotions et à porter votre fardeau d’Ombre plus posément. Cela ne serait peut-être pas facile au début, mais le temps vous aidera. Et du temps, nous n’en manquons pas… La Gardienne tourna la tête vers le jeune Heatosse et lui décocha un sourire fugace dont elle avait le secret. Un unique sourire chaleureux et apaisant qui disparaissait en un éclair avant de reprendre. Et puis, vous avez énoncé l’envie d’aider les Ombres les plus faibles et ça, c’est la façon de penser des Passeurs. Vous devez prendre soin de celles qui vous sont inférieures, même si cela n’est pas chose aisée. »

La jeune femme se redressa, invitant le jeune homme à marcher à ses côtés pour rejoindre le château. L’audience accordée touchait à sa fin et l’Ombre était certaine qu’il deviendrait un bon Passeur, malgré ses doutes. Aaliah aussi avait beaucoup douté et même encore maintenant, elle doutait parfois de certains actes. Il fallait croire c’était un défaut récurrent chez bon nombre d’Ombre… Arrivée aux portes du château, une fillette aux cheveux blonds jouait avec des petits cailloux sous la protection de deux jeunes dragons. En les voyant, l’élémentale aux yeux aussi bleu que l’eau des océans le décrochant un sourire amical, pourvu de chaleur unique que pouvait renvoyer une enfant n’appartenant pas au monde des Ombres. Aaliah lui fit signer de s’approcher d’eux, profitant de sa présence rassurante pour la présenter à Heatosse.

« Je vous présente Lisseth, ma fille, puis, se tournant vers sa fille, fit les présentations en sens inverse. Voici le Passeur Heatosse. »

La fillette le salua sans se défaire de son sourire enfantin. L'élémentale ne pouvait voir les fantômes qui erraient constamment autour d'eux. Elle n'avait pas cette capacité, tout comme les âmes dont elle ignorait la présence au bord du fleuve. Aaliah posa une main sur sa chevelure doré, la lui caressant légèrement au passage. Il n'y avait que dans les gestes qu'elle pouvait paraître sincère, même si l'enfant n'avait pas encore conscience de l'illusion que les Ombres pouvaient donner à leur émotion. Elle invita le petit monde à retourner dans la salle du trône et permit à sa fille de s'installer sur le fauteuil qui lui était réservé en tant que gardienne.

« Votre audience touche à sa fin, dit-elle en se retournant vers le jeune Heatosse. Avez-vous des questions ou d'autres inquiétudes à me faire part? » sa voix conservait un ton serein, loin des airs glacials qu'elle avait prit au début, signifiant qu'elle était prête à répondre à ses interrogations.

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