Musique

« Danse l'humanité, dans son manteau chaotique. Demain sonnera l'heure d'une nouvelle paix où l'or et la pierre seront bien lointaines. Mais, en attendant, profitez de cette cruauté venue des abysses profondes et de ceux qui dominent ce monde de par leur puissance. Puisque aucun ne s'insurgera, que le feu brûle et répande la mort sur son sillage. ».

Un petit sourire trônait sur le visage de Mitsuko. Elle aimait ce monde uniquement lorsqu'il était ravagé par le chaos, lorsqu'il tremblait comme une feuille restée accrochée bien trop longtemps à sa branche alors que l'hiver approchait à grands pas. Pourtant, n'était-elle pas la Déesse de la Justice et, elle le pensait bien, celle de la Vie ? La Vie était folle alors que la Justice se voulait raisonnable. N'était-ce pas là deux facettes totalement opposées ? La Justice comme façade, la Vie comme fantasme, peut-être était-ce cela la clef ? La clef d'une âme qui avait sans doute trop vécu pour son propre bien. Oh, elle le savait, des entités parcouraient les Terres depuis bien plus longtemps qu'elle, mais sa vie n'avait été qu'une longue succession de prouesses que peu réussissaient à mener de front avant leur mort. Alors la jeune femme, Humaine, se fichait bien de ce chaos qui menaçait sa vie à chaque coin de rue qu'elle franchissait. Que les flots se déchaînent et que la foudre s'abatte si tel était la volonté d'un puissant de ce monde. Elle, continuerait son chemin comme si de rien n'était. Elle, se rirait de la mort comme elle l'avait toujours fait par le passé. Cette dernière était d'un ennui infini ! Non, ce qu'elle souhaitait était simple et, pourtant, si compliqué que les doigts d'une seule de ses mains pouvaient suffire à compter les êtres qui y étaient parvenus. La surprise était son seul désir, la folie sa seule volonté. Car la folie échappe à toute prévision. Elle se présente sans crier gare et, d'un coup d'un seul, façonne le contraire exact de ce que l'on pouvait attendre d'elle. La folie est fille de puissance, d'imagination, d'instabilité. Alors, rares étaient ceux qui réussissaient à la posséder assez pour créer la surprise, rares étaient ceux dans l'esprit desquels elle ne pouvait lire comme dans un livre ouvert. Parfois, on s'agenouillait devant elle : ennui. Parfois, l'on essayait de la braver pour s'écarter de la masse : ennui. Il n'y avait que les Hommes indépendants de la foule et eux seuls qui possédaient ce don. Les tyrans, les rois et les Ætheri eux-mêmes n'avaient ce pouvoir. Il fallait quelque chose, quelque chose en plus, un petit rien indescriptible qui créait le rêve, la possibilité et le voyage.

Mitsuko finit par s'asseoir sur un banc, près du Monument Religieux. Si elle le désirait, il lui suffisait de franchir la porte de l'édifice pour recouvrer sa puissance divine et échapper à l'ambiance de mort et de souffrance. Mais, à quoi bon ? N'était-ce pas là s'abandonner volontairement dans les bras de l'ennui que d'agir de la sorte ? Il lui faudrait une raison suffisante, un défi, un jeu. La vie de ceux qui l'entouraient ne lui avait pourtant jamais autant importé qu'en ce jour, ce jour où elle ne pouvait contrôler ses émotions. Mais au lieu de ressentir de la peur, de la tristesse, son cœur lui dictait l'allégresse. Aussi, elle se plaisait à observer le monde s'effondrer une fois de plus, comme l'on se plairait à contempler un coucher de soleil. Le bien et le mal lui semblaient si lointains à ce moment précis, tout comme les considérations des Hommes empilés dans le Monument Religieux. La jeune femme songeait au jour où le monde s'éteindrait pour de bon et, en l'imaginant, elle trouvait la situation actuelle comique. Dans sa robe blanche, elle semblait ne point faire partie de la scène qui se jouait autour d'elle. Aussi, elle finit par s'étendre totalement sur le banc, laissant ses cheveux caresser le sol. Si les Masques d'Or souhaitaient la cueillir, qu'ils viennent. Si les individus affolés désiraient la tuer pour oser se comporter aussi étrangement, qu'ils essaient.

L'allégresse s'éteignit pour laisser la place à un calme étrange. La jeune femme plaça son avant-bras devant ses yeux pour que la lumière cesse de la déranger. Elle soupira, à présent aveugle. La torpeur la gagnait, l'ennui également, toujours à la guetter. « Danse l'humanité, dans son manteau chaotique, alors que je me noie, dans un état léthargique... ». Si seulement elle redevenait la femme faible qu'elle avait été jadis, incapable de prévoir le cours des événements d'un simple regard. Si seulement, au moins, la surprise illuminait son chemin encore une fois...

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