« Mais je veux çaaaaaaaaaaaaaaa ! » L’exclamation de Jude fut suivie de cris déchirants et de larmes plus grosses que des gouttes de pluie. « Je n’ai pas pris d’argent, tu le sais. » lui répétai-je. Ma patience avec les enfants n’équivalait pas celle de notre père. En appui sur ma canne, je tentais de me déplacer au milieu de la foule. L’état de mon corps était un véritable handicap. J’avais du mal à rester actif plus de quelques minutes, ce qui expliquait probablement mon manque de douceur. Le petit Déchu était difficile à supporter et ne semblait pas m’apprécier outre mesure, bien qu’il me collât comme il ne collait personne d’autre. « MAIS JE LE VEUX ! » Je m’arrêtai, les doigts crispés sur le bâton. Mes prunelles s’ancrèrent dans les siennes, humides. « Est-ce que tu as de l’argent ? » lui demandai-je. Il fronça les sourcils et renifla avec hargne. « Un jour j’en aurai ! » décréta-t-il. Il croisa les bras sur son petit torse dénué du moindre muscle. Finalement, je me radoucis. Bien que particulièrement bruyant, il était ridiculement mignon. « Quand tu en auras, tu pourras t’acheter ce que tu veux. En attendant, il va falloir patienter. » « Patienter c’est pour les faibles ! » Je souris. « Tu apprendras que, dans la vie, on a rarement tout tout de suite. C’est très rare. » « Moi j’aurai tout tout de suite ! » Je haussai les épaules. « L’important c’est d’y croire, je suppose. » Je ris. « Allez viens. On doit rejoindre les gradins pour encourager les concurrents. » « M’en fiche d’eux ! Moi je voulais participer ! » « Tu participeras quand tu seras plus grand. En plus papa n’est pas là en ce moment. » « Il est où ? » « Je ne sais pas. » avouai-je. Jude fit la moue et s’apprêtait à bouder de plus belle lorsque, soudainement, son regard s’éclaira. Il se baissa et ramasser un objet. « Tu vois ! Suffit que je demande et j’ai tout tout de suite ! » Ses petits doigts ouvrirent le porte-monnaie. À l’intérieur il y avait de l’argent. Il fit demi-tour afin de rejoindre le stand de gaufres. Il était trop rapide pour mon faible rythme. Je le soupçonnais d’ailleurs d’en avoir conscience et d’en profiter. « Jude, ce n’est pas à toi. » « M’en fiche ! » laissa-t-il voler dans l’air derrière lui, tout en se mettant à courir. Je soupirai. Ce gosse était intenable.

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Je pris la gaufre et la posai sur le rebord du comptoir, à hauteur de ma tête. J’ouvris de nouveau le porte-monnaie. La première fois, je n’avais vu que l’argent. Il m’était apparu comme la réponse à tous mes désirs. Cette fois, je remarquai néanmoins qu’il n’y avait pas que des pièces dans le pochon. « Tiens ? » Je pris la tresse de cheveux entre mes petits doigts et fis la moue. « Qu’est-ce que c’est qu’ce truc ? C’pour des rituels de satanas ? » me demandai-je à moi-même. Peut-être que le propriétaire du porte-monnaie était un Démon qui avait arraché les cheveux de ses victimes ? J’approchai les poils de mon nez et les sentis. L’opération ne m’en apprit pas davantage mais je me dis qu’après avoir englouti ma gaufre, je pourrais jouer à être un Démon sanguinaire ! Un Démon sanguinaire avec un métal magique à la place du pouce, imaginai-je, en plaçant le dé à coudre sur mon doigt. « Et ça, on disait que c’était mes prochaines cibles ! » m’exclamai-je en sortant le portrait miniature de sa cachette. « Et même qu’elles sont méga dures à retrouver parce qu’elles sont toutes petites ! » « Excuse-moi, est-ce que tu peux me payer pour que je passe à un autre client ? » me questionna le vendeur, avec bienveillance. Je relevai les yeux vers lui et, tout de go, lui répliquai : « Tais-toi, sinon je t’encule et je te mange ! » C’était ce que Judas m’avait dit lorsque nous nous étions rencontrés. Kaahl m’avait dit plusieurs fois qu’il ne fallait pas dire ça mais ça faisait toujours son effet et j’aimais bien. Cette phrase était magique d’efficacité.

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Mes yeux descendirent sur une petite mamie. « Bonjour, Madame. » la saluai-je, avant d’écouter ses explications. « Oh ? Oui ! Oui c’est celui-ci ! Mon petit frère l’a trouvé et est parti avec… » Je désignai la direction prise par Jude. Il n’avait pas dû aller bien loin. « C’est un Déchu. Il a du mal avec ses pulsions et il voulait une gaufre. Je crains qu’il ne soit en train de dépenser votre argent… » C’était de ma faute : j’aurais dû prévoir de quoi rassasier le ventre sur pattes. « Venez, nous allons le retrouver. » lui dis-je, en la guidant dans la bonne direction et en tentant de marcher plus vite qu’habituellement. « C’est vraiment un sacré coquin. Si nous ne l’attrapons pas à temps, notre père vous dédommagera sans problème. C’est simplement embêtant sur le principe. J’en suis désolé. »  

Lorsque nous arrivâmes, une joute verbale était en train de se dérouler entre le marchand et le Déchu. « Non mais dis donc ! C’est pas des manières ça ! » « M’en fiche de tes manières, espèce de vieille serpillères qui s’fait enculer ! J’vais te couper la tête et faire un vase avec ! » Je haussai les sourcils et tentai d’intervenir. « Pardon, je suis confus. C’est mon petit frère, il ne sait pas ce qu’il dit. » « Et ils sont où vos parents ? J’aimerais bien leur parler moi hein ! Il refuse de me payer en plus de ça, ce vaurien ! » « C’toi le vaurien ! ENCULÉ ! » Je profitai d’un moment d’inattention du Déchu pour lui voler son butin et le tendre à Bellada. « Ce sont vos petits-enfants ? » demanda le commerçant à la vieille femme.

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