Les études très sérieuses de l’AAAP

Lorsque j’arrivai, mes yeux s’arrêtèrent sur mon rendez-vous.

« Hélène ? »

Je ne l’avais pas revue d’aussi près depuis l’incident avec Jil. J’aurais peut-être dû prendre de ses nouvelles mais comme elle n’avait pas pris des miennes, mon silence ne me faisait pas culpabiliser. On s’était simplement retrouvés au même endroit au même moment. Ça ne voulait rien dire. Je n’étais même pas sûr de bien l’aimer. Elle ne m’inspirait pas trop confiance, maintenant que j’y pensais. J’avais la sensation qu’elle pouvait trahir sans remord.

Je soupirai en me laissant tomber sur ma chaise. Depuis que j’avais rencontré Kiara, j’avais l’impression de faire ma tête des mauvais jours.

« Oui salut ! »

Je souris tout de même. Ikar Toutcourt. Elle avait bien retenu. Parfois, je me demandais s’il n’y avait pas moyen pour moi de changer mon nom de famille afin de ne plus pouvoir être reconnu. Le truc c’est que mon père ne serait probablement pas pour. Je n’étais pas certain de l’être non plus. Ce serait bizarre. En plus, je n’avais aucune envie de porter le nom de ma mère, un nom que j’ignorais en plus du reste.

« Oui ça va… Et toi ? »

Je n’étais pas doué pour les rendez-vous. Du moins, quelque chose me retenait avec elle. Ce sentiment n’était pas là avant, je le constatais bien.

« Ah ? Pas trop… J’ai envisagé mais je ne sais pas où aller. Peut-être rejoindre le club de lecture ou de journalisme… les deux si j’ai le temps. Le truc c’est qu’avec… »

Avec la réputation de mon père, c’était compliqué pour moi.

« Mais le sport c’est important, c’est vrai. Ça t’aiderait peut-être pour tes ailes ? »

Je me mis à fixer ses poignets et pris un air interrogatif. Quand elle m’informa de la manœuvre mes sourcils prirent une forme perplexe.

« Ah… »

Je n’avais pas du tout envie de parler de « pimenter un peu la situation ». Je savais à quoi ça faisait référence et je préférais rester loin de tout ce qui se rapportait à la séduction et à ce qui allait avec. Si je l’approchais, tout le monde se ferait des idées sur mes intentions. Il valait mieux faire comme si ça n’existait pas et parler d’autre chose.

« J’en parlais avec Kiara… »

Je m’arrêtai pour poser une question.

« Tu la connais ? »

Peut-être pas.

« Et donc j’en discutais avec elle mais je suis tombé sur un livre de conte vraiment bien. Je n’arrivais plus à en sortir à un moment. Je me sens vraiment proche de l’un des personnages. Le truc c’est qu’il est en couple avec un garçon alors… »

Je me sentais bizarre, à m’identifier à lui. Je me raclai la gorge.

« Tu aimes lire ? Des contes ou autre chose ? On pourrait peut-être aller au club de lecture une fois ensemble si tu veux ? »

Je ne savais pas pourquoi je lui proposais ça.  

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Les études très sérieuses de l’AAAP

« Ouais… »

Ça m’était déjà arrivé de m’identifier à un personnage de roman mais ce n’était pas exactement pareil. C’était comme si j’avais moi-même vécu l’histoire, comme si les baisers de Ludoric avaient réellement couvert ma peau. J’hésitai à reprendre la conversation pour lui signaler que c’était bien plus que ce qu’elle pensait mais je décidai d’abandonner. Je n’étais pas sûr de vouloir continuer à me livrer. Elle créait chez moi une sensation étrange, complexe. L’avoir si proche de moi me rendait perplexe et gêné.

« Ah oui ton père… »

Je savais de qui elle était la fille mais je n’avais aucune idée des histoires tumultueuses liant le Duc Paiberym à mon père. Dans ma tête, Adam couchait avec n’importe qui et n’avait pas vraiment de relations suivies. J’évitais d’en savoir trop, parce que je trouvais ça dégoûtant. Dès que quelque chose me parvenait, j’avais envie de me laver les oreilles et la mémoire avec du savon pour tenter d’en effacer toutes les traces. Pourtant, du haut de mes quelques années, je devais être l’un des adolescents les plus au courant de la vie sexuelle de son parent. Je n’avais jamais cherché à savoir mais on m’en avait souvent parlé depuis que j’étais à Basphel. « Tu savais que ton père avait… avec… » était le genre de phrases que j’entendais souvent.

Je relevai les yeux vers elle de façon plus vive lorsqu’elle évoqua mon père. Je détournai ensuite la tête, embêté d’avoir à en parler. J’eus envie de lui balancer un « Pourquoi ? Toi aussi tu t’intéresses à lui ? » ou un « T’as qu’à faire tes recherches toute seule, je suis pas ton chien ! » mais me retins. Ça n’aurait pas été très juste. Je ne savais pas trop… elle éveillait des choses étranges en moi.

« Oui c’est ça. Il vient encore parfois faire des conférences. Je n’y suis jamais allé mais si t’aimes lire ça pourrait peut-être t’intéresser. Il écrit aussi sous un nom de plume. Je ne me rappelle plus trop lequel. Je lui demanderais si tu veux. »

Encore. Pourquoi est-ce que je lui proposais ça ? J’avais l’impression d’être fâché avec elle tout en espérant quand même qu’une réconciliation soit possible. En fait, ça me fit penser à la relation entre Placide et sa tante. Elle ne se comportait pas mal envers lui mais il ne l’aimait pas franchement. Le conte la montrait opportuniste et ambitieuse, au point de ne pas hésiter à sacrifier quiconque. Hélène me faisait cet effet. Je n’avais pas envie d’être sacrifié par elle. Malgré moi, je voulais l’apprécier et qu’elle m’apprécie en retour mais il y avait cette gêne en moi qui ne voulait pas partir.

« En fait c’est trop bête mais j’ai oublié le titre exact. Je pourrais chercher aussi. Je pense que Garance te plairait... Enfin, peut-être. »

Quand le rendez-vous cessa, je sentis un soulagement m’envahir.

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