« Le conocybe ridé peut être responsable d’un syndrome phalloïdien… » murmurai-je. « Conocybe ridé ? » me demandai la jeune fille, assise en face de moi. Elle était moche. Son visage était couvert de boutons d’acné qui ressemblaient davantage à des pustules et à des verrues qu'à ce qu'ils étaient en réalité. Néanmoins, je faisais avec. Elle me servait à entretenir mon ego. Sa présence m’était indispensable dans ce monde de hyènes. Avec elle à mes côtés, j’avais la possibilité de m’écouter parler sans paraître folle. Ce qu’elle représentait m’était égal. Je voulais un faire-valoir, une chose pour me donner la réplique. « Ce champignon est également appelé Pholiotin filaris. C’est une très petite espèce. Son chapeau ne dépasse que très rarement un centimètre. Ses lames adnées sont brunes avec une large arête blanche. » dis-je, d’un ton que je voulais assuré, en lisant à moitié le manuel. « Son pied floconneux porte en son milieu un anneau jaune, crénelé. » « Je ne comprendrai jamais cette passion… » souffla la fille. Je fis mine de ne pas l’entendre. « Ce qui m’embête c’est qu’ils sont peu fréquents. Ils poussent plutôt sous feuillus, sur humus ou débris de bois… » « Et c’est quoi, un syndrome phalloïdien ? » « C’est ce qui arrivera à Léonidas Taiji dès que j’aurai trouvé ce champignon. » déclarai-je, d’une voix chaude et dangereuse à la fois. « Mais encore ? Et pourquoi est-ce que tu veux assassiner ton futur mari ? Il est pas mal, en plus de ça… beaucoup mieux que ce que tu aurais pu espérer. » « Plaît-il ? » « Ce n’est pas une critique, pas vraiment. Cependant, il faut se rendre à l’évidence : on n’est pas ce qu’on pourrait appeler des canons. Sinon, on ne resterait pas à la bibliothèque alors que les autres étudiants sont tous en train de se bécoter dans les couloirs. » Je la fixai et émis un soupir. « Parle pour toi. » « Muscarine… tu es grosse. » Je grimaçai. J’étais parfaitement au fait de ce détail. « Si tu ne te tais pas, c’est à toi que je ferai manger ce champignon. » « Tu ne m’as toujours pas dit ce qu’était le syndrome phalloïdien, je te signale. » enchaîna-t-elle, comme pour changer de sujet. « Oh, deux fois rien. Vois-tu… » Je feuilletai mon livre afin de trouver les symptômes associés. « Il y a d’abord une phase de latence qui dure entre six et vingt-quatre heures. C’est traître… » Parfait pour assassiner discrètement quelqu’un. « Ensuite, viennent les douleurs abdominales, les vomissements et les diarrhées. Ceci peut entraîner la mort directement ou déboucher sur une phase de rémission apparente. La victime pense que son état s’améliore… mais c’est pour mieux tomber. Le foie est atteint, ce qui peut donner une cytolyse hépatique, une insuffisance hépatocellulaire ou une rétention biliaire… » « C’est quoi une cytolyse hépatique ? » Je n’en avais pas la moindre idée. Je savais juste que c’était mauvais. « Chut. Je n’ai pas fini. À partir de là, les chances de guérisons sont minces. Soit la victime décède, soit l’ingestion se termine en hépatite chronique. » Je regardai davantage la page. « Bien sûr, le pronostic vital est engagé. Le foie est douloureux, les reins ne fonctionnent plus. L’état comateux survint et mène tout droit au décès. » Je souris.

« … Je ne suis pas sûre que Léonidas mérite ça. » l’entendis-je dire. J’aurais aimé avoir la prestance nécessaire pour faire taire cette effrontée. « Bien sûr qu’il le mérite. » assurai-je, après avoir posé mes deux mains sur le livre, l’une sur l’autre. « C’est un abruti. Il parade tel un paon. Il se croit séduisant avec sa crinière brune de caniche frisé. En réalité, il est semblable au clavaire chou-fleur, autrement dit : sans intérêt. » « Je le trouve plutôt beau… » « Il n’est beau que pour les simples d’esprit comme toi. Son corps est si fin que je pourrais m’en servir pour me curer les dents. » « Ce que je dis c’est que… » « Que quoi ? Que je ne me rends pas compte de ma chance ? Que comme je suis grosse, je devrais me satisfaire de ce gringalet ? Dans quel monde vis-tu, Pénélope ? » l’interrogeai-je. « N’as-tu donc aucune ambition ? Les autres se moquent de toi, et toi tu restes là, à croupir. » « Je te signale que tu restes avec moi… » « Oui mais je m’instruis dans un objectif précis : la déchéance de ce furoncle de Léonidas. » « En parlant du furoncle… » Elle me fit un signe de la tête en direction de l’entrée de la bibliothèque.

763 mots