Ravenna

Musique

« Attends-moi, Ravenna. » La concernée lui envoya une œillade puis fixa de nouveau son regard devant elle, sans rien dire. Les deux filles étaient entourées d’une foule importante qui ne seyait pas à la blanche. Elle s’employait donc à tenter de marcher vite, en zigzaguant entre les silhouettes. Tout le monde allait dans le même sens, ce qui était déjà ça. Le reste n’était qu’une question de vivacité. Elle espérait pouvoir obtenir une bonne place pour assister au spectacle qui se déroulerait au sein même du Coryphée. Cependant, plus elle approchait et plus elle en doutait. Saphra et elle étaient parties trop tard et, à présent, Ravenna était contrariée. Peut-être était-elle-même contrariée avant ? Elle n’en savait rien. Elle avait toujours eu un caractère difficile. Elle avait du mal à s’attacher et, à un moment, les liens qu’elle tissait semblaient s’effriter. Ainsi, la présence de Saphra était, pour elle, bien plus un fardeau qu’autre chose. Elle soupira et se faufila une nouvelle fois entre deux groupes, perdant définitivement la rouquine qui l’accompagnait. Ça ne la dérangeait pas. Elle devait rompre, de toute façon. Bien que dire à l’autre que c’était fini ne la dérangeait pas, elle redoutait généralement les scènes qui en découlaient. Les autres ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient jamais. Tout était trop soudain pour eux. Mais que pouvait-elle leur répondre ? Elle les avait aimés et elle ne les aimait plus. L’amour partait, la passion s’éteignait, l’amitié se brisait. Elle avait besoin d’ailleurs, de nouvelles têtes, d’autres choses à découvrir. Ils la lassaient, telle était la vérité. Elle ne pouvait pas le leur dire. « Tu me lasses. » n’était pas entendable. « Je n’ai plus le goût de toi. » non plus. Elle devait donc se contenter de rompre la relation, sans réellement donner ses raisons. L’autre ne faisait bien souvent rien, à part, peut-être, trop l’aimer. Parfois, elle se sentait triste pour eux mais refusait catégoriquement de porter le fardeau de leurs émotions. Ça l’énervait. Elle voulait juste être libre, ne pas avoir à consoler, ne pas avoir à se justifier. Elle n’appartenait à personne. Elle n’avait signé de contrat avec personne.

Ravenna finit par s’asseoir dans les gradins. Elle fut rejointe, à son plus grand désespoir, par Saphra, qui lui montra fièrement un objet qui ressemblait à une boussole. « Avec ça, je ne peux plus te perdre ! » plaisanta-t-elle. La Magicienne ne rit pas. Ça ne la faisait pas rire. Vraiment pas. Elle détestait se savoir pistable, attachable. « Allez, souris ! » Le spectacle, déjà, commençait. Alors que la voix de la présentatrice s’élevait, Ravenna fit taire la sienne quelques secondes, le temps de tourner sa phrase. « Saphra… » L’autre ne se doutait de rien. Le déni était profond. Pourtant, si elle avait été attentive, elle aurait pu constater le peu d’intérêt de Ravenna pour elle. Plus les jours passaient, moins elle l’écoutait. Plus les jours passaient, moins elle était disponible. Parfois, elle avait envie de faire l’amour et venait au rendez-vous, comme si lier leurs deux corps pourrait recoller les morceaux. Mais même le sexe lui semblait sans aucun intérêt. Il était temps de tirer sa révérence. « Je pense qu’on devrait s’arrêter là. Je ne t’aime plus. » Voilà, c’était dit. Voilà, elle avait ouvert le gouffre de ce qu’elle trouvait, à chaque fois, agaçant. Elle ne voulait pas avoir à s’excuser, avoir à discuter des affaires de l’une restées chez l’autre, avoir à la consoler. Tout ça n’était pas fait pour elle. Tout ce qu’elle voulait, c’était la quitter, partir, et ne plus jamais croiser son chemin. Elle désirait passer à autre chose et, ce désir, elle le ressentait souvent. Elle l’avait éprouvé pour ses parents – qu’elle n’avait pas encore pu quitter au demeurant, pour ses amis, pour ses amoureux, pour ses professeurs, pour absolument tout le monde. Elle n’était pas faite pour rester. Elle était faite pour s’envoler. Certains préféraient la sécurité. Elle ne vouait un culte qu’à la liberté, au parfait détriment du reste. Elle aimait changer d’endroit, découvrir, sentir les frissons entourer son palpitant délicieusement. Elle ne trouvait aucun salut dans ce qu’elle connaissait déjà. Tout ça l’ennuyait. Elle voulait voyager, vivre des histoires courtes, sans lendemain ou presque.

Alors que Saphra pleurait, Ravenna reporta son attention sur le spectacle. Elle se sentait un peu hors d’elle. Elle ne voulait pas s’occuper de l’autre et se plongea donc dans une forme de déni, si bien qu’elle ne perçut pas son départ. Saphra était son passé à présent. Les liens étaient rompus. Il n’y aurait plus jamais de « nous ». L’Air passa doucement entre ses doigts. Ce fut le premier signe d’une Révélation à venir.

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