Partenaire : X Intrigue/Objectif : Un attentat est mené à bord de l'Erärkas. Se trouvant au mauvais endroit au mauvais moment, Elyot devient une malencontreuse victime de cette attaque. Alors que la tension monte entre les Ygdraë et les dirigeants de Yanna, le Seigneur de Smara et la Dagmar Seryndë Borghild décident d'unir leurs forces afin de retrouver au plus vite les coupables et les traîner devant la justice, dans l'espoir de parvenir à rétablir la confiance entre leurs gouvernements respectifs.
Aveuglé par les cendres et la poussière que la détonation avait éparpillées dans les quatre coins de la pièce, l'Ygdraë, face contre terre, rampa tant bien que mal jusqu'à la sortie – ou plus exactement, dans la direction vers laquelle il présumait la trouver. Toussotant comme s’il s’apprêtait à recracher ses poumons, il se déplaçait à tâtons pour se frayer un chemin à travers les débris amoncelés sur le plancher. Bien que sa petite taille lui permît de se faufiler plus aisément entre les obstacles, son déplacement manquait de coordination. Afin de se protéger les yeux, il utilisait sa main comme une visière, qu’il avait positionné à la hauteur de son front. Si, à première vue, l’idée paraissait ingénieuse, elle perdait néanmoins son attrait dès qu’elle était mise en pratique dans un contexte aussi chaotique que celui-ci. Puisque l’un de ses bras servait exclusivement à se protéger le visage, il ne pouvait compter que sur le deuxième afin de se mouvoir vers l’avant. Ramper ne constituait déjà pas une méthode de déplacement des plus efficaces sur le plan de la vitesse, mais elle l’était encore moins quand, dès le départ, il partait avec un handicap.
Sa condition physique n’avait jamais été un modèle d’excellence, mais elle avait toujours convenu à ses besoins, notamment durant l’époque où il vivait au sein du Temple de la Connaissance. Néanmoins, depuis qu’il avait joint les Enfants de Yanna, Elyot avait constaté ses nombreuses lacunes en matière de force et d’endurance après s’être plaint, à de multiples reprises, de la difficulté de ses corvées quotidiennes. À présent, il réalisait à quel point il avait sous-estimé la faiblesse de son corps. Non seulement il était éreinté à force de faire autant travailler ses jambes pour compenser la perte de mobilité dû à son bras levé, mais celui qu’il utilisait comme appui était si ankylosé qu’il ne ressentait plus aucune sensation, à l’exception de quelques fourmillements dans son avant-bras. Malheureusement, c’était le seul supplice dont il était épargné, car partout ailleurs, la douleur se répandait comme un feu vorace : sur ses épaules, ses jambes, ses hanches, son dos, mais surtout sur son crâne. Grisé par l’adrénaline, le sylvestre y puisait ses dernières forces pour animer son corps endolori, mais en contrepartie, il n’avait pas d’autre choix que de serrer les dents face au mal provoqué par les battements convulsifs de son pouls.
Outre son mal de tête, l’Elfe sentait également une substance – un liquide – couler près de sa tempe et de son œil droit. Du sang, à ne point en douter, ce qui était loin d’être rassurant. À mesure qu'il enchaînait ses mouvements, sa vision devenait de moins en moins nette. Pour parcourir une distance similaire entre deux points, il devait déployer un effort plus considérable que le précédent. Inexorablement, la vérité commençait à tracer un chemin jusqu'à son subconscient. Il perdait du sang. Beaucoup de sang. Ce n'était qu'une question de minutes, peut-être de secondes, avant que son esprit ne sombre dans le néant. Malgré tout, le jeune Ygdraë refusait d'abandonner. Sa persévérance le stimulait autant que son instinct de survie. Au loin, il entendait une voix l'appeler. Il était trop éloigné pour comprendre ce qu'elle disait ou pour identifier la personne à qui elle appartenait. S'agissait-il d'un allié ou d'un ennemi? La réponse n'avait plus la moindre importance pour lui. Il était simplement déterminé à atteindre sa salvation.
Elyot ne se rappelait ni le moment où son corps, à bout de force, avait fini par succomber à l'exhaustion, ni même combien de temps il était resté inconscient. Cependant, en ouvrant les yeux, il put se faire une estimation de la durée de sa convalescence, avisant les lueurs opalines des astres étoilés s'infiltrer entre les volets de la fenêtre. Hagard et désorienté, le jeune Mousse constata, à retardement, qu'il ne se trouvait plus dans l'atelier. Le nuage de fumée et de flammes duquel il avait été prisonnier s'était complètement volatilisé. L'étroitesse des murs et l'opacité de l'éclairage avaient cédé leur place à un nouvel espace, plus vaste et lumineux, qui lui était vaguement familier. Après un examen attentif des environs, l'Ygdraë reconnut l'infirmerie, notamment grâce à ses lits enveloppés de draps blancs, mais aussi par le silence qui planait à l'intérieur. Dans tout le Vaisseau, il s'agissait probablement de la seule pièce d'où le vrombissement des machines était inaudible. Même au sein des dortoirs de l'équipage, une quiétude aussi plaisante n'existait pas, ne serait-ce qu'en raison des débats houleux auxquels certains ingénieurs participaient jusqu'aux petites heures du matin. Le contraste entre les deux était pareil que le jour et la nuit, mais après tout ce qu'il venait de traverser, l'Enfant de la Nature accueillait cette sérénité comme une véritable bénédiction. Fort heureusement, car son crâne, contrairement aux autres parties de son corps, l'élançait de manière aigüe – moins qu'avant, certes, mais la douleur, même atténuée, demeurait désagréable.
« Tu es enfin réveillé. » Tel un fantôme, Shigure, le Maître d'équipage et son mentor, était subitement apparu près de son lit sans faire le moindre bruit. Surpris, l'Elfe sursauta en pivotant brusquement la tête dans sa direction. Ce fût une erreur. À peine eût-il tourné le cou qu'une douleur cuisante vrombit à travers sa boîte crânienne. Une fois son supplice achevé, le jeune homme alla prudemment tâter la zone sensible du bout des doigts. Pourtant, au lieu de palper la texture de sa peau, ceux-ci se frottèrent plutôt contre une surface rêche et filandreuse. Des bandages. « Tu es resté inconscient pendant trois jours. », annonça le Génie, devançant la question de son apprenti. « C'est moi qui t'es transporté à l'infirmerie après que tu te sois évanoui dans l'atelier. En constatant dans quel état tu te trouvais, les médecins n'ont pas attendu que tu reprennes connaissance avant de procéder à ton opération. » Le Valärunkar tiqua sur le dernier mot, mais n'osa pas interrompre les explications de son supérieur. « Ils ont terminé hier. » Le sylvestre acquiesça, mais son visage ne contenait pas une once de réjouissance. En réalité, depuis qu'il avait constaté la présence de bandages autour de sa tête, il éprouvait un mauvais pressentiment. « Et Aralee? Micaiah? », demanda-t-il pour fuir ce qu'il n'osait pas confronter. « Elles vont bien. », lui assura Shigure. « Leur état n'était pas aussi critique que le tien. » Il reçut cette affirmation comme une sentence. Après un moment de silence, il se risqua finalement à prononcer les paroles qui le tourmentaient. « ...C'est si terrible que ça? » Sa voix n'était plus que l'ombre d'elle-même, un murmure duquel seul le désespoir subsistait. Le Maître d'équipage le toisa longuement. Comme toujours, ce fût l'Elfe qui détourna le regard en premier, ne pouvant défier l'autorité contre laquelle il s'opposait. « Les docteurs ont fait tout ce qu'ils ont pu, lui affirma le Génie, mais ta chair a été profondément calcinée. Même à l'aide de la Magie, elle ne s'est pas totalement régénérée. » Le jeune homme ne souffla pas un mot. Il attendait la suite, partagé entre l'espoir et l'appréhension.
Le Maître d'équipage s'amusait à ses dépens. Non seulement il faisait exprès pour le maintenir affamé, lui fournissant au compte-goutte les informations qu'il mourait d'envie d'entendre, mais il faisait également durer le suspense pour accroître son angoisse. Cruel et mesquin, le Génie s'en prenait d'une main de maître, conservant la même expression flegmatique entre chaque révélation afin de ne pas éveiller les soupçons de l'Elfe. Celui-ci s'efforçait de ne laisser paraître aucune émotion à travers son visage, mais ses yeux le trahissaient. Miroir de l'âme, le regard était plus difficile à contrôler que les expressions faciales. Souvent, il suffisait de le contempler pour y découvrir d'emblée la nature des secrets que cachaient un individu. Le Mousse n'était pas assez aguerri dans l'art de la manipulation et des faux semblants pour tromper l'Ifrit, mais sur cet aspect précis, il ne se distinguait pas forcément de la norme des gens que la Créature des Rêves était capable de sonder comme un livre ouvert. Autrement, il ferait un piètre Génie.
Sans se départir de la sévérité qui durcissait ses traits, Shigure mit terme au silence pesant qui électrisait l'atmosphère, se lassant rapidement du jeu auquel il s'adonnait en constatant que l'Ygdraë, malgré sa détresse, ne réagissait pas à son mutisme provoquant, comme un animal docile qui craignait d'offenser son maître. « Toutefois, le pronostic des médecins demeure optimiste. Ils estiment pouvoir entièrement réparer ton visage, mais puisqu'il s'agit d’une opération délicate, le traitement durera longtemps. » - « Combien de temps? » - « Les chirurgiens parlent de plusieurs semaines, voire quelques mois. » Le blond faillit s'étrangler. « Tant que ça !? » Le Génie acquiesça. « De nous quatre, tu es celui qui a été le plus touché par l'explosion. », lui rappela-t-il. « Tes blessures sont plus sérieuses que les nôtres et, assurément, elles prendront plus de temps à guérir, mais une fois l’opération terminée, tes cicatrices ne seront plus visibles. » Son visage recouvrerait sa beauté d'antan, comme si rien ne s’était passé, au prix d’un traumatisme que seul le temps parviendrait à guérir – ou non. Malheureusement, les cicatrices de l’esprit s'avéraient souvent plus tenaces que celles du corps. Parfois, elles ne disparaissaient jamais complètement, gangrénant le cœur jusqu’à ce que mort s’en suive. Il était trop tôt pour flairer la présence de ces premiers symptômes chez le sylvestre, mais Shigure était persuadé qu’ils finiraient, un jour, par se manifester. Après l'événement que son étudiant venait de traverser, il était impossible qu'il en soit ressorti totalement indemne, malgré le calme feint avec lequel il encaissait les nouvelles.
« Tu as eu de la chance. », admit le Génie. « Les dégâts auraient pu être pires. Bien pires. » En réalité, si cela n'avait pas été de son intervention, le Destin se serait indéniablement montré moins clément à son égard. Heureusement pour l'Elfe, l'Ifrit était parvenu à réagir à temps, le protégeant d'une bonne partie de la déflagration. Pour autant, on aurait tort de croire qu'il avait simplement agi par altruisme. D'une certaine manière, c'était à la Dagmar Borghild à qui le sylvestre devait la vie – bien plus qu'à son mentor. Quoiqu’indirectement, la diplomate l'avait surtout sauvé de l'égocentrisme de son serviteur, qui n'aurait pas hésité à abandonner son élève au milieu du chaos en d'autres circonstances. Mues par un tic, les lèvres de Shigure frémirent vaguement, comme pour arquer un sourire qui, finalement, ne vint jamais. Il souriait en de si rares occasions que le contraire aurait été surprenant. Pourtant, ce n'était pas l'envie de rire qui lui faisait défaut, même si le désir de maudire sa Maîtresse était plus virulent encore. Après tout, s'il n'avait pas été soumis au vœu de l'Ygdraë, jamais il ne serait intervenu pour défendre la vie d'un enfant, au détriment de sa préservation. Il était clair que l'explosion n'aurait jamais réussi à le tuer, ni même à le blesser sérieusement, son corps n'étant composé que de Magie. Toutefois, la souffrance qu'il avait ressenti au moment où il s'était interposé entre les flammes et le Mousse l'avait aidé à se remémorer les inconvénients liés à sa constitution matérielle. Il n'avait jamais prévu se faire toucher par l'onde de la dénotation, mais le fait est qu'il ne soit pas parvenu à invoquer un bouclier à temps. Sa lenteur était probablement l'une des raisons pour laquelle son étudiant se trouvait actuellement dans un lit d'hôpital, à agoniser face à la cruauté de la destinée qui, de manière détournée, s'était aussi portée à son secours.
« Et vous? Vous allez bien? Vous n'avez pas l'air d'être blessé. », s'enquit le jeune homme, autant par curiosité que pour changer de sujet. Il n'avait plus envie qu'on lui évoque son état misérable. Contre toute attente, le visage du Génie se fendit d'un étrange sourire. Contrairement à tous les autres, celui-ci n'était ni dur ou hostile, mais railleur et suffisant. Un peu plus, et l'Enfant de la Nature aurait pu croire qu'il se retenait d'éclater de rire, mais il n'était pas aussi dupe. Son mentor ne riait jamais. Même dans un contexte informel, l'homme ne perdait jamais son sang-froid, arborant en permanence cet air intimidant qui terrorisait la majorité des recrues. En réalité, l'Elfe ne s'était pas fourvoyé à sa première impression, mais le rictus disparut si vite des lèvres de l'Ifrit qu'il n'eut jamais le temps de s'interroger davantage sur la source de son amusement. « Contrairement à toi, mes blessures étaient superficielles. Il n'a suffi que d'un peu de Magie pour les guérir. » C'était vrai en un sens, même si, à cause de la composition de son corps, il aurait été plus rigoureux de définir ce qu'une blessure représentait pour lui.
« Mais assez parlé. » S'éloignant brièvement du lit, le Génie glissa une œillade vers la porte de l'infirmerie, avant de reporter son attention sur le sylvestre. « Si je suis venu ici, c'est avant tout pour t'informer que tu es désormais en convalescence pour les sept prochains jours. Durant cette période, il t’est défendu de quitter l'infirmerie sans la supervision d'un docteur ou d'un autre membre du personnel médical. C'est compris? » - « Oui. » - « Bien. Sur ce, je ne te retiendrai pas plus longtemps. Un autre visiteur t'attend. » Curieux, l'Ygdraë tourna également la tête vers l'entrée, s'attendant à apercevoir l'une des sœurs Targen se précipiter vers lui. Néanmoins, ce ne fut pas sur elles que le jade verdoyant de ses pupilles tomba. En découvrant la personne qui patientait dans l'embrasure de la porte, l'Elfe dût retenir son cri de surprise. Il n’avait prévu pas que son père lui rende visite.
« Atto ! » (Papa !) Dès que Shigure quitta la pièce, refermant les battants de la porte après avoir adressé quelques mots de courtoisie au visiteur, l'exclamation fusa immédiatement des lèvres du jeune Elfe. Faisant fi de la discrétion et de la prudence, il bondit dans les bras de son père sans lui laisser le temps de s'installer à son aise. Surpris par la vigueur contenue dans son élan, celui-ci s'empressa d'ajuster sa posture afin de réceptionner son fils, qu'il parvint à cueillir avec douceur. Moins irréfléchi que le sylvestre, Ezechyel s'assura de sonder l'infirmerie à l'aide de sa Magie, pour vérifier qu'ils étaient bien seuls et qu'aucun témoin ne déambulait dans les parages, avant de répondre à l'étreinte dont il était l'heureux destinataire. Noyé par un afflux d'émotions qui le priva momentanément de la capacité de parler, il raffermit son emprise autour des épaules de l'Ygdraë dans le silence, en prêtant attention à la force qu'il exerçait pour ne pas le blesser davantage. La tête posée contre son torse, Elyot sanglotait discrètement, ses doigts se resserrant autour des pans de ses vêtements comme pour l'empêcher de partir, de se volatiliser en un écran de fumée.
Au départ, il avait pensé avoir affaire à une illusion, à une fabrication de son esprit, ne pouvant concevoir qu'il s'agissait réellement de son père. Lorsqu'il l'avait vu échanger des mots de salutations avec le Génie, puis parcourir la distance qui le séparait de sa couche, le jeune homme avait refusé de croire qu'il ne rêvait pas. Au moment où il s'était senti défaillir, écrasé par le poids du désespoir, le Soldat avait brusquement surgi devant lui, comme une lumière venant pourfendre ses ténèbres. C'est trop beau pour être vrai, s'était-il dit en suivant sa trajectoire du regard. Trop beau pour être réel. Pourtant, à mesure que l'homme se rapprochait et que ses traits se précisaient à la vue de l'Elfe, celui-ci s'était mis à douter, commençant à s'interroger sur ses convictions à la lumière de ce qui se dessinait sous ses yeux. S'agissait-il d'un rêve? S'était-il vraiment endormi juste après que le Maître d'équipage était parti? Les questions s'étaient bousculées l'une après l'autre dans son esprit, créant une confusion douloureuse entre ses deux oreilles, jusqu'à ce que l'évidence, soufflée par son instinct, le convainque à renoncer à ses derniers doutes. Tandis que leur accolade s'éternisait, il se demandait comment il avait pu confondre la réalité avec la fiction.
« Que fais-tu ici? », demanda l’Ygdraë en rompant à contrecœur le contact avec son père. Dehors, la Lune continuait de scintiller comme un joyau au milieu d’une mer étoilée. En tout, leur étreinte devait n’avoir duré qu’une poignée de minutes, mais pour lui, il semblait que des heures avaient filé depuis que Shigure les avait laissés seuls. Le temps était réellement une notion étrange. « J’y arrive dans un instant, lui promit le Soldat, mais avant ça, comment vas-tu? » Le jeune Mousse renifla bruyamment, puis força ses lèvres à sourire. « Ça pourrait aller mieux. », lui avoua-t-il en chuchotant. « D’après Shigure, les docteurs seraient en mesure de restaurer intégralement mon visage, mais le traitement sera long. » - « On parle de combien de temps? » L’inquiétude tirait le visage du blond. « De plusieurs semaines, peut-être quelques mois. » Ezechyel soupira, mais conserva le silence. « L’important, c’est que tu ailles bien. », finit-il par trancher. « Moi aussi. », répondit le Löth en se lovant contre le buste de son père. Rien que pour ce moment, il était reconnaissant d’être en vie.
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Pouvoir utilisé : - Le Frisson de la Révélation : Lorsque votre personnage est observé, un petit frisson l'avertit. Il ne sait pas par qui si la personne n'est pas présente mais ça lui permet d'agir en fonction, de changer de comportement etc.
Malgré la promesse qu'il lui avait juré d'honorer, Ezechyel ne dévoila pas tout de suite à son fils les véritables motifs de sa visite. Soucieux de sa santé, il ne désirait pas le soumettre à une source de stress supplémentaire, d'autant plus qu'il redoutait de fragiliser davantage sa psyché en le pressant trop hâtivement. Sans le dire ouvertement, il était clair que le jeune Ygdraë nourrissait quelques réticences à parler de l'incident, évitant le sujet dès que celui-ci était évoqué dans leur échange ou se limitant qu'au strict nécessaire quand il ne pouvait garder le silence. Ses yeux fuyaient ceux de son père, honteux, coupables, embarrassés, mais c'était plus fort que lui – un réflexe, en l'occurrence. Pour autant, il percevait ses hésitations comme un signe de faiblesse, de lâcheté dont le Soldat, qu'il admirait tant, était dépourvu. Comment pouvait-il lui faire face, à lui, un guerrier dont la bravoure n'était plus à prouver, alors qu'il sursautait et frissonnait au seul souvenir de la déflagration? Toujours collé aux bras de son paternel, Elyot crispa les doigts autour de sa taille, notamment afin de contrôler les secousses dont ils étaient parcourus, mais aussi pour se conforter dans la chaleur de son enfance ; la même qui l'avait soutenu durant ses moments difficiles – et qui continuait de le faire aujourd'hui.
« Comment va maman? » Pour la deuxième fois, les minutes avaient filés autour d'eux sans même qu'ils ne s'en aperçoivent. Pourtant, malgré le temps que l'Aslak avait vu fuir sous ses yeux, il s’était entêté à éteindre son fils de tout l’amour qu’il portait à son égard. Dans le silence qui avait joint ce moment d’allégresse, il s’était juré de tenir sa langue jusqu’à ce que le Mousse se sente près à parler. S’il fut étonné de la vitesse à laquelle ce dernier s’était ressaisi, il n’en resta pas moins fier du courage que le sylvestre était parvenu à assembler pour s’exprimer de son plein gré, en dépit du changement radical de sujet, mais le Soldat ne s’en offusqua pas. Parfois, il était nécessaire de prendre du recul avant de se plonger dans l’abysse, d'autant plus qu'il était ravi de discuter de leur famille, considérant qu'Elyot n'avait plus eu de leur nouvelle depuis des mois. « Elle va bien, mais elle s’inquiète pour toi. », lui avoua-t-il. L’Eskët acquiesça, nullement surpris par cette information. « Et Ærya? Dærion? Les jumeaux? Ils vont bien eux aussi? » Ezechyel lui répondit à l'affirmative, dévoilant un sourire sur les recoins de ses lèvres, avant de lui raconter leurs dernières péripéties. C'est ainsi que l'aîné apprit que sa petite sœur avait fait ses premiers pas à l'école, que son clone s'apprêtait à entrer à l'université et que les jumeaux avaient appris à courir et à parler. Avisant l'intérêt que son fils nourrissait pour son récit, l'Enök s'appropria l'exclusivité de la parole, animant son discours d'anecdotes qui réussit, à plusieurs reprises, à soutirer le sourire – et parfois même le rire, du jeune Elfe qu'il visait à distraire.
Cependant, au bout d’un moment, il finit par essouffler la matière qu’il avait à sa disposition. Le silence qui lui succéda laissa l’opportunité au Löth de ramener leur discussion à son sujet initial. « Est-ce qu’ils sont au courant? », lui posa-t-il subitement. Il faisait allusion à ses frères et sœurs par rapport à l'attaque dont il avait été victime. « Non. » Sa réponse était catégorique, mais Elyot ne cilla pas, s'étant attendu à recevoir une réplique semblable. « Même en cas de force majeure, il m'est défendu de révéler ta véritable identité. » Ces derniers mots, l'Aslak les avait chuchotés à son oreille, bien qu'il fût certain que personne ne les épiait. « J'ai dû jouer au bras de fer contre le Conseil pour qu'on m'autorise à venir jusqu'ici. », souffla-t-il sur la même intonation. « Si Seryndë n'était pas intervenue pour plaider en ma faveur, les Dagmar auraient refusé de me laisser participer à l'enquête. » Il se questionnait toujours sur les motivations qui avaient influencé la décision de la Cyraliel, mais au fond, il lui était reconnaissant de l'avoir fait. « Jusqu'ici? » Machinalement, le jeune Ygdraë tourna la tête vers la fenêtre, les paupières plissées, afin de distinguer – en vain – le panorama caché derrière les fentes des volets, avant de reporter son attention sur son père. « Où sommes-nous exactement? » - « À Ynys Sailanen. » Étonné, la Main d'Omi'Ake clignota des yeux. Le jour de l'incident, le Vaisseau s'apprêtait à longer la zone méridionale de l'Archipel de Sorellis, flottant au-dessus du niveau de la mer afin de se prémunir contre les dangers tapis à travers les profondeurs marines. Pour que l'Erärkas ait réussi à parcourir une telle distance en à peine trois jours était impressionnant, voire même un peu trop. « Que s'est-il passé durant ces trois derniers jours? » Le soupir que le Soldat expulsa de sa bouche suffit à lui faire craindre le pire. « Beaucoup de choses. » - « Raconte-moi tout. » - « Ça risque d'être long. » Le contraire l'aurait étonné. « Ce n'est pas grave, j'ai tout mon temps. » Ce n'était pas comme s'il avait la possibilité de se déplacer hors de son lit pour la semaine à venir. Après un moment d'hésitation, Ezechyel finit par se plier à sa requête.
Seryndë Borghild était furieuse. La veille, lorsqu'un agent avait déposé de toute urgence un rapport à son bureau, elle n'avait pas osé croire le contenu du message qu'elle lisait. En une fraction de seconde, l'étonnement avait cédé la place à l'incrédulité, puis à la colère au fur et à mesure que sa lecture se poursuivait. Chaque nouvelle ligne qui passait l'examen scrupuleux de son regard lui faisait l'effet de gifles administrées successivement. À un moment, elle crut même défaillir tant la nouvelle s'avérait alarmante. Heureusement, elle arriva à se ressaisir en prenant connaissance du reste du document, qu'elle dévora en quelques minutes grâce à ses pouvoirs innés. À peine sa lecture terminée, la Dagmar s'était prestement emparée d'un stylo et de feuilles de papier afin d'écrire une lettre adressée à la Reine d’Opaleha, chargeant l'un de ses correspondants d'expédier la missive au nom du gouvernement elfique. La réponse n'avait pris que quelques heures à arriver. Visiblement, la Souveraine de l'Empire s'était attendue à recevoir un message de leur part et s'était minutieusement préparée à élaborer une version des faits pour apaiser la fureur de ses correspondants.
Dans sa lettre, la femme s'excusait personnellement de ne pas avoir anticipé les attaques dont certains groupes d'Elfes furent victimes, spécifiant qu'aucun mort n'était à déplorer dans leurs rangs, malgré la quantité de patients qui furent conduits dans leurs infirmeries après les événements. Elle avait poursuivi en soulignant la qualité exceptionnelle des soins que leur personnel médical, hautement qualifié, leur administrait, insistant tout particulièrement sur le fait que ses équipages avaient su limiter le nombre de blessés en appréhendant rapidement les instigateurs du complot. Puis, D'Avada avait conclu sa lettre en invitant les émissaires sylvestres à une rencontre d'urgence à bord du Smara, le Vaisseau délégué au Seigneur des Opaburaha du même nom, afin de faire le point sur la situation. Étant donné qu'elle était responsable de gérer les relations diplomatiques avec l'ancienne Caste, Seryndë avait naturellement été désignée pour représenter son peuple à la table des négociations.
Le lendemain, l'Ygdraë fut accueillie par le Seigneur de Smara en personne, une femme dénommée Tobiah Ybrusäara – une Orisha, comme le démontrait son Troisième Œil. Après s'être acquitté des principales formules de politesse, celle-ci guida son invitée jusqu'à une salle de forme ovale au sein de laquelle trois sièges avaient été installés autour d'une longue table. L'un d'eux était déjà occupé par un individu de grande taille aux cheveux sombres. En entendant des bruits de pas retentir derrière son dos, ce dernier fit volte-face à l'instant où les deux diplomates franchissaient le cadre des portes. À sa vue, la Cyraliel réprima un soupir agacé. Il ne s'agissait pas de la Reine D'Avada. Pour autant, la femme qu'elle avait sous les yeux était loin de lui être inconnue. « Capitaine Hesjëmis! Quelle surprise! Je ne m'attendais pas à vous voir ici. » Faisant fi de l'aigreur qui vrillait légèrement la voix de l'Elfe, la Lyrienne ancra son regard métallique dans le sien. « Dame Borghild. », lui dit-elle en s'inclinant humblement. « C'est un immense plaisir de vous revoir. » La Dagmar sourit, mais n'articula pas un mot. À l'instar de la Capitaine, elle lui répondit simplement par une révérence. De toute évidence, elle ne partageait pas le même sentiment. ✠ 544 mots
Pour éviter de perdre du temps précieux, la durée des civilités fut drastiquement écourtée. Le Seigneur de Smara invita son homologue elfe à s’asseoir à sa droite, se réservant le siège du centre pour elle-même. « J’ai invité la Capitaine Hesjëmis à cette réunion pour représenter les équipages visés par les récentes attaques. », expliqua Tobiah en remplissant sa tasse de thé. « J’espère que vous n’y voyez aucun inconvénient. » La Cyraliel soutint le regard acéré de son hôte. « Pas le moindre. », articula-t-elle doucement. Contre un Orisha, il était inutile de mentir, mais en diplomatie, l'usage exigeait de garder ses opinions personnelles pour soi, au profit de l'intérêt qu'on défendait. Si l'hypocrisie pouvait irriter ses partenaires, le manque de savoir-vivre était davantage sanctionné dans la sphère de leur métier. « M'en voilà rassurée. », approuva la propriétaire du navire en hochant la tête. Puis, elle avala une gorgée de boisson chaude pour se préparer à braver la tempête. « Le sujet dont nous devons traiter est relativement sensible. », commença-t-elle. « De la douzaine de malfaiteurs que nous sommes parvenus à appréhender et à identifier, sept d’entre eux font partie de l’équipage du Merinid et les cinq autres, de l’équipage du Hràgr, deux Vaisseaux appartenant à la Maison Merynla. » - « Si le Hràgr n’est qu’un petit navire sans importance, le Merinid est l’un des quatre navires prestigieux qui a été confié à un Capitaine de Yanna. », expliqua Reyna Hesjëmis en prenant la relève. « Au vu de l'influence qu'il détient au sein de l'Empire, il nous faudra agir avec prudence si nous voulons rétablir la confiance de la Maison Merynla envers la royauté. » - « Et préserver celle que nous détenons avec les autres Maisons. », compléta le Seigneur de Smara.
« Comment la Maison Merynla se positionne-t-elle par rapport aux attaques perpétrées par douze de ses membres ? » - « Outre les deux Capitaines concernés, qui se défendent de toutes implications dans cette affaire, le Seigneur de Merynla réfute également les allégations contre eux. Par respect envers un vieil ami, la Reine D'Avada est disposée à leur donner le bénéfice du doute. » La sylvestre n’émit aucun commentaire. La déception qui tirait ses traits faciaux parlait pour elle-même. « Évidemment, tant que l’enquête ne sera pas résolue, D’Avada s’oppose à leur requête de plaider publiquement en faveur de leur innocence, précisa la navigatrice, mais l’insatisfaction gronde au sein de Merynla. » - « Avez-vous envisagé qu'il ait pu avoir trahison? », intervint Seryndë. « Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives. », la prévint durement l'Orisha, piquée à vif par les sous-entendus contenus dans le commentaire de l'Elfe. « Cependant, nous tenons à vous rassurer que nous prenons l'enquête très au sérieux et envisageons toutes les hypothèses plausibles afin de résoudre au plus vite le mystère entourant les circonstances de ces incidents déplorables. À l'heure qui est, nous n'avons pas suffisamment de preuves pour confirmer ou infirmer qu'il s'agissait d'une attaque préméditée à l'encontre des vôtres ou de crimes isolés commis par des réfractaires extrémistes. » Si, à son stade embryonnaire, l'alliance avait suscité son lot de controverses dans l'Empire, le succès dont elle fut auréolée le jour de son entrée en vigueur suffit à balayer les derniers relents de méfiance à son encontre. Toutefois, quelques âmes plus ancrées dans les traditions continuaient à désapprouver la décision de D'Avada – à divers degrés.
Si la majorité se contentait d'exprimer leur mécontentement en refusant de signer le traité qui, somme toute, n'était contraignant qu'à l'égard des Vaisseaux qui avaient explicitement consenti à accepter des groupes d'Elfes en leur sein, quelques dissidents aux idées plus extrémistes avaient recours à des méthodes plus radicales pour faire passer le message, allant du refus à commercer avec les navires associés publiquement au Peuple des Forêts jusqu'à accuser la Reine de trahison. Heureusement, les individus concernés ne formaient qu'une petite minorité au sein des Maisons, à l'exception de la Maison Merynla où le mouvement contestataire était nettement plus populaire, ralliant le plus grand nombre d'adhérents dans ses rangs. Il fallait dire que, depuis que le clan avait perdu son statut hégémonique à la suite du recrutement massif qui s'était déroulé à Melohorë et auquel il n'avait pu participer, en raison de l'absence de son Seigneur à la table des négociations, l'animosité grondait parmi leurs équipages. Tandis que les uns vilipendaient Rhenis D'Avada et les trois autres Seigneurs des Opaburaha pour avoir supposément violé le Code de Maglalia par jalousie envers le pouvoir que détenait leur Maison, les autres préféraient retourner leur hargne et leur ressentiment contre le gouvernement sylvestre qui, selon eux, aurait manipulé leurs dirigeants pour que ceux-ci se plient à leur volonté. Dans tous les cas, les deux fractions éprouvaient la nécessité de pointer du doigt un coupable afin de déverser leur colère, et tant bien même que cette dernière fût légitime ou non, il était clair que l'orage ne s'apaiserait pas de sitôt. Pourtant, même en tenant compte du fait que le mal se répandait à l'intérieur du clan, jamais Tobiah ne les penserait capables d'orchestrer un coup pareil, ne serait-ce qu'en raison des ennemis contre lesquels ils croiseraient le fer en cas de guerre ouverte.
Outre les Ygdraë eux-mêmes, la Reine D'Avada ainsi que les Seigneurs de Smara, de Tinloeha et de Sahwelia n'auraient pas d'autre choix que d'intervenir, en vertu de leur entente avec les premiers. Face à une telle coalition d'acteurs, la Maison Merynla n'aurait aucune chance de remporter la victoire : au mieux, les navires fautifs seraient officiellement dissouts pour avoir instigué un conflit armé contre une Nation alliée et le Seigneur serait démis de ses fonctions avant d'être rapatrié à Melohorë pour subir un procès, en guise de compensation envers le peuple outragé ; au pire, la Maison se ferait entièrement anéantir pour dissuader de potentiels rebelles d'agir de manière trop impudente. Connaissant sa Souveraine, l'Orisha doutait que le clan de pirates risquât l'extinction pure et dure, même suivant l’hypothèse que ses équipages soient formellement accusés d’insurrection. De toute l'histoire des Enfants de Yanna, aucun Roi ou Reine n'avait employé de méthodes aussi draconiennes pour résoudre un conflit interne, privilégiant davantage les pourparlers afin de respecter l'indépendance dont était pourvu chaque Maison et, par extension, chaque Vaisseau de l'Empire. Cependant, avec les Elfes faisant désormais parti de l'équation, il était possible que certaines traditions soi-disant immuables soient amenées à changer pour s'adapter au contexte actuel, car l'ancienne Caste n'était plus la seule à être affectée par une mauvaise gestion de leur organisation. Depuis peu, ils avaient des intérêts étrangers à considérer.
« Cela commence à faire beaucoup de « crimes isolés », vous ne trouvez pas? », répliqua sèchement la Cyraliel. « Mes collègues et moi avons du mal à croire qu'il s'agit simplement d'une série de coïncidences. » - « Soyez assurés, nous partageons vos craintes. Nous avons ouvert une enquête à l'interne afin d'élucider la question et avons renforcé la surveillance sur les Vaisseaux que nous jugeons les plus à risque. » À risque, mais pas dangereux, car cela reviendrait à légitimer davantage la thèse d'une attaque planifiée par la Maison Merynla. Mais tant et aussi longtemps que les preuves ne convergeraient pas en ce sens, il était plus avisé de présenter une opinion nuancée – pour le moment. « Ces mesures sont-elles suffisamment efficaces pour endiguer le problème à sa source? » - « Nous travaillons sur une solution, mais comprenez que nous ne pouvons agir à l'encontre des adhérents du mouvement contestataire sans preuve de leur culpabilité dans cette affaire. La majorité a recours à des méthodes pacifiques pour contester l'alliance entre nos deux nations et le Code de Maglalia ne proscrit ni les manifestations, ni les embargos commerciaux. Légalement, ils agissent en règle. Les accuser d'un crime sans motifs valables risquerait d'aggraver les tensions entre la Maison Merynla et le Vaisseau-Roi. » La Dagmar fit preuve de sang-froid pour retenir le soupir qui menaçait de quitter ses lèvres. « Que suggérez-vous de faire, alors? » - « Poursuivre l'enquête, accumuler des preuves jusqu'à ce que nous puissions les utiliser contre eux et enclencher des procédures légales. », énuméra la Capitaine Hesjëmis. « Confrontés à l'évidence, les chefs du mouvement – si tant ils ont quelque chose à se reprocher – ne pourront nier leur implication dans cette affaire et seront contraints de répondre de leurs actes de manière légitime, au même titre que les douze individus que nous avons attrapés. C'est le meilleur moyen d'éviter que le conflit ne dégénère en émeute. » - « Ma collègue a raison. Afin de préserver la confiance des autres Seigneurs et des Vaisseaux qui leur sont affilés, il serait préférable d'agir en conformité à nos règles de droit. Cela permettrait de décrédibiliser le mouvement aux yeux des équipages et donner l'exemple aux autres contestataires extrémistes. » - « Ce ne sera pas suffisant. », déclara la diplomate sylvestre. « Mon gouvernement aura besoin de punir personnellement les coupables pour rassurer notre population. » - « Je vous le concède. », soutint la Seigneur de Smara.
« Votre peuple réclamera justice pour les impairs qui ont été commis à l'encontre des leurs. C'est pourquoi j'ai une proposition à vous faire. Si vous nous permettez d'administrer un procès en bonne et due forme aux coupables, nous vous promettons de les expatrier jusqu'aux Terres de Melohorë afin qu'ils puissent y purger leur peine selon les conditions que vous aurez vous-même établis. De plus, une compensation financière vous sera versée pour couvrir les frais médicaux de vos blessés et les désagréments occasionnés par des traîtres au sein de nos rangs. Et pour finir, nous vous laisserons également participer à notre enquête afin que vous puissiez gardez un œil sur le progrès de notre investigation. » - « Vous souhaitez que nous fassions front commun afin de présenter une image d'unité et de cohésion auprès de nos populations respectives. » Tobiah sourit. « C'est exact. Qu'en pensez-vous? » Déposant le menton sur l'entrelacement formé par ses doigts, la sylvestre fit mine de réfléchir. « Je crains de ne pouvoir prendre une décision unilatéralement, sans consulter mes autres collègues au préalable. » La femme aux iris disparates acquiesça. « Je comprends. Dès que vous et vos collègues se serez mis d'accord sur la marche à suivre, nous organiserons une autre rencontre. » Elle marqua une pause. « Combien de temps devrons-nous attendre la fin de vos délibérations? » - « Un jour, peut-être deux. Je vous recontacterai le moment venu. » - « Bien. J'attendrai de vos nouvelles avec impatience. » Lestement, elle se leva de son siège. Son initiative fut aussitôt suivie par la Lyrienne qui, à l'image de sa supérieure, joignit une révérence à son mouvement. « Ce fut un plaisir de discuter avec vous. » En un geste, l'Ygdraë se dressa également sur ses jambes. « Moi pareillement. »
Elyot se laissa absorber par le récit de son père. Tel un enfant sage et obéissant, il écoutait sans l'interrompre, usant des Savoirs Ancestraux pour consigner les informations les plus précieuses dans sa mémoire. Lorsqu'un détail éludait sa compréhension, il papillonnait des yeux afin de réclamer quelques précisions. Inversement, quand un élément de réponse confirmait ses soupçons, il acquiesçait en plaçant un index sous son menton. Entraîné par le flot naturel de son monologue, Ezechyel arrivait tout de même à repérer les signes corporels du sylvestre et à en déchiffrer le sens avec une facilité dont seul un parent détenait le secret. Même s'il était le seul à alimenter leur discussion, jamais il n'éprouva le besoin de céder la parole à son enfant afin que celui-ci puisse requérir des éclaircissements. Ils se comprenaient mutuellement, par le biais d'un langage qu'eux seuls étaient aptes à saisir, à interpréter les subtilités et les symboliques qu'ils avaient eux-mêmes façonnés, entre père et fils. Ce n'est donc pas par hasard que le Soldat sut immédiatement que quelque chose n'allait pas avec le jeune Ygdraë.
Au début, il n'eut qu'une vague impression. Le regard de l'adolescent semblait de plus en plus distant, mais l'Enök préféra mettre ce symptôme sur le compte de la fatigue. Après tout, cela faisait plus de trente minutes qu'il débitait son histoire sans donner le moindre signe de s'arrêter : il était tout à fait plausible que le sommeil commence à rattraper son fils, d'autant plus que celui-ci utilisait sa Magie depuis un certain temps. Puis, son impression se muta en mauvais pressentiment à l'instant où l'Elfe grimaça légèrement avant d'effleurer les bandages entortillés autour de son crâne. Finalement, sa prémonition devint une inquiétude à part entière lorsque ce dernier, ne pouvant supporter davantage son tourment, émit une plainte aigüe tout en se comprimant la tête à l'aide de ses deux mains. « Qu'est-ce qui ne va pas !? », s'exclama Ezechyel en bondissant sur ses jambes. « Dois-je appeler un docteur ? » Pour la première fois depuis leurs retrouvailles, le Soldat venait de perdre son sang-froid. Consumé par une terreur pétrifiante, il n’osa pas bouger jusqu’à ce que le Löth cesse subitement de crier. « J-Je vais bien. », bredouilla-t-il entre ses dents. « J'ai juste eu un peu mal, c'est tout. Pas besoin d'appeler les docteurs. » - « En es-tu sûr? » À l’évidence, ses mots ne l'avaient pas du tout rassuré. « À cent pourcent. », insista-t-il en se forçant à sourire. Si son père ne se laissa pas berner par son sourire factice, il se résigna pourtant à abandonner la charge. Contre l’entêtement de son fils, il était tout bonnement impuissant.
Si Ezechyel renonça à requérir l'aide du personnel hospitalier, il s'opposa néanmoins à sombrer dans la passivité. À l'insu de son fils, il fit usage de ses pouvoirs curatifs – Earudien – pour le soulager de sa douleur et lui procurer une sensation de bien-être. « Q-quoi qu'il en soit, pour en revenir à ce que tu disais... », reprit le jeune Ygdraë pour garder sa contenance. « En quoi consiste ta mission, exactement? » Visiblement peu intéressé de parler de sa condition, il s'était empressé de changer de sujet. Pendant un instant, l'Enök songea à le réprimander sévèrement pour agir de manière inconsidérée. Cependant, après réflexion, l'homme s'abstint de le confronter, notamment parce qu'il estimait ses chances de le convaincre de changer d'attitude moins élevées que celles de produire l'effet inverse. C'est pourquoi il décida de poursuivre ses explications, malgré l'ambivalence qu'il éprouvait à le faire. « À prouver la culpabilité – ou l'innocence – de la Maison Merynla. Pour ce faire, nous devons d'abord interroger tous ceux qui sont impliqués dans cette affaire pour recueillir leur témoignage : les auteurs du complot, ainsi que leurs victimes, toi y compris. », expliqua le Soldat.
Elyot opina de la tête. C'était sans doute ce qu'il avait voulu dire, plus tôt, en faisant mention de sa participation à une enquête. Le plus étonnant, c'était qu'il n'ait pas reçu l'ordre de le rapatrier à Melohorë. Après les événements qui avaient transpiré et dont il fut malencontreusement une victime collatérale, il aurait pensé que le Conseil des Sages chercherait avant tout à assurer sa sûreté, que les récentes attaques avaient compromise, mais apparemment, ce n'était pas le cas. Le jeune homme savait bien pourquoi. Si son gouvernement n'osait pas intervenir, c'était parce qu'il redoutait d'interférer avec les desseins qu'Hel'dra, la Déesse de la Conciliation, réservait à son égard, quels qu'ils soient. Après tout, elle était la raison pour laquelle les autorités sylvestres avaient permis qu'un Löth quitte les forêts de sa terre natale dans le plus grand secret. Pourtant, plus le temps passait, plus l'Enfant de la Nature doutait de son statut d'élu divin. Depuis qu'il s'était joint à l'Empire, il n'avait jamais œuvré à réaliser cette ambition démesurée, celle de concilier tous les peuples sous un même étendard. En vérité, avant même de sortir de la Capitale elfique, il s'était questionné sur le rôle qu'il pourrait jouer dans l'accomplissement de cette prophétie. Comment lui, un Löth, pouvait-il parvenir à unifier les Nations des Terres de Sympan depuis les tréfonds d'un Temple enfoui au milieu des bois? L'idée lui avait paru ridicule, et désormais, elle lui paraissait plus ridicule encore. Il n'avait pas l'étoffe d'un Roi. Pire encore, sa personne figurait désormais au cœur d'un conflit qui menaçait de diviser une communauté déjà bien scindée. Quel piètre conciliateur faisait-il. « Si tu te sens capable de répondre, j'aurais quelques questions à te poser. », poursuivit Ezechyel. « À propos de quoi précisément? » - « De tout ce qui s’est passé. À commencer du moment où tu t’es réveillé ce jour-là, jusqu’à l’explosion. » Malgré les frissons que ces paroles firent courir sur sa peau, l'Ygdraë se força à tout lui raconter, sans omettre le moindre détail.
« Seras-tu là demain? », s'enquit le sylvestre après une pause. Contre toute attente, il y était parvenu. À se confier auprès de son père, malgré ses peurs, ses réticences, ses doutes... pour mieux se confronter à un autre supplice qui, jusqu'ici, il s'était contenté d'ignorer : celui des adieux. Au fond, il savait que ce moment viendrait, mais il n’était pas encore prêt à lui dire au revoir. « Je crains que non. », murmura le Soldat. En un geste imprégné de tendresse, ses doigts s'engouffrèrent dans ses cheveux, jouant distraitement avec ses mèches violacées, avant de redescendre jusqu'à son visage. Puis, lentement, un sourire fleurit sur ses lèvres, triste, mélancolique, résigné. « Mais tu le savais déjà, n'est-ce pas? » Elyot ne répondit pas. Il en fut incapable. Amorçant un voyage solitaire, une larme était tombée, suivie d’une autre, puis d’une autre. En quelques secondes, ces gouttes esseulées se transformèrent en véritable déluge, tandis que l’étreinte de son père l'enlaçait pour une dernière fois.
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