Un artéfact ? D’aucuns ricaneraient à la vue du dit objet et s’aventureraient à lui faire soutenir la comparaison avec quelque relique ancienne imprégnée d’un obscur pouvoir. Quel esprit tortueux et malade pouvait ainsi s’échiner à lui prêter un tel potentiel ? Il n’était pourtant auréolé d’aucune origine sacrée, ne se faisait l’écho d’aucune légende ancestrale et n’était frappé d’aucune forme de malédiction occulte. En somme, aucune postérité illustre ne prévalait à sa destinée et c’était peut être bien pour toutes ces qualités qu'il avait su si bien se fondre dans l’environnement et perdurer aussi longtemps sur ces terres.  A son tour, Ammon était rentré en sa possession pour en devenir l’heureux titulaire, dépositaire malgré lui des volontés discrètes de l’aura qui enveloppait cet objet.  En avait t’il seulement été le réel acquéreur ou n’était ce pas plutôt ce même objet qui avait jeté son dévolu sur sa personne ? Il se remémora.

Une pointe de doute avait germé très tôt dans les méandres de son esprit saugrenu et cette présomption - incongrue à l’origine -  n’avait depuis cessé d’enfler encore et encore pour prendre suffisamment corps et en définitive s’imposer à sa réalité. Une incertitude aberrante et boulimique de celles de son porteur avait fini par faire chanceler toute forme de logique et d'incrédulité chez son propriétaire. Fébrile, il chassa hâtivement cette indécision grotesque de ses pensées de peur de la sentir saper les piliers de sa conscience. Il ne pouvait décemment pas supporter l’idée d’avoir été mystifié par un vulgaire objet - aussi prodigieux et fabuleux qu’il puisse être - et d'avoir ainsi succombé à ses artifices. Force était pourtant de reconnaître que le Corvus éprouvait grand mal à ne pas s’attarder à scruter plus longuement les détails qui ornaient sa surface. Un mince filet de lumière filtra subitement à travers la maille du rideau et auréola l'objet d’une nappe douce et cotonneuse. Il s'approcha, succombant pas après pas aux plaisirs qui en émanait, tandis que des murmures soufflés à demi-mot - d’abord inaudibles - redoublèrent d’intensité à mesure qu’il se dirigeait vers lui. A l'origine de simples syllabes, des bribes puis des mots et finalement des phrases ininterrompues se succédaient à l'instar de celles d’un mantra entêtant se répétant inlassablement et enjoignant quiconque pris dans son tourbillon à s'abandonner à son pouvoir. Une force profonde et mystérieuse, douée d’une volonté propre, était à la manœuvre et déployait tous ses charmes pour le séduire et l’attirer irrésistiblement dans ses filets. Dans l'atmosphère éthérée du lieu, il lui sembla faire face à un joyau trônant au centre d’un écrin lumineux presque irréel.

A proximité de l’artefact, les murmures se muèrent en un maelstrom assourdissant de paroles si décousues et enchevêtrées qu’il lui fut impossible d’en déchiffrer toute forme de signification. Il touchait au but. Extatique, le Corvus fit nerveusement main basse sur l’objet dans un dernier râle triomphant pendant que ses facultés lui permettaient encore cet exploit avant de s’enfuir précipitamment.  Dans ses veines coulait désormais la puissance fantasmé de son nouveau trésor, le déchu dissimula celui-ci à l'insu de tous pour s'empresser de regagner sa propriété et d'en étudier les pleines capacités.

Rendu à domicile, seule une malencontreuse pièce d’or, simple, ordinaire, banale, commune, frappé à l'effigie de l'Annonciateur de la Chute comme il en existe des milliers dans la cité, était niché au creux de sa main.  Et si tout ceci n’avait été que le fruit vicié de son imagination décadente ? Une fumisterie odieuse ourdie à son encontre par les dieux eux-mêmes ?

"Foutaises ! Balivernes !" hurla t’il fiévreusement en renversant la table devant lui alors qu’il sentait l’écrasante résolution de l’artefact tenter de le faire ployer et devenir fou.

Une sueur âcre coula le long de sa tempe à mesure que l’évidence se faisait sans appel mais qu'il s'obstinait à en réfuter la cinglante vérité. Cette pièce l’obsédait, c'était un fait indiscutable. D’un geste habile, ses longues phalanges déliées vinrent s’emparer de l’objet de sa convoitise. Au contact du métal, la pulpe de ses doigts frémit des promesses inavouées dont cet artefact recelait. Un sourire satisfait ourla ses lèvres lorsqu’il laissa ses serres en épouser les courbes, découvrir les aspérités et les stries creusées par son usage immodéré, comme autant de vestiges du temps lointain où il avait été façonné. En dépit des innombrables existences qu’il avait mené, des innombrables détenteurs qui tentèrent de percer ses arcanes, son pouvoir d’attraction avait demeuré indemne. Magnétique. Il fit rouler machinalement la pièce entre ses doigts pendant plusieurs minutes comme pour y sonder les secrets subtils qui y résidait. Maladroitement, la pièce finit par lui échapper et se mit à rouler sur le bois de la table dans un écho aigu avant qu'une main experte ne vienne la cueillir dans sa course impromptue et rompe la fascination malsaine du Corvus.