« On est bientôt arrivé, mon pépère ! D’après la carte, c’est juste après ce col. »

Habillée de pied en cap d’une épaisse tenue d’hiver à la fourrure blanche, Jil n’était trahie au milieu de la neige que par la couleur flamboyante de ses cheveux. Le vent avait repoussé sa capuche dans son dos, et elle s’immobilisa un instant, le temps de la ramener sur son front. Sur son nez, une paire de lunette aux verres épais et teintés, étudiées pour épargner à ses yeux clairs les reflets agressifs du soleil sur le glacier. Un keffieh enroulé autour du cou, et des moufles en cuir de cerf au bout des mains, elle était bien préparée pour affronter tout ce que la montagne était prête à lui envoyer. Jusqu’ici, le temps avait été clément, mais entre les pics et les crevasses, les conditions pouvaient changer d’un instant à l’autre. Même Thor, dans son dos, avait sa part d’équipement. Un harnais doublé de peau de phoque maintenait sur son dos un genre de sac composé de plusieurs sacoches. Chacune d’entre elle contenait davantage de matériel de survie : allume-feu, boussole et compas, gants de rechange, piolet, corde et pitons, entre autres. Il était rare pour la Lyrienne d’être aussi bien parée pour une aventure, mais cette fois, Adam ne l’avait pas laissée partir sans des consignes excessivement claires sur tout ce qu’elle devait emporter. Elle n’avait pu qu’acquiescer devant tout le sérieux qu’il avait déployé à cet effet.

Elle se tourna vers son chien, qui maintenant le museau fièrement au-dessus de la neige. Même si sa maitresse faisait de son mieux pour faciliter son avancée, Thor était souvent contraint de forcer le passage. Le pelage de son poitrail était presque entièrement recouvert de neige, ce qui lui conférait une apparence - déjà d’ordinaire imposante - impressionnante de loup arctique. Elle lui adressa un sourire au travers de son foulard :

« Courage ! Encore un effort ! »

Et pour une fois, elle savait ce qu’elle faisait. Quand ils dépassèrent le point le plus haut du sentier de montagne qu’ils arpentaient, les petites tâches sombres que constituait le village alpin d’Erzbecht furent en vue. C’était ici qu’ils passeraient la nuit avant de reprendre l’ascension le lendemain. La communauté qui vivait dans ces chalets ne connaissait qu’un long et interminable hiver ; le froid et la glace était leur quotidien depuis que la première pierre y avait été posée, à une époque oubliée. Ils étaient à peine visibles de là où elle se trouvait, mais plusieurs villageois s’activaient à leurs tâches quotidiennes, pour la plupart nécessaires et obligatoires à leur survie. La vie n’était pas facile à cette altitude, mais elle forgeait un caractère et un mental d’acier qui permettait de venir à bout des saisons les plus difficiles.

À partir de là, la descente était aisée. La pente sinuait, jamais trop vive, jusqu’à la vallée. Avant la fin de la journée, ils passèrent le petit panneau qui désespérait d’annoncer le nom de la bourgade à n’importe quel visiteur, si rares soient-ils. Trois enfants, probablement les seuls, s’interrompirent dans leurs jeux pour venir saluer la Lyrienne et son fidèle compagnon, qui reçut bientôt les caresses et gratouilles qu’il méritait. L’un des hommes du village vint à sa rencontre, lui présentant son avant-bras, à la façon des guerriers, et elle l’enlaça sans pudeur avec un éclat de rire.

« Je suis surpris de voir que tu as tenu ta promesse, Jil Sans-Culotte. », lâcha Huoc-Tec d’un ton solennel.
« Quoi ?! Je suis outrée ! Je t’avais dit que je passerais te voir chez toi, je passe te voir chez toi ! Pas peur du froid, moi, hein ! Maintenant, si tu as un feu et un peu de vin chaud, je cracherai pas dessus ! », avant d’ajouter, un peu moins sûre d’elle : « Vous avez bien le feu ici, hein ? »

Il grimaça un sourire en coin et lâcha un petit rire contenu, avant de l’emmener jusqu’à sa demeure, un chalet partiellement bâtit en pierre noire, et en épais rondins de pins. Sans demander son reste, Jil fit signe à son chien, qui s’ébroua avant de prendre sa suite. Aussi réconfortantes qu’elles pussent être, les papouilles pouvaient attendre qu’il se mette au chaud. Demain, ils reprendraient la route, et un peu de repos ne serait pas de trop.