Petit traité sur le fait que l'Empereur Noir met du temps à venir, quand il vient.

J’attendais depuis trente minutes au moins. D’abord debout, j’avais fini par m’asseoir, puis par me relever et arpenter la pièce. C’était une salle carrée qui ne devait servir qu’à recevoir des invités sans prétention. Une bibliothèque contenait des livres et ceux-ci m’occupèrent un certain temps. Vu les titres, la substance devait vanter la gloire des Sorciers. Était-ce une provocation délibérée ou était-ce réellement là toute la littérature que l’on pouvait trouver ici ? Ceci expliquerait les difficultés que j’avais eu à instruire les Mages Noirs lorsque j’étais professeur à Basphel.

Je me posais des questions. Kaahl détestait être en retard. Il arrivait toujours à l’heure et je le suspectais même d’arriver en avance sans se montrer. Elias était-il si différent ? Ma convocation était pourtant claire. La clarté n’était pas ce qui manquait dessus. Ce qui n’existait pas, dans les lignes que j’avais reçu, c’était l’amabilité et la chaleur. La lettre ne donnait pas envie de venir. J’avais même douté de l’objet de ma visite tant l’impression que j’en avais tiré était celle d’être invité à monter sur l’échafaud. J’étais quand même venu.

D’ici quelques jours je partirais pour l’Île Maudite pour rencontrer une tout autre tête couronnée. J’enchaînais, tout en espérant que l’accueil chez les Chamans serait bien plus plaisant que chez les Sorciers. Je n’en doutais pas vraiment, il fallait juste que je m’occupe pendant l’interminable attente. J’aurais pu me masturber tranquillement sur ce fauteuil aux couleurs cendres que personne n’aurait rien vu. J’avais aussi aperçu une Sorcière dans un couloir, une servante sans doute. Sa robe lui montait jusqu’au menton. J’étais d’avis qu’un tel code vestimentaire n’était vivable pour personne et qu’il me fallait absolument la libérer de ses carcans. J’étais un maître déshabilleur. Aucune robe à crinoline et aucun corset ne résistait à mes doigts.

Pourquoi l’Empereur Noir n’était-il pas là ? Je m’étais coiffé, j’avais enfilé un costume spécial et je m’étais entraîné devant la glace pour paraître convaincant dans mon rôle. Amestris ne devait pas savoir que nous nous connaissions en profondeur. Je n’étais pas certain d’être doué en théâtre. Les seuls rôles que j’avais joué étaient des rôles dans des jeux sexuels. C’était justement ce que nous devions cacher, le sexe et l’amour, l’amitié aussi. Il fallait dire ce qui était, nous étions également amis.

Sans savoir pourquoi, m’imaginer lui parler avec déférence, tout en essayant de paraître neutre, m’excitait considérablement. À le voir jouer l’indifférence, j’aurais immanquablement envie de me rapprocher.

S’il venait.

Il n’était toujours pas là et ça faisait une bonne heure. Personne ne venait. J’étais seul. Je commençai à m’inquiéter, parce que ça ne lui correspondait pas. Je savais qu’Elias n’était pas Kaahl qui n’était pas lui, mais une aussi grosse différence m’étonnait. Il y avait des choses qui ressortaient toujours. La peur des chats, le fait d’être un grand maniaque, l’hygiène excessive, les insomnies chroniques. Sa façon de jouir devait être identique aussi, parce que la jouissance est purement animale. Ça, je connaissais par cœur.  

« Monsieur Pendragon ?
— Oui ? »

L’air pincé de la Sorcière qui venait d’ouvrir la porte cachait un trouble plus profond. Je fronçai les sourcils, imaginant le pire sans me l’avouer. Je n’avais pas envie qu’elle m’annonce sa mort. J’y avais pensé plus d’une fois et je m’étais déjà dit que c’est ce qui arriverait un jour.

« L’Empereur Noir ne pourra pas assurer le rendez-vous.
— Pourquoi ?
— Ce sont des affaires qui ne vous concernent pas. Sachez que nous sommes navrés de vous avoir fait déplacer pour rien mais que, en l’état actuel des choses, nous ne sommes pas en mesure de faire honneur à cet entretien.
— Quand pourrai-je le rencontrer ?
— Je ne puis répondre à votre interrogation. Nous vous recontacterons lorsque le Grand Chaos aura terminé ce qui le retient. »

À ma droite, un Esprit se mit à rire.

« Ce qu’elle ne veut pas dire, c’est que personne ne sait où il est.
— Comment ça personne ne sait où il est ? »

J’avais parlé à voix haute. Nous nous regardâmes.

Quelques heures plus tard, j’étais sorti d’Amestris avec la ferme intuition que si je n’avais pas été agent diplomatique, l’on m’aurait fait enfermer voire pire. J’avais dû signer un document stipulant que je ne révélerais aucune information à propos de l’Empereur Noir. En cas de violation, j’avais signé un autre papier qui indiquait clairement que mon cas tomberait sous le joug de la loi sorcière. Dans ce cas je renoncerais à la protection offerte par ma race pour me livrer entièrement au bon vouloir des juges de la Vorace. Autant dire que je n’allais plus parler d’Elias à personne, même pour indiquer la couleur de ses cheveux. Quant à cet ami qui possédait le même prénom, je venais de le rayer de la liste de mes contacts pour quelques siècles.

En rentrant chez moi et en repensant à tout ça, je finis par m’inquiéter vraiment. Je devais partir sur Awaku No Hi très bientôt et je ne pouvais pas reporter. Laëth fut la seule solution que je trouvai.

Je me mis à mon bureau, sortit un papier, un crayon, et commençai à raconter ma vie. Je savais que les Sorciers surveilleraient peut-être mon courrier. Il fallait que je la joue fine.

« Ma Chère Gardienne,

Même si je sais que tu appartiens à un autre, j’avais envie de t’écrire cette lettre pour te remercier de tout ce que tu faisais pour moi au quotidien. »

Elle ne faisait rien mais les Mages Noirs n’enquêteraient pas sur notre relation.

Dans ma lettre, j’ajoutai un tas d’anecdotes qui ne s’étaient jamais produites. Je parlais de sa poitrine, en bon Luxurieux, en imaginant la tête des coincés qui tomberaient dessus. Je rivalisais de poésie et de paroles grivoises à peine dissimulées, ajoutant mon repas du midi et les derniers livres que j’avais lus. Je lui avouai écrire moi-même et lui confiai l’un de mes nombreux pseudonymes d’auteur comme étant une grande révélation, possible uniquement du fait de la grande amitié qui se développait entre nous. Puis, après moults dessins de cœurs et un de bite, je lui écrivis un post-scriptum.

« PS : Est-ce que tu pourrais me dire où trouver ton futur mari ? J’ai un livre à lui rendre et c’est assez urgent. Je te serais éternellement obligé si tu me répondais rapidement.

Ton Humain Adoré, Adam. »

Pour noyer le poisson, je passai ma soirée à écrire des lettres à toutes les personnes que je connaissais, dont d’anciens et d’actuels amants, me plaisant à décrire avec une précision crue et imagée tout ce que je leur ferais la prochaine fois que nous nous verrions. Pour l'un d'eux, je me trompai volontairement d'adresse et l'envoyai à Mancinia Leenhardt. Le nom sur l'enveloppe était bon mais, sur le parchemin, il s'agissait d'une certaine Joséphine.