« Vous avez de la visite. » J’inspirai, fis descendre la fumée dans mes poumons et la laissait quitter mon corps par le nez. Je tournai lentement la tête. Couché sur un semblant de lit, l’une de mes jambes étaient étendues alors que l’autre était d’équerre, appuyée contre le mur. « Tiens donc. » lâchai-je. Personne ne me rendait jamais visite, hormis des hommes et des femmes qui espéraient obtenir quelques aveux supplémentaires de ma part. Mon sourire malsain s’agrandit lorsque mon regard s’empara de l’éclat blond de la chevelure de Mirabelle Vaughan. Elle n’était pas seule. Dans ses bras, un enfant encore poupon se tenait. Son crâne était couvert d’une épaisse chevelure brune. Je me redressai et restai assis un certain temps, à les observer. Mes coudes vinrent se positionner sur mes genoux et je contemplai un moment mon fils. La mère me semblait d’un désintérêt presque maladif. Pourtant, de nombreuses failles parcouraient son psychisme, des failles qui pourraient servir mes intérêts. Il me suffirait de la berner, d’effleurer ses blessures de mes doigts doucement. Du moins, tant qu’elle pourrait être utile. À la seconde où elle se montrerait inefficace, j’enfoncerais mes ongles dans ses plaies pour les ouvrir davantage, comme je l’avais ouverte le jour où nous avions fait l’amour. Mais cette fois, j’enfoncerais bien d’autres objets en elle, pour la déchiqueter et jouir de ses cris.

Je me levai et me dirigeai d’un pas lent vers elle. Un gardien nous observait, pour sa protection, bien qu’elle ne risquât rien, mais également pour profiter de la conversation. Cette femme n’était pas n’importe qui, et c'était d'ailleurs la raison de sa présence ici. Si elle avait été personne, elle n'aurait pu obtenir un passe-droit. Si j’avais avoué m’être fait passer par le Baron Kaahl Paiberym un certain temps, assez pour la féconder, puisqu’elle était fille de Chancelière et qu’il était impensable que Mirabelle eût pu tomber enceinte d’un Sorcier, la rumeur n’avait été que très peu relayée. Le mensonge vaincrait et l’emporterait sur la vérité. Elle et moi le savions. Il valait mieux que le Magicien fût le père. C’est ce qu’elle revendiquerait, parce qu’elle était maline. Comme lors du tournoi où elle avait su jouer avec les règles et se jouer de mon double d’un même temps, elle tirerait avantage de la situation d’une façon brillante pour une femme. Puisqu’il ne pourrait pas prouver son absence de paternité, il se plierait à ses volontés. Il s’y plierait pour l’enfant. « Les Réprouvés se sont fait massacrer à Amestris. » articula-t-elle, sans une once de sourire. « J’ai cru comprendre. » La prison avait beau être particulièrement sécurisée, elle n’arrêtait pas les bavardages de ceux qui passaient leur temps à nous surveiller. Puisque le temps passait lentement, j’épiais le moindre bruit, au cœur de ma prison solitaire. Elle n’était pas là pour me parler d’eux. Elle était là pour me montrer le bébé. « Est-ce étonnant ? » Je ris. « Non. » me répondis-je à moi-même. Le silence. « Votre fils est… intéressant. » Elle planta ses yeux dans les miens et je sus que je m’étais fourvoyé. « C’est une fille. » Mon regard s’assombrit. « C’est bien regrettable. » Elle sembla contrariée mais les comportements mensongers de Mirabelle ne m’étaient pas assez étrangers pour que je la crusse sincère. Mon absence de magie en ces lieux ne m’aidait pas à démêler le vrai du faux et je préférais, de ce fait, être on ne peut plus prudent. « Elle s’appelle Ombrage. » « Le Baron Kaahl Paiberym sera ravi de l’apprendre. » articulai-je. Elle sourit, me confortant dans l’idée qu’elle s’apprêtait à pénétrer un sentier glissant. « Je pensais justement lui rendre visite afin de lui annoncer la bonne nouvelle. Il me semblait occupé ces derniers temps. » Trop occupé pour la tuer, visiblement. Je ne doutais pas un seul instant qu’il y eût pensé. La blonde était bien trop dangereuse. Elle risquait de détruire sa vie sentimentale. Elle allait la détruire, sans une once de considération pour l’Ange. « Surtout que Laëth Belegad est à présent une esclave. » Terriblement opportuniste. « La pauvre femme... Dire que les Mayfair ont décidé de la livrer à Jun Taiji. Les Sorciers ont un humour macabre vis-à-vis des Réprouvés. Enfin, ils auraient pu choisir pire... » Elle disait pauvre mais Laëth n’entrait pas dans ses considérations. Elle voulait une place bien précise et elle l’obtiendrait plus facilement maintenant que l’Ailée était écartée. Et puis, même si elle revenait, qui la croirait ? Qui l’accepterait, avec le risque qu’elle fût une espionne à la solde de mon père ? La situation était d’un risible vertigineux, même si, chez les Magiciens, curieusement, Jun était considéré comme un allié. « Le Baron aura besoin de réconfort et sa fille lui en apportera. » Elle marqua une pause. « Si je suis venue vous voir, c’est pour vous dire de ne plus jamais interférer dans notre existence. » « J’aurais bien du mal, actuellement... » répondis-je, pour lui donner la réplique. « Même si je commence à ressentir une forme de lassitude à me trouver entre ces murs… » J’espérais qu’elle ferait passer le message, lors de sa visite. Sinon, j’allais devoir l'envoyer moi-même. Cela faisait longtemps que Kaahl n’avait reçu aucune visite de ma part au creux de ses songes. Je devais me rappeler à lui. Nous avions fait un pacte et il lui restait sa part à honorer. S’il trainait trop, ma langue deviendrait prolifique en bavardages.

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Fin