Rondeau - Suite du divertissement des Indes galantes

« Comtesse de Hautciel, je vous en prie. » Je n’étais pas la plus à l’aise. Mon père connaissait le Chancelier Sirigon et lui avait demandé, lorsqu’il avait eu vent de ce rendez-vous, s’il voulait bien que je l’accompagnasse. Je voulais m’essayer dans la diplomatie et, malgré mon âge plutôt jeune, étais sûre de moi. Mon géniteur, cependant, aurait préféré que je me lançasse, comme la plupart des individus composant ma famille, dans le commerce de la lavande. La lavande m’écœurait. Sa senteur embaumait chaque pièce de notre maison, chaque vêtement, chaque drap, jusqu’à notre peau, comme si nous passions notre vie dans un bain de lavande. Parfois, je retrouvais même les fleurs jusque dans mon lit. La lavande me répugnait. Je voulais la quitter à jamais. Convaincu qu’il allait me dégoûter de la diplomatie en demandant à Judicaël Halloy de me montrer son vrai visage, mon père pensait gagner le combat. Mais jamais ! Jamais je ne me rendrais. Je serais diplomate et non cueilleuse de lavande ! « Merci Duc. » dis-je, poliment, en entrant dans la maison. Nous n’étions que tous les deux. Comme il me l’avait expliqué, le roux n’était normalement pas compétent pour les questions qui touchaient aux Sorciers. Néanmoins, comme l’affaire concernait également les Anges, il s’était déclaré en charge de cette dernière, prenant de cours l’Archimage Ashiril, le dénommé Octave Morrigu. Quand il m’avait énoncé les faits, un sourire intéressant avait germé sur son visage, comme s’il pensait secrètement que c’était bien fait pour l’homme en charge du Temple de Lyre.

Une fois que nous fûmes arrivés dans la pièce principale, le Sirigon salua les individus présents. En l’observant, je sus qu’il allait ouvrir la discussion sur une plaisanterie, après qu'il eût observé le Belegad. « Enchanté. Heureusement que j’ai abandonné l’idée d’amener le Baron Paiberym à ce rendez-vous. » Ses lèvres s’ourlèrent un instant puis, il passa à autre chose. « Voici la Comtesse Émilie de Hautciel. Elle n’a aucun rôle diplomatique mais m’accompagnera aujourd’hui. Elle est actuellement en quête de son avenir professionnel. » « Enchantée. » dis-je. « Octave Morrigu était occupé. Il n’a pas pu m’accompagner. » Je me demandai si une inimité n’existait pas entre les deux hommes.

Lorsque les présentations furent accomplies, nous nous assîmes autour d’une table. « Le sujet est assez sensible. » commença le Chancelier d’Ivoire, tout en faisant apparaître entre ses doigts un coffret rempli de nougats. « La Terre Blanche est un lieu où se jouent beaucoup d’enjeux. L’Ère de la Conciliation semble la vouloir au cœur de tous les grands événements, souvent malheureux. » Il prit un nougat. Je l’observais avec beaucoup d’intérêt. Il m’avait précisée certains éléments avant que nous n’arrivions ici, comme, par exemple, le fait que le sujet était périlleux et que réclamer la terre aux Sorciers pourraient revenir à leur déclarer la guerre. La vie de la Comtesse Aliénor Vaughan était dans la balance également, puisque sa personne était symbole de paix, comme celle de Gidéon Paiberym auparavant, qui avait été remplacé récemment par un nourrisson, enfant de l’Empereur Noir lui-même.  La nouvelle n’avait pas encore été annoncée. L’enfant serait élevée en grande partie par la Couronne Blanche. Il ne m'en avait pas dit davantage.

Le Chancelier posa ses mains sur la table. « Je vous écoute. »

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Je jetai un coup d’œil à ma protégée. Elle semblait fascinée par ce qu’il se passait autour de la table. J’avais, quant à moi, conscience que ce qui se tramait ici était délicat. Je ne pouvais pas avouer que l’Archimage Ashiril serait très bientôt remplacé par quelqu’un d’autre. Les agissements de celui qui avait la charge du Temple de Lyre étaient surveillés depuis quelques temps déjà, dans le plus grand secret. L’Archimage Eorane n’avait jamais remis en question ses actes, ce qui la rendait d’autant plus suspecte. Je n’étais pas censé connaître l’existence de cette dernière mais le Nylmord n’avait pu me cacher longtemps certaines affaires à la suite d’un événement en particulier. Je sauvegardais les apparences autant que je le pouvais. Je n’en savais pas plus pour le moment mais la complexité de la situation chez les Magiciens ne me plaisait pas. « Croyez-moi, le fait que les Sorciers n’aient pas jugé utiles de nous tenir informés est très loin d’avoir fait l’unanimité. » Il n’y avait pas que les Mages Noirs. Les Anges avaient tenu l’alliance secrète. Les agissements des ailés dépassaient parfois mon entendement. Nous leur avions tendu la main et ces derniers préféraient pactiser dans l’ombre avec les Sorciers sans nous en avertir. Personnellement, cela ne me posait pas le moindre problème mais, dans le cadre de mon office, c’était très différent. « J’ai néanmoins conscience de la nécessité de garder certaines choses discrètes, le temps qu’elles se fassent. » Il me semblait cependant compliqué d’envisager que les Mages s’adressassent aux Anges, qui avaient été diminués par le génocide, au lieu de s’adresser à d’autres. Je me demandais pourquoi. Dans quel objectif céder le sud de l’île à ces derniers ? Vraisemblablement, l’Empereur Noir jouissait du soutien d’autres créatures, des créatures qui se comptaient par millions. Pourquoi donc s’embourber dans des discussions qui auraient très bien pu ne rien donner et, pire, faire échouer la prise de la Terre Blanche ? Et s’il se fichait de l’intervention d’Hébé ou des Anges depuis le début ? Qu’avait-il en tête ? Quel projet y avait-il derrière ? Parce que si j’avais appris quelque chose sur les Sorciers, c’est qu’aucune de leurs actions n’était anodine. « C’est sûr. » répondis-je. Pour le moment, les Démons souffraient bien plus de l’esclavage que les Anges. Beaucoup avaient été délivrés. Ça m’interrogeait. Depuis quand le mal préférait-il soumettre le mal à la place du bien ?

« Je vois. » J’avais réuni mes doigts sur la table. La Comtesse de Hautciel m’observait avec un grand intérêt. Je lui souris avant de reporter mon attention sur mon interlocutrice. « Le rapprochement des Magiciens avec les Sorciers date du règne de Niklaus Salvatore. Depuis la montée d’Elias Salvatore sur le trône, les choses semblent devoir demeurer ainsi. L’Empereur Noir a fourni à la Couronne Blanche l’une de ses enfants comme gage de bonne foi. Elle remplira le même rôle que la Comtesse Aliénor Vaughan et sera élevée à Caelum. » C’était une enfant adoptée mais sa valeur n’était pas moins grande. « Le champ des négociations semble donc ouvert des deux côtés. Néanmoins, je ne vous cache pas que si les Sorciers acceptent de discuter, nous ne serons pas en position d’exiger quoi que ce soit d’eux. Malgré l’amitié que nous portons aux Anges, la Terre Blanche reste votre territoire et nous ne pouvons compromettre la paix pour une terre avec si peu d’éléments en mains. » Je réfléchis. « Nous ne savons, en effet, pas encore ce que les Mages Noirs comptent faire de la Terre Blanche. Nous connaissons l’existence d’un gouverneur de celle-ci mais leur récente acquisition de Lagherta laisse aussi supposer qu’ils pourraient être amenés à se lasser de ce qui appartenait jadis aux Anges. À moins qu’ils n’aient désiré la terre pour le Fleuve des Âmes, justement ? Dans ce dernier cas, discuter ne mènera sans doute à rien, si ce n’est essayer de garantir la sécurité des Anges qui naîtraient des eaux. À moins qu’ils ne l’aient reprise dans l’unique but d’humilier les Démons ? Après tout, après le génocide, ces derniers ont fait de l’ombre aux Sorciers dans le domaine de l’esclavage. La Purge a été une aubaine qui a bouleversé les rapports de force. L’Impératrice Blanche aurait sans doute confronté les Démons à l’époque, s’ils n’avaient pas été aussi nombreux. Maintenant qu’ils sont hors course, leur nombre ne leur permettant plus de mener le jeu, les relations diplomatiques devraient réussir à s’apaiser. Je l’espère du moins. » Je marquai une pause, le temps de songer à ce qu’il me faudrait faire. « Je pense pouvoir convaincre la royauté d’accepter une discussion dans le sens d’une reprise de la Terre Blanche avec les Sorciers. Néanmoins, toute négociation demande des concessions. Qu’est-ce que les Anges auraient à offrir aux Sorciers ? Et s’ils refusent catégoriquement de céder la Terre Blanche, quelles seraient les demandes secondaires ? La vie des Anges s’y trouvant ? Leur libération ? » Je m’adossai à mon siège. « Sur ce que nous désirons, je ne peux pas vous le dire pour le moment. La priorité des Magiciens reste la paix. Les Démons ayant été presque quasiment anéantis, il serait peut-être envisageable, à partir de maintenant, de conclure un accord avec eux. Autant vous le dire tout de suite : il est hors de question de les laisser retrouver une hégémonie telle qu’ils pourraient à eux-seuls menacer la paix mondiale comme ce fut jadis le cas, d’autant plus qu’ils n’ont jamais payé pour le génocide angélique. Si un accord ne parvient pas à être trouvé, peut-être que les Anges pourraient avoir un rôle à jouer pour les contenir au mieux à l'avenir. »

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