J’étais en train de croquer dans une pomme, en me promenant, accompagné d’une fille que je ne connaissais pas vraiment et d’un autre garçon de ma tribu. Elle était bien plus raffinée que nous. Je n’aimais pas vraiment que l’on me collât mais c’était la condition pour que je pusse sortir dans Stenfek. Comme je n’arrêtais pas de fuguer, il avait fallu trouver une solution intermédiaire entre m’enfermer dans l’auberge et me laisser libre comme l’air. La fille avait quinze ans, le garçon dix-sept. Je voyais bien qu’il se passait des choses entre eux. Ils s’envoyaient des coups d’œil et lui rougissait comme un débile à chaque fois qu’elle attardait son regard sur lui. Leur balai silencieux me fit lever les yeux au ciel. Les filles, c’était nul. Les garçons amoureux, c’était pire. Tant pis, si c’était le prix à payer pour pouvoir continuer à fureter dans Stenfek, alors j’allais supporter ces deux niais. J’étais sûr que le Mior n’avait plus du tout la chasse en tête mais plutôt les longs cheveux blonds de l’adolescente. Ses yeux bleus avaient quelque chose d’envoûtant mais ils n’étaient rien en comparaison de la force qui se dégageait d’un ours. En plus, depuis que j’avais vu Raya, je ne pensais plus qu’à elle pour tout ce qui concernait la grâce et la beauté. Léto pour la puissance. Raya pour l’élégance. Mon Draugr pour la chasse. Devaraj pour le mysticisme. Tous les quatre étaient mes modèles. J’aimais beaucoup Zawa’Kar aussi mais je ne pouvais pas avoir un nombre infini d’idoles, surtout qu’il y avait une liste impressionnante d’Ætheri qui guidaient mes pas petit à petit et que j'avais envie d'honorer.

Alors que nous nous promenions, des adolescents, vraisemblablement Réprouvés, nous barrèrent le chemin. Ils ne devaient pas être habités par la tolérance des Anges. Leur côté démoniaque déformait leur perception. Je ne compris rien à ce qu’ils nous dirent. Les autres non plus. La fille passa une main dans ses cheveux et s’avança, sans nous laisser la possibilité d’agir avant elle. De toute façon, je n’avais pas envie de me faire casser le nez pas ces hérétiques qui ne croyaient même pas aux Dieux. Je n’avais rien à leur dire et j’avais décidé de façon unilatérale qu’ils étaient tous nuls.

Pendant que je réfléchissais à un moyen de les éviter sans finir le menton dans une flaque, sans que rien de particulier ne me vînt à l’esprit, la fille se mit à chanter. Vu leur tête, ils s’attendaient à tout sauf à ça. Quelques secondes plus tard, elle commença à mouvoir son corps. L’adolescence lui avait conféré des formes, qu’elle laissa deviner en bougeant les voiles légers de sa tenue. C’était une Raya, ça ne faisait aucun doute. Ses hanches ondulèrent et ses doigts glissèrent, proches de son corps. N’importe qui aurait pu croire qu’elle se caressait. Pourtant, quelques centimètres séparaient ses ongles de son épiderme. Les bracelets qu’elle portait à ses poignets teintaient au rythme de ses mouvements. Sa voix, couplée au son des bijoux et à l’habileté de ses mouvements, me fit me sentir étrange. Mon bas-ventre n’était pas insensible à sa parade et, même si ça ne me plaisait pas, ce n’était pas désagréable. L’effet produit sur moi fut le même pour les autres. Elle était belle et son chant était mélodieux. Lentement, elle s’avança vers les Réprouvés, un sourire explicite sur les lèvres. Malgré sa jeunesse, elle comprenait parfaitement son pouvoir, celui qui découlait de ses charmes. Elle apprenait, comme chacun de nous, mais elle était étonnement douée, comme si l’Æther des Arts et celle de la Beauté l’avaient choisie comme digne représentante. Malgré le désir qu’elle allumait dans nos corps, elle n’était pas faite pour les bassesses de la chair. Elle ne faisait que nous hypnotiser et nous faire imaginer la douceur de ses mains sur nous.

Je fronçai les sourcils, soudainement agacé. Les Réprouvés étaient calmés. Ils ne voulaient plus nous faire regretter notre différence. Moi, je voyais rouge. Lorsqu’elle cessa enfin ses mouvements, je pivotai, avec comme seul objectif le fait de m’éloigner d’elle le plus possible. Je ne voulais pas être attiré par une fille et la regarder comme un merlan frit. J’allais encore me faire gronder mais tant pis. « Tekoa, reviens ! » me lança le garçon, sans que son ordre n’eût le moindre effet sur moi. Plutôt mourir. J’allais découvrir Stenfek seul, loin de la fille et du garçon. Et si je rencontrais des Réprouvés enragés, je m’enfuirais.

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