D’humeur courroucée, comme diraient certains, Deccio s’essayait à l’art acoustique en composant une chanson. Un de ses frères d’armes — connu pour sa musique enchanteresse — avait d’ores et déjà trouvé la mélodie idéale de son futur tube. Avec sa voix tonitruante et un texte engagé, il ferait certainement fureur, aussi bien dans les bars peu prestigieux qu’à Ciel Ouvert, la cité lyrique. Après tout, les artistes martiaux avaient parfaitement droit à leur chance. Et puis les deux disciplines se complétaient plutôt bien. L’un transmettait des émotions par l’interprétation, et l’autre par les coups dans la poire. C’était bien sûr plus subtil que ça, mais il fallait parfois savoir abréger certaines explications imputables. Le Démon à la crinière blonde chantonna à tue-tête dans sa hutte. « Vive, vive, vive les gros nichons. Des paires de seins, comme des ballons ! Hm. Non ça va pas. Il manque quelque chose. » Il déchira une fois de plus la page pour recommencer intégralement. Le sexe était un thème qui parlait à tout le monde, même à ceux qui se qualifiaient d’innocents. Il faut dire qu’ils étaient souvent les plus gourmands. Il savait par expérience que c’est ceux qui s'exprimaient le moins qui broutaient le plus. Un peu comme les chevreuils. Cependant, toute bonne chose ayant une fin, une connaissance qui lui était bien familière interrompit son processus de création. Heureusement, il ne s’agissait pas de cet idiot de Bikbik, mais de Trevor, son troisième compatriote.

« Deccio, c’est exceptionnel ce qui va se passer ! » « T’as vu ta mère tapiner ? Je t’assure que c’est courant, pourtant. » Et une vanne, une. Il en était très satisfait, de telle sorte qu’il remonta les manches de son veston avec l’attitude d’un prince. « Je te ferais payer pour ta connerie. Non, une naissance est sur le point de se produire. »  « Et qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Même quand c’est moi qui engrosse, j’y assiste jamais. Va te falloir des arguments en béton. » Trevor s’invita dans le périmètre du Saraṇi, lui octroyant un coup perfide dans les fesses. « Imbécile. Je te parle de la naissance d’un grand guerrier élu par les Dieux eux-mêmes. Pas d'un roturier sans avenir. Ce petit sera l’incarnation du chaos plus tard. J'ai été chargé de préparer une petite fête, donc aide-moi. » Entendre ce fanatique mentionner les Célestes ne l’étonnait guère plus que ça. Il avait l’habitude d’en rajouter des caisses à ce propos, mais il savait aussi qu’il ne parviendrait pas non plus à se débarrasser de lui autrement qu’en l’assommant. Qu’à cela ne tienne, il se motiva. « Bien, bien, mais ça à tout intérêt à valoir le coup, sinon c’est dans l’arène qu’on se retrouvera. » Prenant son courage à deux mains pour trouver de l’entrain dans cette manigance, Deccio suivit les directives de son "ami" en décorant la pièce avec quelques banderoles à la con, en accrochant des objets servant à répandre des confettis et en préparant une grande table avec quelques boissons et de quoi se faire péter la panse. Il n'y avait nulle besoin d'en faire des caisses, ça suffisait amplement. Surtout que Trevor insistait maintenant pour aller assister à cette naissance.  « Tu m'emmerdes. » Malgré tout, il suivit nonchalamment son camarade. Non pas qu’il détestait les enfants, car certains démontraient une volonté et des talents plus avancés que certains adultes, mais les accouchements ne le captivaient nullement. En naissant, c’est là qu’ils étaient le plus fragiles. Il suffisait de tordre les doigts autour de leur cou et de leur serrer tout doucement pour le rompre.

Ce n’est qu’une fois l’adolescence atteinte qu’ils devenaient le plus désirables. Et il disait ça par expérience. C’est en effet durant sa puberté que le renard fit la découverte des principaux plaisirs que la vie ne réservait qu’aux adultes. La chair, le sang, la folie. Tout ceci prenait forme avec le temps. Quoiqu’il en soit, c’est au sommet d’une colline que son ami l’amena. Une naissance en altitude encadrée par des spectateurs, peu d’individus étaient autorisés à une telle mise en scène. « Il s’agit d’un noble de grande lignée. Il fera sans aucun doute partie de la prochaine génération de Kāmada Byāran. » « Tu m’en diras tant. » Une femme en son centre, celle-ci s’époumonait à pousser de toutes ses forces afin de libérer l’engeance sous le regard assisté de l’audience. Un type en harnachement royal se tenait devant elle en récitant ce qui ressemblait à une incantation démoniaque. Dans l’ordre comme dans le désordre, ils n’avaient aucun sens. Le bébé émergea au terme de plusieurs minutes. C’est fou comme il était moche. Un rituel s’en suivit à base de sang dont ils se servirent pour le maquiller et puis… sans prévenir qui que ce soit, ils jetèrent l’enfant dans le vide. « Attends… qu’est-ce qui vient de se passer ? » « Aucune idée… » Un géant se fit entendre derrière eux. « Oh, vous ne saviez pas ? C’est un sacrifice consacré à l'Oeil, afin de l’aider à recouvrer sa puissance endormie. Qui sait ce qu’il serait advenu de lui s’il n’était pas né à ce moment-là. » À quoi bon rimait cette mascarade ? Une offrande à un Dieu étiolée ? Ça ne reposait que sur de frêles spéculations. Deccio ne pouvait pas s’empêcher de qualifier cette cérémonie de gâchis. Tournant les talons, le blondinet s’éloigna. « Où vas-tu ? » « Me détendre dans l’arène. » Il devait absolument remettre de l’ordre dans cette hiérarchie chaotique. Il arriverait tôt ou tard à dégager ceux qui statuaient tout en haut pour ne préserver que les méritants.