Et une boule dans le trou, une. Deccio obtint ainsi son second point grâce à cette belle action. Ils étaient deux à pouvoir faire ça dans le monde ; lui et Bachibouzouk, une sommité dans le milieu du sport. Le renard s’amusait avec un vieux camarade à lui du nom de Chipster. Pour le décrire en trois mots : curieux, extravagant et indécis. Comme en ce moment même où il tournait autour de la table afin de faire un choix, pourtant sans conséquence. Ils s’affrontaient en effet à un jeu au beau milieu d’une terre hostile des Enfers. Le but était simple ; armés d’une canne effilée confectionnée à partir d’un métal infrangible, ils devaient frapper des pierres sphériques pour les amener dans un trou. Il fallait les y conduire dans un ordre bien précis. Ils devaient aussi régulièrement se défendre des créatures ennemies avec la tige en main. Pour comptabiliser les points, il y avait plusieurs facteurs à prendre en considération. Mais les deux hommes jouaient surtout pour le plaisir, sans d’autres prétentions que celles de passer du bon temps et de raconter des histoires. Tout du moins, c’était plus singulier que de le faire autour d’un verre dans une taverne. De plus, ils étaient servis par de plaisantes créatures aux courbes raffinées, de quoi mettre le Saraṇi en appétit. Accrochant ses doigts à la taille d’une de ses déesses, il la tira vers lui pour planter ses dents dans son cou. « Ramène-moi une boisson forte, et plus vite que ça. » Une tape sur les fesses en guise de stimulations, il attendait la prochaine action de son ami.

« Alors, raconte-moi la suite de ton histoire sur ce gamin prometteur. » Chipster étudia longuement chaque coin de la table. Il mit bien dix minutes avant de se décider sur l’angle de jeu le plus favorable. « Tu veux parler de Lucius, c’est ça ? » Deccio mentionnait très peu le passé, et rares étaient les moments où il s’exprimait sur quelqu’un d’autre que lui, plus jeune de surcroit. « Comme tu le sais probablement, il est mon neveu et je suis son oncle. » « Ça tombe sous le sens. »  « En vérité, je ne l’ai rencontré qu’une fois ou deux, mais il était déjà très téméraire pour son âge. Même parmi les Démons, il était très spécial. Il était relativement calme et mature. L’aura qu’il dégageait n’attirait pas seulement les proies potentielles, mais aussi les animaux, pourtant très intuitifs. C’était comme si un pouvoir latent sommeillait en lui. Je te dis ça, mais il laissait occasionnellement exploser sa rage. Et c’était quelque chose. » L’homme à la crinière blanche enfonça son arme entre les deux yeux d’une bête bondissante dont il se servit pour fracasser la prochaine. Il frappa ensuite la sphère, marquant un point de plus. « Ce type de tempérament est excessivement rare chez les nôtres. Que s’est-il passé après ça ? »

« Il y avait aussi son frère jumeau, un gamin du nom de Saul. Celui-là était clairement plus dérangé que le premier. Son caractère collait beaucoup à celui de son père, mais il était franchement plus instable. » À son tour, Deccio élimina les menaces avec son piquet, façon brochette de viande. Il tira son coup, mais manqua le coche, alors on lui offrit une pipe en compensation pour le détendre. C’était la moindre des choses. « Tu es radicalement plus doué avec ta bite, kukuku. » C’est vrai qu’il maniait le manche avec une dextérité exemplaire. Mais il n’avait aucun mérite, il était né avec son sexe en main, contrairement à cette canne. L’homme poursuivit alors son discours, entrecoupé de quelques gémissements. « Pour en revenir à nos brebis, je ne pense pas que Lucius soit mort. Il était certes connu pour être le fils du Diable, mais c’est pour cette même raison qu’il n’a pas pu se laisser avoir aussi bêtement. » Chipster hydrata son gosier d’un verre entier d’alcool. Hochant la tête pour lui faire savoir qu’il partageait son opinion, il rentra la dernière boule avec la banane aux lèvres. « Alors que dirais-tu de partir à la recherche de ce prodige ? Avec lui, nous aurions plus de chances de retrouver Zane. » Les bras tendus et une expression extatique se dessinant sur son faciès, Deccio fit part de son offrande à la jeune femme. Il agrippa ensuite sa tignasse pour la relever et l’embrasser avec ardeur avant de la congédier. « Bienvenue dans l’équipe. » Localiser l’héritier pour remettre la main sur le patriarche, n’était-ce pas dans la droite ligné de son investigation ?