Stenfek bourdonnait d’activités. Un Réprouvé était né de parents réprouvés et comme il s’agissait d’une situation inédite depuis de très nombreuses années, toute la ville célébrait ce miracle. Ils étaient nombreux à croire qu’Odon do Dur marquait la fin de la malédiction qui pesait sur la race des Réprouvés. Cette naissance en était la preuve, disaient-ils.
Puisqu’il passait le gros de son temps à rencontrer les très nombreux compagnons d’armes avec qui il combattit lors de cette bataille intemporelle, même Dhavala avait maintenant conscience des implications de cette nouvelle. Il fallut trois Réprouvés, beaucoup de bière et deux duels, mais l’Eversha avait fini par comprendre. Les naissances restaient rares dans la région, alors ce nouveau-né était deux fois béni. Sur ce dernier point, le changeur de forme était bien au fait de la situation. Voilà près d’un mois maintenant que l’Evergrim et sa compagne Wynmeris cherchaient à engendrer un enfant. C’était là un problème récent de dernières années, d’après les dires. Outre les nombreux problèmes occasionnés par cette baisse des natalités, cela signifiait que chaque naissance était d’autant plus précieuse. Et donc, des célébrations dignes de ce nom étaient de rigueur.
L’étrangeté d’Odon do Dur avait fait que personne ne connaissait les forces en jeu. Et donc, pour de nombreux combattants malgré eux, le retour à la normalité fut difficile. Dans la dernière semaine, en particulier, l’on cherchait un prétexte, afin de célébrer et d’évacuer le stresse suivant cette terrible bataille. Si personne ne semblait avoir péri, tous avec fait l’expérience de la mort, ce qui pouvait ronger les esprits de même le plus endurci des guerriers. L’on pouvait s’habituer à la guerre, mais pouvait-on vraiment s’habituer à sa propre mort ?
La chambre des changeurs de forme était exceptionnellement vide en cette soirée festive. Tous les prétextes étaient bons pour inviter les élus d’Odon do Dur aux nombreuses fêtes organisées indépendamment d’un bout à l’autre de Stenfek. Cela dit, Dhavala n’en accepta aucune. Au contraire, poussé par Échidna, c’est l’Eversha qui organisa sa propre soirée en l’honneur du nouveau-né réprouvé. Le changeur de forme aurait bien voulu se contenter d’engloutir autant de nourriture que possible, mais c’est justement pour ça que son amante lui avait forcé la main. La sang-mêlé voulait que son mâle s’élève au-dessus de la mêlée, qu’il se démarque des autres.
En réalité, c’était là une autre de ses astuces pour pousser Dhavala hors de sa zone de confort et le préparer à devenir un chef de meute. Une fois au Rocher au Clair de Lune, le tigre allait se retrouver confronté à bien d’autres chefs en devenir. S’il ne s’entraînait pas maintenant, les autres aspirants allaient comploter contre lui. Peu importait la force brute d’un chef, s’il ne pouvait s’entourer d’alliés fidèles. Tel qu’il était maintenant, Dhavala allait se retrouver isolé, et lui et sa petite meute deviendraient une proie facile pour des chefs assez ambitieux pour s’élever à son détriment. Ça, Échidna le savait, puisqu’elle l’avait vécu. Si elle avait alors compris ce fait, la changeuse de forme serait toujours à la tête de sa meute de monstres. Maintenant, elle allait s’assurer que son mâle ne répèterait pas les mêmes erreurs, que ça lui plaise ou non.
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La fête de Dhavala attira l’attention de plusieurs Réprouvés du coin. Non pas tant par respect envers l’Eversha qui s’appliquait à honorer le peuple qui l’accueillait si généreusement dans leur ville, mais plutôt pour goûter à la cuisine de ce dernier. Il n’y avait rien d’extraordinaire aux plats du changeur de forme, si ce n’est de leur exotisme. Stenfek ne produisait pas sa propre nourriture, alors que la nourriture offerte lors de la soirée de Dhavala avait été faite à partir des fruits de la chasse de l’Eversha. En d’autres mots, il s’agissait d’un avant-goût à ce que pourrait ressembler une Stenfek indépendante. Il s’agissait de viande locale, préparée localement, une lueur d’espoir pour les indépendantistes.
La chasse n’avait d’ailleurs pas été facile. Les Terres d’émeraudes étaient de vastes plaines. Il fallait aller loin pour se procurer du gibier digne de ce nom, ou dépenser beaucoup d’énergie à chasser suffisamment de petites proies pour compenser. Jusque-là, c’était le commun du chasseur. Cela dit, Dhavala eut près d’une semaine pour élaborer sa fête, ce qui était plus que bien des gens de la ville, mais peu pour une chasse en terrain inconnu.
Lors d’une cérémonie pour observer les signes de Phoebe, cérémonie à laquelle Échidna se joignait à contrecœur dû à son mépris persistent envers la Déesse de la Nature et de la Lune, l’Evergrim avait eu une vision d’une naissance imminente. Évidemment, la Wynmeris savait qu’elle ne serait pas la mère de cet enfant. Elle ne connaissait pas non plus l’importance qu’aurait ce nouveau-né. Cela dit, elle estima que c’était une occasion à saisir pour son mâle afin de faire connaître ses talents. Ce qui devait être un simple « remerciement » de l’hospitalité réprouvé se transforma en fête et les quelques plats se transformèrent en festin. Bref, la portion de viande que se réservait Dhavala lui fut confisquée pour l’occasion.
C’est au terme d’une longue et pénible chasse que Dhavala apprit la nouvelle. Non seulement il n’y aurait plus rien pour lui, mais en plus, il fallait qu’il cuisine encore plus que prévu. Cette fois, Échidna avait un argument de taille pour convaincre son mâle : le regard plein d’espoir du jeune Renart à l’idée que son mentor (et donc lui-même dans une moindre mesure) fasse l’objet d’admiration d’une foule. Évidemment qu’après un tel coup Dhavala ne pouvait plus reculer. L’Eversha tua donc ses proies, transporta ceux-ci, prépara leur viande, le tout sans pouvoir prendre quoi que ce soit pour lui, à moins qu’il y ait des restes après la fête.
La préparation de la viande fut beaucoup plus éprouvante que la chasse elle-même. Lors de la chasse, Dhavala pensait encore qu’il garderait la majorité pour satisfaire son propre appétit. Lors de la cuisson, il savait pertinemment qu’il risquait de ne rien retirer de son labeur, si ce n’est l’appétit satisfait de ses invités, qui grâce (ou à cause) de Renart, ne cessait d’augmenter. Le jeune garçon gagnait en importance avec le nombre d’invités, puisqu’il faisait partie des organisateurs de la fête, alors il était particulièrement motivé.
Ce festin pour commémorer la naissance de ce Réprouvé fut l’un des mieux réussis, si ce n’est le mieux réussi, de la carrière culinaire de Dhavala. L’Evergrim était très satisfait de sa cuisson et Échidna réussi à se procurer divers accompagnements. Elle convainquit d’ailleurs un tavernier de fournir la boisson et le lieu de la fête, en échange de tous les profits de la soirée. Il s’agissait du propriétaire de la taverne où Dhavala avait précédemment causé la perte d’une bonne partie du mobilier lors d’une rencontre avec un Réprouvé qui a dégénéré. Du coup, la clientèle habituelle du tavernier s’ajouta à la fête et l’Eversha accepta d’avance l’inévitabilité de l’absence de restes au terme de la soirée.
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Au terme d’une soirée festive, ou se mélangea partisans à l’indépendance de Stenfek, dégustateurs de cuisine eversha et habituels ivrognes d’une taverne locale, Dhavala reçu l’honneur de plusieurs adulations, il fut forcé dans diverses conversations et intrigues locales et la cible de plusieurs toasts pour des raisons de moins en moins logiques au fil de la soirée, alors que l’alcool coulait à flots dans les verres.
Sans avoir à gérer la nourriture de la soirée, le tavernier eut tôt fait de rembourser les pertes de son mobilier et accumula progressivement un intéressant profit dû à l’achalandage inhabituel de son établissement. Avant l’aube, Dhavala passa de voyou à partenaire d’affaires pour ce propriétaire. Qui plus est, Échidna comme Renart se plaisaient dans cette foule à prendre des airs de personnalité importante. En somme, cette fête était une réussite.
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Fin du RP libre
