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 [Q] - La confiance et la défiance pour gage de bonne foi | Solo

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Sam 09 Mai 2020, 20:59


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Intrigue/Objectif : Deccio doit partir à la recherche d'un loup géant, mais son état actuel ne le lui permet pas. C'est pourquoi il se rend dans un des Royaumes de l'Enfer pour espérer trouver du soutien auprès de l'un de ses anciens associés. Hélas, ce détour risque de lui coûter cher sur son temps.



La poudre au creux de sa paume circula silencieusement en un tourbillon frénétique avant de s’effondrer sur les côtés pour regagner sa source. Aux firmaments de ce désert accablé par les cendres des défunts, il méditait. Pourquoi l’homme se tenait-il devant cette immense étendue aride ? Car il était en proie aux doutes ? Non. La nostalgie peut-être. Il ne savait quoi penser des tracas passagers qui brouillaient son esprit résolu. Nombreux étaient les enfants du Diable à avoir trépassé tandis qu’il avait singulièrement échappé à la perdition. Enfin, dans un sens en tout cas. Les sacrifices auxquels il dut consentir furent au final bien plus sévères que celui des morts. Eux au moins, ils reposaient en paix.

Néanmoins, il devait mettre ces sentiments nocifs de côté et repartir du bon pied. Et pour ça, il était tenu de suivre scrupuleusement les phases de son opération. L’une d’entre elles consistait à collecter les biens de son frère, ce qu’il avait déjà partiellement accompli de par les quelques accessoires de modes d’ores et déjà en sa possession. La seconde étape, bien plus coton, comportait plus d'incertitudes puisqu’il lui fallait entrer en contact avec ce loup gigantesque qui accompagnait jadis ses vagabondages. Petit bémol ; ce monstre était susceptible de le gommer de la réalité d’un seul coup de patte. Et envoyer quelqu’un d’autre à sa place tiendrait de l'incohérence. Cette étape ne serait dans ce cas exécutable qu’avec le temps, lorsqu’il aurait recouvré un semblant d’aura prestigieuse. Ne lui restait donc que le plan C en prévision de tout ce qui suivrait une fois son objectif abouti. Convaincre cet homme ne serait pas chose aisée, mais il demeurait son unique voie de sortie. Sans l’apport de ses services, il serait contraint de renoncer et manquerait sans doute à son devoir de frangin.

Déterminé à aller jusqu’au bout de sa campagne, Deccio s’apprêta convenablement. Tenue correcte exigée, il logea ses deux armes fétiches à sa ceinture de sorte qu’il puisse y recourir à n’importe quel moment sans qu’elles n’entravent ses mouvements. Il noua ensuite plusieurs foulards de différentes couleurs autour de ses bras et ses hanches. Enfin, il fixa son diadème émeraude enjolivé d’un cœur sur son front. Maintenant paré pour le grand départ, le Démon émergea de sa caverne afin de se diriger où lui seul savait.

L’Enfer était pavé de mauvaises intentions. De nombreux maléfiques — surtout les plus émérites — avaient la chance de posséder des domaines qu’ils gouvernaient comme bon leur semble. Contrairement à des royaumes plus hospitaliers, ici la hiérarchie fonctionnait en grande partie par la force et l’intimidation. Un empirisme philosophique n’était bien entendu pas banni, mais il était plus que secondaire pour des primitifs de leurs espèces pour qui les jeux de vies et de morts étaient monnaie courante.

Le territoire dans lequel il se rendait actuellement prenait place à Vijñānada. Normalement, il était impossible d'y parvenir et de le traverser sereinement sans tomber sur des pièges inexorables avec pour spectateurs des créatures véhémentes, mais Deccio avait l’avantage de connaitre cet environnement comme sa poche puisque c’est là qu’il passait la majorité de ses journées du temps où son ombre funeste planait au-dessus les plus crédules. En empruntant des raccourcis et en déjouant quelques vicissitudes, le dément au cœur tendre entra très vite dans le vif du sujet. Dans un espace restreint où la mort pesait à chaque recoin, d’innombrables insectes de toutes sortes se rassemblèrent en un point. Elles grimpèrent ensuite sur un ectoplasme silencieux et s'enlisèrent dans sa gueule jusqu’à disparaitre dans sa gorge. Kor'oth apparut ; un démon à l’apparence sordide vêtu pareillement à un gentleman. Une barbiche noire, des yeux vairons — dont l’un opalescent et l’autre écarlate —, des dents effilées comme des aiguilles et des cheveux à la texture pailleuse. En somme, il en imposait de par ce qu’il dégageait plus que par son physique. Un écho rauque se manifesta, conduisant la terre à vaciller légèrement.

« Que veux-tu… étranger ? Je te conseille… de bien choisir… tes mots… » Sa voix était saccadée, s'interrompant fréquemment sur des mots clefs qui soulignaient l’importance de ces derniers. Deccio transpirait abondamment, ses genoux étant sur le point de flancher à cause de sa simple présence. Et ce malgré le fait qu’ils conservaient une certaine distance. « J’ai absolument besoin de vos services, Seigneur Kor'oth… De par votre réseau et vos facultés, je ne peux me tourner vers quelqu’un d’… » « Plus… un mot… » Deccio se tut. Il déglutit tout en reculant machinalement un pied. Son instinct de survie cherchait inconsciemment la fuite, ce qu'il savait impossible. C’était trop tard pour trouver une échappatoire. « Pardonnez-moi d’insister, mais j’ai vraiment besoin de vous. Je ferais ce que vous voulez. » « Bien… alors… tue-moi… » « Mais… vous savez que j’en suis incapable. » « Je ne le… répèterais… pas… » Le pire scénario se produisait. Défier son autorité signait son arrêt de mort, et mener une attaque relevait du suicide. Il devait trouver une issue, et vite.

Même s’il aurait préféré se tenir à l’écart de ce genre de phénomènes et de très loin, il était encore assez lucide pour savoir qu’il devrait obéir et mener une offense contre lui. Quitte à perdre un bras ou jambe, c’était toujours mieux que d’y céder la vie. En aucun cas il ne renoncerait à cette nouvelle chance donnée. Des brides de sa mémoire se combinèrent, s’enduisant d’un voile jusque-là oublié. Certaines pièces du puzzle retournaient à leurs places comme pour lui rappeler tout le chemin qu’il avait parcouru depuis. Pas moyen qu’il se laisse affecter par ce gros gorille. Kor’oth était incommensurablement puissant oui, mais comme tout à chacun, il disposait de friabilités bien réelles. Prenant son courage à deux mains, le Démon passa brièvement son index sous ses narines. Il inspira profondément, contracta ses muscles et se laissa guider par une expiration fugace. Ployant ses genoux, il se déversa sur la masse terrestre, gageant de sortir son arme au moment opportun en la faufilant progressivement entre ses phalanges moites. De l’autre côté, le large sourire du Démon imposait un optimisme engagé. Il n’avait rien à craindre. Son pouvoir de lecture était absolu. Il percevait les dix prochaines secondes très clairement. Le torse de ce blondinet impulsif serait bientôt perforé par sa lame d’acier. Plus que quelques mètres. Indistinctement, il bougea sur la droite et… une immense paroi translucide inhiba son assaut. Cette capacité ne lui était pas méconnue, elle venait forcément de lui. Deccio manqua quant à lui de réflexe pour la conjurer, c’est pourquoi il imposa une infime rotation à son buste pour concentrer l’impact sur son épaule gauche. La douleur fut assez déchirante pour le faire s’écrouler à terre.
« Tchaie aie aie… qu’est-ce que… »

Recourbé sur lui-même, le renard se redressa doucement en plaquant sa main sur son épaule encore endolorie. Ses yeux s’orientèrent immédiatement vers l’auteur de cette protection inviolable. Il trônait au sommet d’un roc inaccessible. Plusieurs signes distinctifs le caractérisaient ; un masque d’oiseau fardant son visage, une cape cramoisie flottant au gré du vent ligoté autour de son cou, un corps parsemé de longs poils grisonnants et des griffes suffisamment aiguisées pour sectionner la pierre comme du beurre. En vue de la tension ambiante, les deux individus se connaissaient probablement très bien. « Que me vaut… ta visite… Jawdeath ? » Deccio écarquilla les yeux. Ce nom. Même quand il siégeait encore au sommet, ce sobriquet résonnait fréquemment pour ses nombreux exploits systématiquement achevés sans bavure. Il s’occupait essentiellement de missions avec un taux élevé de mortalité et travaillait uniquement pour l’appât du gain du moment que cela profitait à ses affaires. Il n’avait aucun maitre et agissait toujours seul, et c’est sans aucun doute grâce à ce professionnalisme qu’il avait pu se bâtir une telle notoriété. « Si je n’étais pas intervenu, tu aurais commis une belle bourde. » Il descendit de son pied d’estrade avec pas plus de deux sauts. L’aura qui l’entourait était encore plus manifeste de près. C’était donc ça la malédiction des faibles ? Il aurait préféré ne jamais le ressentir, c’était terrifiant à plus d’un niveau.

« Explique… toi… » L’homme, ou plutôt la chose prit instantanément la pose en adoptant une posture en tailleur. « Si je ne m’abuse, il s’agit du petit frère de l’ancien Monarque Démoniaque, n’est-ce pas ? » Le premier interlocuteur observa silencieusement Deccio durant plusieurs secondes avant de lâcher un rire tonitruant pour le moins versatile. Il s’esclaffait de son immense bouche, manifestement réceptif à cette information quelque peu étonnante. « Toi… le frère de cette… bête ? Ne me fais pas rire… Il n’a pas une once… de ressemblance… » - « Je te l’accorde, en les comparant côte à côte ils n’ont rien en commun. Toutefois, j’ai eu le plaisir de négocier plusieurs fois avec Sir Azmog, et je peux te garantir que ce cloporte ici présent était autrefois à ses côtés. » - « Dans mes souvenirs… ce prétentieux… ne s’entourait pas d’êtres aussi… insignifiants… » - « Deccio Araki n’est-ce pas ? Tu as substitué ton nom pour des raisons évidentes. Très peu te connaissent et c’est mieux ainsi. » - « Peu importe qui il est… Qu’est-ce que ça change… ? La fraternité… ne fait pas un homme… » - « Nous sommes d’accord sur ce point. Zane était un génie dans son genre. Sa disparition a soulagé bien des dirigeants et atténué bien des maux. Je doute que notre peuple puisse se redresser de sitôt. Seulement… »

« Seulement… quoi ? » - « Je ne peux imaginer qu’un tel prodige soit mort. Si mon hypothèse s'avère exacte, ce louveteau est sûrement le seul à pouvoir le ramener parmi nous. » - « Je réitère ma question… et alors ? Je n’ai jamais eu d’affinité avec… cet animal… mon business se porte à merveille… avec… ou sans lui… » - « Kor’oth, te rappelles-tu de ce qu’est le Vināśada ābharaṇa ? » - « Cet objet dont on dit… qu’il peut réaliser n’importe quel souhait… et rendre les hommes immortels... Mais ce n’est qu’un mythe. » Le gloussement de Jawdeath semblait impliquer une autre réponse. « Même les légendes tirent leur inspiration d’une source avérée. J’ai longuement enquêté à ce sujet, et je peux t’assurer qu’il existe bel et bien. Un trésor rigoureusement préservé à Ārthika s’est volatilisé le même jour que cet homme. » - « Que proposes-tu ? » - « Faisons de Deccio notre émissaire. Un soldat que nous éduquerons pour qu’il s’élève au premier rang. S’il meurt pendant les missions que nous lui affecterons, alors c’est qu’il n’était pas digne. S’il parvient à dépasser ses limites, il est très probable qu’il puisse retrouver son frère. Quel que soit l’issue, c’est tout bénèf pour nous. » - « Hm. J’avais justement besoin... d’un moucheron dans ton genre... pour livrer l’un de mes clients... » « Alors marché conclu, partenaire. » Deccio avait écouté toute la conversation sans les interrompre. Que pouvait-il faire d’autre ? Devenir le subalterne de ces deux entités. Pour beaucoup, cela aurait été avilissant, mais pas pour lui. Il pouvait se servir d’eux autant qu’ils se serviraient de lui.  


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Sam 16 Mai 2020, 17:42


En acceptant d’être le chien des deux tentateurs, Deccio préconisait indirectement la sécurité individuelle. Il ne serait certes pas favorisé par leur armée ni même par leur bonté d’âme à priori utopique, mais s’il parvenait à faire ses preuves et à devenir un homme de main utile voir indispensable, il pourrait éventuellement se les mettre dans la poche. Le renard auparavant volubile qui ne reculait devant aucun danger devait reconnaître son infériorité et suivre la loi du plus fort. Personne ne pouvait lui échapper. Après plusieurs minutes à s’être mu dans le silence, ce dernier approuva d’un signe abréviatif de la tête. Son poing frappa résolument son torse, près du cœur. « J’accepte volontiers de vous servir, vous et vos intérêts. Ce n’est pas comme si j’avais le choix de toute façon. » Cette ultime réaction ne leur était pas destinée. Il s’était contenté de la marmonner dans sa barbe. « Bien… mais que les choses soient claires… gamin… » Jawdeath se leva avec un panache peu naturel, ses membres se mouvant de manière désynchronisée, telle une machine guidée à distance. « Si nous estimons que tu n’es pas à la hauteur ou que tu échoues ne serait-ce qu’une seule fois, nous nous débarrasserons personnellement de toi. » Il ne plaisantait pas. Cette chose avait les capacités exemplaires pour le poursuivre indéfiniment sans fatiguer si jamais il lui venait à l’esprit de tenter quelques maladresses que ce soit. Ces grandes jambes ainsi que ces bras fuselés, à en juger par son apparence et les arsenaux qu’il disposait dans son dos, il opérait en tant que traqueur d’élite. Probablement un des rescapés de l’ère de la renaissance du Dieu Roi. En d’autres termes, ils n’étaient rien de plus que des armes de guerre prédestinés aux exécutions.

De toute façon, il ne pouvait envisager un seul instant se frotter à ce type d’adversaires. Le premier démon lui confia sa première tâche en lui balançant un sac. Celui-ci était léger et contenait quelque chose de sablonneux à l’intérieur. « De la drogue oui. Tu vas devoir en prendre soin et la porter jusqu’au refuge de Vanthar le vicieux, qui gît en ce moment même dans les tréfonds d’Ānanda » Un poste de coursier donc. Quelque chose lui disait que ça ne serait pas aussi simple que ça. Il se demandait pourquoi ils ne s’en occupaient pas personnellement. Avec leurs pouvoirs, c’était chose aisée. Il n’eut pas besoin de s’enquérir des motifs, son employeur répondit comme s’il avait lu dans son esprit. « Normalement, notre territoire ne possède pas la main mise sur ce marché. C’est pourquoi il est de ton devoir de la livrer au péril de ta vie sans qu’on ne sache comment et pourquoi. Comme tu es un soldat oublié, personne ne devrait te soupçonner. » Le suspecter non, mais lui chercher des noises, c’était une autre histoire. Ses chances de survie à parvenir jusqu’au point de vente étaient proches du néant. Son état actuel ne lui permettait aucunement de se battre contre des bandes organisées. Mais bon. En trompant par la ruse, il s’en sortirait. Sans cette infime expectative, il perdait avant même d’avoir essayé. « Bien. Je vous promets d’accomplir ma mission. Mais une fois que j’aurais terminé cette course, j’espère qu’on pourra discuter de nos… tarifs. Si je puis dire. » Dit-il en s’effaçant gentiment de leur champ de vision. « Et bien. Il ne manque pas d'air. Cette attitude me plaît, elle est digne des grands. » « Si tu le dis. » Grogna le promoteur en crachant de sa salive sur la paroi adjacente. Elle se détériora aussitôt sous le regard malicieux de son acolyte. À présent seul, sans même la compagnie d’un chiot pour l’épauler, son aventure prenait un tournant. La moindre erreur pourrait lui coûter cher.

Dans un premier temps, Deccio invoqua un portail pour écourter son trajet. Il ne pouvait pas le projeter bien loin à cause de sa carence en magie, mais aussi par son absence de notions dimensionnelles. Bien que la livraison ait lieu en enfer, elle prenait place dans l’un des royaumes les moins praticables et celui qu’il avait le moins arpenté de sa vie : le quartier des affaires. Celui où le plaisir influençait le cœur des voyageurs. L’économie avait pas mal sombré depuis l’invasion, c’est pourquoi l’ambiance n’était plus aussi chaleureuse qu’avant. Certains bâtiments avaient perdu de leur éclat et la plupart des établissements liés à la chair et aux jeux avaient fermé boutique pour une durée indéterminée. D’ordinaire, il n’aurait eu aucun mal à errer à travers cette route, mais les choses étaient un peu différentes maintenant. Le génocide, en dehors des victimes collatérales, avait brisé la volonté de plus d’un Démon en plus d’avoir enduré la capture d’un nombre considérable. Lui qui n’était pas présent lors de l’assaut avait échappé à cette emprise, c’est pourquoi il était le même qu’autrefois sur le plan psychologique, bien que restreint par des aspects plus techniques. Ce panorama maussade qu’il avait en face de lui aurait presque pu lui tirer la larme à l’œil si seulement il avait ressenti de la peine pour ses congénères. Mais l’immense déroute qu’ils avaient subie, ils en étaient entièrement responsables. C’était même étonnant compte tenu de l’avantage incontestable qu’ils eussent avant la bataille. Qui que puisse être leur nouveau Roi, essuyer un déshonneur de cette ampleur dès son premier commandement était la pire chose qu’il pouvait lui arriver. Il était impensable que quiconque puisse le vénérer bien longtemps sans tenter de lui prendre sa place. En jouant ses cartes correctement, Deccio pourrait probablement extraire quelque chose de ce faux pas. Mais pour espérer y parvenir un jour, il devait se tenir à son rôle actuel sans se préoccuper des affaires d’État. Il y serait de toute façon très vite affilié, d’une manière ou d’une autre.

Afin de ne pas s’éterniser dans des introspections futiles sans queue ni tête, le mercenaire à la mèche blonde jeta un ultime coup d’œil à la présence de son colis. Suite de quoi il s’engagea dans ces — anciens — beaux quartiers. L’Enfer étant toujours ce qu’il est, il assista à de nombreuses agressions et escroqueries vis-à-vis de certains étrangers, mais également contre les habitués qui se croyaient plus malins avant de se réaliser leur erreur. Pour sa part, il évitait scrupuleusement de s’enfoncer dans les coins les plus malfamés en se dirigeant intentionnellement dans le secteur des divertissements où les sévices étaient prohibés. Sacrés chez les Enfants du Diable, les duels de ce genre étaient aussi glorifiés que la force pure. Un Démon sachant jouer est un Démon sachant prendre les bonnes décisions au bon moment. Et bien sûr, souvent apte à user de perfidie pour tricher ; qualité essentielle pour tout contribuable du chaos. Toute proportion gardée, ce n’était pas si différent de la chasse sous bien des aspects. Toutefois, lorsqu’il s’approcha du bâtiment concerné, il remarqua qu’une cohue avait lieu. Plusieurs vociférations inaudibles semblaient provenir de l’intérieur. Plus il diminuait la distance, plus il entendit la dispute prendre de l’ampleur. En jetant un œil avisé et discret à l’encadrement de la porte, les faits ne pouvaient être plus limpides. Quelques personnes tenaient en joue un couple d’individus tandis que d’autres invectives jaillissaient à l’encontre du gérant. Certains responsables étaient mis en porte à faux. Hélas, en arrivant en plein milieu, il lui était difficile de comprendre les tenants et les aboutissants de ce capharnaüm. Toutefois, il était très curieux de savoir de quoi il en retournait. Et un homme attira particulièrement son attention. Il était plus calme que tous les autres.

Il se démarquait en raison de son accoutrement, mais aussi d’après son attitude distincte à celle de ses semblables. Sa manière d’observer et de réagir dans le calme laissait à penser qu’il manigançait quelque chose, mais en s’approchant davantage, Deccio entra sans faire exprès sur le devant de la scène. Et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agissait de la scène du crime. Un meurtre avait en effet été commis, et même si cela était chose courante en Enfer, ce n’était pas le cas ici où la loi fonctionnait autrement que par un vulgaire règlement de compte. D’autant plus qu’en tendant l’oreille, il comprit vite l’enjeu. L’homme qui avait été assassiné était à la solde d’un haut dirigeant de l’armée des seigneurs, et plus particulièrement d’un Kāmada Byāran lié. Celui-là même qui incarnait la cruauté ; Kraurya. Si l’affaire s’ébruitait — et elle finirait par l’être — le premier tenu pour responsable serait le dirigeant de ce royaume en la personne de Dēśadrōhi . Autrement dit, de quoi causer un conflit interne en des temps où il était préférable de les éviter. Un des fidèles qui stationnait près de Deccio prit la parole. « C’est un accident, je l’ai vu. Il s’est soudainement mis en colère lorsqu’il a perdu la partie. Ensuite, il s’est levé de son siège et s’est lui-même donné la mort. » L’homme en imperméable interrompit tout de suite la conclusion manifestement un poil trop hâtive du témoin. « Impossible. La plaie qui a été infligée au niveau de son thorax n’aurait pas pu être exécutée par la victime. L’angle et la trajectoire ne sont pas naturels. C’est bel et bien un meurtre. » C’était donc ça. Il s’agissait d’un détective en service, et plutôt émérite à première vue. Ce genre de profession était peu renommé au sein de ce monde. Et pourtant, ils étaient les plus à même de distinguer la vérité, sans le moindre artifice. Du point de vue de Deccio, ils étaient les plus fins stratèges, à la fois capable de déceler la psychologie des gens et de décrypter leur environnement pour faire en sorte que tout coïncide. Pour un être dont le mensonge est son quotidien, assimiler son concept opposé lui serait probablement d’une grande utilité.

C’était décidé, il se servirait de cette opportunité pour observer et apprendre. Après tout, même lui avait besoin d’un emploi stable. Forger son corps et le mettre à l’épreuve était chose aisée. Le faire avec l’esprit était plus délicat à moins de diriger fréquemment des troupes en période de guerre. En visant ce titre, il s’assurait de devenir encore meilleur. Audacieusement, il s’approcha donc de l’individu afin de l’interpeller.  « Vous semblez avoir de l’expérience. Ça vous dit pas de former un apprenti ? » L’enquêteur l’observa de la tête au pied. Il faut convenir que ce n’était pas très courant comme façon d’aborder les inconnus. D’habitude, les personnes qui occupaient cette fonction n’étaient pas très encensées à cause de la magie et de tout ce qu’elle consentait à produire sans efforts. « Tu ne préfères pas apprendre quelques sorts psychiques, petit ? Ce métier est voué à disparaître, tu sais. » Le rictus du blond émergea de sa tanière. « Je ne suis pas d’accord. La prestidigitation ne dépassera jamais l’homme. Le cerveau est si complexe que nous sommes très loin d’avoir percé tous ses secrets. Si nous l’exploitons, notre efficacité augmente drastiquement. Ce n’est pas le cas des sorts qui sont limités dans le temps et qui manquent de fiabilité. Nous naissons tous avec un minimum d’intellect, y compris les Humains. La magie est plus anecdotique, même si bénéfique, j’en conviens. » Un gloussement discret s’échappa d’entre les lèvres charnues de l’inspecteur. « C’est la première fois que j’entends un avis à la fois si rationnel et déraisonnable. Surtout venant d’un jeune ignorant. Toutefois, je suis d’accord pour te laisser carte blanche. Enquêtons tous les deux de notre côté et prends-en de la graine. S’il s’avère que tu parviens à avoir un seul bon raisonnement, peut-être aurais-je la bonté de te donner un ou deux conseils. » Un novice contre un maître de longue date. Que le duel commence.


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Mar 26 Mai 2020, 22:16


Deccio aurait bien voulu dégainer son carnet de notes pour faire bonne figure, sauf qu’il n’en possédait aucun. Indubitablement, cet objet ferait partie de ses prochains achats. Un forgeron sans son marteau ne peut pas prétendre en être un. Tout comme le cuisinier ne se séparait jamais de son couteau fétiche, il devrait également avoir sur lui une panoplie qui le relierait directement à ce pour quoi il exerçait. Toutefois, il n’était pour l’instant qu’un bleu sans aucun insigne ni diplôme susceptible d’étaler ses distinctions. Il débutait, et par conséquent il devait faire ses preuves, tant par la qualité de son sens de l’observation que par la cohérence de ses déductions. L’homme qu’il avait imprudemment défié officiait parmi les meilleurs de sa génération. Peu d’individus prenaient encore le temps de raisonner comme il le faisait. En ça, le Démon pouvait certifier sans honte qu’il l’admirait. De son point de vue, établir une multitude de connexions variables sans fausser les faits et ne pas inculper un innocent le tenait en respect. Il s’agissait ni plus ni moins que d’une lecture avancée du terrain et surtout des détails disséminés sur toute la scène. Et parfois au-delà. Cette manière d’assembler les pièces du puzzle entre elles soulevait un tas de questions chez l’homme. Rien que d’y penser, une migraine monstre assaillait son crâne déjà bien absorbé par l’épreuve qu’il s’était infligée. Le trop-plein d’informations était bien plus éprouvant à gérer que prévu, sans parler de la pression qu’elle suscitait. Au pire, il échouait oui, mais pouvait-il se le permettre une fois de plus ? Quoiqu’il en soit, se concentrer dans de telles conditions requérait énormément d’attention, surtout dans un climat aussi grouillant. Il devait apprendre à faire le vide afin de raisonner le plus correctement possible. Soudain, la rugosité d’une main sur son épaule le fit sursauter. Elle était tiède, vigoureuse et réconfortante. L’inspecteur sortit ensuite une cigarette d’une pochette en cuir, la portant à ses lèvres.

« Ne te fais pas du mouron, soldat. Se fondre dans l’atmosphère pour un détective est comparable à la pression que ressent un guerrier en première ligne. Contente-toi de faire de ton mieux. N’essaie pas de brûler des étapes et tu grandiras sans t’en rendre compte. » Il avait raison. Quels que soient ses efforts, atteindre des hauteurs trop élevées relevait d’un orgueil sans mesure. Cependant, il devait malgré tout convoiter l’excellence. Dans le meilleur des cas il y arrivait, dans le pire il s’améliorerait de manière exponentielle grâce à l’échec. Deccio approuva d’un signe de la tête, répondant d’un sourire discret et amusé à cet encouragement pour le moins propice. « Vous ne devriez pas réconforter votre futur rival. Je m’en voudrais de voler votre source de revenus dans un futur proche. » « Bwahahaha ! Ne t’en fais pas pour moi. Le jour où un bleu aussi effronté que toi me doublera, je jure devant les dieux que je prendrais ma retraite. » « Alors que le meilleur gagne. » « Bien dit. » Bon. Mais par où commencer ? D’instinct, il aurait bien inauguré des recherches sur le corps, mais celui-ci était déjà prisé par le professionnel. Dans ce cas, l’alternative qui lui vint en tête fut celle d’interroger quelques témoins.

Restait à savoir qui avait vu quoi et s’il pouvait vraiment se fier à une telle clientèle. L’homme qui avait pris la parole un peu plus tôt avait sans doute de quoi lui fournir plus de détails. Il se tourna vers lui, tapotant son dos de manière à ce qu’il se retourne. « Si vous le permettez, j’aurais besoin de vous poser quelques questions. » « Hm. T’es qui, au juste ? Je t’ai jamais vu dans le coin. » Il tapait dans le mille. Sans expérience à la clé, il ne pouvait pas vraiment être pris au sérieux. Sans se laisser démonter pour autant, il poursuivit sur sa lancée. « Écoute. Dans l’intérêt de tout le monde, il faut qu’on règle cette affaire. Et au plus vite de préférence. » « Mouais, c’est pas faux. J’ai pas non plus envie que les Seigneurs viennent mettre leurs grains dans cette histoire… bon OK. Qu’est-ce que tu veux savoir ? » « Plus tôt, tu as affirmé que ce type s’était lui-même donné la mort. Or de ce que j’ai compris, c’est pas vraiment envisageable. Pourquoi ? » « Parce que c’est vrai. Ce mec était comme possédé. J’ignore pourquoi il a changé d’humeur à ce point, mais les faits sont là, ce gars a clairement perdu la boule après la partie. » « Même moi j’arrive à comprendre que le timing est trop bon pour que cette soudaine hystérie soit simplement due au hasard. » « Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? On l’a peut-être intoxiqué. C’est facile dans une taverne. » Du poison ? Il n’avait pas tort. Les bars étaient souvent bondés, et noyés dans le bruit, c’était un jeu d’enfants que de verser une substance quelconque dans un verre, pourvut d’avoir ses deux mains. Mais alors quid de la blessure sur son torse ? De l’angle erroné par son supposé suicide et de sa mort insolite ? En observant autour de lui, l’amateur d’énigmes aperçut un trou dans l’une des fenêtres de l’entrée. Sa découpe paraissait… trop symétrique, comme si quelqu’un avait sciemment préparé cet interstice en vue de mettre en place quelque chose.

Deccio s’approcha pour l'examiner plus soigneusement, appliquant son index dessus pour essayer de déterminer l’outil ou la magie employée. Sans succès. Il manquait beaucoup trop de connaissance dans ce milieu pour émettre des hypothèses. Peut-être que s’il suivait un semblant de trajectoire, il finirait par tomber sur un élément intéressant de l’enquête. Mais par où commencer ? Le sol était intact — du moins autant que puisse l’être un tel dépotoir — et aucun meuble ne se trouvait à une place inappropriée. En passant d’une table à l’autre, il ne constata aucune anomalie sur les verres non plus. L’absence de trace ne lui révèlerait de toute façon rien de plus, sinon que le poison avait de grandes probabilités d’être indétectable. En y réfléchissant bien, si le meurtrier était un professionnel, il y a peu de chances qu’il avait pu laisser l’ombre d’une preuve tangible quelque part. Enfin, lorsqu’il put examiner le corps, il ne découvrit rien de plus concluant. Sa casquette était de travers ; une conséquence de sa chute probablement. Son visage ne révélait aucun hématome et la seule plaie — saillante en tout cas — se trouvait bien au niveau de son torse. Ses vêtements ne présentaient rien de suspicieux. Ils étaient plutôt en bon état, bien que légèrement délabré par le temps. Malheureusement, le reste ne l’interpellait pas davantage.

Les indices qu’il avait pu collecter jusqu’à maintenant étaient maigres. Bien trop maigres. Tout au mieux, à ce stade de l’enquête il pouvait éventuellement mettre en avant quelques pistes, les formuler et si besoin corriger ses erreurs d’inattention, mais… il manquait affreusement de données pour faire correspondre l’ensemble en une vérité solide. Faute d’idées, Deccio retourna près de l’inspecteur chargé de l’affaire, ou en tout cas celui qui s’était trouvé sur place dès le départ. « Bon, je crois que j’ai fait le tour. J’ai surement raté des tas de choses j’en suis conscient, mais même en manifestant ma meilleure volonté, je n’arrive pas à grand-chose. » L’homme resta silencieux quelques secondes. Il était calmement assis sur une chaise du comptoir, un verre à la main qu’il remuait à son gré. Sa méditation terminée, il daigna poser les yeux sur lui. « Tu croyais dénicher le coupable ici en ayant investigué aussi peu ? Dis m’en plus sur ce que tu as appris. » « Et bien… j’espère au moins avoir trouvé quelques pistes, mais… Ce n’est pas très consistant. Puisque vous avez soulevé l’hypothèse d’un assassinat, j’ai d’abord pensé qu’un dispositif affûté avait dû être utilisé. L’entaille sur son torse est assez profonde, mais comme il n’a pas pu se l’auto-infliger et qu’aucune arme ici présente n’est souillée par le sang alors… » Deccio revint au niveau de la fenêtre dans le but de lui transmettre au mieux son argumentation. Il désigna l’impact, pas gros plus qu’une pièce. « Puisqu’un témoin dit l’avoir vu sombrer dans la démence et que je n’ai rien remarqué d’anormal en dehors de cet espace, je pense que le tueur n’est pas là. Il a sans doute tiré depuis l’extérieur, par le biais d'une fléchette empoisonnée ou bien un sort de précision. Selon moi, c’est ce qui l’aurait rendu fou. De plus, j’ai noté la présence de sang sur une bonne partie de cette tranche du comptoir. » Il se dirigea donc vers l’endroit en question. Sur le flanc, l’arête du bois comportait effectivement une trace plutôt nette sur toute sa longueur. « Voilà ce que j’en pense. » Selon lui, le tueur était déjà loin. Il n’avait même jamais posé les pieds dans le bar.

L’inspecteur analysa calmement de son côté, non seulement l’espace, mais toutes les pistes dégotées par le bleu. Il retourna ensuite vers la victime en baissant son col, permettant l’accès à son cou. « Intéressant, mais… il n’a aucun stigmate prouvant qu’une fléchette l’a touché. Et pour la magie, c’est pareil, elle laisse toujours un résidu qu’il est facile d’identifier après des années de pratique. C’est la raison pour laquelle les assassins recourent très peu à la sorcellerie. On peut les pister plus aisément. » Sa première théorie renversée en si peu de temps. Voilà ce qu’était donc l’excellence d’un maître. [color=#ff6600] « Quelqu’un aurait donc versé quelque chose directement dans son verre ?  « Non plus. Ses lèvres sont sèches, donc il est mort avant même d’avoir eu l’occasion de boire. De plus, la teinte de son épiderme est sans disparité. L’empoisonnement est à exclure sous toutes ses formes. » « Mais dans ce cas… » « Quant à ce que tu as pris pour du sang, c’est de la rouille. Des résidus de métal sont discernables. J’imagine qu’un homme bien portant muni d’une armure se trouvait là un peu plus tôt dans la journée. » « Je ne comprends vraiment plus rien. » « La vérité c’est que cet homme est mort bien avant d’avoir pénétré ces lieux. Quelqu’un l’a sans doute manipulé pour mettre en scène cette représentation. Plutôt réussi je dois dire. » « Mais je croyais que la magie laissait des traces compromettantes ? » « Certaines formes oui. D’autres sont plus alambiqués, c’est pourquoi elles nécessitent du matériel supplémentaire. Il faudrait approfondir les analyses. Quoiqu’il en soit, cette affaire n’est pas terminée. L’impact qu’il a laissé sur cette vitre est intentionnel. Il cherche à me défier. » Manifestement, le détective avait des suspicions sur quelqu’un en particulier. Son regard ne trompait pas. « Nous nous reverrons certainement, Deccio. En attendant, tâche de ne pas te précipiter. Le secret pour comprendre un tueur, c’est d’en devenir un. » Le démon resta bouche bée. Comment connaissait-il son identité ? Après avoir retrouvé ses esprits, ce dernier avait disparu. Il s’empressa d’aller à l’extérieur, mais ce fut trop tard. Il avait tout juste eu le temps de donner des consignes au tenancier, et le voilà qui s’était envolé. Quel homme mystérieux. Et fascinant. Ils se reverraient, et sûrement bien plus vite que prévu.


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Lun 01 Juin 2020, 13:47


Cette brillante démonstration avait quelque peu ébranlé le doux renard cuivré. En cherchant à comprendre ce monde de la vigilance et à l’appréhender, il avait été servi. Cet homme, Gordon Burnham, il n’était pas près de l’oublier jusqu’à leur prochaine confrontation. En ayant été le témoin de sa technique, Deccio en était désormais persuadé ; ce métier deviendrait le sien. Et il ne mirait pas n’importe quelle place, mais bel et bien le sommet. En tant que Démon cherchant à créer plus de problèmes qu’à les résoudre, son plan de carrière se dessinait droit devant lui. Les détectives émérites avaient ça de particulier qu’ils étaient capables de voir ce que les autres ne percevaient. Par conséquent, lorsqu’il en aurait les compétences, il concevrait un carnet. Mais pas n’importe lequel. Non, un cahier qui renfermerait tous les secrets des plus grands pontes de ce monde. Des confidences inavouables qu’il serait préférable de garder au plus loin de la populace pour ne pas subir le contrecoup de la honte et du déshonneur. En s’en servant avec parcimonie, il pourrait ainsi parvenir à ses fins en les mettant dans sa poche. Le carnet des menaces ; voilà bien la future invention du Diable. Un artefact simple, sans recours à la magie et sans prétention particulière, mais dont les conséquences pourraient s’avérer désastreuses pour les victimes présumées. C’est pourquoi il annexerait une autre profession à celle-ci ; celle de stratège. En joignant ces deux exercices et en atteignant le point culminant de leurs connaissances réciproques, il deviendrait une épine à prendre au sérieux. Quelqu’un susceptible de renverser une situation à n’importe quel instant en révélant ses cartes pièges au moment le plus propice. Ce rêve, non seulement accessible, lui plaisait énormément. Elle reflétait parfaitement son attitude, sa personnalité, mais aussi la hauteur de ses appétences.

Quoiqu’il en soit, avant de toucher l’excellence dans ces deux matières, Deccio devait d’abord gagner la confiance de ses pairs en affairant pour leur compte. Cette interruption momentanée avait finalement rechargé ses batteries, conséquence probable d’une passion naissante qui agitait ses sens de prédateur potentiel. Il remplirait sa mission coûte que coûte, sans quoi il resterait indéfiniment l’ombre de lui-même. Pour se faire, le Démon reprit le chemin qu’il s’était engagé à suivre en empruntant les escaliers qui menaient directement à la cour supérieure, là où résidaient les plus influents de son espèce, ceux qu’il valait mieux séduire que contrarier si on ne voulait pas être chassés des terres ludiques. Cela faisait des décennies qu’il n’avait pas posé le pied dans cette région où la tension devenait toute autre. Le climat hostile l’accablait à cause de sa stature pitoyable en l’instant présent. C’était du même degré que de gravir une montagne par la seule force de ses bras et être conscient que la moindre erreur pourrait lui être fatale. Néanmoins, bien qu’il suait à grosses gouttes, le préposé atteignit sa destination. Autour de lui, des individus de toutes races — souvent maléfiques — entraient et sortaient des bâtiments comme dans une fourmilière. C’était bien le centre nerveux des affaires, celui où la plupart des négociations avaient lieu, qu’il s’agisse d’alliances fortuites ou de simples échanges de prestations. De nombreux secrets étaient enfouis dans le cœur de cette cité, des cachotteries que même les figures aristocratiques ignoraient. Si Deccio avait dû prendre une porte au hasard et négocier malencontreusement avec la mauvaise personne, il ne fait aucun doute qu’il serait ressorti les deux pieds devant. Peut-être pire encore, il n'aurait jamais revu la lumière du jour. Mais par chance, les deux Démons lui avaient parfaitement indiqué la marche à suivre pour éviter de se fondre dans une maladresse meurtrière. Sur les façades, il repéra un symbole à peine visible si on manquait d’attention ou qu’on méconnaissait le principe : un sanglier estampé sur un des pans de la frise, laissé en contrebas telle la signature d’un grand artiste.

Même s’il savait qu’il ne craignait pas grand-chose en théorie, il ressentait une pression incroyable. Il était presque sur le point de se raviser jusqu’au moment où il frappa à deux reprises distinctement. Après quelques secondes à écouter la quiétude imposée, la porte se déploya d’elle-même, l’invitant à entrer. Ce qu’il fit, modestement. D’un pas réticent, il passa le seuil, suite de quoi l'accès se referma soudainement après lui, ne manquant pas de le faire tressaillir. L’intérieur était plutôt cosy, incroyablement relaxant. Sans doute la fumée n’y était pas étrangère, puisqu’elle exprimait les senteurs d’une drogue extrêmement puissante de leur monde. Il avait oublié le terme exact de cette substance, toutefois il était bien renseigné sur ses effets apaisants qui servaient entre autres à la torture de bien des façons. Brusquement, alors qu’il fut bien incapable de le distinguer avant ça, un homme claqua des mains. Il était assis sur un siège plutôt onéreux, habillé de vêtements tout aussi prestigieux qui évoquaient sans mal de quel côté de la classe sociale il se trouvait. Il était accompagné de deux gardes du corps — en tout cas ils en avaient le profil — avec lesquels il conversait dans la langue démoniaque. A cette distance, impossible de savoir de quoi ils s’entretenaient, et il préférait ne pas être tenu au courant, du moment qu’il pouvait compléter sa course et se tirer de là au plus vite. Lorsqu’il daigna enfin s’adresser à lui, il apposa une poudre violacée dans un tube en bois, lequel il referma par une feuille pour ensuite la coincer entre ses dents. « Tu es sûrement l’envoyé de Kor’oth, ce bon vieil extorqueur. Comment se porte-t-il dans son miteux royaume ? Toujours à faire faire le sale boulot à ses pigeons à ce que je constate. Un garçon avide et prudent, je ne peux pas lui en vouloir. Tu sais, lorsqu’on était jeune lui et moi, on a fait les quatre cents coups ensemble. Dommage que nos chemins aient dû se séparer, ça m’a brisé le cœur jadis. Il se trouve que… » Deccio écoutait, impuissant face au discours du chef de gang. Il était au courant de la volubilité de certains Démons, mais lui jouait dans la première division. De toute façon, il ne pouvait rien faire d’autre que de prêter attention la fin de son monologue, quitte à lutter contre l’ennui. « … et c’est là qu’on les tous les deux baisés en présence de ces deux gazelles. Gya gya, je peux te garantir qu’elles ne l’ont pas vu venir quand je l’ai sortie. Et qu’elles ne l’ont pas oublié non plus. Aaaah, j’ai l’impression que c’était hier l’époque où nous étions connus comme les deux bouchers des profondeurs. » Les Démons avec un statut élevés avaient ça en commun qu’ils étaient soit de vrais aliénés dépouillés de tous sens de la modération, soit des excentriques aux exagérations burlesques. En d’autres mots, c’était carrément une dimension euristique qu’il fallait savoir encaisser pour éviter de se retrouver sur le carreau.

Son aparté s’éternisa, entre ses anecdotes à propos de Déchues qu’ils avaient fourrées lors d’une cérémonie religieuse ou encore d’une soirée qu’ils avaient organisés dédiés à faire des concours tous plus frivoles les uns que les autres. Un vrai spécimen comme il en existe rarement. Mais parce que toutes les bonnes choses avaient une fin, celle-ci ne dérogeait pas à la règle. Il enchaina sur un ton bien plus grave. « Montre-moi ce pour quoi tu as fait tout ce chemin. » Deccio s’exécuta et décrocha le fourre-tout du mousqueton pour le remettre au trafiquant. Sans dire mot, il examina le produit, le renifla et en vint même à agiter le sac pour le soupeser. Il ne laissait rien transparaître quant à ses émotions, mais quelque chose indiquait à Deccio qu’il devait se méfier. Était-ce dû aux deux gardes qui regardaient impassiblement dans sa direction, ou bien le comportement suspicieux du patron qui puisa quelque chose à l’intérieur du tiroir de son bureau ? Dans les deux cas, ça ne sentait pas très bon. Et de toute façon, rien ne lui permettait de se dérober subtilement à cette nouvelle déconvenue. Armée d’une sarbacane et d’une vélocité ahurissante, ce dernier cracha un projectile qui se planta sur ses cervicales. Aussitôt pris de picotements désagréables, des démangeaisons s’en suivirent, forçant le renard à se gratter la gorge jusqu’au sang sans pouvoir émettre la moindre lamentation. Sa voix était comme scellée, son pharynx brûlant par les flammes de l’enfer. Les symptômes se multipliaient, mais le pire de tout, c’est sa vue qui s’altérait. Sa perception était devenue si chaotique que même en fermant les yeux, réalités et hallucinations s’associèrent. Quant aux signaux auditifs qu’il captait, c’était d’une véritable confusion sans noms. « Tu pensais qu’il te suffirait de venir et de repartir comme si de rien n’était ? La raison pour laquelle tu as été désigné, c’est parce que tu es un pion sacrifiable. Ta mort n’affectera rien ni personne. Tu es le sujet de test idéal. » Ces deux enfoirés l’avaient envoyé à l’abattoir ! Une mission suicide qui ne visait pas à le mettre à l’épreuve, mais bel et bien leur satanée poudre.

D’un mouvement circonspect de la tête, le baron ordonna à ses deux hommes de main de passer à l’action, mais hors de questions qu’il se laisse marcher dessus sans rien faire. Deccio ne perdit pas un instant et décampa rapidement de la tanière. Il avait préalablement repéré son emplacement en mesurant la distance et sa portée avant de se faire droguer. Manquant de tomber à chaque pas qu’il effectuait et titubant comme un vieil ivrogne, le démon traçait sa route sans s’arrêter. Privés de ses repères, il s’agissait de son unique voie de secours. Peu importe où il irait et dans quel endroit il s’écroulerait, il lui fallait juste courir, courir et toujours courir. Sa vision psychédélique ne lui octroyait pas la clé de compréhension nécessaire à son orientation, toutefois il voyait bien quand et comment il était victime d’agressions. Cette donnée, aussi minime soit-elle lui permit d’échapper au danger à peu près convenablement. Cependant, l’agitation qui occupait son esprit le rendait encore moins preste qu’à l’accoutumée, ce qui lui valut plusieurs chutes sévères. Finalement incapable d’en faire davantage, il dévala une pente sur plusieurs mètres et perdit conscience sur une fraction de seconde. Ce choc, bien que succinct, lui fit retrouver ses repères. Ça ne dura qu’un instant, mais cette chance arriva au meilleur moment envisageable pour éviter un sort des plus funestes. Deccio roula sur le côté et se laissa de nouveau choir en contrebas. C’était donc ça. Un traumatisme assez important pouvait rompre les effets de la drogue, au pire des cas les atténuer temporairement. Dégainant ainsi son épée, le démon s’infligea lui-même une blessure à la clavicule, assez forte pour l’arracher de cette folie sensorielle. Bien que libéré partiellement de cette gêne, il entendit distinctement les pas de ses assaillants. Et en manquant à ce point de force, impossible pour lui de repartir de plus belle. Ça aurait dû sonner la fin de son épopée, si cette porte ne s’était pas ouverte devant lui pour l’inviter à entrer.


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Jeu 11 Juin 2020, 18:45




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La libératrice qui venait de l’arracher à une situation tragique ne lui était pas complètement étrangère. Bien qu’il ne la connaisse pas personnellement, son visage lui évoquait clairement quelque chose. Cette dernière l’avait fait entrer en préservant sa sécurité et en détournant les hommes à sa poursuite en quelques secondes. Ils avaient bien entrepris de lui poser des questions concernant la fuite d’un individu très dangereux, mais elle les avait admirablement écartés de la piste. C’est par la suite qu’elle s’est alors occupée de lui en lui prodiguant les premiers soins, et bien qu’en vérité elle l’avait avisé ne pas être médecin, le résultat était plus qu’acceptable. Elle avait en effet recousu ses plaies les plus profondes, arrêté les saignements abondants et lui avait même fait avaler de quoi combattre la douleur avec un anti-inflammatoire aux effets presque immédiats. Le seul moment où elle daigna utiliser sa magie fut pour l’anesthésier localement. Autrement dit et malgré ses avertissements, le travail était des plus aboutis. Elle avait pris la peine de le déposer dans un fauteuil très confortable qui se chargeait de lui masser les muscles atrophiés de façon très agréable. Toutefois, en dépit de toutes ces bonnes intentions, il ne comprenait toujours pas les raisons de son altruisme. Il n’avait ni argent ni pouvoir, et même en tant que Démon, ses possibilités étaient infiniment restreintes. Deccio se risqua alors à aller à la pêche aux informations. « D’habitude, ce qui se passe à Ānanda reste à Ānanda . Qu’est-ce qui vous pousse à m’aider ? Ce n’est quand même pas la vue du sang devant votre parvis qui vous a décidé. Pourquoi ? » Il en avait presque oublié à quel genre de femmes il s’adressait. Elle était grande, plutôt balèze compte tenu de la nature de ses gènes, nantie d’un visage ferme marqué par des peintures de guerres et relativement doué avec ses mains. Non pas car elle avait réussi à le contenter sexuellement avec l’une d’entre elles, mais pour toutes les armes dont elle disposait aux quatre coins de son habitacle.

Elle n’était pas du genre à rester enfermé dans un enclos de cette taille à attendre le retour du prince charmant. Il est fort à parier qu’elle bottait elle-même leur cul pour leur incompétence. « Tu ne sais donc pas dire merci et accepter sans broncher la main qui t’es tendue ? Tu préfères peut-être que je te refasse le portait à coups de massue. Je peux aussi bien te refoutre là où je t’ai trouvé et te laisser dévorer par les corbeaux. » Bien. Il avait visiblement enclenché la mauvaise approche. Sa question se voulait pourtant innocente, sans ironie aucune. Il était assez rare de tomber sur des bienfaiteurs sans arrière-pensées. Chacun agissait pour son propre intérêt, et ça ne concernait pas que les phratries malintentionnées qui se préoccupaient principalement du ressort de leur futur. Il était tout à fait naturel pour un homme de tracer sa route seul, en songeant à ce que les autres pouvaient lui apporter. Le Démon tenta de se relever en forçant sur ses avant-bras, mais son corps refusant de le suivre lui fit rapidement comprendre son désaccord. « Aie aie aie… Bon d’accord. Je vous remercie pour votre précieuse entremise. Sans vous, je n’aurais pas fait long feu, c’est vrai. Mais je dois repartir dans les plus brefs délais. On m’attend quelque part, et je suis quelqu’un de très ponctuel. » La guerrière s’était installée sur le rebord de sa fenêtre les jambes croisées, en savourant une boisson chaude qu’elle avait personnellement concoctée. Elle le regarda du coin de l’œil. « Tu n’iras pas loin dans cet état. C’est tout juste si tu as la force de parler. Sans une nuit de sommeil, tu courras à ta perte. » « Courir ? Rien que d’y penser ça m’épuise. Je vais peut-être rester tout compte fait. » L’Amazone se moqua d’un rire circonspect sans rajouter quoi que ce soit. Elle semblait réellement indulgente en tant qu’humaine, ce qui n’avait de cesse d’accroître sa méfiance. Mais à la fois, sa personnalité l’en dissuadait, comme influencée par un sort hypnotique qui l’empêchait de voir le mal en elle.

Tandis qu’il observait chaque recoin de l’espace dans l’espoir de trouver n’importe quel indice relatant lui permettant de la cerner, son hôte se mit soudain à parler. « Tu me rappelles quelqu’un d’important à mes yeux. C’est pour ça que je t’ai sauvé. » « Quoi ? » hoqueta le renard dès lors interloqué par cette subite révélation. « J’ai connu un jeune homme autrefois. Il était fougueux, impatient, arriviste, mais par-dessus tout quelqu’un de très spontané. Il a longtemps été mon modèle. Et pour moi, et pour ceux qui le suivaient. » « Oh. C’est gentil. Mais je suis tout juste un exemple pour moi, alors euh… » « Tout ce que je sais, c’est que ton regard traduit la même appétence. Tu as ce quelque chose que les gens de ton rang n’ont pas toujours et que ceux de mon niveau ont oublié. » Deccio serra les dents, un filet de bave coulant entre ses lèvres tandis que ses traits grossièrement étirés par une étrange expression distordaient son visage vers quelque chose de plus hideux. Il essayait vraisemblablement de décrypter les dires qui se cachaient derrière cette vile sorcellerie.

Il s’immobilisa net lorsqu’une hachette — décoché par la folle aux yeux convulsés — se planta sur le mur à dix centimètres de son oreille. Il retrouva soudainement la raison, comme extirpé du tartare par les chaines de l’Enfer. Non sans un cri de terreur qui interprétait sa surprise. « Pardon, je me suis… égaré. » Elle reprit alors son monologue de plus belle, l’air de rien. « Tout ça pour te dire que je ne pouvais pas te laisser devant ma porte. Je ne crois pas au destin et à toutes ces conneries, mais le simple fait que tu te sois trouvé sur ma route suffit amplement à m’encourager dans la rédemption. » « Ta rédemption ? Mais attends, je ne comprends pas. Qu’est-il advenu de cet homme ? » « Il est mort, tué par ma faute. Non. Il est plus correct d’affirmer que je tenais l’arme qui a exécuté mon frère. » Alors qu’il était tout juste en train de goûter à ce morceau de chair, Deccio manqua de s’étouffer en avalant. « Ton… frère ? » Il ne la comprenait que trop bien. Non pas pour la rédemption qu’elle se hasardait à gagner, mais bien pour les regrets liés à son passif. Deccio livrait justement bataille afin de taire de nombreux ressentiments qu’il éprouvait depuis la débandade de ce jour. Il voulait devenir plus fort, mais pas pour les mêmes raisons qu’autrefois. Il tendait à se rendre utile, envers celles et ceux qui seraient prêts à marcher à ses côtés.

Contre toute attente, le prince réussit à sortir de son siège, certes à grand-peine, mais pas assez pour enrayer sa détermination. « Quel est ton nom ? » Elle tourna le visage vers lui, étonné qu’il puisse tenir debout malgré son état plus que déplorable. Plus que jamais, elle savait à quel point son jugement était conforme à ses attentes. « Helena. » En inspirant et en expirant valablement, l’homme se concentra sur ses appuis pour émaner auprès de sa bienfaitrice. Elle était presque plus grande que lui, ce qui était assez inhabituel pour le souligner. À ses côtés, il lui tendit la pince ; un signe de respect mutuel qu’il n’accordait que très rarement. « Je ne saurais dire pour quelle raison, mais je vous trouve épatante. J’aimerais beaucoup que nous puissions nous revoir à l’occasion. Je ne mérite pas encore de vous avoir comme allié, mais lorsque ce jour viendra, je reviendrais vers vous. » La valeureuse observa attentivement sa main bandée avant de la lui serrer, le sourire aux lèvres. Les deux individus n’avaient pas besoin de se perdre dans de grands discours pour se comprendre.

Ils partageaient peut-être un idéal commun et des objectifs apparentés qu’ils pourraient concilier à l’avenir. Deccio s’approcha alors de la vitre pour jeter un œil à l’extérieur. « Tu comptes déjà partir ? Ne crois pas pouvoir tout miser sur l’anesthésiant, ce n’est que temporaire. » Il ne le savait que trop bien. Son corps lui appartenait, et pour le dorloter continuellement, il était au courant des besoins, des qualités et des défauts de ce dernier. Il le maltraitait sans cesse pour le mettre à l’épreuve. Il fonctionnait de la même façon pour l’esprit, ceci dans le but de ne pas fléchir trop tôt. Il devait se préparer à toute éventualité, et de tous les scénarios qu’il s’était imaginés, celui de partir maintenant était le moins pire. « Rester ici jusqu’au matin pourrait compromettre certains de mes… privilèges. En plus de ça, je risque de ne plus vouloir m’en aller si je me laisse tenter. Mon mental n’est pas assez rodé pour résister. » Gîter au chaud sous la protection de sa libératrice était la solution de facilité, ce qu’il s’était promis de refuser sous peine de retarder son ascension. Il ne pouvait pas se le permettre.

Toutefois, repartir dans ce même état ferait de lui le pire des matamores. Elle pouvait encore faire quelque chose pour le tirer d’embarras. En portant ses phalanges au niveau de sa hanche, il remarqua l’absence d’un produit essentiel, d’où son étonnement expressif. Helena le rassura aussitôt tôt en posant sa paume sur le dos de sa main. Elle révéla la seconde, et plus précisément son majeur autour duquel était suspendue une cordelette fixée à un flacon à moitié vide.  « C’est ça que tu cherches ? J’ai prévu que tu me le réclamerais, c’est pourquoi j’ai pris l’initiative de te préparer une petite mixture de mon cru en amont. » Elle lui remit autour du cou, se leva et s’absenta quelques minutes dans la cuisine. Lorsqu’elle fut de retour, elle disposa une tasse en terre cuite remplie d’une douce essence entre les griffes du démon.  « Je ne sais pas de quoi il s’agit exactement, mais j’ai déjà travaillé avec des produits similaires. Elle devrait te permettre de retourner d’où tu viens sans trop de mal. Évite au maximum de te confronter à plus fort que toi et tout devrait bien se passer. » « Décidément, je commence à croire qu’on t’a mis sur ma route pour me guider. Es-tu une sorte de Déesse ou quelque chose comme ça ? Mais après réflexion, aucune déité n’est aussi parfaite. » Deccio but lentement la préparation, comme pour retarder son départ inexorable et s’imprégner au maximum de cette atmosphère allègre afin de se ragaillardir. Quand il fut enfin rassasié, il s’essuya les lèvres et ramassa ses affaires. « Merci pour tout Helena. Ça peut paraître anodin, mais je sens que j’ai fait un nouveau pas dans la bonne direction grâce à toi.” “Je te renvoie le compliment. » Ils se saluèrent d’un hochement de tête, avec la même pudeur qui les avait portés jusqu’ici. Lorsqu’il s’apprêta à sortir en abaissant la poignée, elle l’interrompit d’un ton placide. « Tu n’oublierais pas quelque chose ? » « Deccio. » Ce nom lui serait amplement suffisant. Dès l’instant où ils seraient prêts à se retrouver, quand tous deux en auraient le besoin, leur chemin s’entremêlerait de force ou de gré. Mais ça ne serait pas pour tout de suite. Ils devaient encore se trouver.



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Ven 19 Juin 2020, 22:22


Partir était la solution qui aboutirait le plus. Pour ne pas l’exposer en vain, mais surtout pour ne pas s’exposer lui, en tant que Madiga en pleine expansion. Pour s’affranchir un jour, il devait d’abord faire en sorte de ne compter sur personne d’autre que sur lui-même. Les hommes comme lui n’avaient pas besoin d’approbation ni d’une raison louable pour exécuter des actions inespérées, car ils croyaient solidement en leurs idées. Ça n’allait pas plus loin. En étant de nouveau livré à lui-même, Deccio devait faire preuve de clairvoyance s’il voulait éviter de tomber sur ses détracteurs. Compte tenu du fait que sa réserve de magie était à sec, il lui était impossible de retourner dans le royaume par le biais d’un portail imploré par ses soins. Pour se tirer d’ici, son seul recours était de rejoindre l’axe principal qui reliait les deux transits entre eux. Et pour se faire, il n’y avait aucune autre alternative que de passer le contrôle des transferts. Des gardes avaient en effet pour vocation de réguler les diverses entrées et sorties pour les étrangers qui ne pouvaient pas employer la technique des transports entre les dimensions, et en l’absence de pouvoirs, il n’avait pas d’autre choix que de s’y rendre. De ce fait, il y avait de grandes chances pour que ses ennemis l’y attendent puisqu’ils le savaient en déficience à cause des effets du remède. Sa théorie ne manqua d’ailleurs pas à se confirmer lorsque, en s’approchant timidement du point de collecte, il notifia la présence des hommes en pleine conversation avec les démons stabilisateurs. Prostré derrière un mur, le renard se posa quelques instants ; il tira un carnet d’entre ses manches, puis griffonna quelque chose à l’intérieur. Son crayon ébaucha des dessins, des plans et des mots qu’il associa pour former les prémices d’une démarche méthodique qu’il s’apprêtait à mettre en place.

En vérité, ses libertés d’expressions étaient moindres, car en aucun cas il ne pouvait se permettre de foncer dans le tas et de tout donner dans cet interstice. Quand bien même il parviendrait à forcer le passage, il serait hors service en atteignant l’autre côté. Dans ce cas, l’idée la plus fiable consistait à les attirer dans un piège et à les isoler, voire à les abattre. Il prépara donc gentiment de quoi les accueillir avec le peu de fourniments à disposition ainsi qu’en profitant de la position dans laquelle il se trouvait. C’était quitte ou double. Et peu importe à quel point le risque était grand, il ne pourrait plus reculer. N’ayant pas le luxe de s’offrir le temps pour soulever une liste exhaustive de ce qu’il était incapable d’entreprendre ou pas, Deccio glana un gros caillou à ses pieds, après quoi il se détacha de sa cachette en trombe pour courir à toute allure dans leur direction. Lorsqu’il accapara leur attention, le démon étira son bras pour préparer son lancer, puis bombarda le projectile de toutes ses forces sur ses ennemis. Il crispa ses doigts pour la faire imploser et ainsi déverser un nuage de poussière noire, éphémère et succinct, mais supposé le masquer assez pour ne dévoiler que sa silhouette. Il s’éclipsa ensuite en amont, se volatilisant au bout de quelques secondes, avant que les deux hommes ne recouvrent une vision complète et prennent la décision de lui mettre la main dessus. Seulement voilà, le simple fait d’avoir enchevêtré leur perception constituait un avantage certain dans le sens où sa position était erronée, ou du moins approximative. Pour le trouver, ils étaient contraints de mener des recherches dans le périmètre en question, et celle-ci avait lieu autour d’une bâtisse en ruines, en retrait par rapport aux autres édifices coudoyés.

Les deux individus, prudents malgré tout, entrèrent lentement dans la zone en examinant ici et là les emplacements les plus douteux. Au terme de quelques minutes, un des oppresseurs activa le dispositif en posant son arpion au mauvais endroit, déclenchant ainsi la fragilisation du support mis en place qui céda et le fit tomber à l’étage inférieur. Alerté par sa soudaine disparition, le second vint alors vérifier l’état de son camarade en se penchant au-dessus du gouffre. Deccio — qui n’émettait aucune aura — passa donc furtivement dans son dos pour le culbuter avec son pied. Hélas, ce dernier eut la réactivité nécessaire pour empoigner sa cheville et l’entrainer dans le précipice qu’il avait lui-même conçu. Les trois individus — étourdis — se relevèrent avec plus ou moins d’aisance. « Argh, c’est pas exactement ce que j’avais prévu, mais bon… finalement, ce n’est pas plus mal, je vais pouvoir vous dézinguer comme il se doit. » Affirma le renard avec un rictus qui pouvait sembler illusoire, mais qui s’octroyait d’un véritable état de fait. « Tu envisages sérieusement de pouvoir nous battre tous les deux dans ton état ? Qu’en penses-tu, Viper ? Est-ce qu’il ne serait pas temps de le remettre à sa place ? » L’interlocuteur frappa son poing contre sa paume, plus que jamais prêt à en découdre. Son binôme se ramena à ses côtés, et sous sa peau au niveau de ses poignets, fit apparaitre deux lames. « Décapitons sa tête et ramenons-la au boss. » Deccio, particulièrement confiant malgré son net désavantage se tourna de sorte à divulguer son plus beau profil. En rabattant l’étoffe de son veston, il dévoila la présence d’une seringue semée dans son flanc droit. Il s’agissait de la préparation qu’avait concoctée Helena qui avait pour but de le booster provisoirement.

Il était conscient de l’énorme risque qu’il prenait à cause du contrecoup qui suivrait, mais cela était uniquement effectif s’il arrivait à se débarrasser de ses agresseurs. Et sans eux, ses chances étaient de toute façon nulles. « Je ne vous ai pas amené ici par hasard. Il est vrai que dans les circonstances actuelles, avec ce corps pour seule arme, je ne parviendrais même pas à vous effleurer. Mais les choses se passeront autrement si j’utilise cette apparence. » « Cette apparence ? » « Cette apparence. » Deccio matérialisa celui-ci sous la forme d’une mutation qui se produisit dans le mutisme collectif. Ses ailes rachitiques se relâchèrent brusquement tandis qu’elles continuèrent de s’accroitre et de conquérir des pointes meurtrières. Ses jambes se changèrent en de puissantes pattes râblées desquelles s’éveilla une carapace écarlate qui s’étendit d’ailleurs sur tout son corps, y compris les pectoraux et les bras. D’énormes cornes courbées germèrent à leur tour et une mâchoire proéminente se dessina avec une importante quantité de dents effilées en accompagnement. Sa taille et ses muscles avaient décuplés de volume, comme à peu près tout le reste. Il ressemblait plus à un mutant reptilien qu'à un démon. La drogue l’y favorisant, cette transformation ressemblait davantage à une arme de destruction massive qu’à sa forme la plus rudimentaire. Sa voix devenue beaucoup plus rauque propagea une sorte d’écho à chaque mot prononcé. « Je ne m’attendais pas à un résultat aussi… soigné. Voyons voir ce qu’elle vaut en situation réelle. » Les deux combattants étaient à la fois fascinés par sa taille démesurée, mais dubitatif quant au véritable gain de puissance qu’elle lui avait octroyé. À leurs yeux, ça ne pouvait pas être si terrible. Toutefois, à l’instant même où il se déplaça avec une vitesse confondante, ils furent suffisamment alertés pour éluder son déferlement. Deccio ne contrôlant pas encore cette forme rencontra des difficultés à stopper sa course, s’effondrant aussitôt à plat ventre, ce qui ne manqua pas de produire une effroyable secousse.

Viper et son collègue Snek décidèrent alors de passer aux choses sérieuses. Tandis que le premier lui asséna un impétueux coup de pied dans l’abdomen, le second visa ses artères avec la lame, mais l’accès à ses points vitaux étant devenu laborieux conformément à ses protections, elle fut repoussée sans mal. Le monstre se redressa en un instant grâce à ses puissants organes contractiles, puis fit ébranler sa queue pour porter atteinte au possesseur des armes. Pour ce qui est du second, il pulvérisa ses côtes en lui enfonçant son poing dans la cage thoracique. Cette attaque d’une violence sans précédent l’éjecta à l’autre bout de la pièce, son corps inerte s’écrasant contre le mur. Les pas successifs de la bête lui servant à se tourner occasionnèrent un tapis de poussière qui ne cessait de remplir le trou dans lequel le duel prenait place. Plus ce combat durerait, plus ils devraient s’affronter à l’aveugle, et au vu de sa taille, cette configuration pourrait éventuellement lui être défavorable. De plus, son apparence actuelle restait très difficile à maintenir malgré le coup de pouce de l’anesthésiant. S’il voulait à tout prix éviter la déroute, il devait arrêter de concevoir que sa forme le rendait indestructible. Soit il libérait toute sa puissance et misait sur l’audace pour les défaire avec le moins de mouvements inutiles, soit il conservait à minima ses forces pour tout investir sur l’endurance. Mais cette dernière comportait trop de facteurs aléatoires, d’autant plus qu’ils étaient deux et consommaient par définition deux fois moins d’énergie.

Les acolytes se relevèrent à ce moment-là, décidés à se soutenir mutuellement en négociant une formation. Eux aussi étaient conscients des enjeux lors de cet ultime échange duquel résulterait la conclusion tant attendue. Deccio fut le premier à réagir en rugissant un cri féroce qui signifiait son intention de charger. Ses adversaires répondirent par l’affirmative en le saisissant de vitesse et en étant les premiers à se lancer à l’offensive, chacun se séparant pour couvrir plus de terrain et de cette manière le prendre en tenaille. Ils avaient sans conteste opté pour la meilleure conduite compte tenu de sa taille démesurée qui lui imposait une limitation dans ses déplacements. Toutefois, bien que massif, sa puissance de destruction pure était bien réelle, c’est pourquoi il frappa de son énorme poing sur le sol pour suspendre leur stabilité. Cette tactique fut alors contrée par un saut synchronisé des antagonistes, qui en prévoyant une action de la sorte, avaient envisagé un tournant similaire. Résolus à déployer tous leurs savoir-faire, ils fondirent sur lui et le tourmentèrent des deux côtés sans interruption. Les lames de l’assassin troublèrent non seulement ses articulations, mais également les zones délaissées par les carapaces pour ainsi l’entraver le plus possible et permettre à son collègue de le rouer de coups, alternant avec diverses techniques martiales dans le but de le miner davantage et lui ôter toute opportunité de contre-attaque.

Cette composition étant plus que déconcertante pour Deccio, il se fourvoya de toute concentration. Par conséquent, il rabattit ses avant-bras devant son torse afin d’optimiser sa garde et de se protéger un maximum des assauts infatigables dont il était victime. Inconsciemment ou pas, il referma alors ses ailes pour frapper ces insectes dérangeants, ce qui eut pour conséquence de les ébranler. Une aubaine dont profita le renard pour saisir le crâne du plus affecté et lui offrir son plus beau coup de talon dans le dos. Le bris des os qui s’en suivit étant son conteste la preuve qu’il ne pourrait plus jamais se relever après ça, et quand bien même cette entreprise lui fit perdre l’usage de son bras après l’intensité des répercussions, le goupil se jeta vers le dernier survivant, et comme guidé par son instinct de super prédateur, lui arracha littéralement son épaule et une bonne partie de son cou entre ses dents ciselés. La victoire lui appartenait, mais à quel prix ? Le corps fumant de son enveloppe annonçait la fin de sa mutation, et l’avènement des conséquences qui ne tarderait plus à lui faire signe.




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Mar 23 Juin 2020, 22:38

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Complètement abattu à la suite de son pugilat, la santé de Deccio en pâtissait largement. Mais pas uniquement. Psychologiquement, il lui était très malaisé de recouvrer un semblant de pugnacité. Devenu quasiment infirme par la décomposition nerveuse de ses bras, son seul espoir reposait sur la volonté inflexible. Sans elle, il n’était pas sûr de pouvoir se traîner jusqu’à la sortie. Ses yeux révulsaient une sorte de liquide larmoyant, symbole mémorable de la douleur intenable qu’il endurait. Le contrecoup avait mené son œuvre. Il ne s'était pas attendu à une riposte aussi barbare, et pourtant, il s’y était longtemps préparé. La drogue lui avait apporté un simulacre de ses propriétés de l’époque, aujourd’hui scellées sous les cendres parsemées de son déclin. La magie — déjà faible en proportion — eut présentement quitté son corps. Les muscles de ses membres opérationnels n’agissant que par sursauts, agencer le moindre effort devenait un processus insoluble. Pour ne rien arranger, d’infimes courants électriques lui parcouraient la chair de la tête au pied, lui coupant la respiration toutes les trente secondes. Tous ces tracas ne relataient que les inconforts majeurs qu’il subissait, mais ils étaient en réalité bien plus nombreux. Juste plus supportables. Actuellement, faire ne serait-ce que dix mètres était au moins aussi éprouvant que de faire l’ascension du plus grand des sommets. Avec son seul bras bien portant, il empoigna les divers matériaux sur sa route pour se hisser jusqu’aux gravats qui miraient la dernière issue disponible. Advenu au bout, le démon s’effondra une nouvelle fois, écartant les membres à la manière d’un marathonien en fin de course. Il se reposa durant quelques minutes. Voire quelques heures. La notion du temps ne lui était plus du tout familière, et quoiqu’il arrive, il devait de toute façon retourner chez lui, qu’importe à quel point le trajet serait poignant.

Ainsi, le renard frappa inopinément ses ischio de telle sorte à leur donner un coup de fouet pour les revitaliser de toutes les manières possibles. Il continua de les violenter à plusieurs reprises, jusqu’à sentir une réaction aux stimuli. Il lui fallait un délai substantiel pour y parvenir, mais au terme de cet acharnement pantelant, ses jambes décidèrent enfin de lui donner satisfaction. Il força une nouvelle fois sur ses quadriceps pour se positionner de sorte à pouvoir soulever ne serait-ce que légèrement les débris qui résultaient de l’endommagement précédent. La mâchoire contractée, les yeux révulsés, les veines apparentes et la sueur coulante sur ses tempes supervisaient tous les efforts qu’il mettait à disposition dans l’unique attention d’arracher une corde en possession du béton armé. Dès l’instant où il enroula ses doigts autour de cette dernière, il tira sec dessus pour la ramener à lui, ne manquant pas de le faire vaciller et tomber. Encore. Désormais entre ses mains saillantes, il torsada le filin de telle façon à pouvoir le lancer avec une précision accrue. À l’extrémité de ce cordage, il noua une petite pièce en fer, celle-ci provenant des vestiges de ce bâtiment abandonné qui pouvait s’effondrer d’une minute à l’autre compte tenu des ravages qu’il avait encaissés. Dès lors son accessoire peaufiné, il le jeta en l’air dans l’intention de le faire passer par-dessus une poutre. Bien sûr, il rata le coche à plusieurs reprises. Donc il recommença. Sans renoncer, il ciblait un angle. Puis un autre. Et ainsi de suite, jusqu’à obtenir l’alignement le plus optimal pour réussir son intervention. Maintenant qu’il avait de quoi sortir, il ne lui manquait qu’un détail à régler avant d’entreprendre des actions qui solliciteraient davantage ses fonctions organiques. Son bras gauche était certes devenu hors d’usage, mais le laisser dans cet état sans le prévenir des risques éventuels signerait l’amputation de celui-ci. C’est pourquoi l’ancien kamikaze déchira entièrement sa chemise pour le nouer fermement au niveau de son épaule. En prenant de telles mesures, il évitait au sang de circuler et donc d’aggraver sa condition. C’est tout du moins ce qu’il avait appris de la survie lors de ses nombreux vécus.

Cette expérience lui avait d’ailleurs inculqué autre chose. Que seul, il était quasiment impossible de réussir. Aujourd’hui, il en avait payé les frais en se frottant à deux individus — aux capacités pourtant très rudimentaires — qui avaient failli l’ensevelir six pieds sous terre. Sans la drogue — et sans énormément de chances — pour combler ses lacunes, une intrigue bien moins jubilatoire aurait remplacé les chapitres de son histoire. Lorsqu’il serait à l’abri de tout danger et qu’il aurait récupéré, il promettait sur son honneur de s’entrainer très sérieusement pour ne plus basculer du côté de cette morbide frontière. Deccio prenait très souvent les choses à la rigolade, comme s’il ne tenait pas à sa vie et qu’elle ne valait que ce qu’il lui accordait ; c’est-à-dire pas grand-chose. Mais en étant aux prises avec les griffes ombrageuses de cette entité prête à l’arracher à son destin, il comprit à quel point il devait prendre son devenir au sérieux. S’il la négligeait et qu’il décidait malgré tout de n’en faire qu’à sa tête, sa mort passerait inaperçue et serait par définition gâchée. L’éternité que l’Œil lui avait confiée devait servir une cause plus prestigieuse que son seul désir de revanche. Les caprices étaient réservés aux enfants mal éduqués, non pas aux adultes élus à dominer. Et rien que pour cet état de conscience, le démon avait nettement évolué. Ce n’était qu’un début. Sa mentalité, déjà changeante, ferait suivre un plus grand développement chez sa personne. Son psychisme imageait l’idéal incarné qu’il souhaitait atteindre, et le simple fait d’avoir survécu en dépit des prédictions qui le nommaient perdant était en soi la preuve incontestable que sa volition ne flanchait pas. C’est sans doute pour cette raison que le rictus complaisant du renard émergea. Quand bien même il était tiraillé par la douleur et par les lancinations incessantes qui ponctuaient chacun de ses mouvements, il ne regrettait pas. Et il ne regretterait pas non plus de devenir un monstre à part entière. Un autre but naquit dans l’esprit torturé du diablotin ; celui de prendre la place d’un des Seigneurs. Ironiquement, il s’en sentait capable alors même qu’il faillit perdre contre deux soldats quelconques. Mais après tout, n’était-ce pas là une des similarités avec ces puissants ? La démence à l’état pure.

Quoiqu’il en soit, le plus ambitieux des petites frappes reporta son attention sur son principal souci, à savoir l’escapade du royaume. Ce léger repos forcé et les pensées hétérogènes qui l’accompagnaient durant cet interlude lui permirent au moins de ne pas se focaliser sur les décharges d’après-guerre qu’il subissait. Après avoir occupé l’esprit, c’est à ses muscles qu’il devait confier le reste. Sans chercher à comprendre comment ou quoi faire, Deccio se cramponna fermement à la corde avec son bras valide. Puis il se hissa de toutes ses forces pour accorder le relais à ses pieds et à ses jambes en employant la méthode qu’il connaissait pour gravir l’objet. De toute évidence, ç’aurait été mentir que de soutenir qu’il s’en était sorti comme un chef. En vérité, cette ascension prit autant de temps que tout le reste, aussi bien parce qu’il glissait sans cesse que par la lenteur avec laquelle il instaura les gestes. L’important ne se situait pas sur la vitesse d’exécution, mais bel et bien sur sa qualité, lui évitant ainsi de retomber dans le gouffre et de mourir de fatigue à cause de son incapacité à obtempérer. Et que dire si ce n’est que ce procédé paya ? En effet, fort de sa faculté d’adaptation, la créature vulnérable s’extirpa toute seule de sa cage. S’aidant ensuite des murs pour escamoter toute perte d’équilibre, ce n’est pas la lumière du jour qui accueillit son retour, mais une pluie battante et vivifiante, presque solennelle. Peut-être s’agissait-il d’une métaphore prophétique se délectant à dire qu’elle le nettoyait de toute impureté pour renaitre de ses cendres sous une nouvelle identité. Si seulement les choses étaient si simples. Le démon n’avait rien d’un être immaculé, et quand bien même il voudrait le devenir, son existence serait bien terne. Le visage arrêté vers le ciel, il profita de cette agréable chaleur pluvieuse, qui dans une moindre mesure semblait faire paraitre des larmes sur l’expression presque idyllique de l’ennemi des anges. Pourquoi était-ce dans ce genre de situations qu’il était le plus inspiré ? Quel drôle d’homme ! Oh oui ! Il se savait curieux, mais pas autant. Les gouttes étaient pareilles à ses ambitions ; disparates et abondantes. Elles formaient cependant un tout.

Le chemin le plus dur ayant été fait, il ne lui restait plus qu’à emprunter le portail et à retourner auprès des deux commanditaires l’ayant mené au charbon. Il se doutait bien qu’ils fussent susceptibles de l’accueillir de la pire des façons en lui brisant la nuque. Mais il savait qu’ils n’avaient aucun intérêt à le faire. Il était de toute façon à leur merci, pour le meilleur et pour le pire. Et puis, s’il avait été à leur place — et il l’avait été — il ne se séparerait pas d’un pion aussi déterminé. Au contraire, les Enfers avaient plus que jamais besoin d’affermir leurs rangs par des guerriers forts et puissants, mais surtout qui en avaient en dessous de la ceinture. En tant qu’ancien criminel missionné pour des tâches scabreuses, penser comme eux était à priori un jeu d’enfants, même s’il manquait encore pas mal d’intuitions pour certaines choses. Et ces prédictions visèrent juste. Quand Deccio retrouva son chemin jusqu’à Sēneya, Kor’oth et Jawdeath témoignèrent d’un étonnement authentique à sa survie. Et en même temps, le plus expressif ne cacha pas non plus son soulagement. À moitié délassé contre une partie rocheuse, le renard récupérait tout juste son souffle. À présent, il ne pouvait pas en faire plus. Soit on le délivrait d’un carreau dans la tête, soit on le soignait en urgence. Mais il fallait faire vite.

« Tu as fait du meilleur travail que je ne l’aurais imaginé. Tu l’as sans doute déjà compris, mais nous savions avant même de t’envoyer là-bas qu’il y aurait de grandes chances que tu ne reviennes pas. C’est une idée de Kor’oth évidemment. Personnellement, je n’encourage pas ce genre d’initiative fufufu. » Le souverain considéra son acolyte d’un mauvais œil. Il signifiait son intention de le tuer, mais lorsque le renard tomba inconscient à cause de ses carences, ses pulsions s'étouffèrent. Il se tourna vers un individu fardé en lui faisant un signe de la tête. « Apportez-lui… tous les soins nécessaires. Faites tout ce qu’il faut… pour le remettre sur pieds. Je m’entretiendrais ensuite avec lui… sur ce qu’il convient de faire… et s’il le tient vraiment… nous l’accepterons parmi nous. » Des hommes vinrent chercher le corps de Deccio afin de le conduire à l’intérieur d’une grotte. Des escaliers menaient à une partie souterraine où tous les dispositifs étaient en place pour lui apporter le meilleur. « Fufufu. Toi le grincheux, tu lui fais confiance. C’est rare. » « Pas encore. Mais nous le saurons bientôt… après le véritable test… » « Oh. C’est sévère pour un Madiga. Mais il peut réussir. » Comment pouvait-il en être autrement ? Rien ne l’arrêterait. Plus maintenant.


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Mer 24 Juin 2020, 21:28


Couché dans un bastion, sur ce qui semblait être l’arrière-boutique de ce personnage pour le moins avenant, tout ce que voyait Deccio se restreignait à un faible halo de lumière qui jaillissait sur son visage à demi refroidi. Il n’avait plus la notion de grand-chose. Ni du temps qui s’écoulait, bien dérisoire en comparaison du reste, ni du martyre qui le rongeait, bien trop fluent pour raviver ses récents souvenirs. Il avait comme l’impression qu’un énorme rocher s’était écrasé sur lui, paralysant tous ses membres les plus capitaux. Il entendait distinctement les voix rapprochées, qui communiquaient manifestement du protocole à convenir. Il était telle une marionnette sans âme, qu’on bougeait et qu’on maltraitait à sa guise, et ceci sans qu’il puisse émettre la moindre objection. Il se sentait empiégé dans une mirifique cage de laquelle son seul droit consistait à regarder et à endurer les diverses manipulations sur son corps meurtri. Mais d’un autre côté, il savait qu’après cela, il pourrait de nouveau marcher. Pas que physiquement, mais aussi spirituellement. Ils le sauvaient alors qu’ils auraient pu le laisser mourir au fond d’un trou sans espoir de retrouver le goût de quoi que ce soit. L’image était peut-être mal choisie, mais cette prise en charge s’apparentait à une résurrection tant ils partaient de loin. Elle était différente de celle qu’il avait déjà subie en revenant à un état larvaire.

Pour une raison indéterminée, ce qu’il était en train de vivre en ce moment même était encore plus historique. Il savait. Il savait qu’après son éveil, beaucoup de choses changeraient. Tant dans son credo que dans son idiosyncrasie. Pas au point de le réinventer radicalement, évidemment, mais assez pour le rendre un peu plus rusé et audacieux. Oui, car le renard ne se le considérait pas suffisamment jusqu’alors. Il avait bien tenté des opérations périlleuses, mais ces dernières tenaient plus de l’imprudence que de la témérité. Ce qu’il miroitait, c’est un avenir que seul lui pouvait atteindre à force d’acharnement, de talent et de chances. La chance demeurait un facteur très important, voire complètement négligé. Et pourtant, la plupart des événements qui se déroulaient découlaient directement de ce facteur résiduel. Sans son approbation, combien auraient posé leurs fesses sur ces trônes ? Qui aurait franchi les seuils déplorables de l’évolution humaine ? Aurait-il pu lui-même échapper à cette accablante déchéance ? La réponse est : très peu. Afin de surmonter une étape, il ne suffisait pas de compter exclusivement sur elle et de la laisser gérer sa destinée, mais il fallait la provoquer. Bien que cette donnée ne fût constituée que de probabilités aléatoires impossibles à prédire, le simple fait de ne jamais lâcher prise en se plaçant de telle sorte à la favoriser augmentait considérablement son avènement. Ou alors les narcotiques qu’ils étaient en train de lui transmettre le rendait un poil philosophe. Allez savoir.

Quoiqu’il en soit, les soins avaient d’ores et déjà étés engagés par le biais d’une multitude de dispositifs médicaux qu’on lui avait fixés ici et là. Ses poignets et ses chevilles étant arrimés à la table d’opération, le seul mouvement qu’il pouvait occasionner fut celui de tourner la tête de droite à gauche. À cette fin, il vit clairement son bras le plus commotionné. Il était noirci par les répercussions, comme brûlées au troisième degré. Quant au reste de ses muscles, les veines avaient tellement décuplé de volume qu’on aurait dit qu’une famille de vers s’était introduit sous sa peau dans le but de l’envahir de l’intérieur. Les médecins lui passèrent une sorte de crème spongieuse sur tout le corps, après quoi ils le dotèrent d’un masque à l’extrémité duquel était vissé un gros cylindre contenant une substance gazeuse. Cela avait manifestement pour but de l’endormir, car quand bien même il lutta de toutes ses forces pour se tenir éveillé, ses paupières se fermèrent sans son autorisation au bout de quelques secondes seulement. Toutefois, il se sentit plutôt rassuré avant de s’enfoncer complètement dans la nuit. Le matériel qu’ils avaient à disposition semblait particulièrement avancé, et ceux qui le traitaient détenaient visiblement des années, voir des siècles de connaissances derrière eux. Finalement, il se laissa porter par le sommeil, la dernière lueur que perçurent ses pupilles s’évanouissant. Cette transition étant contre toute attente assez agréable, Deccio se demandait si le trépas ressemblait à ça. Il n’éprouvait plus rien, si ce n’est son âme à l’abandon, qui flottait dans le néant. C’était comme attendre quelqu’un ou quelque chose sensé venir le chercher pour se rendre… quelque part. Un sentiment à la fois terrifiant et très reposant. Sa curiosité de petite luciole aurait tant aimé savoir ce qui se trouvait de l’autre côté, au-delà même de ce qui séparait la vie et la mort. Mais on ne lui laissa pas l’occasion de faire de plus amples découvertes. Au bout du tunnel, ce n’est pas une main décharnée qui lui fut tendue, mais celle d’une magnifique femme à la peau lisse.

Le Madiga se réveilla en sursaut, en proie à la panique déclenchée par une respiration haletante qu’il eut bien du mal à tempérer. La belle créature lui fit immédiatement inhaler un produit qui le réconforta quasi instantanément. Il lui fallut toutefois un peu plus de temps pour reprendre ses esprits et élucider ce qu’il venait de vivre. À en juger par l’expression de cette personne, ce qu’ils avaient réussi à engendrer constituait un véritable tour de force. Il comprit tout de suite que de le maintenir en vie n’avait pas été de tout repos, et que sa survie s’était jouée sur le fil du rasoir. « Je dois vous confesser M.Araki, que vous êtes étonnamment résistant pour un… » « Invalide. » Compléta-t-il pour lui éviter d’être insultante. Et puis c’était de toute façon le vocable le plus approprié compte tenu du rang qu’il occupait chez les démons. En toute franchise, cette journée avait pleinement échappé à son emprise. Difficile de croire par ailleurs que tout ça s’était déroulé en moins de vingt-quatre heures. « Ne vous en faites pas, je connais les termes techniques. À vrai dire, je ne suis même plus sûr de savoir ce qu’il s’est passé. »
La succube ne fit front d’aucune remarque qui aurait pu paraitre grossière. Prétendre qu’elle le ménageait était un euphémisme. Pas parce qu’il faisait effectivement partie de la poudre à canon habituelle, mais bien car il était allé à l’encontre des tolérances de son corps. « Pour être honnête avec vous, je ne sais pas comment vous avez fait pour vous en sortir. L’état dans lequel vous êtes arrivé est déjà rare pour un Saitāna, alors pour un Mādiga. Vous devez avoir un but très notable pour être revenu jusqu’ici en un seul morceau. » C’était bien plus que ça, mais elle touchait effectivement la corde sensible. Sans ça, il est peu probable qu’il aurait tenu bien longtemps. D’où le bienfait de croire en quelque chose et de se fixer des rêves, qu’importe s’ils fussent atteints ou non un jour.

Le travail qu’ils avaient effectué était en tout cas plus que convenable. Il ne pouvait pas encore courir comme un cabri qui découvre la joie des sauts en plein air, mais au moins son bras était toujours rivé à son épaule. Et ça, c’était cool. « Vous devez être particulièrement talentueux et bien équipés pour avoir à ce point réussi à me remettre sur pieds. » Elle sourit. « Ça fait deux semaines que vous êtes alités quand même. » Le démon écarquilla les yeux. En même temps, il s’était légèrement emporté sur la durée globale des occurrences. « Ah. Mais ça ne change rien aux faits. » La demoiselle se dandina jusqu’au charriot où étaient entreposés tous les outils qui avaient étés utilisés, notamment pour la chirurgie réparatrice. À côté, elle prit un petit bocal dans lequel était renfermé une sorte de mutagène qu’elle vint exhiber devant Deccio. Cela ressemblait à un drôle de champignon. Toutefois, même pour tout l’or du monde, il ne cuisinerait jamais cette chose. « Voici l’ensemble des résidus qu’on a retirés de votre organisme. J’ignore quel genre de produits vous avez utilisés pour accroitre vos compétences, mais je vous déconseille d’y recourir une nouvelle fois. Pas tant que vous serez aussi dépendant en tout cas. » « Mais… qu’est-ce que c’est ? » « Comme vous pouvez le constater, ce produit multiplie considérablement le nombre de cellules. Sans interruption. À court terme, cela ne pose évidemment pas de problèmes, mais avec le temps, cette drogue peut devenir extrêmement pernicieuse. Si vous n’étiez pas revenu de votre voyage, elle vous aurait tué bien avant l’infection de vos lésions. »

C’était donc pour ça qu’Helena l’avait mis en garde. D’un autre côté, rien n’était gratuit en ce monde. Celui qui facilitait son existence par ce biais devait obligatoirement en payer le prix. Et il était parfois si conséquent que même un démon émérite ne pouvait rien y faire. Dans tous les cas, ce n’est pas comme s’il comptait réitérer l’expérience de sitôt. La réalité, effroyable et effarante ne lui ferait sans doute plus de cadeaux.
« J’imagine que je ne peux pas partir sans remercier mes sauveurs. » La jeune femme reposa le bocal sur la table, après quoi elle se dirigea vers la porte en appliquant une légère pression pour l’entrebâiller. « Ça tombe bien. Quelqu’un tient à vous voir. Et à vous parler. Tâchez d’être le plus affable possible. » Quand elle l’ouvrit totalement pour ensuite s’estomper dans la pénombre. La personne en question — sans surprise — se trouvait être Kor’oth, aka le maitre des lieux. Deccio s’attendait plus ou moins du sujet auquel il voulait s’entretenir. Mais il se tut, préférant écouter que trop parler. C’était une aubaine, autant qu’il en profite. « Quel prompt rétablissement… tu en as dans les tripes… c’est indéniable. » « N’est pas né celui qui décidera de mon sort avant moi, je vous le garantis. » « Belle mentalité… mais tu n’es pas encore prêt… pour changer radicalement et devenir… un guerrier sur lequel je pourrais compter. » « De quoi parlez-vous ? » « Je t’ai concocté des épreuves sur mesures… par lesquelles tu devras passer si tu souhaites réellement transcender tes pairs. Néanmoins, cela sera loin d’être aussi simple que la promenade de santé dont tu t’es tari aujourd’hui… Un Madiga aussi performant soit-il ne pourras jamais réussir. C’est pourquoi j’ai prévu une transition qui te fera grimper dans la hiérarchie. Ensuite seulement… tu pourras entamer l’entrainement ultime qui te mettra aux côtés des plus grands. » De telles paroles avaient de quoi l’émerveiller. Ce démon haut placé avait donc été conquis par son audace. Que pouvait-il répondre à cette exhortation, autre que par un signe de tête fort en approbation. Il accomplirait sa mission avec brio en s’en donnerait tous les moyens. Pour ne pas désappointer ses deux mentors, mais aussi et surtout pour ne pas se décevoir lui-même. La vraie bataille allait enfin pouvoir débuter. Il avait hâte.


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[Q] - La confiance et la défiance pour gage de bonne foi | Solo

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