Son nom était tombé.

Comme un coup de hache fend le bois : nettement, précisément, indubitablement. Depuis, Priam oscillait entre une angoisse tambourinante et une détermination flottante. Il est des nouvelles qui laissent peu de place au calme et à l’indifférence. Elles déjouent les volontés de détachement et rappellent à l’ordre les esprits passifs. A cette époque, l’enfant de Réprouvés n’était encore qu’un berger. Il vivait pour ses bêtes et les souvenirs d’un lieu qu’il ne retrouverait plus jamais – ces vastes champs dorés où brillent les épis de blé et les lames des armes. La diplomatie apparaissait peu à peu à l’horizon, tirée par les ficelles de l’avenir. Il n’en avait pas encore conscience. Il n’était ni Ange ni Réprouvé ; il s’engluait dans cet entre-deux, déchiré entre le désir et la raison, entre les racines et les sentiments. Il frôlait les péchés, il répudiait les Ætheri, il vivait parmi les Ailes Blanches comme un bouton d’or au milieu de rangées de trompettes des anges. Le monde tournait, et peu lui importait. Quelques aspérités émergeaient de son océan de tranquillité ; des rencontres significatives, des aventures inattendues, des prophéties improbables. Elu d’Hel’dra. Il ne voulait pas y croire, car les Zaahin n’avaient rien dit. Cependant, des rouages indépendants de sa volonté se mettaient en place, et les engrenages s’activaient, sans qu’il ne pût remédier au démarrage de cette machine du diable. Cette époque-là, c’était un temps d’éveil.

Et son nom était tombé.

On parlait d’un choix des Ætheri, ces divinités qu’il ne reconnaissait pas. Il songeait aux Zaahin et se convainquait qu’ils devaient vouloir le mettre à l’épreuve. S’ils avaient agi ainsi, c’était qu’ils le pensaient capable de défendre les honneurs lors de cette Coupe des Nations. Pourquoi le faire participer sous l’étendard angélique ? C’était là la véritable question, qui résonnait en échos inlassables dans son esprit. Représenter les Anges, c’était afficher clairement son appartenance à ce peuple, c’était prôner des idéaux qu’on ne lui avait pas inculqués, c’était chérir une patrie qui n’était pas la sienne. Priam retournait le problème en tous sens ; et la conclusion la plus logique qu’il avait pu tirer – mais pas moins nébuleuse – était que les Héros souhaitaient son investissement dans cette race, pour des raisons qui alors lui échappaient. Il trouverait, avec le temps – car le temps porte dans ses bras la plupart des réponses. Pourquoi la Coupe des Nations des Vampires ? Les déités ne fournissaient pas plus d’explications. L’Ailé connaissait peu la race des Créatures de la Nuit. Sa sœur, au cours de leurs péripéties sur Omi’Ake, avait été mordue par l’un d’eux. Pour l’imaginaire collectif, ils étaient des bêtes charmeuses, qui s’abreuvaient du sang des victimes séduites. Pour pallier son ignorance, il avait fait quelques recherches. L’alphabétisation, à Lumnaar’Yuvon, relevait de l’hérésie. Son père savait lire et écrire parce qu’il avait été contraint d’apprendre afin de pouvoir commercer avec l’extérieur – il était parfois morigéné ou moqué par ses pairs à ce sujet. Toutefois, le nez dans les livres saturés de connaissances, Priam avait compris l’importance de maîtriser la langue des écrits. C’était là que respirait le savoir des humains.

Au terme de ses recherches, un flou opaque demeurait : la nature de l’épreuve. Celle des Réprouvés avait consisté en un combat contre des bêtes nuisibles, celle des Anges avait pris la forme d’une lutte contre le mal, celle des Ygdraës s’était découpée en trois possibilités – convaincre la Nature, survivre aux éléments, résoudre des casse-têtes –, celle des Humains avait mis à contribution les neurones des participants en leur proposant des énigmes… Les formats avaient été divers et variés. Il n’y avait pas moyen de deviner ce que les adorateurs du sang avaient prévu. Il fallait simplement attendre. Et à ce jeu-là, le berger excellait.

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« Laëth ? » La surprise crispa ses traits. Il n’avait pas pu manger de la journée, et la nourriture étant ce qu’elle était aux yeux des Bipolaires, il ne se trouvait pas dans ses meilleures dispositions. L’arrivée inopinée de sa sœur le réjouissait autant qu’elle suscitait son appréhension. Il était heureux de la retrouver car jamais il n’aurait pu envisager de la revoir si tôt, cependant, l’idée qu’elle fût confrontée à l’épreuve ne faisait pas ruisseler la sérénité dans son esprit. Il ignorait à quoi s’attendre, mais le fait qu’il n’eût pas goûté le moindre aliment et qu’il participât à l’épreuve de tueurs sanguinaires ne lui disait rien de bon. « Priam ! » Elle se jeta à son cou, les yeux pétillants. Il la réceptionna avec toute la chaleur et l’amour qu’elle lui inspirait. « Tu… Les explorations. Comment as-tu pu venir ? » - « On s’est arrangés. » se contenta-t-elle de répondre en souriant. « Avec la téléportation, on fait des merveilles. Tu sais en quoi consiste l’épreuve ? » - « Non, mais quelque chose me dit que j’aurais préféré que tu restes sur Iyora. » Elle fronça les sourcils et se décala légèrement, piquée au vif. « C’est moi, la guerrière de nous deux, hein. » - « Tu oublies que j’ai obtenu le titre de Fus’Naakar’Lus. » Elle cligna des yeux, puis grommela : « Mouais. » Il s’était attendu à plus de répartie, mais peut-être que son entraînement militaire finissait par l’assagir.

Les escortes de Vampires, après avoir réuni tous les protagonistes au sein d’une clairière, réclamèrent le silence. Puis, l’un d’entre eux s’avança, et entama des explications. Pour remporter l’épreuve, il faudrait survivre aux caprices de la forêt et à l’avidité de jeunes Enfants de la Nuit, trois jours durant. La Lignée de Vlad : ce qu’il en avait lu ne le rassurait en rien. Au poignet, on leur fixa un bracelet. A son contact, un étourdissement secoua l’enfant de Réprouvés, et un frisson glacé gratta son épiderme. Il avait la sensation qu’on lui arrachait quelque chose ; et en effet, c’était une part de sa magie qui s’évanouissait avec ce bijou. On leur donna une dague. Priam serra les dents et frémit, alors que ses doigts se refermaient autour de l’avant-bras de sa sœur. D’après les livres, les buveurs de sang raffolaient du liquide qui grondait dans les veines des Anges. La virginité les enivrait. Si Za s’était chargée de faire disparaître la sienne, Laëth n’avait jamais accueilli qui que ce fût dans son lit – à sa connaissance, en tout cas –, ce qui en faisait une cible de choix. Sa dernière morsure lui avait laissé un souvenir âpre, plus ancré encore dans l’esprit que dans la chair. Il ne voulait pas que cela lui fût de nouveau infligé, et craignait aussi pour leurs vies à tous les deux. Qu’adviendrait-il si la patte vorace d’un Vampire s’abattait sur eux ? Aurait-il droit d’aspirer leur existence jusqu’à ce qu’ils s’effondrassent ? Son courage s’étiolait, frappé par la crainte de perdre celle qui lui était chère. Il tentait de se raisonner : qui aurait eu idée de tuer des participants à une Coupe des Nations ? Pourtant… Les Réprouvés avaient laissé mourir ceux qui ne parvenaient pas à prendre le dessus sur les bêtes. La méfiance que ce même peuple avait distillé en lui s’éveillait et alertait tous ses sens. La mort était la plus grande des chasseuses, car la plus patiente et la plus efficace : elle guettait et ne ratait jamais son coup.

Ils disparurent. Myngrimu les dévora.


La suite dans la CDN, que je posterai demain, parce que les imprévus /sbam
Merci à Mitsu et I&I pour l'inspiration pour le titre xDD (oui c'est un titre putaclic et oui j'assume totalement /sbam)