Ratcliffe détailla quelques secondes le garçon avant de tourner les talons, lâchant un simple,
« Suis-moi. », à son encontre. Le colon obéit sagement, toujours aussi silencieusement. A croire que ce dernier fut muet. Ce qui serait une bonne chose en vérité. Le Gouverneur pénétra sa tente, tandis que le jeune homme eu un temps d'arrêt face à cette dernière, ne sachant s'il devait le suivre à l'intérieur ou attendre dehors.
« Et bien, qu'attends-tu ? Entre. », ordonnai Ratcliffe, penché sur la carte. L'homme s'exécuta, sans un mot, attardant son regard sur ce qui composait l'intérieur de la tente du Gouverneur. Bien plus grande que la sienne, la toile était de bien meilleure qualité. Aussi, un mince sourire se dessinait sur le visage de Ratcliffe en voyant le regard brillant du jeune homme.
« Quel est ton nom ? » -
« Euh... Peter. Je m'appelle Peter O'Sullivan Monsieur. ». Bien, alors il n'était pas muet. Ce n'était pas grave, ce serait plus simple pour communiquer.
« Très bien Peter. J'aimerai te confier une mission. Si tu réussi, tes camarades et toi pourrez plus rapidement sortir de la poussière de vos tentes. ». Le garçon devint soudain bien plus attentif. Il comprenait que chaque mots serait important et que le Gouverneur l'envoyait faire quelque chose de bien plus sérieux, peut-être même dangereux, que d'aller voir un gus qui suait la testostérone et une gonzesse plus intéressée par l'image de son reflet que l'état de son royaume.
« Tu vas prendre le cheval le plus rapide et aller droit vers Hou-Hou. Je veux que tu retardes ce nuisible et son armée de sauvage. Essaye de trouver le moyen de les rabattre vers ce royaume. Ils ne doivent pas rejoindre Grraaaa. Alimente la flamme des habitants de Hou-Hou s'il le faut pour que son armée s'engage déjà dans le combat et que ses troupes s'affaiblissent. ». Il marquai une pause, son regard sévère fixé sur le visage soudain tendu du colon.
« Je ne laisserai pas ces barbares nous prendre nos terres. ». Le garçon se plongea dans les prunelles d'ambres du Gouverneur. La flamme de la colère brûlait avec intensité. Il lui semblait alors évident que, dès lors qu'il quitterait le camp, il ne pourrait plus faire demi-tour avant d'avoir exécuté les ordres. Qu'une fois parti, il n'aurait plus le droit de revenir temps que l'ennemi ne serait pas mis en déroute.
« Gouverneur ? » -
« Oui ? » -
« Je vais exécuter cette mission... Seul ? ». Il avait bien retenu qu'il y avait tout de même une grande part de danger dans ce qu'il devait entreprendre. Ratcliffe se redressa et laissa planer un temps avant de lui répondre.
« Peter... Sais-tu pourquoi ils sont deux à être parti voir ce Gaston ? » -
« Non monsieur... », fit le jeune homme en baissant les yeux.
« Le sentiment d'urgence Peter. Le nombre fait toute la différence. Et si j'envoie une troupe, vous vous ferez décimer. », répondait alors Ratcliffe en finissant sur un ton trop jovial. L'effet fut cependant intense, car les paroles se gravèrent au fer rouge dans l'esprit du colon.
« Je comprends... », lâchait-il doucement.
« Bien. Maintenant file. On perd du temps. Et chaque secondes comptes. » -
« Bien Gouverneur. ». C'est sous le regard sévère de Ratcliffe que le garçon quittait la tente pour rejoindre rapidement la sienne. Il empaqueta rapidement de quoi se sustenter pour le voyage avant de partir sceller le cheval. Puis, il posa un dernier regard sur le camp, encore en chantier. Il savait que, quand il reviendrai - si tant est qu'il reviendrai - tout sera différents. Peut-être même y aura-t-il de véritables habitations ?
Peter s'arrêta à un point d'eau. Ils avaient voyagé longtemps et sans s'arrêter. Lui comme le cheval étaient épuisé. Le colon plongea ses mains dans l'eau avant de se les porter au visage. Puis, il laissa échapper une expiration de satisfaction. Il attrapait sa gourde et la plongeait dans l'eau, remplissant cette dernière de la boisson fraîche. Enfin, il se releva, laissant planer son regard dans le lointain. Un panache de fumée noire était visible par delà les arbres, vestige d'un feu d'incendie. Il n'était pas récent. Il n'était pas proche non plus, heureusement pour lui. Il laissa sa main glisser le long de l'encolure de la bête. La pause était terminée. Pourtant il n'ennuya pas l'animal et ne le monta pas, marchant à travers la forêt en le guidant par les raines qu'il tenait d'une main. Pourtant, à peine avait-il fait quelques pas qu'il se retrouva face à un étrange phénomène. Une bonne femme se trouvait à quelques pas de lui. Il aurait pu faire demi-tour, d'autant que la vieille pouvait presque paraître folle. Mais il avait vu son regard se figer dans le sien, malgré les insectes horripilants qui escaladaient son visage. Aussi se rapprochait-il un peu plus, tout en gardant une certaine distance, au cas où...
« Bonjour vieille femme. Tu as un problème avec ces insectes ? ». Un sourire se dessinait sur son visage.
« Tu n'es pas d'ici mon garçon. N'est-ce pas ? ». Peter marquait une pause. Répondre à une question par une autre était une chose. Là, elle venait de balayer un problème par un problème ethnique.
« Non... En effet... ». Le sourire de la vieille s'agrandit.
« Je n'ai pas de problème avec ces animaux. C'en sont d'autres qui me posent quelques tracas. Plus bruyants. Plus sauvages. Ils ont envahit ces terres et ont voulu s'approprier leur Mère, la Nature. ». Le colon restait silencieux, écoutant simplement la colère de la vieille femme. Un sourire rêveur se posa sur ses lèvres.
« Il y a longtemps que j'aimerai montrer à cet insouciant de Powatan que l'homme ne peut conquérir la Nature. ». Toujours muet, les graines d'une idée commençaient à s'implanter dans l'esprit du jeune homme.
« Tu es étranger à ces terres. Si un malheur venait à frapper, je suppose que tu n'en serais pas chagriné ? », le questionna-t-elle de sa voix de crécelle.
« Et de quel genre de malheur parles-tu ? ». Un sourire satisfait se peint derrière les pattes rachitiques des criquets.
« As-tu déjà vu un ciel noir, même en plein jour ? ». Au même moment, les criquets présents sur la vieille femme s'envolèrent d'un même mouvement, tournoyant au-dessus d'elle tel un épais nuage obscur, comme s'ils imitaient ses dires. Peter comprit en voyant l’essaim ce qu'elle voulait dire par "un ciel noir".
« Et pourquoi ne l'as-tu pas déjà fait ? », demanda le colon sans détacher son regard du nuage d'insecte.
« Hum... Ce serai fait depuis longtemps si j'avais pu. Mais il me manque quelque chose. Et aujourd'hui je suis malheureusement trop âgée pour aller le chercher... ». Le sous-entendu était clair. Elle demandait son aide. Le jeune homme gardait le silence quelques secondes. Ne serait-ce pas une perte de temps que d'aider cette vieille ? Alors il se souvint des propos de Ratcliffe. Il n'avait pas expliqué pourquoi il avait soudain décidé d'aider les gens de Hi-Hi-Hi. Mais le fait est qu'il voulait que, si guerre il devait y avoir, elle se déroulerait là-bas. Aussi, le colon commença à imaginer les raisons qui avaient poussé le Gouverneur à agir ainsi. Et peut-être aider cette femme était un risque à prendre. Ses ordres étaient de retarder l'avancée de l'armée ennemie. Si les divagations de la vieille étaient vraies...
« Et qu'est-ce qu'il te manque pour pouvoir te venger de ce... Powatan ? ». De satisfait, son sourire devint ravi.
D'après les indications qu'elle donna au colon, il comprit qu'il serait bien plus simple de continuer ces explorations à pied. Aussi lui laissa-t-il le cheval pendant qu'il partait à la recherche de cet objet qui lui permettrai de se défouler sur le chef de Hou-Hou. La chose ne fut cependant pas aisé et il mit bien plus de temps que prévu à mettre la main dessus. Etranger à ces lieux, il découvrait la forêt en même temps qu'il était sensés chercher cet objet caché dans un arbre parmi mille autre. Au final, il se demandait même s'il retrouverai un jour son chemin et que la vieille ne l'avait pas berné en ce sens. Dans ce cas, il avait été un parfait idiot. Aussi, malgré tout le bien que pouvait dire cette bonne femme sur la Nature et la façon dont elle portait cette dernière dans son cœur, le jeune homme ne put retenir nombre de juron à l'encontre de celle-ci, chaque fois que ses pieds se prenaient dans des racines trop grandes ou que des branches apparaissaient par surprise pour s'écraser sur son visage. Il se posa quelques secondes afin de déchiffrer la carte. S'il ne s'était ni trompé, ni perdu, il devrait être dans les environs de l'artefact. Normalement. Elle avait dit qu'il se trouvait près d'un grand arbres aux épaisses racines. Il porta un regard à trois-cent-soixante degré sur son environnement. Des grands arbres aux épaisses racines ? Il n'y avait que ça ! Point positif dans l'histoire : l'objet était métallique. Un matériau qui dénotait totalement avec l'environnement principalement organique. Il mettrait peut-être du temps à le trouver... Mais une fois qu'il aurait la main dessus, il pouvait être certain qu'il ne faisait pas erreur sur ce qu'on lui demandait de ramener. Toutefois, là était le seul point positif. Car il mit longtemps à le chercher. Longtemps il scruta le sol de ses yeux et gardait le nez levé vers les branches. Sa nuque commençait à le sentir. Il commençait à légèrement perdre patience et le soleil était loin sur sa pente descendante quand il songeait à revoir cette vieille femme pour lui demander à quel degré elle s'était amusée de lui. Pourtant, cette idée n'en demeura qu'une pour l'instant, et il persista dans sa quête encore un peu. Une persévérance qui paya. En enjambant les racines noueuses d'un arbre, son regard se posa sur ces dernières, principalement pour éviter de trébucher une énième fois, avant d'être attirer par autre chose. Ce trésor après lequel il courait depuis des heures maintenant. Coincé dans l'enchevêtrement des racines ayant déjà trop poussés, seul un regard attentif - ou beaucoup de chance - permettait de retrouver l'artefact perdu, en effet. Un sourire satisfait sur le visage, il se saisit à pleine main du petit cylindre avant de faire demi-tour pour retrouver la vieille aux criquets.
En le revoyant apparaître, le regard de la vieille s'illuminait d'un éclat curieux. Et, sans un mot, Peter lui tendit le cylindre de métal.
« Je te remercie mon garçon. », fit-elle en attrapant doucement l'objet.
« Je te conseillerai de quitter le pays pour les quelques jours à venir... », ajoutait-elle alors que les insectes présents autours d'elle commençaient à s'agiter. Le colon resta silencieux quelques instants.
« Je ne peux pas. Pas encore. ». Elle lui jeta un regard en biais.
« C'est toi qui vois. ». Le colon ne s'attarda pas plus longtemps, tandis qu'un bourdonnement assourdissant se rapprochait d'eux. Aussi, s'il ne quitterai pas le pays, peut-être ne s'y enfoncerait-il pas non plus cependant durant les quelques prochains jours...
En route pour rejoindre le château de la Reine, le regard de Ratcliffe fut attiré par un étrange mouvement, au sud. Un épais nuage se déplaçait rapidement et descendait droit sur les forêts du royaume. Il ignorait bien ce dont il s'agissait. Mais quelque chose lui disait que c'était une bonne nouvelle. Pour lui, tout du moins.
