Musique

La boite à musique avait été rangée, il y de cela plusieurs dizaines d’années, dans le coffre installé au pied du lit de la vieille sorcière, dans la pièce miteuse qui lui servait de chambre. Avant de s’y retrouver enfermé, l’objet avait eut une place de choix, sur le rebord de la fenêtre, aux côtés d’un cendrier en argent décoré de façon exubérante et d’un cadre où avait été soigneusement mis en évidence un contrat de mariage aux noms de « Mertle Bogins, épouse Boffin » et « Sefus Boffin ». A cette époque, les rayons de soleil et les quelques éclats de lune qui parvenaient à traverser le plafond de nuage tombaient directement sur le trio. Leur lueur auréolait délicatement le petit coffret de bois, lui donnant une apparence tour à tour mystérieuse, joyeuse, poétique, selon l’éclairage et l’humeur du spectateur. En ces temps anciens, sa propriétaire prenait souvent le temps de la dépoussiéré, s’arrêtait pour l’observer avec tendresse et parfois, lorsque l’envie lui en prenait, elle s’accordait même le plaisir d’en lever le couvercle pour profiter du trésor qu’elle renfermait. Ces souvenirs reflétaient une propriétaire encore jeune, dont le sourire dissimulait l’aigreur qui deviendrait plus tard sa caractéristique principale. Au fur et à mesure que le cœur de cette propriétaire se renfermait sur lui-même, l’utilisation de sa boite à musique se faisait de plus en plus rare, jusqu’à ne plus servir du tout. Un jour, ce fut le cendrier qui passa par la fenêtre, le lendemain, le contrat qu’on rangea dans un vieux classeur, au milieu d’autres parchemins importants et, finalement, la petite boite à musique termina d’être exposée sur la tablette de la fenêtre.

Le coffre renfermait un tas d’autres objets qui s’étaient montrés forts utiles en leur temps, mais qui avaient cessés d’avoir de l’importance dans le cœur froid de leur sorcière. Plus l’objet se retrouvait profondément enfouis, moins il avait de chance de ressortir un jour de cette prison de bois : la mémoire de la biquette devenait un peu plus défaillante à chaque bougie qui s’ajoutait sur son gâteau d’anniversaire. Dans un premier temps, la petite boite à musique avait été déposée sur le sommet de la pile, par-dessus une robe en mauvais état qui se devait d’être un jour restaurée mais qui était entreposée depuis une décennie. Parfois, lorsque l’habitante cherchait un item qu’elle ne trouvait pas ailleurs elle ouvrait le coffre et apercevait sa boite à musique, lui remémorant son existence : jamais cependant n’avait-elle prit le temps de réécouter sa mélodie. A force de farfouillage dans tout ce bazar, le boitier dégringolât d’un étage, puis d’un autre, jusqu’à finir par toucher le fond : sentence cruelle de ne jamais retrouver la surface.

Il est dit que les Objets possèdent une conscience propre, certains diraient même une âme. Qu’ils ressentent les émotions de leurs propriétaires quand ceux-ci les utilisent ou les observent, s’imprégnant de ces résidus affectifs. Ainsi, les objets peuvent se sentir utiles et aider au mieux leur détenteur dans les tâches qu’ils entreprennent : on a plus d’une fois remarqué qu’une paire de lunette se réglait instinctivement à la vue de son maître lorsque celui-ci la portait quotidiennement, ou encore des vêtements qui se repassent seuls lorsqu’ils remarquaient qu’ils ne seraient portés qu’à la condition de ne présenter aucun pli. Dans le cas contraire, les objets abandonnés, perdus ou délaissés, présentent de plus gros risque de se briser, de se ternir ou de présenter un attrait moindre lorsque son propriétaire le réutilise après l’avoir laissé traîner dans un coin sans revenir vers lui. L’histoire de la petite boite à musique semblait renforcer cette théorie. S'il prenait un jour l'envie à la vieille crapule de réentendre la musique, elle découvrirait avec déplaisir un mécanisme rouillé qui crachoterait des sons discordants.

Le fabricant de jouet qui était à l'origine de cette antique merveille avait passé des journées entières à la confectionner. Il avait d’abord dû trouver un ébéniste où se procurer les planches de bois essentielles à la réalisation du projet : quelque chose de suffisamment robuste sans être trop épais. Il s'était documenté des jours pour apprendre comment confectionner le mécanisme qui produirait la mélodie qu'il désirait. Il avait assemblé le tout puis avait terminé en décorant le boitier avec des feuilles d'or. A cette époque, l'instrumentation était minutieusement réglée et laissait entendre une mélodie heureuse et entraînante. Quelques années plus tard, la boit à musique quitta la vitrine du fabricant pour atterrir entre les mains d'une fillette. A cette époque, son cœur possédait encore quelques éclats qui n'étaient pas que ténèbres. L'espoir fou de rencontrer l'amour, beau, puissant, riche, lui donnait encore envie d'user de ce vieux jouet. Les premières années de mariage, lorsque le sortilège dont elle avait usé pour charmer son époux faisait encore effet, elle y était souvent retournée pour se remémorer de joyeux moments liés à l'objet. Mais, à mesure que son ménage s'était dégradé, il était simplement devenu obsolète et avait commencé à prendre la poussière.

Aujourd'hui néanmoins, il était sur le point de retrouver un nouveau souffle.

Musique

« ODEEEEETTE ! » hurla Mertle de sa voix désagréable. « Ramène ta sale tête d'empotée, et qu'ça saute ! » La vieille sorcière se leva de sa chaise à bascule et fonça dans la salle qui faisait office de salon et de cuisine. Au même instant, la blonde écervelée fit son apparition, sortant de la salle d'eau qu'elle s'évertuait à rendre plus brillante que les fesses d'un nouveau né. « Oui belle-maman ? » demanda-t-elle avec son habituel ton rêveur. « Va m'chercher mon grimoire !  Et mon Chaudron ! » exigea-t-elle en s'avançant vers la table de la salle à vivre, où elle déposa un petit coffret en bois. « J'viens d'avoir une idée maléfique ! » informa la vieille bique avec un sourire triomphant, comme si elle venait d'avoir la plus sombres des idées. Cette fois c'était sûr, on ne pourrait que reconnaître son génie ! Personne n'oserait plus jamais se moquer d'elle, de peur de s'attirer son courroux et de subir un sors semblable à celui de la victime qu'elle s'apprêtait à châtier ! Jubilant à l'idée de la terreur qu'elle inspirerait dans peu de temps, lorsque la nouvelle se répandrait, la vilaine sorcière laissa échapper un rire diabolique, qui n'inspirait pas du tout confiance - à part à cette sotte d'Odette, peut-être, puisque c'était là le seul rire qu'elle connaissait et qu'elle chérissait donc. « Oh, c'est fabuleux, belle-maman ! Je vais vous chercher tout cela dans l'instant ! » se réjouit la blonde. Elle n'aimait pas vraiment lorsque sa marâtre répandait le mal autour d'elle et, à vrai dire, elle avait encore espoir de pouvoir la changer  et de lui redonner goût à la magie blanche. Cependant, elle se réjouissait toujours de la voir à l'oeuvre. Mertle était, assurément, une grande et puissante sorcière ! Un sourire aux lèvres, elle farfouilla dans l'étagère puis dans la cuisine pour apporter le matériel à la vieille dame.

« Bouge toi d'là ! » s'impatienta la vieillarde aussitôt que sa servante eut déposé son équipement sur la table. Avec avidité, elle feuilleta l'épais et très ancien livre : le grimoire où elle avait soigneusement retranscrit toutes les recettes de potions et les mauvais sorts qu'elle avait un jour lancé. On pouvait ainsi y trouver des pages intitulées « Potion pour donner des furoncles sur le derrière », « élixir de mauvaise haleine » ou encore « Comment enchanter un pantalon pour qu'il se baisse en pleine rue ! – et sa variante pour les robes de bal. » La mage noire ne s'arrêta cependant sur aucune de ces pages : elle avait une idée bien précise en tête. Finalement, elle tomba sur ce qu'elle recherchait. « Comment imprégner un objet de sa magie. » Son sourire se fit plus mauvais que jamais et, peinant à cacher sa joie intense, elle s'humecta les lèvres de sa langue boursouflée tout en se frottant les mains. « Bien ! Odette ! Donne moi les ingrédients suivant : un lit'e d'sang d'gargouille; une aile d'chauve-souri; trois ongle de troll; sept crins d'licorne et une écaille de dragon ! » La jeune magicienne, qui était allé chercher la liste des ingrédients dans le placard spécialisé, fronça les sourcils. « Oh, malheureusement, nous n'avons plus d'écaille de dragon... » « Pas grave, remplace la par une écaille d'sirène. Ou d'poisson qu'on a mangé hier – i' doit 'core êt'e'dans la poubelle. » Puisqu'il n'y avait pas davantage d'écaille de sirène, la pauvre Odette se retrouva forcée d'aller fouiller dans les ordures de la veille. Après quelques minutes d’investigation, elle trouva son butin et le ramena, toute pimpante, à sa Marâtre. « Oui bon, pose ça là, mais m'approches surtout pas ! Tu pues autant qu'un pet d'gnome ! » Ignorant désormais son assistante, la vieille sorcière se concentra et mélangea les ingrédients entre eux, touillant en continu dans sa grosse marmite. « Enfin, pour céder de votre magie, arrachez-vous un cheveux pendant que vous utiliser votre sort. Quoi ? Mais qu'c'est qui'a eu cette idée d'nigaud ?! » S'arracher des cheveux ? Ça allait être fichtrement douloureux. « Odette ! Viens là ! » héla-t-elle à nouveau. Une fois que l'enfant fut assez proche, elle utilisa de sa magie pour la faire cauchemarder. Bien sûre, elle était encore éveillée et cela n'eut aucun effet immédiat sur elle. Mais une fois la nuit venue, elle serait la proie de terribles et terrifiants rêves qui la tourmenteraient des jours durant ! Mertle tendit ensuite la main et arracha quelques cheveux blonds de la tête de la pauvre servante qui laissa entendre un petit gémissement. Elle jeta le tout dans sa marmite. Il y eut alors un nuage de fumée verte qui s'éleva de son chaudron. « Voilà, c'est prêt ! » La biquette s'empara d'une louche qu'elle rempli, puis se tourna pour déverser le contenu sur la boite à musique. La boite elle aussi se mit à luire d'une lueur verte, avant de retrouver son apparence initiale.

Mertle s'empara ensuite d'une vieille caisse en bois. Soigneusement, elle y plaça quelques fruits, une bouteille de cidre et, enfin, l'objet ensorcelé. Elle s'empara ensuite d'un papier. « Félicitation pour l'heureuse nouvelle. » indiqua-t-elle avant de glisser le parchemin dans une lettre, qu'elle déposa à son tour dans la cagette. Finalement, la machiavélique enchanteresse déposa le tout sur un linge propre et blanc – il sentait une douce effluve de citron et de romarin – qu'elle noua autour du tout, en faisant un paquet modeste mais à l'allure engageante. « Bien Odette, assure-toi que'c'paquet soit livré à cette vieille fripouille pustuleuse d'Réta Paiberym. »

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