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 |Q| - L'Acceptation de l'Autre

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Mar 05 Mai 2020, 19:34


L'Acceptation de l'Autre



Partenaire : Solo
Intrigue/Objectif : Solheim suit l'entrainement de sa mère pour devenir plus fort. Son instabilité ronge sa famille et il décide de partir. Cependant, ses mères lui demandent de repousser sa décision pour le soumettre à un ancien rite.


Quatre-vingt-dix-sept, quatre-vingt-dix-huit, quatre-vingt-dix-neuf, cent

Vidé de toute énergie, je m’étalai en étoile sur le sol herbeux de la plaine. Ma poitrine battait. Mes poumons brûlants réclamaient de l’oxygène mais mes halètements ne leur en apportaient pas suffisamment. J’eus besoin d’un moment de repos afin de reprendre mon souffle. Finalement, je réussis à suffisamment maîtriser ma respiration pour lever les effets néfastes de cette demi-asphyxie. D’épaisses gouttelettes de sueur ruisselaient le long de mon corps dénudé. Un coup de bâton claqua contre mes fesses relâchées.

« Je ne pense pas t’avoir dit que c’était la pause ?

— Allez, juste un instant, implorai-je »

La guerrière me lança un regard sévère qui me glaça le sang. A force de la voir comme ma mère, j’oubliai parfois qu’Ayleth travaillait au sein de l’armée de Stenfek. Elle n’acceptait aucun relâchement durant ses leçons, arguant que nulle seconde chance n’était accordée sur le champ de bataille. Elle s’attendait à ce que ses élèves soient concentrés et à l’affût durant l’entièreté du cours - et parfois même au-delà. “Ta victoire au combat est proportionnée à ton investissement lors de l’entraînement” répétait-elle. Elle m’asséna un coup de pied dans les côtes qui me fit rouler sur le côté et abattit son arme qui s’arrêta à quelques centimètres de ma gorge.

« Lors d’un affrontement, tu serais mort.

— Lors d’un affrontement, je n’aurais sans doute pas fait dix séries d’exercices de musculation ! rétorquai-je en repoussant son bâton de la main gauche.

— Parce que tu penses vraiment que combattre en situation réelle est aussi facile qu’une série d’exercices bidons ? » se moqua-t-elle.

Je me relevai d’un saut carpé. Son air supérieur m’énervait. J’avais bien l’intention de la battre cette fois-ci. Je m’emparai de l’une des matraques d’entraînement disposée contre un arbre et m’approchai de mon adversaire. Elle arborait ce sourire pédant qui m’horripilait tant. La mâchoire crispée, je portai un premier coup qu’elle n’eut aucun mal à dévier.

« Laisse tomber, tu n’es pas prêt pour cette lutte

— Ta gueule et bats-toi.

— Très bien, mais va pas chouiner quand je t’aurai botter le cul. »

Je portai une frappe vers son épaule droite. Nos armes se heurtèrent en un bruit sourd. D’un mouvement vif, je cognai avec l’extrémité opposée. Elle para l’assaut, un sourire aux lèvres. Le fantassin se baissa et riposta d’un mouvement circulaire. Je sautai pour éviter son coup. Elle esquiva un nouvel assaut vertical par une roulade sur le côté. Sans attendre, elle attaqua mon flanc laissé sans défense. J’encaissai son offensive qui me déstabilisa vers l’avant et plantai mon bâton pour retrouver mon équilibre. Je contre-attaquai d’un violent coup de pied. Mon adversaire lâcha son arme pour se saisir de ma jambe et contenir l’attaque. Elle tourna ma cheville dans le sens de l’articulation. Je suivis le mouvement avec mon corps et, lorsque je fus quasiment à l’horizontal, je pris mon envol. Elle lâcha aussitôt son emprise et se relevai en prenant soin de ramasser son arme.

« Alors, pas trop mal, hein ! lançai-je

— Attends de voir la suite » ricana-t-elle

Elle se rua sur moi, s’élevant également dans les airs. Nous échangeâmes une série de coup rapides. Je commençai à fatiguer. Mes assauts étaient de moins en moins rapides et précis. Je créai une brèche dans ma défense, mais elle ne l’exploita pas. Je recommençai mon stratagème, sans succès. Soudain, elle prit un peu de hauteur et frappa mon sternum de la pointe de son arme. La violence du coup me repoussa et je heurtai le sol. J’avais le souffle coupé. Mon adversaire ne me laissa aucun répit. Elle se laissa tomber à genou sur ma poitrine pour m’immobiliser.

« Je te l’avais dit, tu n’es pas prêt pour ce combat. »

Je tentai toujours de reprendre ma respiration quand la voix de l’Autre tonna dans ma tête.

“Reprends-toi, tu ne vas pas encore la laisser gagner. Tu ne vaux vraiment pas mieux que ça ? C’est pitoyable. Tu es pitoyable.”

J’avais chaud. Mon regard ambré changea de teinte pour exhiber celle du sang. Je sentais mes membres se contracter sous les pulsions de colère qui me parcourraient. Je me débattais en vain de la prise de la guerrière.

« Eskel Wah Kein Farore » (Invocation du Divin Chaos) grognai-je d’une voix grave

— Solheim, non ! »

Ayleth recula d’un bond et se plaça à distance de son fils.

“ Je prends le relai. ”

Je perdais peu à peu mon emprise sur mon propre corps en mutation. Le plumage de mes ailes s’obscurcit. Les pores de ma peau sécrétèrent un mucus noirâtre qui recouvrit l’entièreté de mon corps. Peu à peu, le liquide se solidifia en couche d’écailles successives, formant des saillies sur mes bras et mes jambes. Je me relevai, l'air hautain avant de m’élancer vers mon opposant.

« Diren Rahjiin ! » (crève, salope !)

Mon armure de jais m’offrait une protection nouvelle contre les coups de mon assaillant. Je fonçai sans me préoccupai des dégâts qu’elle pouvait bien m’infliger. La colère qui m’animait m’empêchait de ressentir la douleur. Mes gestes étaient précipités et prévisibles ; Ayleth n’avait aucun mal à riposter à chacune de mes attaques. Elle exploitait habilement chacune des failles de ma défense imparfaite.

« Solheim, calme-toi ! Reprends le dessus, je sais que tu en es capable ! »

Sa voix résonnait vaguement dans mon esprit cotonneux. Je ne réagis pas, poursuivant mon déluge de coups. Mon instructrice se contentait de dévier mes assauts, patientant jusqu’à la fin de ma rage. Elle savait qu’elle pouvait y mettre fin à tout moment par les armes ou le Pruzah Aus. Pourtant, les minutes s’égrainèrent sans que la situation ne s’améliore. Mes coups n’avaient plus aucune puissance et la fatigue pétrifiait mes membres endoloris. Je haletais bruyamment. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Mes jambes m’abandonnèrent soudain et je m’effondrai sur le sol, inconscient.
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«  Mais pourquoi tu… commença la voix de l’Ange

— Arrête avec tes sermons moralisateurs, Leya ! » la coupa Ayleth en frappant du poing sur la table.

Je me figeai, immobile. J’étais allongé dans le canapé de la maison. Mes mères se disputaient sans doute à cause de moi, encore. J’aurai dû remuer, leur faire savoir que j’étais réveillé. Pourtant, je restai là à les écouter, les yeux fermés, simulant un profond sommeil.

«  A ton avis, pourquoi Solheim a-t-il tant de difficulté à se contrôler ? Tu ne t’es jamais dit que ça avait un rapport avec toi ?! cracha la réprouvé

— Tu racontes n’importe quoi quand tu es en colère, se défendit Leya

— Vraiment ? Parce que tu penses que c’était nécessaire de l’élever dans ta sacro-sainte tradition ? Ne penses-tu pas que tu as corrompu son esprit avec tes ridicules histoires de Vertus et de Pêchés ? Il n’est pas comme toi, Leya. Il ne le sera jamais ! C’est un réprouvé, une engeance qui possède du sang démoniaque, qu’espérais-tu ? Que tu allais pouvoir en faire un petit toutou docile ?! Tu lui as appris à renier la moitié de ce qu’il est, tu lui as interdit de goûter à sa véritable nature.

— Mais, je ne pensais pas… soutint son interlocutrice

— Avec le recul, je n’aurai jamais dû te laisser l’embarquer là-dedans. C’est ma faute tout autant que la tienne après tout…  

— Ça suffit ! »

Mes mots claquèrent comme un coup de fouet. Les deux femmes se retournèrent vers moi. Je m’étais relevé promptement sous leurs airs oscillant entre stupéfaction et le malaise. Mon poing rencontra le mur à ma gauche dans un fracas puissant qui m’arracha une grimace.

« J’en ai marre. Ça sert à rien de vous accuser l’une l’autre. Je ne veux pas être la source de vos conflits. Faut pas se voiler la face, je suis un incapable et ce n’est pas votre faute ! Je suis trop faible, c’est tout. »

Mon regard croisa celui d’Ayleth.

« Je sais que je te déçois. Je ne serai jamais digne d’être un Xyulfang. Je partirai dès demain. En attendant, j’ai besoin de prendre l’air. »

Elles allaient protester mais je ne leur en laissai pas l’occasion. Comme à mon habitude, j’avais déjà filé vers l’extérieur, claquant la porte derrière moi. Je pris mon envol et plana quelques instants avant de me poser dans un lieu isolé.

« Je ne serais jamais rien d’autre qu’un poids pour la société. Le mieux que j’ai à faire c’est de disparaître, tout le monde s’en portera mieux… »

Je marchai difficilement à travers les ruelles désertes de Stenfek. J’avais trop forcé sur mon corps et il me le faisait payer. A chacun de mes pas, mes muscles me rappelaient à quel point je les avais sollicités pendant le combat contre Ayleth. Les nombreuses ecchymoses qui constellaient mon torse et mes jambes participaient à rendre l’effort difficile. Je finis par m’adosser à l’un des hauts arbres au feuillage de flammes et à me laisser tomber sur les fesses. Je retins une plainte de douleur ; j'avais oublié que la guerrière m’avait également frappé à cet endroit.

J’avais toujours su que mes mères ne s’étaient pas entendu sur mon éducation. Leya-Niera pensait qu’il était important que je puisse faire la part des choses entre le ‘bien et le mal’. Elle m’avait élevée dans la culture angélique, en me conseillant de me méfier des êtres démoniaques qui sommeillaient en moi. Elle m’avait expliqué les vertus auxquelles je devais me rattacher et les pêchés auxquels il fallait que j’évite de m’adonner. Je ne l’écoutai pas toujours mais - lorsque je lui désobéissais- j’entendais toujours sa voix fluette me réprimander gentiment. De son côté, la réprouvé voulait m’élever comme les autres enfants de notre race. Elle aurait préféré que je baigne dans la culture réprouvée et que j’accepte mes origines démoniaques. Il était important pour elle que je sois en mesure de les connaître, les apprécier et les utiliser à bon escient. Elle arguait que les deux essences étaient nécessaires pour trouver un équilibre durable. Je n’avais jamais compris son point de vue. A vrai dire, elle n’était pas vraiment douée pour expliquer les choses. C’est ainsi, que d’un commun accord, elles décidèrent qu’Ayleth s’occuperait de mon entraînement martial tandis que Leya-Niera me dispenserait un apprentissage plus didactique. J’appréciais beaucoup ce que chacune m’avait apporté. J’alliai leurs deux enseignements pour me forger une personnalité différente de celle de mes compères. Je réfléchissais davantage aux conséquences de mes actes ce qui m’amenait indéniablement à refréner certains désirs que l’Autre me susurrait à l’oreille.

Un bon quart d’heure s’était écoulé depuis ma fuite de la maison mais déjà les couleurs orangées du ciel s’étaient éteintes. Les rayons de la lune filtraient à travers les cumulus qui la masquaient. Je me relevai et pris le chemin du retour. Il me faudrait une bonne nuit de sommeil pour entamer mon long voyage en solitaire. J’espérais néanmoins que les deux femmes avaient cesser leur querelle ; je ne supporterai pas de les voir se déchirer à nouveau par ma faute.

Je poussai la porte d’entrée qui glissa sur ses gonds dans un grincement aigu. Les deux femmes n’avaient pas bougé ; elles étaient attablées dans la salle à manger, poursuivant leur discussion d’un ton moins animé. Elles cessèrent à l’instant où je pénétrai dans la pièce et tournèrent vers moi des yeux emplis d’un mélange d’inquiétude et de regret. D’un bref signe de la main, Ayleth m’invita à prendre part à la conversation qui se tenait autour de la table circulaire. Je m’approchai difficilement et m’affalai sur l’une des massives chaises de bois, retenant un gémissement de douleur. La réprouvé eut un léger rictus devant ma grimace mais se retint de tout commentaire.

« Solheim, je pense que nous te devons des excuses, commença Leya-Niera, nous ne voulions pas te blesser. Tu n’es pas un poids pour nous - au contraire, nous avons passé de merveilleuses années de vie commune avec toi au sein de ce foyer.

— Ouais, continua Ayleth, c’était sympa d’avoir un petit bambin caractériel dans les pattes. Ça mettait de l’animation parce que bon tu sais comment ta mère peut être ennuyeuse.

— Hé ! protesta-t-elle en souriant. Bon, toujours est-il que même maintenant, nous apprécions te savoir avec nous. Tu n’es pas un poids et nous te soutiendrons le temps qu’il faudra. Ce n’est pas grave si tu as besoin de plus de temps que les autres pour t’habituer à ta nature. Cela ne te rend pas nul ou incapable.

— Et tu finiras bien par y arriver », enchérit Ayleth.

Leur discours me touchait mais je retins mes émotions. J’avais beau être un homme franc et honnêtement, je n’aimais pas afficher mes sentiments. D’aussi loin que je me souvienne, j’avais toujours pris soin d’enfermer ma sensibilité dans un coin de mon esprit, la rejetant au même titre que mes pulsions.

« Merci, balbutiai-je. Néanmoins, j’ai pris ma décision et je m’y tiendrai. Demain, je quitterai cette maison.

— Et pour aller où ? me questionna l’ange

— Je ne sais pas. Je me débrouillerai.

— Alors comme ça tu abandonnes ? cracha la réprouvée. Je pensais t’avoir inculqué de meilleures valeurs guerrières.

— Je n’abandonne pas, la contredis-je. Je continuerai à m’entraîner et - comme tu l’a dit, je finirai bien par réussir à me stabiliser un jour. Mais je ne veux plus être un poids pour cette famille. Je ne veux plus que vous vous inquiétiez pour moi et que vous soyez attristées par ma faute.

— Ne dis pas n’importe quoi. Tu vas vivre de quoi ? Tu crois que c’est simple et facile de partir à l’aventure ? objecta Ayleth.

— Cela ne sert à rien d’insister. Ma résolution est irrévocable. »

Mes mères se regardèrent l’une l’autre d’un air grave. Je repoussai la chaise et me dirigeai vers ma chambre.

« Je vais me coucher, j’aurai beaucoup à faire demain.

— Attends ! me retint Leya-Niera en suppliant sa femme du regard.

— Bon d’accord, si tu veux. On peut essayer. concéda-t-elle à son épouse. »
 
Je fis volte-face, intrigué. Leya-Niera se leva et approcha.

« Je discutai avec Ayleth d’une méthode utilisée par certaines communautés angéliques pour contenir les pulsions d’anciens déchus ayant reçus l’absolution. Si je traduis littéralement en réprouvé, nous pouvons apparenter cela à une sorte de Feykro’In’Ai (littéralement : discussion à l’intérieur de moi = méditation). Je te demande de nous accorder une journée, juste une seule. Repousse ton départ et si demain soir, tu souhaites toujours nous quitter, nous respecterons ton choix. Qu’en dis-tu ?

— J’imagine que je ne suis plus à une journée près, avouai-je. Mais, en quoi consiste ce procédé ?

— A vrai dire, je ne sais plus vraiment comment tout cela fonctionne. J’ai découvert ce rite dans un vieil ouvrage et j’ai besoin d’effectuer quelques recherches. Mais ne t’en fais pas, je serai prête pour demain.

— Assez de questions, coupa Ayleth. Repose-toi, demain une rude journée t’attends. »

Je leur fis un signe de la tête avant de m’éloigner en titubant.

«Solheim ! » m’interpella l’ange.

Elle s’approcha de moi et apposa ses mains frêles sur mon torse. Elle ferma les yeux et la douleur sembla refluer de mon corps. Les ecchymoses étaient toujours présentent mais ne me faisait plus mal.  Je remerciai ma mère et repris ma route vers mon lit.



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Mar 05 Mai 2020, 19:58


L'Acceptation de l'Autre




Le soleil filtrait à travers les interstices des volets en bois. Les rayons lumineux éclairaient la pièce d’une lueur tamisée qui dérangeait mon sommeil. J’ouvrai les yeux et étirai mes muscles endormis, repoussant les draps en bas du lit. Je ne ressentais plus les courbatures de la veille que la magie et le repos avaient fait disparaître. Je sortis de mon cocon douillet et me dirigeai d’un pas lent vers la commode. J’y attrapai un caleçon que je revêtis avant de quitter la pièce toujours plongée dans la pénombre. Les escaliers grinçaient à chaque marche sous le poids de mon corps, annonçant ma présence aux autres habitants de la maisonnée.

« Yo !» lançai-je en guise de salutation avant d’atteindre le pallier.

Étrangement, aucune voix ne fit écho à mon interjection. Arrivé au rez-de-chaussée, je constatai avec étonnement que la pièce était vide. Je m’approchai de la table où mes mères m’avaient laissé un mot :
“Sommes à la bibliothèque. Rentrons avant midi. A tout à l’heure”. Je m’emparai de la lettre que je froissai avant de m’en débarrasser.

Je fouillai dans les placards afin de trouver de quoi me restaurer. Je tombai assez rapidement sur un reste de flocons d’orge et de blé que je laissai trempé dans du lait. Mon regard balaya la salle avec mélancolie ; je ne profiterai peut-être plus du confort de cette maison pour un long moment. J’engloutis le bol de céréales sur la table et remontai dans mes quartiers.

Mes tutrices ne reviendraient peut-être qu’en fin de matinée mais j’avais largement de quoi m’occuper. J’ouvris les contrevents pour laisser entrer la lumière extérieure, offrant - comme chaque jour - une vue dégagée sur la nudité de mon corps. J’attrapai un sac de voyage dans l’armoire du fond et le jetai sur le lit. Ensuite, j’entrepris de reconnaître le superflu du nécessaire pour composer le fatras qui me suivrait durant mon périple. Je savais ce que j’avais laissé entendre à Leya mais je doutais que sa cérémonie puisse changer quoi que ce soit chez moi. J’étais un réprouvé cassé qui n’arriverait probablement jamais à canaliser ses pulsions.

Les souvenirs me traversaient à mesure que je préparai mes bagages. Chaque objet était lié à un événement qui s’était déroulé dans cette ville. Il y avait là un set d’armes en bois qu’Ayleth m’avait offert pour m’entraîner au combat. Plus loin, je remarquai un manteau que je n’avais jamais porté - au grand damne de Leya qui me l’avait offert. A côté d'une série de babioles cassées que j’avais vaguement réparées, je trouvai des articles qui me liait à mes compagnons réprouvés. Je soupirai. J’aurai vraiment préféré que les choses se passent différemment.

« On est rentrées, tonna une voix au rez-de-chaussée

— J’arrive ! »

Quittant ma chambre, je dévalai les escaliers pour rejoindre mes mères adoptives.

« Vous en avez mis du temps, ronchonnai-je. On commence ?

— Pas tout de suite Solheim, nous démarrerons après le repas. J’ai besoin d’un peu de repos. répondit l’ange, visiblement épuisée. »

Je portai un oeil attentif à l’état des deux amantes. Leurs traits étaient tirés par la fatigue.

« Vous n’avez pas veiller toute la nuit quand même ?

— Comme si tu nous avais laissé le choix ! lança violemment Ayleth.

— Excuse là, Solheim. Nous allons dormir un peu puis nous débuterons la séance. Peux-tu préparer le repas s’il te plait ?»

J’acquiesçai d’un mouvement de la tête et entrepris la préparation d’un ragoût de pommes de terre - l’un des seuls plats que j’étais capable de réaliser.
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Personne ne mangea beaucoup pendant le repas. Nous étions tous préoccupés par l’épreuve qui m’attendait. Au plus j’approchai du moment fatidique, au plus je ressentais une sorte d’angoisse monter en moi. Je me demandais déjà en quoi allait consister cette épreuve.

Nous quittâmes la ville en début d’après-midi pour parcourir les Terres d’Emeraude. Cela me rappelait les randonnées que nous organisions lorsque j’étais plus jeune. Nous nous baladions en famille à la découverte du monde. Nous admirions les arbres en fleurs, les oiseaux en vol et les courageux animaux qui acceptaient de croiser notre route. Et puis, en fin de matinée, nous nous asseyions au bord de la rivière pour déjeuner. L’après-midi, nous finissions bien souvent à nous chamailler dans l’eau. Je soupirai. Un soupir tendre et nostalgique qui me ramenait brutalement à la réalité. J’essayai de replonger dans ces images doucereuses et enfantines, en vain. Mes préoccupations d’adulte m’avait arraché à ce monde onirique.

Nous arrivâmes finalement là où nous pique-niquions jadis. Je restai avec Ayleth tandis que Leya-Niera fit le tour de l’endroit. Ses mains étaient nimbées d’une lumière douce et accueillante tandis qu’elle disposait des pierres translucides sur le sol. Le cercle ainsi formé délimitait une zone autour du ruisseau, chevauchant les deux rives. Quand elle eut finit, elle murmura quelques mots dans un langage chantant et bienveillant. Je ressentis aussitôt une profonde paix intérieure. Lorsqu’elle revint près de nous, elle rompit le silence sacré que nous nous étions imposés.

« L’endroit est consacré. Je pense que nous allons pouvoir commencer.

— Solheim, si tu veux bien aller au centre du cercle, m’intima la rousse.

— Au milieu de l’eau ? demandai-je, surpris »

Elle me répondit d’un bref signe de tête et je m’exécutai non sans me délester du poids de mon pantalon et de mes bottes. La sensation de l’herbe sous mes pieds me détendit un peu. J’appréciais cette caresse sous ma voûte plantaire. Une légère brise de vent m’encourageait à pénétrer la rivière. Le liquide froid entoura mes mollets puis - bientôt - enserra ma taille. Des milliers d’aiguilles glacées vinrent me lacéraient la peau. Mon corps réagissait à cette soudaine agression en recouvrant ma peau d’une fine granulosité. Mes poils se dressèrent à la surface de mon corps, créant une fine couche isolante qui peinait à me protéger du contact glacial.

Ce fût autour d’Ayleth d’user de magie. Ses mains s’enveloppèrent d’un faisceau de jade et s’agitèrent de manière lente et précise. Je l’observai avec curiosité. C’était la première que je la voyais utiliser un pouvoir autre que le Pruzah Aus. Je n’osais pas cligner des yeux, de peur de perdre un instant de cette scène si rare. Soudain, des chaînes noires jaillirent des berges pour prendre attache sur mes poignets et mon cou. Je me débattais pour me libérer de l’entrave qui se resserra afin de me contraindre à l’immobilité.

« Qu’est-ce que tu fous ! criai-je à l’attention de la réprouvée

— C’est une simple précaution. Reste tranquille et tout ira bien. » se contenta-t-elle de répondre.

J’avais beau avoir confiance en elles, je ne me sentais pas du tout à mon aise dans cette position.

« Solheim, calme-toi. Tout ira bien, je te le promets, affirma l’ange.

— J’aimerais bien t’y voir moi ! » rétorquai-je d’un ton provocateur

Je cédai devant leur regard sévère. Les bras ballants, je me tins droit, parfaitement immobile. Le joug que les chaînes m’imposaient s’atténua, m’offrant un peu plus de liberté.

« Maintenant, ferme les yeux et inspire profondément par le nez. Concentre-toi sur le trajet de l’air et les changements qu’il occasionne dans ton corps. Et puis, expire, toujours par le nez, en imaginant le chemin en sens inverse. »

Je pris une première grande inspiration. Ma conscience se focalisa sur mon être. En me concentrant, je sentis mes narines s’écarter et aspirer le précieux gaz. Ce dernier était vif. Je sentais sa fraîcheur qui me piquait le nez à mesure qu’il affluait en moi. Mes bronches gagnaient en volume en même temps qu’il s’y amassait, poussant ma cage thoracique vers l’avant. Puis, mes muscles relâchèrent leur pression, et tout cet air reflua par ma trachée avant d’être expulsé par ces mêmes narines qui l’avaient accueilli quelques instants plus tôt. Je répétai le processus plusieurs fois, visualisant de plus en plus facilement le mécanisme de ma respiration. Des pensées me parcourraient brièvement l’esprit. Je songeai d’abord à mon départ prochain et aux préparatifs. Finalement, étais-je vraiment prêt à quitter l’oisiveté de cette vie ? Puis, d’autres observations vinrent troubler ma concentration : j’étais fatigué, j’avais froid, j’avais mal aux jambes, je voulais m’asseoir,… Je chassai ces réflexions parasites et me concentrai davantage sur ma respiration.

« Maintenant, concentre toi sur le mouvement de l’eau qui t’entoure. Est-il vif ? Est-il lent ? Où cherche-t-il à t’emmener ? »

Je déplaçai mon attention sur ce nouvel élément. L’eau était froide. Alors que je pensais la rivière calme, je perçus un léger courant. Maintenant que je le sentais, j’avais presque l’impression que le liquide se réchauffait à son contact. Le flux était léger mais chacun de ses passages m’arrosait d’une multitude de fines gouttelettes. Je me sentais bien. Je me laissai bercer par les doux remous de cette eau omniprésente. L’océan m’appelait. En un instant, je fus complètement immergé dans les flots. Ils me ballottaient au gré de leurs envies. Je m’abandonnai complètement à eux.

«… Totalement relâché, complètement détendu… » des bribes de mots prononcés par la voix mélodieuse et apaisante de Leya-Niera me parvinrent sans que je cherche à les analyser. J’accueillis ses paroles aussi naturellement que l’air qui continuait de s’insinuer par mes narines.

Soudain, je sentis un changement en moi ; une agitation qui ne me plaisait guère. Je me débattis dans cette eau qui devenait de plus en plus trouble. Les chaînes se resserrèrent autour de mes poignets, m’attirant vers la réalité. Je sentais une indescriptible colère bouillir en moi. Comment était-elle arrivée ici ?

«… De plus en plus relâché, toujours plus détendu… » répétait la nephilim d’une voix plus distincte.

Les mots de l’ange m’appelèrent vers l’abîme tandis que l’Autre m’exhortait de m’éveiller. Je me concentrai pour garder pied dans le rêve mais mon attention s’effilochait sous ses pulsions pernicieuses. Je l’aperçus finalement, cette ombre malsaine tapie dans les abysses. Un sentiment d’insécurité me conseillait de fuir mais je ne pouvais qu’avancer, continuer vers cette créature informe. Le mirage reprenait de sa splendeur et c’est au cœur de moi-même que je le rencontrai enfin.

Je me reconnaissais dans chacun de ses traits. Je me perdis dans la contemplation de ce reflet familier et pourtant si différent.

“ Tu me fais finalement face, déclara-t-il

— Il semblerait ”, répondis-je d’une voix blanche ?

Je lui adressai un regard plein de haine et de mépris. La rancœur se propageait en moi comme un feu en pleine forêt. Je levai mon poing pour le frapper mais il l’attrapa d’un geste vif.

“ Pourquoi me rejettes-tu ? Ne perçois-tu pas que je suis une partie de toi ?

— Je te déteste, monstre ! vociférai-je

— Qu’ai-je fait pour mériter tant d’animosité ?

— Tu le sais très bien, démon ! C’est toi qui m’empêche de vivre ma vie.

— Je ne suis pas un démon. Je ne suis que la part d’ombre que tu rejettes.

— Menteur !

— Laisse-moi te le prouver… Regarde ta part céleste est juste ici. Oh j’oubliais, tu t’es bien trop empressée de l’absorber ! ”, s’énerva-t-il en serrant mon poing de toutes ses forces.

Mon ire grandissait à chaque seconde mais je luttais contre son emprise. Je résistais à son appel malsain.

“ Pourquoi cherches-tu toujours à me fuir ?

— Je ne supporte pas tes idées macabres. Ce n’est pas moi ! Je suis bon !

— Tu sais très bien que c’est faux ! Tu en as autant envie que moi, répondit l’entité.

— Je ne veux pas être comme ça… avouai-je à mi-mots

— Tu n’as pourtant pas le choix… Je ne fais que réveiller une colère qui est déjà profondément enfouie en toi.

— Mensonge !

— Pourtant tu t’en rappelle, non ?

— Me rappeler de quoi ?

— Que c’est toi qui m’a créé pour te délester du poids de tes pêchés. ”

Ses derniers mots déchirèrent un pan de ma protection. Soudain, un flot incessant de reproches, de douleurs et de peine me déversèrent en un instant. Mon coeur accusait le contrecoup d’un passé voilé par la dénégation. Je voulais crier mais je n’y arrivai pas.

« N’aies pas peur. Laisse les émotions te traverser. Accepte les, reconnaît les, accueille les. » m'indiqua la voix de Leya-Niera.

Ma gorge se serra et les larmes commencèrent à se déverser le long de mon visage. L’Autre avait disparu. A vrai dire, il n’avait jamais existé. Des images frappaient mon esprit : un champ de bataille, du sang - beaucoup de sang -, des cadavres aux expression figées dans une éternelle douleur, des amas de chairs et d’entrailles lacérées sur le sol. Je suis un monstre. Je suis né de la souffrance d’un millier de corps mutilés mais ma faim n’est pas satisfaite. Je n’ai pas de parents, pas de famille. Le vice me ronge de l’intérieur. Je revois les visages des animaux innocents qui ont péri sous mes pulsions macabres. Elle ne m’acceptera pas. Elle est trop pure, trop délicate. Elle ne devait pas savoir. Il ne fallait pas qu’elle sache. Elle ne m’aurait jamais accepté. Alors, je voulais qu’il disparaisse. Mais désormais, ce n’était plus nécessaire.

« Solheim », je sentais l’haleine chaude de l’ange caresser ma peau

Je revenais peu à peu à la réalité. Mes yeux s’ouvrirent difficilement, m’offrant une vision troublée du paysage alentour. Deux femmes étaient penchées au-dessus de moi.

« Ça a marché ? demanda Ayleth, inquiète

— Je ne sais pas sûre. Je pense, avoua Leya-Niera

— Je suis… fatigué…» réussis-je à marmonner avant de sombrer de nouveau.

Pour la première fois de mon existence, je ressentais un véritable sentiment de sérénité. J’étais libéré d’un lourd fardeau que je transportais depuis des années. Soudain, ma conscience céda et je plongeai dans un sommeil sans rêve avec la certitude de me connaître davantage.



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|Q| - L'Acceptation de l'Autre

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