Otoris courait à petites foulées au sein des couloirs de l’école. Certains étaient sinueux, d’autres plus ouverts. L’ensemble paraissait désaccordé, mais sans doute était-ce là que reposait le charme de l’école. Ce joyeux chaos explosait de couleurs, de sons ou d’odeurs. Paradoxalement, les endroits les plus visités étaient plus silencieux que les passages peu fréquentés. Les élèves du Charbon s’amusaient, dans les détours, à jouer un tour aux plus innocents. Les plus virulents allaient même jusqu’à leur demander leur argent de poche. Cependant, le magicien ne rencontra aucune embûche dans son parcours effréné. Il avait négocié avec son clone, pour que celui-ci prenne les dernières heures de cours de sa journée. Les pourparlers avaient été courts, tant le double adorait s’instruire. Otoris n’était pas certain de le comprendre. Certes, Basphel était un bon environnement de travail, mais un étudiant lambda n’est normalement pas aussi enthousiaste à propos de simples leçons.

Le mage bleu sauta les dernières marches d’un escalier, puis s’arrêta. Il tourna sa tête et fixa un bâtiment au travers une vitre, dans un regard qu’il pensait intrépide. Sans doute ne l’avouerait-il pas en public, mais jusqu’ici, Otoris pensait que sa galopade devait être impressionnante vu de l’extérieur. Pourtant, il sentait que la fatigue le saisissait. Il réagit pourtant vivement face à celle qui venait de lui poser uene question. Elle était apparue, au détour des escaliers, la mine moqueuse.

« Qu’est-ce que tu fais ici ? » Mélusine Walok’Krin. Une nouvelle, répartie chez les Charbons il y a quelques mois. « Tu sèches ? J’aurais pas cru ça de toi… laisse-moi deviner : monsieur va aux nouvelles sources ? » Elle eut un sourire non dissimulé. Otoris était gêné. Sans doute aurait-il dû éviter d’être aussi bruyant. « C’est que… non, mais pas le temps de t’expliquer ! » Puis, il se mit à courir de nouveau, laissant la jeune fille surprise. Sa direction ? Les nouvelles sources thermales, en effet. Il voulait les tester avant ses autres camarades de classe.

L’établissement ouvrait ses portes aujourd’hui. Basphel avait un semblant d’activité géothermique, et le mouvement de l’îles chauffait certaines des nappes phréatiques. Le projet n’était pas nouveau : depuis plus d’une décennie, les gens parlaient de l’éventuelle installation de sources thermales au cœur de la ville-école. Il y eut quelques négociations puis, en une année, les infrastructures avaient été construites avec l’aide d’un Architecte de Lys. Le jeune garçon ne connaissait pas tous ces détails, mais avait pu voir l’évolution du chantier. Il avait hâte. L’entrée n’était pas gratuite, mais Otoris avait quelques économies. En plus, son clone Otobis ramenait systématiquement de l’argent. L’original ne savait pas d’où ces petites sommes pouvaient venir, mais partait du principe que c’était de la monnaie invoquée par magie. Le jour où il comprendrait qu’il s’agissait de pièces volées… oh, l’école entière subirait les cris du magicien.

Il s’immergea peu à peu dans l’eau. Pour une raison ou pour une autre, il s’était imaginé qu’elle serait brûlante, mais que ce serait tout de même agréable. Fort heureusement, la température n’atteignait pas d’extrémités, et détendait simplement celui qui s’y baignerait. Quelques volutes de vapeur flottaient, et l’air était saturé d’une chaleur inhabituelle à cette époque de l’année.

Otoris se reposa quelques minutes, puis jeta un œil aux alentours. Il n’y avait personne, ce qui n’était pas bien surprenant. La ville était majoritairement peuplée d’étudiants, et la plupart ceux-ci travaillaient encore à cette heure-ci. Ils exerçaient une activité sportive, après avoir passé leur matinée face à la théorie. Le magicien avait couru pour quitter l’école et considérait que, en quelque sorte, il avait fait sa part du travail. En vérité, il était prêt à inventer n’importe quelle excuse pour se convaincre qu’il n’était pas un chenapan. Toutefois, au fond de lui-même, il culpabilisait. Après tout, ne pas aller en cours — ou se faire remplacer par son clone — c’était tout de même mentir. Et mentir, c’était mal. Otoris se mit à réfléchir. Peut-être que, s’il faisait quelque chose de bien, son méfait serait compensé. C'était une logique douteuse, qu'il ne rechignait pas à invoquer après un léger faux-pas comme celui-ci.

Le jeune garçon remarqua qu’il n’était pas seul. Un peu plus loin, il y avait un inconnu. On ne pouvait pas discerner son visage à cette distance et, puisqu’ils étaient seuls, le magicien haussa simplement la voix. « Excusez-moi, monsieur. Vous pensez que j’ai le temps de faire une bonne action avant ce soir ? » C’était peut-être une approche un peu trop directe. Il faudrait se présenter, d’abord. « Comment vous vous appelez ? Moi c’est Otoris. Je suis l’élu de Sympan, mais mes camarades ne me croient pas. » Depuis ce rêve, il rabâchait son soi-disant titre à tout le monde. La rhétorique avait beau être l’un de ses cours favoris, il demeurait incapable de faire preuve de modération. Heureusement, la tempérance était une Vertu que seuls les anges se devaient de suivre.

800 mots.

Demander à une dame si elle est enceinte alors qu’elle ne l’est pas, c’est embarassant. De la même manière, prendre une femme pour un homme n’était pas une situation dans laquelle quiconque aurait voulu se retrouver. Certainement pas Otoris, en tout cas. Cependant, l’inconnue ne semblait pas lui en tenir rigueur. « Désolé, madame Latone. » À peine eut-il prononcé timidement cette phrase qu’un ordre lui était donné. Faire un bonhomme de neige ?

Une partie de la neige que l’inconnue avait fait apparaître semblait s’être sublimée dans l’air tant la température était haute. Le défi semblait irréalisable, mais Otoris ne voulait pas perdre de temps à douter de ses capacités. Il ne pouvait sans doute pas être considéré comme un élève brillant, mais il demeurait obéissant, et doté d’une motivation sans limite. Quelques pensées l’aidaient à redoubler d’efforts. Par exemple, il se disait que cette inconnue était peut-être une envoyée de Sympan, elle aussi. Elle cherchait sans doute à le tester, pour qu’il prouve sa valeur. Cette épreuve était certainement ce qui le séparerait de la réalisation de son rêve. Il ferait ce bonhomme de neige, recevrait les honneurs, unifierait les peuples et, finalement, créerait la paix mondiale. Le garçon n’envisageait que la réussite.

Il sortit donc de l’eau pour faire face à l’agrégat de neige. Sa mission devenait sa seule priorité. Otoris essayait tant bien que mal de donner une forme primaire à sa construction, mais elle se liquéfiait à vue d’oeil. « C’est presque impossible… » Il fallait rester concentré et ne pas paniquer. L’assiduité et la discipline étaient la clé du succès. Pour chaque amas de neige qui perdait en solidité, il essayait d’en accumuler trois autres. Deux blocs finirent pas être constitués, formant la base de la création. Restait encore à créer la tête.

Quelques minutes étaient passées, et le garçon était toujours absorbé par sa tâche. De temps à autres, on l’entendait faire quelques petits cris de victoire ou de déception. Pourtant, la neige se liquéfiait de plus en plus rapidement, et il commençait à douter. Ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait se permettre. Peut-être que, si l’inconnue expliquait les détails de ce défi, il pourrait redémarrer sur son impulsion initiale. « C’est quoi l’enjeu ? »

Le plus difficile, c’était d’ajouter les détails tout en continuant à maintenir les fondations. « Enfin, si je réussis, il va se passer quoi ? Et si j’échoue ? » Les conséquences pouvaient être désastreuses. Peut-être qu’il recevrait une mauvaise note, ou peut-être que la fin du monde serait déclenchée. Tout était envisageable, à ce stade. « Vous êtes une aether ? Si oui… est-ce que vous pourriez créer une carotte, pour le nez du bonhomme ? Et des branches ? » Est-ce que c’était poli, de demander service à un dieu ? Pour les magiciens, c’était presque élémentaire. On honorait Ezechyel pour s’en éloigner, et Edel pour l’attirer. On invoquait Isahora durant les mariages, Éoda pendant les voyages en mer, et Abigaëlle avant chaque banquet. Les prières aux aetheri étaient parfois une formalité : obtenir une réponse importait peu. « En échange… » Otoris bafouillait, ce qui arrivait rarement. « Je vous prierais chaque soir ! »

La base du bonhomme de neige avait fondu de moitié. Trop occupé à former une tête consistante, le garçon avait oublié de s’occuper des fondations. « Oh, non. » Désastre.

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