Mancinia avait pris sa main, l'entraînant à sa suite. Neah n'avait rien fait pour l'arrêter, conscient que ses protestations n'y changeraient rien. Ce contact physique lui était tellement plaisant. Là, au-dehors, un peu à l'écart des festivités et de la foule, sans doute que les choses seraient dites. Elles devaient être dites. Pourtant, il n'en avait pas le courage. L'Ange se sentait proche de l'Humaine, quoi qu'il en dise. Il serait prêt à voir ses ailes devenir d'un noir charbon s'il pouvait rester à ses côtés et ce, malgré que l'idée même puisse lui soulever l'estomac. Elle méritait mieux qu'un vulgaire Déchu. Cette femme était sa faiblesse. Il le savait, mais il s'en moquait. Il avait appris à vivre avec. A l'extérieur du lieu de la réception, il faisait nuit et le ciel scintillait de mille et une étoiles. A cette heure, l'air était frais et doux et ne pouvait faire que du bien. La vie dans les Jardins de Jhēn était bien plus tranquille et bien moins stressante que son existence à mille à l'heure. Jamais Mancinia n'avait connu une telle sérénité, comme un soupir au milieu du vacarme. Elle relâchait alors la main de Neah, sans un mot, sans un regard et prit place sur un banc de marbre, situé devant une fontaine dont les clapotis de l'eau entrecoupait le silence. Le guerrier eu un sourire tout en relâchant un soupir. Cette femme était une vraie tête de mule. Elle ne changeait pas, son tempérament était toujours volcanique. Il se souvenait de toutes leurs aventures avec précision, même les choses les moins agréables. Il n'était pas le seul. Mancinia se souvenait de leur rencontre, de ses airs assurés sous sa candeur, de sa détermination à faire les choses bien et, surtout, à désirer la rendre heureuse, parfois à son propre détriment. Il avait changé. Il était devenu plus fort. C'était devenu un homme et c'était comme cela qu'elle le regardait maintenant. Et lui ?

Neah l'avait toujours vu comme une femme, une partenaire. Il voulait juste vivre sa vie à ses côtés. Il voulait l'épouser, lui faire des enfants. Tout cela n'avait que trop attendu. Dix ans. Dix ans loin d'elle, de son sourire. C'en était presque inhumain. Pourquoi refuse tout cela, à porter de main ? Ce bonheur, ne voulait-il pas lui donner car il était son Ange Gardien ? C'était ça, n'est-ce pas ? Réflexion faite, sans doute que les choses étaient mieux ainsi. C'est vrai qu'elle avait toujours été douce et calme en sa présence, ce n'était pas quelqu'un contre qui on s'énervait facilement, surtout ces derniers temps. Il est vrai qu'elle avait envie de se mariée et désirait avoir des enfants. Pouvait-elle choisir de mener cette vie avec lui ? Le guerrier était la seule personne à avoir cru en elle, à la soutenir et ne pas lui faire de reproches malgré ses erreurs, souvent dévastatrices. Il savait parfaitement la faire rire, il avait de l'esprit, il était attentionné et elle savait compter sur lui face aux épreuves. La question était muette, suspendue dans les airs. Est-ce que l'autre éprouvait la même chose ? Neah vint prendre place aux côtés de Mancinia, il contemplait, sans vraiment la voir, la surface noire de l'eau calme, se laissant bercer par l'eau et le vent. Il mit sa main dans la sienne. Ce silence que rien ne vint rompre. Elle n'avait plus le droit à l'erreur et tournait son visage vers lui. Elle ne put qu'esquisser un sourire devant cette vision qui réchauffait son être.

— Je savais que tu n'approuverais pas cette décision, mais soit certaine que mon peuple est autant une priorité que toi et...
— Je respecte ta décision, Neah.

L'Anjonù paru surprit. Il ne pensait pas que ce serait si simple de la convaincre.

— Pour être franche, elle me soulage.

Elle mit sa main au-dessus de la sienne.

— Je ne voulais pas être séparé de toi aussi longtemps.

Neah eu du mal à retenir son envie de la prendre dans ses bras tant la douceur émanait de chacun de ses gestes, de chacune de ses paroles. C'était difficile de résister, jamais ces sensations ne lui avaient parues aussi violentes. Il sentait ses lèvres trembler, il essayait de faire passé cela pour le sourire qui illuminait ses traits.

— Tu sembles différente.
— Je me sens comme tel. C'est assez...Surprenant.

Ces dernières semaines, Mancinia s'était assagie. Sereine quant à ses capacités, ses projets. La vanité risquait de la perdre si elle croyait être une sorte d'élue, mais elle laissait les choses venir à elle, allant quérir celles dont elle avait le plus besoin. Tout se passait bien, pourquoi se presser ? Ça ne servait à rien de courir, à moins de vouloir entrer en contact avec un mur.

— Cette décennie de sommeil m'a appris bien des leçons.

Elle baissait les yeux, l'aveu que Neah venait de lui fait étreignait son coeur. Comment l'Humaine aurait-elle réagit si son Gardien avait sombrer dans une décennie de sommeil, dans l'incertitude de son éveil ? Comment aurait-elle tenu si son peuple avait sombrer suite à un massacre organisé ? Aurait-elle eu cette force de ne pas sombrer ? Mieux valait-il ne pas le savoir. Neah ravalait sa salive, glacé. Il se souvenait encore des sentiments qui l'avaient traversé lorsqu'il l'avait vu étendue, comme si...

— J'ai cru que tu étais morte. Seul notre lien m'a permis de croire le contraire.

L'Anjonù voulait chasser le souvenir de sa mémoire. Elle avait survécu.

— Tu es là, maintenant. Tout va mieux. Et nous allons construire de nouvelles choses, ensemble.
— Tu as raison. Ensemble, nous pouvons faire de grandes choses pour nos peuples. Nous sommes des alliés, le fait que tu sois mon protecteur prouve que ce lien ne se brisera pas facilement, surtout que nous avons besoin de vous. Nous avons nos propres malédictions. Seulement, ce n'est pas ce soir qui doit nous permettre de résoudre tous ces problèmes. Nous n'avons jamais pris la peine de discuter de nous, Neah. Je ne t'ai jamais réellement posé les questions nécessaires. J'étais bien trop ravie de te revoir, de m'entraîner et de continuer ma vie, sans me soucier de la tienne.
— C'est faux, répondit-il, étonné de sa réaction. Nous veillons l'un sur l'autre, quelle genre de fait ignorerais-tu de moi ?
— Je ne me suis jamais souciée de ce qui était en dehors de notre lien. Par exemple, est-ce que tu t'es marié ?

La question le prit au dépourvu, il passa sa main libre dans ses cheveux.

— Non. J'aime quelqu'un trop fort pour ça.

Un coup de poignard dans le coeur lui aurait fait le même effet, Mancinia essayait de ne rien montrer malgré que son souffle se soit altéré, presque interrompu. Il aimait quelqu'un, ce n'était pas elle. Une certaine jalousie s'emparait de son esprit, mais la Kaaezi ne devait pas détester un être que son Ange aimait.

— Oh ? Pourquoi ne pas l'épouser alors ?
— C'est compliqué.
— Excuse-moi, je vais trop loin.

Mancinia sourit, crispée, en détournant le regard, ses yeux piquaient. Elle aurait espérée l'identité de la chanceuse, mais ce ne serait pas pour tout de suite. Sous couvert d'un changement de conversation, elle ramenait le sujet à sa propre confession.

— Pour être honnête, de mon côté, je croyais me marier à un Humain et avoir des enfants avec lui.
— Tu le peux encore, enfin !

Sa phrase sonnait si faux dans sa bouche. Il était tombé amoureux comme pour rien. Sans le vouloir, sans y croire, sans savoir se défendre. Juste comme ça. Neah n'avait aucune idée de comment lui plaire. Comment se montrer à la hauteur ? Comment devenir un compagnon émérite et attirer son attention autrement qu'en ami ? Mancinia était désormais en droit de concevoir sa famille, d'élever des enfants. Les siens, ou bien...Ceux d'un Humain, comme elle en avait toujours émis le souhait ?

— Non, pas avant de m'enlever un poids de l'esprit et d'être égoïste.

Mancinia reprit ses esprits, elle ne souhaitait avoir aucun regret. Elle serrait la main de l'Ange dans la sienne, puis le regardait droit dans les yeux. Il eu le souffle coupé devant une telle intensité.

— Je t'aime, Neah.

Neah eu le regard rond. Ces quelques mots, dits d'une facilité déconcertante, suffisaient à le faire vaciller. Son esprit dû les répéter par trois fois pour les ancrer dans son esprit. Le temps avait suspendu son cours, tandis que Mancinia lui adressait un merveilleux sourire. Cette déclaration n'avait rien d'anodin. Et pourtant...

— C'est égoïste, n'est-ce pas ? C'est égoïste de ne le dire que maintenant.
— Et depuis quand... ?
— Le Bal d'Encens. Non, en vérité, bien avant cela, mais c'est à cet instant précis que je l'ai su. Quand nous avons discuter après l'événement, j'ai réalisé à ton départ ce que j'éprouvais. C'était comme une évidence. Je voulais te le dire depuis longtemps, mais la guerre nous a séparés. Nous étions trop occupés et il a été trop tard pour moi. En là réside ma malédiction. Je me suis réveillée et je suis venue te voir pour te le dire, mais j'étais si faible et le courage me manquait. Je n'étais que l'ombre de moi-même, je voulais redevenir celle d'avant. Je n'y pas vraiment parvenue...
— Tu...Tu ne plaisantes pas ?
— Que Dubheasa m'en soit témoin, mon amour pour toi est sincère.

L'Humaine sourit, douloureusement, en le regardant. Il semblait si étonné de sa déclaration, elle pensait qu'il s'en doutait.

— J'ai conscience que te l'annoncer ainsi doit grandement te mettre mal à l'aise, mais je ne m'interposerais pas entre toi et ta compagne.

Neah papillonnait des yeux, essayant de comprendre le sens de ses paroles. Est-ce que cela lui avait paru si peu évident, à elle aussi ?

— J'ai seulement envie d'avancer sans regrets et que notre lien soit toujours là, si c'est ce que tu souhaites.

L'Anjonù la regardait, hébété, ne sachant que répondre.

— Neah ? Hey.

Mancinia mit sa main contre son épaule, ce contact l'électrisait.

— Ne t'en fais pas pour moi ! Je te souhaite réellement d'être heureux avec celle que tu aimes.
— Il n'y a personne, Mancinia.

La Kaaezi retirait sa main de son épaule, surprise.

— ...Tu viens de me dire que tu avais quelqu'un dans ta vie.
— Oui, toi.

C'était à son tour de le regarder avec stupeur, essayant de déceler une quelconque plaisanterie de sa part.

— C'est toi que j'aime, Mancinia.

Il y eu un instant dans l'éternité. Mancinia se mit à rire et Neah la suivit dans cet élan de franche rigolade. C'était comme un amour entre deux adolescents, comme ceux qui ne voulait pas aimer l'autre personne avant d'être sûr qu'elle nous aime aussi. N'ayant pas le courage d'avouer leurs sentiments, attendant anxieusement que l'autre fasse le premier pas et un temps se termine sans qu'il ne se passe rien. Des fois, la personne aimée finit même par trouver quelqu'un d'autre. Neah, lui, l'avait attendue, quelle plus belle preuve que celle-ci ? D'abord, ils avaient été des amis et à force de communiquer de plus en plus, étaient parvenus à devenir partenaires et maintenant, comprenant leur amour mutuel, ils cesseraient d'avoir des doutes et deviendraient naturellement un couple. L'Anjonù regardait la Kaaezi. Il saisi un morceau de sa tunique et l'amenait vers lui, l'obligeant à plaquer ses lèvres contre les siennes. C'était si doux, si chaud. Fantastique. L'échange achevé quelques secondes après, il prit plaisir à la voir peinturluré de rouge.

— J'en crevais d'envie, dit-il en se mordant la lèvre inférieure.

Mancinia lui sourit. Un baiser était si agréable. Neah était au bon endroit, il ne pouvait pas en y avoir de meilleur. Main dans la main, sa tête contre son front, il était bien en sa compagnie. Et elle lui rendait bien. Son amour.

— Je suis sans conteste la plus heureuse au monde, là. Franchement, Neah, tant d'attende...
— Je sais, mais que veux-tu ? Malgré notre expérience, nos âges...On est toujours un peu...
— Peut-être qu'au final, il ne sert à rien de courir.

Puis, elle attrapa la chemise de Neah pour le faire venir plus près d'elle. Et l'embrasser à son tour.

Un nouveau chapitre de sa vie pouvait s'ouvrir à présent. Dissimulée derrière un pilastre, une ombre eu un sourire carnassier. Elle détenait ici une bonne stratégie. Dans un sursaut de lucidité, elle se recula d'un pas pour se soustraire au regard que Mancinia décochait dans sa direction une fois leur embrassade achevée, dans les bras l'un de l'autre. Consciente de sa présence, à peine craintive, il semblerait que l'Humaine ne craignait plus son ombre. Il fallait remédier à ça.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda l'Ange.
— Non, rien. Ce devait être une petite souris.

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