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La veille du départ

# La détermination

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Les discussions allaient bon train tandis que les derniers invités s’installaient dans la salle, maintenant remplie de gens qui conversaient joyeusement entre eux. Notre petit groupe avait, par ailleurs, fini par se séparer, chacun allant vers des amis et autres connaissances pour échanger et, ainsi, profiter de la soirée pour voir de nouveaux visages et revoir d’anciennes rencontres. Hayden et Nora s’étaient éclipsés pour chercher le couple d’amis du capitaine, Heios et Steffie Vaughan, au travers de la foule. Magiciens de naissance et propriétaires d’un commerce local tout près des Jardins de Jhēn, l’admirable duo serait amené à aider les différents détachements au niveau des approvisionnements, avec quelques autres marchands et agriculteurs de la région qui auraient acceptés de prêter main-forte au projet du dignitaire royal.

« J’en profiterais pour les remercier de nous avoir fournis les tonneaux de jus de tomate en si peu de temps », avait songé le capitaine Endeover tout en marchant aux côtés de la soldate, qui avait hoché de la tête en souriant, avant que leurs silhouettes disparaissent dans la masse.

Hemmiel, dans son cas, avait pris congé après que sa grande sœur, Skye Novella, se soit présentée pour lui parler de quelques sujets privés. À contrecœur, et légèrement inquiet en raison de la sévérité qu’il était en mesure de deviner sur les traits du faciès de sa fratrie, l’aspirant s’était tout de même laissé entraîner à l’écart, nous saluant vaguement d’un signe de la main.

« J’espère que ce n’est rien de grave… Me tracassais-je en lui renvoyant la main.

- Moi aussi, avoua Isiode en soupirant avant de tourner la tête dans ma direction. Par ailleurs, comment se passe ta relation avec Hemmiel? Est-ce qu’il recommence… à te parler ou bien à te regarder droit dans les yeux? »

À cette mention, mon regard se porta directement vers le plafond.

« Nous recommençons à nous parler, mais il y a une sorte de malaise entre nous que je n’arrive tout simplement pas à dissiper… Ça m’ennuie, mon frère, vraiment, parce que j’ai l’impression qu’Hemmiel s’auto-flagelle trop durement.

- Il s’en veut pour ce qui s’est produit en Terres Arides… Il s’en veut énormément… »

Pendant quelques secondes, mon frère resta muet, fixant un point que lui seul semblait apercevoir. J’étais parfaitement capable de mesurer le poids des regrets qui broyaient les épaules de la recrue. Pourtant, j’avais l’impression que je n’arriverais jamais à lui faire comprendre que tout ceci, je l’avais fait pour lui, qu’il n’avait pas à ressentir quelconque remord, ou chercher quelconque punition à un acte que je ne considérais même pas moi-même comme étant une faute inexcusable. C’était une erreur, certes bien dangereuse, mais je ne pouvais décemment pas en vouloir à ce jeune homme qui, au final, n’avait fait cela que dans le but de sauver un être qui lui état cher, un être qu’il aimait… Momentanément, je fermais les yeux, priant Elsa de veiller sur son petit frère et de le guider, comme elle le pouvait de là où elle se trouvait, sur une voie qu’il ne parsèmerait pas de regrets. Car j’avais peur que ces derniers le hantent, voire le tuent à petit feu…

« Quelqu’un a aussi faim que moi? » S’était soudainement écrié Acram, un peu après le départ de l’aspirant.

Et, sans surprise, Hiddleston et Travis se joignirent à l’enthousiasme du soldat aux yeux verts, essayant de nous tenter, Isiode, Faith et moi, avec quelques promesses impliquant une assiette de crudités ou bien de fromage provenant des fermes reconnues des terres du Lac Bleu.

« Je vous rejoindrais plus tard aux tables, les avais salué mon frère en souriant tandis que Faith, facilement influençable, se laissa porter par le trio d’affamés.

- Où vas-tu? Demandais-je à mon jumeau une fois seuls au milieu de la salle.

- Prendre l’air, un peu… M’avoua-t-il en arborant une drôle de face qui me mit aussitôt la puce à l’oreille et, doucement, je me penchais devant son visage, le dévisageant longuement.

- Penses-tu encore à cette lettre? »

Isiode se permit une courte réflexion avant d’acquiescer d’un signe de tête, silencieux.

« Et tu ne veux toujours pas me révéler le contenu de ce message?

- En effet.

- Est-ce la Reine Nilsson qui t’as ainsi bâillonné? »

Une fois de plus, je n’eus droit qu’au silence comme réponse, mais cela me suffisait amplement.

« Que peux-tu me dire dans ce cas? Tentais-je en reformulant ma question, voyant les iris de mon frère s’éclairer doucement alors qu’il devait certainement se remémorer le contenu de la lettre.

- Que cette femme risque gros. »

J’aurais espéré qu’il me clarifie son point de vue, mais Isiode resta obstinément muet, tournant soudainement son visage en direction de la table d’honneur, où s’était rassemblé tous les responsables des explorations et principaux partenaires du dignitaire Ivanhnoé. Ce dernier, par ailleurs, était retourné à son siège à la demande de ses collaborateurs, qui avaient jugé bon de commencer officiellement la charmante soirée. C’est pourquoi, debout devant tous, cherchant à attirer l’attention de la foule, l’Archange avait tout bonnement étendu ses ailes dans son dos, se donnant une légère poussée vers le haut pour se placer à mi-hauteur du bâtiment, un verre à la main. Les réactions furent immédiates et, comme un seul homme, les regards se mirent à converger dans sa direction alors que le brouhaha ambiant s’interrompit brusquement.

« Bonsoir à vous tous, chers collègues, chers partenaires, amis et familles. Mesdames et messieurs, je suis heureux de vous savoir parmi nous en cette belle soirée. »

À présent qu’il nous savait tous attentifs, Nathanaël Ivanhnoé gratifia l’assemblée d’un doux sourire, qui nous était possible de sentir tant il nous paraissait vibrant et chaleureux.

« Pour certains, il s’agit de leur première visite aux Jardins de Jhēn et pour d’autres, il s’agit, ici, d’un foyer. Pour autant, je tenais à vous rassembler, en ce jour, pour vous remercier pour tout ce que vous nous avez apporté aujourd’hui. Ce projet, cette aventure, sans vous, elle n’aurait jamais été possible. C’est pourquoi je désire vous exprimer ma gratitude et ma reconnaissance pour vous remercier de votre soutien, de votre implication et de votre précieuse collaboration. Cela me touche énormément et je m’assurerais que vos efforts ne soient pas vains; ils ne le seront pas. »

Lentement, on le vit descendre de ses hauteurs, ses pieds frôlant à peine le sol désormais.

« Parce que ce projet est bien plus que mon projet : il est notre initiative, à nous tous, et je considère que chacun d’entre nous mérite de fêter cette belle réussite : ce n’est qu’un petit pas, mais ce dernier nous mènera sur une plus grande route. Nous ne sommes encore qu’au début de notre épopée, mais bientôt, dans quelques heures, nous serons fins prêts à débuter cette aventure dont vous serez les principaux acteurs. »

L’Archange Ivanhnoé leva alors bien haut son verre, rapidement imités par les autres notables de sa table, qui s’étaient, tour à tour, levés pour l’accompagner.

« Cependant, pour ce soir, amusez-vous et décompressez; amusez-vous et profitez, parce que, pour plusieurs d’entre vous, il s’agira de votre dernier jour de répit avant un long moment. Ilẹ aṣalẹ ní tiwa! »

Tout en levant leur verre ou bien leur poing dans les airs, les invités scandèrent, à l’unisson, les dernières paroles de Nathanaël Ivanhnoé, quand bien même certains n’en connaissaient pas la définition exacte : Ilẹ aṣalẹ ní tiwa! pouvait être traduit du Naciaze par « Cette soirée est la nôtre! »

Dès lors, la musique s’engagea, tandis que les gens se rejoignaient et reprenaient doucement leur conversation, des sourires aux lèvres, l’excitation faisant vibrer le trémolo de leur inflexion. Petit à petit, quelques personnes se dirigeaient également vers le buffet, cherchant à grignoter quelques mets tout en observant les représentations des danseurs qui s’étaient joints à la soirée. La nuit était belle et plusieurs profitaient également de cet instant pour prendre l’air et s’aérer l’esprit sous les étoiles afin de garder leurs idées claires pour la suite des événements. Pour ma part, je ne m’aperçus pas tout de suite qu’un sourire s’était fendu sur mes lèvres, étrangement interpellé par le discours de l’Olori.

« Allons casser la croûte! » M’excitais-je, soudainement revigoré par les paroles de l’Archange.

Et à ce constat, mon jumeau ne put que m’adresser un sourire en coin, hochant discrètement de la tête, oubliant brièvement ces tracas.

« Il s’agit de notre dernière soirée avant le départ : autant la passer tous ensemble, avec nos compagnons. »

Sans attendre, nous traçâmes notre chemin jusqu’à la table où Acram et compagnie s'étaient rassemblés, arrivant juste à temps pour leur piquer quelques légumes qu'ils s'étaient, aussitôt, plût à nous partager.


◆ 1 441 mots

« Werdna, c'est moi ! Tu es là ? » demanda Georges après être entré dans la boutique. L'Ange fit passer son collier autour de sa tête puis plaça le médaillon sur le haut de son torse. Elle observa le reflet que lui renvoyait son miroir et vérifia que tout était en place. Satisfaite par le résultat, elle se dirigea vers la porte qu'elle ferma derrière elle. « J'arrive ! » dit-elle tout en descendant les escaliers, cramponnée à la rembarde. Elle n'avait pas l'habitude de ses nouvelles chaussures, ce qui expliquait la lenteur et la prudence dont elle usait pour avancer. Elle finit par arriver au rez-de-chaussée et aperçu son ami, qui l'attendait à l'entrée, occupé à regarder certaines fioles étiquetées. « C'est bon, on peut y aller. » dit-elle tout en se dirigeant vers l'homme. Celui-ci se tourna pour voir l'ailée et son visage se déforma pour laisser planer la surprise sur ses traits. « Oh, j'en ai fait un peu trop ? » demanda-t-elle, soudainement gênée. « C'est un bal alors je me suis dit que je devrais m'habiller avec élégance... Si tu veux, je peux aller me changer rapidement et – » « Non non, c'est parfait. Je n'ai juste pas l'habitude de te voir comme ça. » s'expliqua le soldat. Effectivement, Werdna ne ressemblait en rien à ce dont elle avait l'habitude. Elle qui se complaisait d'ordinaire dans des tenues larges capable de dissimuler ses formes, et passe partout, avait enfilé ce que les plus ingénus auraient appelé "une véritable robe de princesse". Le corset de sa robe dessinait sa taille fine et sa poitrine généreuse. Ses bras étaient couverts par des manches de dentelle fine et les épais jupons qu'elle portait  donnaient un certain volume à la robe. Elle avit même pris soin de relever ses boucles naturelles en un haut chignon, dévoilant sa nuque. La jeune femme sourit à son partenaire, accueillant sobrement le compliment. « Tu n'es pas mal non plus. » le complimenta-t-elle avec un sourire. Georges avait laissé de côté son habituelle armure pour se glisser dans un élégant costume bleu nuit. Son épée pendait néanmoins à sa taille : il fallait toujours rester équipé, le danger pouvait frapper à chaque instant. Ils se sourient un instant en silence puis Werdna attrapa le bras que son camarade lui tendit. Ils quittèrent ensemble la boutique puis prirent leur envol pour rejoindre la salle où avaient lieu les festivités.

Une fois arrivé au pas de la porte, ce fut l’Olori Ivanhnoé lui-même qui les accueilli avec une parole aimable et une poignée de main chacun. Le duo entra ensuite dans la bâtisse, se joignant au reste de la foule. L'ambiance était étonnamment légère. Sans doute les aventuriers ne souhaitaient-ils pas trop penser au lendemain et préféraient profiter du moment présent. C’était appréciable. Les Anges n’avaient pas beaucoup d’opportunité pour s’égayer, et l’excitation due à la Coupe des Nations avait fini par retomber peu à peu. Ca faisait du bien de pouvoir se réjouir pour quelque chose, d’autant plus quand cette chose avait une chance de perdurer dans le temps. Werdna inspira grandement avant de se retourner pour faire face à son ami.  « Alors ? Excité ? » demanda-t-elle. Le jeune homme se contenta de hausser les épaules. « Inquiet, surtout. » avoua-t-il. « Mmh, je comprends. Tu vas devoir te débrouiller sans moi pour assurer tes arrières. Qui va bien pouvoir te rappeler d'emporter à manger, n’est-ce pas ? » plaisanta-t-elle, un sourire mesquin au visage. Georges se mit également à rire. « Oui, il y a de ça aussi. » Depuis qu’il avait obtenu ses ailes immaculées, il avait toujours été sous la protection de Werdna. La Wun l’avait aussitôt pris sous son aile et lui avait montré les ficelles de sa nouvelle condition d’Ange. Elle était devenue sa mère de substitution, en quelques sortes. Bien évidemment, il avait fini par se défaire d’elle et par tracer son propre chemin, par suivre sa propre route. Lorsqu’elle avait choisi de quitter l’armée, à la fin de la guerre divine, lui avait décidé d’y rester, afin de s’impliquer pleinement pour la reconstruction de leur peuple. Leurs idéaux étaient les mêmes, ils avaient simplement des façons différentes de les réaliser. Lui exécutait des missions que la plus expérimentée jugeait radicales, là où celle-ci donnait l’impression de ne rien faire à son ami. Parfois, il y avait eu des tensions qui avaient dégénéré en disputes, mais malgré tout leur amitié et leur complicité était restée intacte. Pourtant, cette nouvelle épreuve semblait de nouveau instaurer de la distance entre eux. Une distance physique, beaucoup plus difficile à surmonter que leurs petites chipoteries habituelles. Cette réalité avait quelque chose d’un peu effrayant pour le garçon. C’était un peu comme de devoir couper le lien avec ses parents. Il avait hâte et, en même temps, il sentait une appréhension l’empêcher d’apprécier pleinement l’aventure.

« Et toi alors ? J’ai entendu que tu allais bientôt partir aussi. » Werdna acquiesça. « Dans un peu plus d’une semaine. » confirma-t-elle. Ce n’était pas aussi proche que leur départ à eux, mais la date se rapprochait dangereusement. La Wun avait commencé à faire ses bagages, commençant à mettre de côté ce dont elle aurait besoin pour son voyage. A chaque objet ajouté, sa mission devenait un peu plus réelle. Pourtant, elle ne parvenait toujours pas à réaliser qu’elle s’était engagée pour quitter les Jardins. Ça lui semblait surréaliste. Bien sûr, elle reviendrait ici mais le plus clair de son temps, elle serait envoyée ailleurs. Elle était venue ici pour accompagner son ami et lui dire au revoir, mais cette fête signait également son départ, en quelques sortes. « Je suis sûr que tout se passera bien. » « Aussi bien que vos explorations. » répondit la rouquine.

L’Ailée observa les danses qui avaient lieu dans la salle. Le duo marchait à côté de la piste de danse sans s’y mêler pour autant. Ils marchèrent jusqu’à l’extérieur où un balais aérien était exécuté. « Tu veux danser ? » proposa Georges. La jeune femme hésita quelques secondes avant de céder et de glisser sa main dans celle de son partenaire, qui la fit tournoyer. Délicatement, elle déploya ses ailes et les ébroua afin de les dégourdir. Le brun s’approcha d’elle et l’attrapa par la taille. Avec grâce, il la souleva et lui donna l’impulsion nécessaire pour s’élever dans les airs.  Il ne tarda pas à sortir également ses ailes immaculées et à la rejoindre. Il plaça l’une de ses mains dans le bas de son dos, la seconde serrant la sienne pour pouvoir la guider. Leurs regards se croisèrent, complices. « Je ne te savais pas aussi bon danseur, Geaorges. » confia l’apothicaire, visiblement surprise. Il la guidait subtilement, sans que cela ne semble forcé sans pour autant qu’elle n’ait à hésiter sur les pas à exécuter. « J’ai beaucoup de cordes à mon arc que tu ne connais pas. » dit-il, un poil moqueur. Il fit tourner sa cavalière avant de la coller de nouveau à elle sans que cette position ne soit embarrassante pour aucun des deux partis. « Dans une autre vie, j’étais un danseur renommé. » confia-t-il. C’était la vérité. Avant sa réincarnation dans le peuple vertueux, il avait participé à de nombreuses compétitions et avait remporté beaucoup de prix, lui donnant une certaine renommée dans ce milieu. Mais tout cela semblait presque ne jamais avoir existé, tant le temps avait passé depuis. Sa nouvelle condition d’Ange lui avait peu à peu fait arrêter ce loisir. Non pas que les Ailés ne pratiquent pas cet art, bien au contraire. Ca avait davantage à voir avec le fait que le jeune homme s’était découvert d’autres passions, qu’il avait développé à la place de celui-ci.

Werdna pencha la tête en arrière et se laissa valser au sein des mains de son camarade. Un rire vint chatouiller sa gorge. Elle se sentait réellement bien, ce soir-là. Elle avait le cœur lourd de devoir quitter son ami pour une durée indéterminée, mais une part d’elle-même avouait que ce serait pour le mieux – sans doute. Ca lui rendait les choses plus faciles à accepter. Ce soir, elle comptait bien profiter de leurs derniers instants ensemble.

1375 mots

Suite de ce rp

Il n'y avait aucun mot juste pour décrire les sentiments qui animaient les Anges présents. La silhouette mystique avait disparu, cependant, l'image de ses ailes blanches décharnées ne quittait aucun esprit. Laëth fit remonter sa main jusqu'à celle de Priam, posée sur son épaule, et serra ses doigts autour des siens. « Aucune idée... » lâcha-t-il, comme soudain ramené à la réalité par son contact. Il scruta les autres convives du regard. « Personne n'a l'air de savoir. » Devaient-ils s'inquiéter ? « Vous croyez que ce sont des Démons déguisés ? » - « Pour nous duper ? » Le brun tourna la tête vers les deux Ailes Blanches qui discutaient près d'eux. Sa sœur fronça les sourcils et intervint : « Ce serait un stratagème trop fin pour eux. » Disait-elle cela pour se rassurer ? Il ne releva pas, mais songea qu'il y avait nécessairement des êtres démoniaques qui disposaient d'une certaine intelligence - il repensa à l'Asmodée, qu'il avait croisée en plein marché. Les deux Anges ne répondirent pas. Laëth releva les yeux vers le firmament et souffla doucement : « Qu'Ahena soit avec nous. » Priam eut une grimace et lâcha sa clavicule ; il avait horreur de l'entendre prier ces foutus Aetheri. On avait bien essayé de lui faire comprendre que ses Zaahin étaient de faux Dieux, mais il n'en démordait pas. Les siens étaient réels, ils avaient existé, on contait leurs hauts-faits. Les leurs ? Une bande de fantasmes éthérés, des chimères auxquelles se raccrocher et sur qui reporter leurs erreurs de jugement et leurs défaillances mentales. Il se gardait bien de faire ces remarques depuis qu'il avait compris à quel point elles étaient mal reçues, mais il n'en pensait pas moins. Sa cadette s'égarait. Désireux de ne pas laisser s'installer la pensée de son Aether de malheur, il lança : « On devrait aller à l'intérieur. » Elle acquiesça. « Tu as raison. Ça ne sert à rien de s'attarder. Il ne devrait pas revenir. » Les deux enfants de Réprouvés se dirigèrent vers l'entrée et pénétrèrent dans le bâtiment. La salle était déjà bien remplie, toutefois, il y régnait un silence respectueux. L'Olori Ivanhnoé, en suspension au-dessus du sol, livrait un discours. Laëth, qui l'écoutait attentivement, frissonna. Quelques heures...

La fratrie ne s'invita tout à fait dans la pièce que lorsque la musique et l'amusement reprirent leurs droits sur les paroles et le cérémoniel. La jeune Ange se dirigea vers le buffet, son aîné sur les talons. Quelques heures. Comme elle se saisissait d'un petit four, elle jeta un regard à son frère. Elle se rappelait de sa réaction, lorsqu'elle lui avait fait part de sa décision.

« Eh Priam, tu as vu tous ces trucs organisés autour des expéditions ? » Laëth venait d'entrer dans la salle à manger. Elle s'exprimait avec cette nonchalance feinte, qui signifiait qu'elle avait quelque chose à annoncer. Priam, le nez plongé dans un livre sur les us et coutumes angéliques - qui lui arrachaient tantôt des rires, tantôt des grimaces, tantôt des soupirs -, avait relevé la tête. « Oui, j'en ai entendu parler, pourquoi ? » Elle s'assit et posa ses avant-bras sur la table. Les mains jointes, elle commença à jouer avec l'un de ses index. « J'ai signé. » - « Signé ? » Il cligna des yeux. « Tu vas partir ? » Elle hocha la tête. Il la dévisagea en silence. Elle s'attendait à sa colère, à son incompréhension, à ses protestations. Pourtant, rien. Il recula son bassin dans sa chaise et s'appuya contre le dossier, inspira puis lâcha : « D'accord. » Surprise, elle scruta ses prunelles, à la recherche d'une étincelle, un indice infime, quelque chose. « C'est tout ? Tu dis rien ? » Son frère haussa les épaules. « Qu'est-ce que tu veux que je dise ? » - « Ben je sais pas, je, euh, je pensais que tu t'énerverais. » Un rictus moqueur railla les lèvres de Priam. « Ça changerait quelque chose ? » - « Hum... je crois que je suis trop têtue... » admit-elle dans un sourire. « Voilà. Plus j'insisterais pour t'en empêcher, plus tu voudrais y aller. Et tu ferais tout pour m'emmerder avec ça. » La jeune Ange roula des yeux, quoiqu'elle fût parfaitement consciente du fait qu'il avait raison. « Non puis, tu sais... » Il inclina son buste vers l'avant et posa son livre sur la table, les pages contre le bois. « Moi, ça m'intéresse pas, tout ça. On sait tous les deux que si je le pouvais, je vivrais à Lumnaar'Yuvon. Toi, c'est ton truc. Tu as envie de t'investir auprès des Anges, ils ont besoin de nouvelles terres, de s'installer quelque part qui soit chez eux... Je peux comprendre ça. C'est... normal ? que tu souhaites y participer. » Muette, Laëth le dévisagea avec circonspection. Elle ne releva pas ses propos quant à son envie de vivre parmi les Réprouvés et de son détachement vis-à-vis du peuple angélique - c'était un débat stérile, dont la seule conséquence était de les énerver et de les braquer tous les deux. Le reste la surprenait sans la surprendre ; c'était étrange. « D'accord. ... Merci ? » Il lui sourit et reprit sa lecture.

« Laëth ? Eh oh ? » Une main passa devant ses yeux ; elle cligna des paupières et revint à la réalité, quittant son souvenir de l'après-midi. « Hein quoi ? » - « Je t'ai demandé si tu voulais danser. » Un rictus narquois étira les lèvres de la jeune femme. « Tu danses ? Toi ? » Elle ricana doucement. « Tu te moques ? » - « Nooooon, non, c'est de la surprise ! J'ai tellement l'habitude que tu restes prostré dans un coin, dans ces moments-là, que le choc est grand, tu comprends ? » Les lèvres pincées pour retenir un sourire, il lui asséna un coup de coude dans les côtes. « Eh, je dansais, à Lumnaar'Yuvon. » Laëth esquissa une moue. « Oui enfin bon, c'est pas le même style, tu en conviendras. » - « Chuuuuuuut. » fit-il en apposant un doigt sur les lèvres de sa sœur. « Arrête de discuter et viens-là que je puisse t'écraser les pieds ! » Il l'attrapa par le bras et l'entraîna sur la piste, sur laquelle se mouvaient quelques danseurs. « Si tu m'écrases les pieds, je t'étouffe dans ton sommeil. » - « Je viendrai te hanter nuit et jour jusqu'à ce que tu deviennes complètement hystérique. Enfin, si tu l'es pas déjà ? » - « Tu mériterais que je te tape. » - « Jeux de mains, jeux de vilains ! » - « Quoiii ? Mais où est le petit Réprouvé ? C'est pas à Lumnaar'Yuvon qu'on t'a appris ça ! » - « Ah, tu vois, pour une fois que je m'adapte, tu critiques ! » - « Moi ? J'oserais pas. Je suis pas comme ça. Tu me connais très mal. » - « Je te connais comme si je t'avais faite. » - « Arrête, ça devient glauque. » Priam afficha un large sourire et Laëth rit en secouant la tête. « Tu m'épuises. Heureusement, bientôt, je serai tranquille ! » En dépit du ton enjoué qu'elle avait emprunté, la tristesse tira un voile sur leurs regards, et la conversation perdit de son éclat. « Tu seras dans quelle unité ? » - « Défense. » Priam eut une expression à la fois amusée et attendrie. « Ouais, je sais pas pourquoi je demande. » Sa cadette sourit. Depuis qu'elle était enfant, elle rêvait de pouvoir combattre. Elle avait passé des heures à admirer les guerriers et les guerrières de Lumnaar'Yuvon et à s'imaginer à leur place. C'était sans doute l'élément de sa vie passée qui imprégnait le plus son existence actuelle. Elle avait conservé ce cœur intrépide et féroce, qui l'avait amenée à s'engager comme soldat dans l'armée angélique. Le temps et les événements lui avaient toutefois insufflé un peu plus de prudence et de sens des réalités. « Fais attention à toi, quand même. » - « Mais oui, comme d'habitude. » Elle lui sourit, rassurante - bien que le comme d'habitude n'eût rien de rassurant aux yeux de son frère. « Je suis soldate maintenant, et je me suis bien entraînée, je devrais survivre ! Et puis je serai pas seu- » Un son guttural l'interrompit, suivit d'un grand éclat de rire de la part de Priam. Laëth ouvrit des yeux ronds, qui se changèrent rapidement en un regard noir - ses lèvres, toutefois, luttaient pour ne pas dévoiler un sourire. Les danseurs qui les entouraient leur jetaient des regards écœurés ou surpris. « Mais mets au moins ta main devant ta bouche, quand tu rotes ! Ça ne se fait pas, ici ! » chuchota-t-elle avec véhémence. « Roooh ça vaaa, c'est juste une part de quiche qui a du mal passer ! C'est naturel, en plus. Tout le monde rote et pète, même Ivanhnoé, même les deux jumeaux là, et Brethil, et puis même Raeden Liddell hein, tu sais ? » - « Tu me donnes envie de mourir... » soupira-t-elle en lui adressant un regard blasé. Lâchant l'épaule de son frère, elle porta la main à son front dans une mimique presque théâtrale. « Vont-ils accepter de te garder, si je ne suis pas là pour te surveiller ? Grande question. » - « Mais oui ! Le charme réprouvé, personne n'y résiste. » - « C'est sûr qu'avec une odeur pareille, il n'y a pas que les mouches qui vont tomber... »

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Son verre de champagne en main, Mancinia observait l'Olori Ivanhnoé du coin de l'oeil. Souriant, impeccablement habillé et relativement séduisant, ce dernier était en train d'accueillir ses invités, venus célébrer la concrétisation de longs mois de travail et d'arrangements divers. Sans doute la Reine Asriel aurait été fière de voir ses ambitions devenir réelles, malheureusement, elle n'était plus présente, Ezechyel l'ayant rappelée à lui d'une bien cruelle manière. Aucun responsable n'avait encore été retrouvé à l'heure actuelle, mais la femme en vint à se demander s'il s'agissait vraiment là de la priorité immédiate du peuple angélique. La race était décidément bien troublée, bien militairement entraînée et bien ambitieuse. Elle ne la reconnaissait plus vraiment. Même son redoutable soutien, son Ange Gardien, Neah, n'était plus le même qu'alors. L'Humaine avait du mal à s'y faire, comprenant qu'une décennie d'absence dans le coeur de l'Histoire n'était pas réparable. Ce temps perdu l'était à jamais, peu importe que son état physique ne se soit pas dégradé. Elle but en détournant le regard, songeuse. Les choses s'enchaînaient relativement bien de son côté et elle mettait doucement en place ses projets, essayant de ne pas se précipiter pour éviter des déconvenues plus grandes et des chutes impardonnables. Mancinia avait encore beaucoup de choses à apprendre et, dans sa situation, on voyait la fragilité d'un être absent des affaires de l'État depuis trop longtemps.

Ses promotions avaient été contestées, jadis. Difficile pour certains Nobles d'anciennes lignées de côtoyer les Enfants du Peuple, aussi méritant soient-ils. Tolérée pour ses faits d'armes, pensant certainement les voir sombrer dans l'oubli lorsque la guerre serait achevée, ils avaient vus Mancinia obtenir des titres et des louages au-delà des frontières. Un sourire naquit sur ses lèvres. Maintenant qu'elle avait une place de choix près de l'Ultimage en tant que Marquise de Nylmord, elle devenait un énorme atout stratégique. Elle le savait. Quoi de mieux qu'une épouse reconnue chez les siens, peu encombrante à l'étranger et avec une fortune dont, visiblement, elle ne pouvait pas s'occuper seule ? On lorgnait un peu trop sur son absence de mari, sur ses richesses sans héritier. Finalement, ses origines importaient peu lorsque l'argent et le prestige s'en mêlaient. Longtemps, elle s'était affirmée vouloir s'unir à Humain, faire prospérer sa race dans ce but, mais son coeur avait basculé ailleurs et, à la hauteur de ses prétentions, Mancinia s'unirait à qui elle décidait. Quelqu'un de méritant, qui progressait, ne se reposait pas sur le succès des autres. Quelqu'un de proche qui rapprocherait certainement leurs deux nations en faisant en sorte que des liens érodés retrouvent leur solidité d'antan. Sans doute était-ce le bon point de départ ? Si elle avait été conviée, c'est parce qu'elle-même avait financée une partie de cette décision qu'était l'exploration.

Elle l'avait fait pour l'amitié, le respect, mais aussi pour Neah. Il était sa fierté, comme elle était la sienne. Leur lien était plus puissant que jamais. Lors de leurs retrouvailles, sa détermination avait vacillée en découvrant qu'elle n'était que le reflet de la glorieuse combattante qu'elle avait été. L'Humaine avait essayée de redorer son blason tout en sachant que rien n'avait changé pour lui, ce n'était que par fierté qu'elle avait retardé tout ceci. C'était sa dernière chance avant de le voir partir. Peu importe ses relations, peu importe le temps. Elle devait tout lui dire ou dépérir avec des regrets. Serrant son verre dans sa main, manquant de le brisé, l'idée d'un refus lui traversait l'esprit. Que ferait-elle dans ce cas ? Sans doute demanderait-elle à Parvaneh de lui trouver un époux. Quelqu'un à qui elle n'aurait pas de comptes à rendre dans ses affaires. Ces dernières avaient été maintenues à flot par Ritsuka, qui faisait office d'intermédiaire et protéger par les Vosgien. Elle était revenue comme un cheveu sur la soupe avec une richesse dépassant ses rêves les plus grandioses. Devant sa prestation à la Coupe des Nations, Parvaneh Vosgien lui avait demandée de revenir à Qaixopia pour discuter affaires. Elle l'avait prévenue devoir retourner à Nylmord avant, retardant d'autant plus son retour sur Alaithiad. Peut-être était-ce mieux ainsi ? Peut-être que les Aetheri n'avaient pas besoin d'elle là-bas ? Ou peut-être devait-elle seulement prendre du temps pour elle.

Reposant son verre sur un plateau, Mancinia parti à la recherche de son Ange Gardien parmi la foule. Elle l'avait vu, mais n'avait osé interrompre sa conversation avec ses camarades. Le départ était imminent, il devait certainement ressentir la même excitation que lorsqu'elle-même était partie avec les siens vers Taelora pour prendre possession d'Alaithiad. Elle n'était plus à quelques heures près et surtout, la femme ne pouvait faire preuve d'irrespect envers ceux qui la saluaient poliment, ou encore ceux qui prenaient de leur temps pour discuter de cet avenir prometteur, de ces conquêtes qu'ils attendaient et dont ils espéraient les voir devenir leurs de manière définitive. Certains évoquaient leur feue Reine, dont la disparition avait été dans doute le moteur de leur progression. Sans elle pour convaincre l'Ultimage de les aider, rien n'aurait su être entrepris. Il la remerciait aussi de son investissement, ne manquant pas de souligner que les Humains étaient des alliés de toujours et qu'elle était l'un des traits d'union de cette ancienne alliance. La Kaaezi ne pouvait s'empêcher de se dire que cette liaison était mise à mal par bien des choses et qu'une sorte de réconciliation était nécessaire. Quelque chose dans ce genre. Marchant, cherchant, perdue dans ses réflexions, il était comme un soleil au milieu des nuages. Il était là. Seul. Cherchant quelqu'un du regard. Tant pis, l'Humaine était là en premier. Mancinia lui mit une main sur l'épaule, souriant avec malice lorsqu'il se retournait vers elle.

— Bonsoir toi.

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Neah reprenait ses esprits après des échanges très vifs sur les futures départs, buvant un verre pour se détendre. Cela lui était toujours agréable de parler avec ses camarades de la Compagnie. Ils allaient lui manquer, mais leur départ était un choix, une nécessité. L'Ange regardait un point imaginaire au loin. Il était un commercial sur ces terres, une fonction qu'il occupait entre deux rapports, entre deux entraînements, mais personne ne remettait en cause son implication au sein de l'Armée Angélique. C'était un soldat émérite. Il avait fait ses débuts lors de la précédente guerre et prit part au conflit de Stenfek. Fervent opposant aux Démons, l'Anjonù ne manquait aucune occasion pour les éliminer au point de ne pas avoir le soutien des Pacifistes qui voyait en lui un être fait de rancoeur et de colère, se surprenant parfois au fait que lui-même ne soit pas Déchu. Ça le faisait sourire. Sa volonté était Juste. Il ne regrettait pas d'avoir intégré l'Armée. Il avait sauvé des vies, se développait de corps et d'esprit, pouvait faire entendre sa voix lorsqu'il y avait un avis à émettre. Cette voie l'avait transformée au cours de cette décennie. Et surtout, il était un Gardien et celui d'une Humaine remarquable, il pouvait en être fier. Il l'était. L'Éveil de Mancinia lui avait rendu quelque chose qui s'était brisé il y a longtemps. Neah sentait une main sur son épaule et se retournait pour voir la délicieuse apparition qu'était son Humaine. Mancinia était sublime dans sa tenue, elle brillait comme de coutume. Il sourit.

— Bonsoir toi, répondit-il. Tu es venue.
— Je n'allais certainement pas manquer cet événement alors que messire Ivanhnoé m'a écrit en personne.
— Je sais que tu cours un peu partout sur les continents, mais ta présence me ravi.

Il y eu un léger silence.

— Tu seras absent longtemps. Je ne voulais pas manquer un au revoir.
— Tu auras tout le loisir de te consacrer à ton nouveau travail.

Neah lui parlait d'Alaithiad. Sa Protégée n'avait su tenir sa langue concernant ce nouveau territoire. Il avait eu l'air inquiet de la voir partir pour une durée indéterminée, sa confiance en elle avait des limites lorsque la prudence s'invitait, le guerrier étant toujours inquiet de savoir ce qu'il adviendrait dans l'espoir de mieux la protéger. C'était son autre devoir et comme elle le comprenait, Mancinia lui avait vaguement expliqué les tenants et aboutissants de cette entreprise.

— Je pense abandonner mes fonctions là-bas, reprit-elle. J'y apporterai le soutien nécessaire autrement. Je suis énormément présente en territoire magicien ces dernières semaines, mais l'on me convie à Qaixopia. Certainement pour prendre en charge de nouvelles fonctions.

L'Humaine ne lui dirait pas que cela pouvait tout aussi bien concerner des choses plus futiles et la décevoir grandement, mais l'heure n'était pas aux plaintes quant à ses doutes.

— Je n'ai d'ailleurs plus de raison de rester vu que tu seras parti.

Son sourire trahissait une certaine tristesse, mais elle se reprit bien vite en lui prenant les mains.

— Mais ne parlons pas de moi ! Ce soir, c'est votre soirée à tous !
— Je ne partirai pas, Mancinia.

L'Humaine était perplexe devant son annonce. Ce n'était pas de la surprise à proprement parler, mais ce sentiment mélangeait le bonheur et l'appréhension.

— Pourquoi cette décision ? Tu étais volontaire pour te rendre sur les terres d'Iyora.

L'Anjonù se contentait de lui sourire tendrement, se dégageant de son emprise, prenant une mèche de ses cheveux pour les remettre derrière son oreille. Mancinia eu un frisson. Oui, il y avait une réelle raison derrière.

— Il n'est pas encore trop tard, reprit-elle. Tu peux encore changer d'avis.
— Non, ma décision est prise.

L'Olori Ivanhnoé avait soulevé une immense question lors d'une réunion, de nombreux Anges partiraient vers les contrées lointaines et les Jardins de Jhen n'en serait que plus fragile. Ils devaient aussi s'assurer que cette retraite soit envisageable si, dans le pire des scénarios, tous venaient à échouer. Il fallait des responsables pour assurer le suivi. Qui prendrait en charge la défense ? Neah, dont les doutes assaillaient ses pensées, c'était portée volontaire pour demeurer sur ces terres dans le but d'en assurer la défense. Il ne faisait pas vraiment confiance à ceux qu'ils considéraient comme couards et sa fonction serait d'assurer le suivi militaire, la cohésion dans les troupes et la formation de nouvelles recrues. Sans doute la Terre Blanche était inatteignable compte tenu de leurs forces actuelles, mais tous devaient assurer leur survie dans les différents domaines. L'idée de conquête de nouveaux territoires rapportait l'espoir, mais aussi une flamme combative que l'Anjonù essaierait d'entretenir. C'était la voie qu'il avait choisi, son choix était fait depuis longtemps. Là était son noble devoir et il le remplirait avec succès, mais une autre raison motivait cette décision. Cette raison lui faisait face désormais. Dans sa tenue blanche mettant ses courbes en valeur et dévoilant une partie de sa peau, son regard qui semblait lire en lui comme dans un livre ouvert, son sourire ravageur. Neah devait se faire violence pour ne rien faire de déplacer qui trahirait ses pensées. Par Ahena. Jamais Mancinia n'avait été aussi magnifique qu'en cet instant. Il essayait de soutenir son regard.

— Je suis un modeste gérant, mais cela ne change rien au fait d'être un soldat. C'est dans mon sang. J'ai choisi cette voie en te voyant faire, tu as été ma source de motivation. Ce qui résulte de tout ceci, c'est ma décision est de protéger les miens, ceux qui résident ici, encore à la merci d'une éventuelle agression et n'étant pas capables de se défendre. Tous ces derniers mois semblent avoir été réalisés dans le but de nous ralentir ou de nous diviser, cette situation ne doit pas continuer. Nous avons perdu notre Souveraine, nous nous sommes diviser sur la question des Démons et du sort de la Terre Blanche. Nous ne pouvons pas continuer à nous battre contre les nôtres. Ces explorations sont le trait d'union à une entende nouvelle. Je le pense sincèrement malgré l'agacement que peut m'apporter les pacifistes. Et parmi toute cette envie et cette détermination...

Il marquait une pause, détaillant les traits de ce visage qui l'écoutait attentivement.

— Je ne peux pas être dans un endroit d'où je ne pourrai revenir si tu avais besoin de moi.

Mancinia eu l'air troublé de cette révélation. Se doutait-elle ? Certainement. A un moment, ils ne pouvaient plus se permettre de faire les aveugles. Cependant, il n'oserait pas briser ce lien. C'était trop douloureux de l'imaginer le rejeter complètement. Un autre homme, il pouvait l'accepter en essayant de tourner la page, mais pas être renié et abandonner. Elle en était capable et il n'y survivrait sans doute pas.

— Tu es amenée à voyager relativement souvent, parfois loin de tout, mais tu as des obligations envers les Magiciens, envers ta nation entière. Tes départs fréquents pour gérer tes terres et tes alliances sont compréhensibles, mais moi, je n'ai rien de tout ceci. Rien ne me retient. Mon départ de ce territoire est sans retour tant que tout ne sera pas pleinement terminé.
— Si c'est moi la véritable raison, Neah, tu l'as si bien dit, mes fonctions...
— Je ne veux pas être séparé de toi encore une décennie. Ne me le demande pas. Je ne le supporterai pas.

Le coeur de l'Humaine manquait un battement.

— Je te vois peu, mais tu es là. Tu marches, tu me parles et tu souris. Je ne supporterai pas attendre encore des années après toute cette absence, ce n'est pas possible, Mancinia.

Avait-elle seulement mesuré l'impact de son absence pour son Ange Gardien ? Le pouvait-elle seulement ? C'était comme si un morceau de lui-même lui avait manqué, comme l'absence actuelle de Kamiya, restant à Qaixopia avec sa mère. Elle devait aller le récupérer. Et remettre en place ce qui avait été défait.

— Tu...
— N'en parlons plus, l'interrompit-il. Ma décision est prise.

Il lui sourit, Mancinia se mordit intérieurement la lèvre inférieure. Cela ne servait à rien de discuter, elle ne le ferait pas changer d'avis. Par contre, cette annonce ne lui donnait que plus envie. Devant son silence et sa mine défaite qui lui faisait mal au coeur, Neah lui tendit la main pour lui changer les idées.

— Tu veux danser ?

Mancinia l'observait, énigmatique.

— Neah.

Son ton ne laissait pas l'opportunité du doute.

— Sortons.

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