Catégorie de quête : XXXI. Compétition Partenaire : Aylivæ Intrigue/Objectif : Ayli et Elh débarquent sur Asgösth pour participer à un jeu d'équipe où s’enchaînent les épreuves en tout genre. Leur but ? Survivre.
Elh était assise sur le sable et s’amusait à casser une brindille en mille morceaux. C’était la nuit. Elle n’avait aucune idée de l’heure exacte, mais vu la noirceur du ciel, le soleil était loin d’être sur le point de se lever. Pour voir, elle ne se fiait qu’aux formes sombres qu’elle pouvait discerner ainsi qu’aux lueurs des braises encore rougeoyantes du feu de camp. On l’avait éteint par mesure de sécurité. Apparemment, de grosses bestioles habitaient cette île et personne n’avait vraiment envie d’y faire face. De toute manière, certains étaient capables de le rallumer, donc ce n’était pas un souci. Contrairement à l’autre équipe.
La Lyrienn n’arrivait pas à dormir. Elle dormait assez peu depuis le début, et en dépit de sa fatigue morale et physique. Elle était anxieuse. Elle avait peur. Elle ne comprenait toujours pas ce qu’elle faisait là malgré les explications de Dany.
« Bonjour à tous, et bienvenue sur Asgösth ! C’est un plaisir de vous avoir ici pour cette DEUXIEME SAISON d’As-Gösth. Je suis Dany, directement envoyé par l’Aether de cette île pour VOUS GUIDER, mais EGALEMENT, vous arbitrer. »
Ce Dany était un homme d’une cinquantaine d’années, propre et très bien habillé. A peu près le contraire d’eux, qui venaient à ce moment-là d’atteindre l’île à la nage – en étant dénués de magie juste pour l’épreuve – avant de courir comme des dératés tout de long d’un parcours sableux, boueux et semé d’embûches. Pendant la course, Elh avait repoussé ses limites malgré sa confusion, croyant être au bord de l’infarctus, tout ça pour se retrouver dans les derniers.
« TOUT D’ABORD, je tiens à féliciter les DEUX GAGNANTS, de cette première épreuve, Derby et Francis, qui seront les deux chefs des équipes que vous allez constituer, MAINTENANT. Et Derby et Francis avaient donc constitué leur équipe respective. Elh n’avait jamais compris comment ils s’étaient souvenus du prénom de tout le monde, car elle, elle en avait à peine retenu dix sur les vingt-huit participants. La Lyrienn s’était retrouvée avec Derby. Très bien ! Les équipes sont constituées ! FRANCIS, vous serez chef de l’équipe des ROUGES, les YAMBA ! Elh s’était alors rassurée en se disant qu’à défaut de connaitre le nom de tout le monde, elle se souviendrait au moins de celui de son équipe. QUANT A VOUS, LES JAUNES, vous serez les AMASHOUPITCHIROMANIACEAQWETCHERI. Ah non. MAIS CE N’EST PAS FINI. La nouveauté de cette saison, c’est qu’au sein de chaque équipe, vous serez en binômes ! Ainsi, vous serez amenés à faire certaines épreuves ENSEMBLE, et ATTENTION ! L’élimination ou la mort de l’un entrainera AUTOMATIQUEMENT celle de son partenaire ! Gardez cela en tête. »
Les binômes avaient été tirés au hasard, au risque de se retrouver soit avec quelqu’un d’incompétent, soit avec quelqu’un d’insupportable. Elh, elle, ne savait pas. En fait, elle n’avait pas encore très bien fait connaissance avec le sien. Elle ne savait pas encore si elle l’appréciait ou non. Disons que pour le moment, ça allait. Mais la communication était assez difficile. Sur Sühl, la jeune femme s’était habituée à parler aux mêmes personnes, et eux s’étaient aussi habitués à la comprendre. Ainsi, les échanges dans son cercle d’amis proches ne posaient plus problème depuis longtemps. En revanche, à l’extérieur et avec toute la pression qui reposaient sur leurs épaules – car après tout, ils jouaient leur vie – pas sûr que la patience soit de mise. Elh avait du souci à se faire, et elle se le faisait déjà. Peut-être qu’elle aurait dû essayer d’autres moyens pour entamer une conversation avec sa partenaire. Peut-être qu’elle aurait dû faire plus d’efforts. Demain, une épreuve dite d’immunité les attendait. C’était la première, la précédente ayant été une épreuve de confort pour obtenir du riz. Là, il ne s’agissait plus de riz, ni de couscous. Cette fois-ci, l’épreuve était éliminatoire. Elh en avait la nausée rien que d’y penser. Et si, par cette simple négligence, elle venait de les entrainer indéniablement dans les bras d’Ezeckyel ? La Lyrienn se surprenait à craindre autant la mort, alors qu’elle avait déjà participé à plusieurs assassinats. A croire qu’elle n’avait jamais vraiment songé à en être victime. Elh se concentra sur la suite de son souvenir. En fait, il n’y avait pas que ça qui la dérangeait. Ça pouvait paraître minime, mais ça l’avait aussi effrayée, se disant qu’ils étaient tous entre les mains de l’homme le moins stable qu’elle n’avait jamais eu à rencontrer. En effet, après la formation des binômes, Dany avait tourné les talons et s’était éloigné d’eux d’une vingtaine de mètres. Toujours dos aux vingt-huit naufragés, ces derniers l’avaient alors clairement entendu dire :
« Quant à vous, il est bientôt temps de se quitter, MAIS AVANT vous pouvez répondre à cette question et tenter de gagner la somme de DIX MILLE GALLEON – je vous laisse faire la conversion chez vous : avec qui Elh a-t-elle été mise en binôme ? Réponse A : Kévin, ou alors réponse B : Aylivæ. Pour jouer, c’est très simple : il vous suffit d’envoyer une prière à l’Aether d’Asgösth avec votre réponse. Vous avez cinq minutes pour jouer ! Je vous souhaite une très bonne soirée, ET A DEMAIN, pour suivre l’épreuve d’IMMUNITE ! »
Mon regard était fixé sur les braises du feu. Elles étaient les seuls détails que je pouvais désormais admirer dans la noirceur qui m’enveloppait. Je frissonnais. Le sable sur lequel j’étais couchée été glacé. Le feu qui mourait peu à peu allait me manquer. Je ne savais toujours pas si cela avait été une bonne idée de le laisser s’éteindre. Je ne le pensais pas. C’était une grossière erreur. Les créatures que nous cherchions à éviter et à ne pas attirer étaient des chasseurs nocturnes. Ils ne se fiaient pas à leur vision mais à leur ouïe et à leur odorat. Nous étions des proies si faciles dans le noir… Nous ronflions et nous puions. Nous étions des proies stupides dans un jeu stupide… Je fermais les yeux en fronçant les sourcils de contrariété.
Demain, si nous étions encore en vie, et lorsque j’aurais compris les tenants et aboutissant de cette compétition, je parlerais. Je ne l’avais pas encore fait, préférant jauger chaque être. Parler pouvait apporter le salut autant que cela pouvait apporter la mort. Je ne souhaitais pas rejoindre Ezechyel précipitamment. J’avais encore tant à faire. Mon mariage avec ce Deslyce ne devait bientôt plus tarder. Cela faisant, je me rapprocherais de la royauté et hisserais mon nom bien plus haut dans les sphères. Je l’espérais. Ce mariage était prometteur mais, si je n’en faisais rien par la suite, alors il n’aurait été qu’inutile. J’étais déjà contrariée par le fait de lié mon existence à un individu masculin, je ne pouvais pas, en plus, faire cela inutilement… Heureusement, cette aventure sur cette île était liée à une autre femme. Je l’avais longtemps observée. Elle était discrète et menue. Deux grands défauts ici. Pour aller au bout de cette compétition, il fallait de la force. Pour la gagner, il fallait de la personnalité. Je doutais qu’elle possède l’un ou l’autre. Mais peut-être me trompais-je… Les apparences pouvaient être trompeuses. Mon peuple en était la parfaite illustration. La frêle créature qui me semblait perdue n’était peut-être qu’une illusion. Un monstre sanguinaire se cachait-il sous les traits presque enfantins de la jeune femme ? Je l’espérais sincèrement. Je connaissais mes limites et je savais que je n’étais ni très musclée, ni très agile. Je me rendais compte que, bien loin de l’embellir, je devais fortifier mon corps. J’étais aussi cassante qu’une brindille.
Une brindille… Mon froncement de sourcils s’intensifia si bien qu’il creusa la communément appelée ride du lion sur mon front. Cette Elh allait-elle enfin arrêté de s’acharner sur ce pauvre bout de bois ? Comment allais-je arriver à trouver le sommeil entre ce son incessant, le bruit strident de la nuée de moustiques qui nous vampirisaient à chaque instant et entre les pensées qui se bousculaient dans ma tête ?
Je me redressais vivement. Il fallait que je m’éloigne. Le groupe était peut-être une des clés de la survie, mais à cet instant seul l’agacement résonnait en mon âme. Je marchais rapidement vers l’océan. La berceuse d’Aylidis s’intensifiait à chaque pas. J’observais l’écume blanche qui parvenait à percer les ténèbres de la nuit. Les vagues s’écrasaient à l’horizon pour venir ensuite caresser le sable à mes pieds. La mer m’appelait. Son chant m’envoutait et j'avais la sensation qu'il me murmurait de partir. Je voulais accepter. J’en mourrais d’envie. Pourtant les règles avaient été claires : Les déserteurs mourraient. Aussi, je me contentais de bifurquer pour rendre cette nuit d’insomnie plus productive.
Après une avancée difficile dans les ténèbres et sur le sable, je m’asseyais aux côtés de ma partenaire. Nous n’avions pas eu le temps de faire vraiment connaissance, trop occupées à ramasser des branchages, à chercher de l’eau et à se mettre en quête des aliments que Mæhilda offrait. J’observais son profil sans me cacher. Son visage rond et enfantin avait quelque chose d’attendrissant. « Bonsoir. » finissais-je par murmurer simplement en regardant de nouveau devant moi. J’observais le panorama océanique tout en laissant le silence s’installer doucement. Les étoiles se reflétaient sur le liquide salé. « Je ne te connais pas. Tu ne me connais pas. Mais, tu dois me faire confiance. Comme je dois te faire confiance. » Mon ton était grave et sérieux, sans sympathie. « Je ne sais pas si tu es du genre à sympathiser avec tout le monde. Peut-être auras-tu cette impression de moi demain matin… Mais tu dois savoir que, dans cette aventure, il n’y a que nous deux qui importe. » Je quittais l’horizon des yeux pour regarder de nouveau la jeune femme. « Mes mots ne semblent peut-être pas justes mais ils sont vrais. Ne t’avise jamais de l’oublier. Je ne l’oublierais pas. Je ne suis pas venue ici pour te faire peur mais pour te préparer. Je ne te connais pas et c’est bien pour cela que je veux mettre les choses au clair. Je ne sais pas à quel point tu es influençable. Je ne sais pas à quel point tu es méfiante… » Je regardais avec intensité ma partenaire. « Toutes les personnes qui te sembleront gentilles, toutes les personnes qui te souriront, toutes celles que tu apprécieras… Ce ne sont que des illusions. Je le serais aussi. Pour les autres. Tu devras aussi l’être pour que l’on gagne cette compétition. Il faudra jouer sur les faux semblants à défaut de pouvoir jouer sur notre force physique. Nous sommes liées Elh. » Je posais ma main sur son épaule. « Nous sommes liées. C’est pourquoi je me battrais pour nous. Pour toi. Pour moi. J’espère que tu en ferras autant. » J’ôtais ma main de son épaule dans un soupir. Tout ce que je disais n'était peut-être que pure fabulation causée par la méfiance que j'éprouvais envers les Gaeylan... Pourtant j'avais le sentiment que la stratégie allait être une part importante dans cette compétition.
Laissant mon monologue sérieux là où il était, je rapprochais mes deux jambes de mon buste. Regardant attentivement la jeune femme, j’ouvris une nouvelle fois la bouche. « Tu as une idée de ce que la phrase « Le feu sera votre guide » présage pour l’épreuve d’immunité de demain ? » J’avais une légère idée sur la question sans en avoir la solution. Je voulais à présent mesurer l’intelligence de ma coéquipière.
Post I | 1030 Mots
Dernière édition par Aylivæ le Jeu 07 Nov 2019, 14:45, édité 1 fois
Elle avait laissé tous ses morceaux de brindille tomber sur le sable. A vrai dire, elle aurait aimé prendre une autre branche pour continuer son rituel nocturne, mais pensa que cela était inapproprié. Elle ne voulait pas qu’Aylivae la pense hautaine, insouciante ou quoi que ce soit d’autre. Elle ne cherchait pas non plus à se faire aimer, simplement… elle voulait l’écouter avec attention parce qu’il lui semblait que ça en valait la peine. Au final, elle n’avait jamais entendu sa voix. L’Aylivae qu’elle « connaissait » n’avait pas trop parlé depuis le début de ce soi-disant jeu. Maintenant qu’elles étaient toutes les deux et que rien ni personne d’autre ne les dérangeait – en oubliant les moustiques – il lui semblait que tout ça était un peu hors du temps : ça ne sonnait pas en accord avec tout ce qu’elle avait vécu ces derniers jours, et ça faisait du bien. Un léger sourire vînt remplacer l’air préoccupé de la jeune femme. Elle aimait la détermination de l’Ondine. Elle aimait son ton et sa façon de mettre les choses à plat. Ça lui rappelait chez elle. Elle réalisait à quel point ça lui manquait. Elle avait envie de rentrer, retrouver un environnement plus familier et plus simple, un endroit où elle n’aurait pas besoin de s’inquiéter et où communiquer n’était pas aussi compliqué. Ça ne l’était plus à Sülh : on la connaissait. On s’était plus ou moins habitué à déchiffrer ses expressions et sa gestuelle parfois extravagante.
La Lyrienn posa à son tour une main sur l’épaule de sa coéquipière. C’était un accord. Elh était digne de confiance. Leurs visages étant difficilement visibles dans l’obscurité, c’était à peu près tout ce qu’elle pouvait espérer lui transmettre. La seule manière de d’approfondir son message serait de le prouver. En effet, il lui semblait qu’Aylivae la sous-estimait. Elle ne lui en voulait pas. Elle ne doutait pas que cette femme était plus forte qu’elle – quelque part, ça se voyait – et était parfaitement consciente de ce à quoi elle-même ressemblait. Mais Elh était moins enfantine que son physique ne le laissait paraître. Si cela pouvait porter quelques désavantages, il fallait avouer qu’elle s’en amusait également. Ils n’étaient pas beaucoup à imaginer le nombre de personnes qu’elle avait vu mourir, ni celles qu’elle avait tuées. Ils n’étaient pas beaucoup à en avoir grand-chose à faire, parce qu’à leurs yeux, elle était toujours une enfant. Néanmoins, elle se distrayait parfois à imaginer leurs visages s’ils l’avaient vue à l’œuvre, s’ils avaient découvert qui elle était vraiment. Cela ne lui avait jamais plu, de tuer, loin de là. Cela n’en forgeait pas moins l’esprit, et l’ouvrait, selon elle, sur une perspective différente de beaucoup refusaient de voir.
Si Aylivae attendait d’elle une réponse claire et sonore, alors elle n’en obtiendrait jamais. Personne n’était au courant de son mutisme sur Asgösth. On ne lui avait pas suffisamment adressé la parole pour cela. L’ennui, c’était que dans l’obscurité, Elh doutait de pouvoir le lui signifier en lui désignant simplement sa bouche et en secouant la tête. Les braises étaient bien trop faibles à présent pour qu’elle puisse espérer les raviver avec un coup de vent et éclairer de nouveau leurs visages. Cela lui rappelait une scène, qui, à l’époque l’avait beaucoup effrayée. Ça s’était passé dans un rêve bien trop réel pour être un rêve. Dans le noir complet, elle avait dû expliquer son mutisme à une femme. Cette dernière l’avait alors attrapée par les cheveux pour la trainer sur quelques mètres – bien qu’elle eût dû être énoncée, la raison lui avait toujours échappée. Elh ne s’était jamais sentie aussi humiliée, et surtout, elle avait pris du temps avant d’accepter de rencontrer de nouvelles personnes. Seulement, elle doutait qu’Aylivae ne réagisse de la même façon. Elle, elle devait la trouver bizarre. La Lyrienn avait oublié de réfléchir à la signification de cet indice. Sa réflexion s’était très vite évanouie, balayée par le flot de pensées consacrées à sa survie. Elh se laissa basculer en arrière. Son regard se noya aussitôt dans la mer d’étoiles qui se révéla à elle. D’un point de vue élémentaire, la mention du Feu ne lui posait pas le moindre problème. Cependant, ce jeu cachait un aspect vicieux et elle appréhendait fortement ce qui les attendait. Qui sait si on allait leur retirer leur magie durant l’épreuve, comme on l’avait déjà fait auparavant ? C’était sa principale crainte.
***
-BONJOUR A TOUS ! J’espère que vous avez bien dormi et que vous êtes en forme, parce qu’aujourd’hui de joue l’épreuve. D’IMMUNITE ! Dany écarta les bras pour présenter les deux flambeaux entre lesquels il se tenait. Derrière lui, deux parcours identiques courraient sur une centaine de mètres, chacun ponctué par sept mâts. Comme vous le voyez, vos flambeaux se tiennent ici. J’espère que certains d’entre vous sont parvenus à comprendre l’indice qui vous a été donné pour ce qui vous attend aujourd’hui. Le feu sera votre guide. Le feu sera celui qui vous emmènera jusqu’au totem qui vous fera gagner cette immunité !
Il s’agissait simplement d’un relais, chaque binôme devant monter à l’un des mâts pour l’allumer, puis passer le flambeau aux suivants. Allumer les sept mâts était supposé les faire accéder à une clef permettant d’ouvrir le coffre, en bout de piste, et de s’emparer du totem en premier. Dany avait conclu en leur conseillant de bien choisir l’ordre les binômes. Elh avait alors tourné la tête vers sa partenaire. Quel était le prix à payer pour éviter l’élimination ?
~918 mots~
Dernière édition par Djinshee le Mar 03 Sep 2019, 23:14, édité 2 fois
La nuit avait été aussi mauvaise que courte. Des insectes de la taille d’un pied de bébé étaient sans cesse venus nous piquer. Ces voleurs de sang nous puisaient notre force vitale en même temps qu’ils nous agaçaient. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls troubles fêtes de la soirée. Mon audition fine était constamment troublée par les ronflements de mes colocataires de sable. Lorsque l’astre solaire transperçait les Alizées pour illuminer l’océan de son reflet doré, j’étais partagée entre irritation et soulagement. D’une part, je quittais cette nuit atrocement agitée mais, d’un autre côté, je débutais ma journée aussi mal lunée qu’un lion de mer.
Durant toute la matinée, je m’étais retenue de faire un commentaire acerbe avec la plus grande des difficultés. Les membres de mon équipe - au nom si compliqué qu’il me donnait mal au crâne – pouvaient voir cela comme une concentration pure et profonde. Il n’en était rien. J’enfilais uniquement un masque de marbre pour ne rien laisser paraître. Si je commençais à parler, rien que pour souhaiter le bon jour, je savais que je n’aurais pas la force de m’empêcher de continuer sur une phrase plus agressive. J’imitais donc le mutisme que j’avais pu percevoir chez ma partenaire. Toutes deux, nous n’étions pas l’équipe la plus loquace mais, au moins, nous faisions notre part du travail en participant à la vie de l’île sans nous faire d’ennemis et sans alimenter les rivalités.
Quand sonna l’heure de l’épreuve, et que nous restions plantés comme des étoiles de mer en écoutant ce Dany, je dus avouer que je m’étais trompée. Je ne m’attendais pas à une telle épreuve. Me sentais-je de courir comme une dératée sur le sable brulant ? Non. Me sentais-je de grimper au sommet d’un mat vertigineux ? Non. Me sentais-je d’émettre la moindre objection ? Non plus. Il fallait que je me fasse une raison, plus vite cette épreuve sordide se terminait, plus vite je pouvais retourner à l’ombre. « Bon, les gars, c’est l’épreuve d’immunité. Il ne faut pas se louper. » Je tournais lentement mon regard vers l’homme barbu et négligé qui venait de parler. Il me dégoutait mais je retins de justesse une moue déplacée. Déjà, l’équipe adverse s’organisait. Il fallait en faire de même.
Je regardais Elh, scrutant ses muscles, les comparants mentalement aux miens. Étaient-ils plus fins ? Taillés pour l’agilité ? Étaient-ils plus imposants ? Forgés pour la force ? Nous étions à forces égales. Mes capacités physiques étaient équilibrées, tout comme celles d’Elh. Nous n’étions pas des forces brutes mais je savais que nous pouvions y arriver. Ensemble. Je me tournais vers mon groupe. Il était tant de s’organiser, tout comme l’autre équipe. « Je propose la stratégie suivante : organisons-nous selon un ordre croissant de force. Les binômes les plus faibles commenceront. Les plus forts termineront. C’est une idée qui pourrait bluffer nos concurrents. Il est certain, qu’ils seront en avance sur la première partie de l’épreuve. Ils pourront donc se laisser aller sur leur laurier, croyant la partie gagnée d’avance. De notre côté, nous utiliserons toutes nos forces pour avancer. Il faudra avoir la niaque et ne pas se laisser déstabiliser par leur avancée. Nous allons les rattraper sur la fin. C’est une évidence. Faites-moi confiance. » leur disais-je avec un ton assez bas pour que les concurrents n’entendent rien de notre stratégie.
Une stratégie qui fut d’ailleurs acceptée après débat par la majorité du groupe. Je me tenais donc prête, au côté d’Elh, en attente que le second binôme allume leur mat. La tension était palpable. Les cris alimentaient et encourageaient. Le parcours n’était pas simple et déjà l’adversaire avait un demi-mat d’avance. Notre équipe grimpait durement mais avec une volonté exemplaire. C’était bientôt à notre tour. Instinctivement, je plaçais ma main dans celle de ma partenaire. J’entrelaçais nos doigts de façon à avoir une bonne prise. Mes muscles étaient tendus, prêts à débuter. Mes yeux scrutaient le premier obstacle devant nous. Il s’agissait d’une succession de trois rondins à demi enterrés dans le sable. Bien sûr, il fallait passer en dessous, et donc creuser. Il aurait été trop simple de sautiller gentiment au-dessus.
Le mat derrière nous s’enflamma, c’était à notre tour. Mes jambes se mirent en mouvement en une seconde de temps. Courir sur le sable n’était pas chose aisée. La traversée pour rejoindre l’obstacle à quelques mètres plus loin était épuisante mais je ne devais pas me démoraliser. Je resserrais ma prise sur la main d’Elh avant de la lâcher. Je devais aller plus vite. Je me concentrais sur ma magie, accélérant mes mouvements drastiquement. J’abandonnais ma partenaire dans l’unique but de prendre de l’avance et de lui faciliter la tâche par la suite. J’arrivais donc au premier obstacle en première. Pour une fois, je ne pris pas la peine de m’accroupir élégamment. Je m’affalai à côté des rondins et commençai à creuser en diffusant ma magie dans mes bras. Vu par un autre, je devais ressembler à un chien hyperactif. Mais la conséquence de la perte de dignité avait fait effet : quand Elh, qui n’était pas très loin non plus, arriva, j’avais presque fini de creuser un trou suffisant pour faire passer nos silhouettes fluettes. Sur ce point, nous avions de la chance : aucune de nous n’avait un corps imposant et donc nécessitait un large trou entre les rondins et le sable. « Vas-y Elh, passe la première, je te pousse les pieds pour que tu ailles plus vite ! » Je laissais ma magie se reposer pour la ménager. Il ne fallait pas que j’utilise tout en un coup. Mon visage était déjà plein de sable. Tant pis, ce sera l’occasion de faire un bon gommage pour la peau.
Post II | 955 Mots
Dernière édition par Aylivæ le Jeu 07 Nov 2019, 14:46, édité 4 fois
Avant le départ, Elh avait nerveusement serré la main de sa partenaire. C’était toujours dans les moments les plus décisifs que l’on se sentait le moins prêt. La Lyrienn détestait cette sensation. Elle se sentait si fragile et impuissante. Elle réalisait à chaque fois à quel point elle était menue et passait pour une gamine à côté des autres. Ressortait en elle tout ce qu’elle s’efforçait de changer, tout le contraire de ce qu’elle tentait de prouver, comme si ses années d’entrainement n’avaient jamais servi à rien.
Elh creusait aussi vite qu’elle le pouvait. Elle était moins efficace qu’Aylivae et cela la rendait d’autant plus nerveuse. La jeune femme utilisait l’Air pour dégager le sable plus rapidement. Elle aurait aussi bien pu traverser la matière, sans prendre le temps de creuser, mais il fallait que les deux membres du binôme aient traversé tous les obstacles avant de pouvoir allumer le haut du mât. De ce fait, cela ne lui aurait servi à rien. Lorsque le trou fut assez grand pour les laisser passer, Elh obéit à Aylivae sans négocier et passa sous le rondin. De l’autre côté, elle se retourna, une main tendue vers sa partenaire pour l’aider à passer l’obstacle. Elle se traita d’idiote la seconde d’après. La jeune femme était trop gentille. Sauf qu’ici, il n’était pas question d’être gentil, mais de gagner, et vite. Elh se précipita vers l’obstacle suivant pour reprendre le travail. Elle ne savait pas où en était l’équipe adverse. Elle ne la regardait pas, et elle ne voulait pas savoir. Elle se dépêchait juste. Ses bras commençaient à tirer et ses ongles remplis de sable étaient douloureux. Plusieurs mèches de cheveux étaient venues se coller à sa figure et elle en mangeait d’autres, assaisonnées de quelques grains de sable. Elle plongea une nouvelle fois dans le passage qu’elle venait de créer avec sa partenaire, puis une troisième et dernière fois.
Elh était essoufflée. Elle leva les yeux vers le mât qui se dressait à présent devant elles. Il lui fallait encore fournir un peu d’efforts. Juste quelques secondes. Sans attendre l’Ondine, elle s’élança. L’Air vînt porter son corps. Elle n’était plus qu’une bourrasque aux yeux des autres, si tant est qu’on pouvait encore la voir. En tous les cas, elle s’éleva et porta le flambeau jusqu’au sommet du mât, qu’elle embrasa. Le binôme suivant partit. La Lyrienn reprit forme humaine sans prendre la peine d’effectuer un atterrissage en douceur. Leur partie de l’épreuve, bien que brève, l’avait épuisée. Le stress avait consommé la moitié de ses forces. Ce ne fut que là qu’elle s’autorisa à jeter un œil à l’équipe adverse, qui les devançaient toujours. Néanmoins, sa dernière action leur avait permis de les rattraper un peu, et comme prévu, il semblait que de leur côté, ils se débrouillaient de mieux en mieux. Ils rattrapèrent totalement l’équipe adverse une fois parvenus au dernier mât. La tension était palpable, et tous avaient les yeux rivés sur les deux adversaires qui grimpaient, chacun à leur manière, jusqu’en haut. Derby alluma la première, mais fut tout de suite suivie par Frada, dans l’équipe adverse. Les deux femmes étaient impressionnantes de par leur force et leur détermination. Si pour Derby, qui était Réprouvée, cela tombait sous le sens, Frada, une grande Elfe blonde, surprenait beaucoup de par son caractère. Cette dernière semblait d’ailleurs s’agiter. Quelque chose n’allait pas. Cela se voyait également sur le visage de la cheffe des jaunes, qui observait les flammes avec intérêt.
-Eteignez le feu ! Cria soudain l’Ygdraë. La clef est dedans.
En bas, personne ne comprit, et une vague de panique s’installa. Certains voulaient obéir, d’autres pensaient que c’était un piège, qu’il fallait trouver une autre solution et qu’éteindre ne leur permettrait pas d’avancer.
-Descends, Derby, je m’en occupe.
C’était Fatale qui avait parlé. C’était une Lyrienne de Feu, que naturellement, Elh appréciait. On l’aida à grimper au mât, et vite, la blonde plongea sa main dans les flammes. Pendant ce temps, l’équipe adverse avait éteint le feu, mais la clef avait aussitôt disparu. Fatale se laissa glisser jusqu’au sable et brandit fièrement la clef qu’elle venait de récupérer. L’homme barbu et négligé – Alkor – lui arracha l’objet des mains, poussa un cri en se brûlant, et se précipita vers le coffre. Il ne prêta aucune attention à l’insulte que la Lyrienne lui adressa, trop préoccupé par l’obtention du totem. Vite, il ouvrit le coffre et le récupéra. Un cri de joie et de soulagement retentit. L’équipe adverse, elle, ne partageait certainement pas cet engouement. Frada était hors d’elle.
-La victoire revient à l’équipe des JAUNES ! S’écria Dany, visiblement ravi. Félicitations ! Les rouges, vous allez donc devoir participer au conseil. Dès ce soir, l’un de vos binômes sera éliminé, et ce sera à vous de le désigner. En attendant, profitez de l’après-midi et réfléchissez bien.
Alkor serra le totem dans ses bras, comme si son but était de le greffer à sa chair. Ils étaient sauvés.
~826 mots~
Dernière édition par Djinshee le Mer 18 Déc 2019, 23:33, édité 1 fois
Cette gamine était… Impressionnante. Tandis que j’attendais au bas du mât, je regardais la jeune fille disparaître dans le vent. Il y avait une certaine beauté dans le spectacle qu’il m’était alors donné de voir. Cependant, je ne m’attardai pas en me laissant assiéger par l’émerveillement et l’encourageai de toute ma voix. Mes bras me faisaient souffrir. Mes muscles n’avaient jamais été habitués à tant d’effort en si peu de temps. Je m’étais même retournée un ongle dans toutes ses péripéties. Il n’avait pas à dire, cela était douloureux en plus d’être exaspérant. Je pouvais dire au revoir à ma manucure de rêve. Cette île était véritablement un enfer. Heureusement pour moi, notre parcours en binôme semblait prendre fin tandis que le feu embrasait le sommet du mat. Un cri de joie s’échappa de mes lèvres tandis que je regardais notre binôme suivant prendre le relais. Les progressions étaient rapides. Le suspens était à son comble. Les derniers feux s’embrasèrent presque en même temps. Fatale fut l’élément permettant à notre équipe d’enserrer la victoire. Tandis que le déchu de l’avarice de notre équipe, Alkor, soulevait le totem d’immunité, j’enfermais la petite Elh dans mes bras. Je n’étais pas très tactile, en temps normal, mais l’adrénaline supprimait toutes mes réticences. J’étais heureuse d’avoir gagné. Je voulais exprimer ce bonheur. Je souriais donc à ma partenaire tout en la relâchant. C’était un sourire véritable, sans faux-semblant. Peu avait eu le droit à un tel sourire de ma part. L’épreuve était finie. Nous avions gagné. Il était temps de partir. Il était temps de rentrer au campement.
« C’est nous les champions ! » s’écriait Link, un Ygdraë blond de taille moyenne. Il était constamment habillé en vert, avec un chapeau pointu étrange. C’était affreux. Pourtant, il avait justifié ses choix vestimentaires en disant que le vert était la symbolique de l’espoir. Que fallait-il ne pas inventer… Quoi qu’il en soit, sa partenaire, une certaine Lara, très athlétique et plus grande que lui, lui ébouriffa la mèche qui dépassait de son bonnet. Alkor et Fatale, eux, se disputaient encore et toujours. Si leur débat me passait au-dessus la tête, je savais que ce couple de binôme était explosif. Entre l’homme, un déchu de l’Avarice misogyne, et la femme, une Lyrienn du feu aussi indépendante que forte, les tensions étaient plus que courantes. Alkor était pitoyable. Mais peu importe, ce n’était pas ce qui m’intéressait sur l’instant. Je me retournais vers Elh. Le campement était proche et distinguable à l’horizon. « Tu as été incroyable. Tu as savamment utilisé tes pouvoirs au dernier moment. Pas trop épuisée ? » Moi, je l’étais. Je n’étais vraiment pas habituée à faire tout cela. Je comprenais d’autant plus Karsath, mon Mur, qui me conseillait de m’entraîner avec lui. Peut-être devrais-je suivre son conseil quand je serais rentrée. Si je rentrais.
Fatale alluma le feu dès que nous arrivions au campement. Il fallait dire que le climat insulaire n’était pas toujours au beau fixe et l’humidité nous entourait. Je subissais moi-même l’assaut de quelques frissons. « Je fais chauffer le riz ? » Tous les regards se tournaient vers Lily. Elle rougissait automatiquement. Sa voix me surprit légèrement, tant je n’avais pas l’habitude de l’entendre. Elle avait tendance à se faire oublier. Et si Madison, sa coéquipière magicienne, n’était pas aussi extravertie, on aurait simplement pu penser qu’il nous manquait un binôme dans notre équipe. « Vas-y Lily ! » disait joyeusement sa partenaire. « Je vais chercher du bois avec Manu de mon côté. » Il s’agissait d’un autre magicien, tout aussi extraverti. S’ils ne faisaient pas partie du même binôme, ils étaient plus proches que quiconque. Il fallait dire qu’une certaine tension sexuelle habitait les deux êtres. Allaient-ils réellement chercher du bois dans la jungle qui bordait notre campement ou allaient-ils s’occuper autrement, à l’abri des regards : telle était la question. « Ne tardez pas trop. La nuit ne va pas tarder. » continua Lara. « D’ailleurs, cela me fait penser à une histoire ! Asseyons-nous autour du feu pendant que le repas cuit. Je vais vous raconter l’une de mes péripéties, dans la forêt des Murmures. » finit-elle par dire sur un ton enjoué. Lara était une réprouvée aventureuse. Elle nous avait dit avoir une passion pour la découverte de tombeau ancien. Elle se faisait même appeler la pilleuse de tombes. Décidément, elle formait un drôle de duo avec Link qui lui cherchait à sauver la princesse de son cœur, nommée Zelda.
Cependant, au plein milieu de son histoire, alors que la tension était à son comble, un cri perça le cœur de la jungle. Tout notre groupe se retourna vers la végétation. Madison en sortit. Elle était recouverte de sang et pleurait. Derby, la chef, fut la première à réagir. De mon côté, je restais sur mes gardes, à guetter un éventuel danger. « Madison, où est Manu ? » À travers des sanglots exaspérants, un mot retentit : « Manger. » Le silence s’abattit. La nuit tomba. Le temps semblait s’arrêter. Malcolm, le sorcier de quinze ans mais aussi le partenaire de Manu, déglutit difficilement.
De l’autre côté de l’île, Dany marchait seul sur la plage. Comme à son habitude, il parlait dans le vide. « Comme vous l’avez vu : un des concurrents de l’équipe des Amashoupitchiromaniaceaqwetcheri, Manu, vient de rencontrer un CROCODILE ! La nouvelle a complètement bouleversé le CAMP et la tension est à son combleeee. Cela va totalement changer la donne et entraîner l’ELIMINATION et la MORT de notre pauvre MALCOLM. Les binômes partagent le même sort, n’oubliez pas.
De leur côté, les YAMBA, c’est-à-dire, les ROUGES sont divisés. Le binôme composé de Jacky et Haricota a été ÉLIMINÉ du jeu. Ils N'EXISTENT tout simplement PLUS. Frada, l’Ygdraë, ne se remet pas de sa défaite. Françis, le Chef, ne parvient pas à remonter le moral de son groupe. Les ROUGES ne sont pas SOUDES !
Toutes ses PÉRIPÉTIES ont remis à ÉGALITÉ les deux équipes. Ils ne sont maintenant plus que SIX binômes dans chaque équipe. La semaine prochaine, la tension atteindra son PAROXYSME. Cependant les équipes devront trouver un terrain d’ENTENTE pour réussir leur prochaine épreuve. En effet, ils seront tous reliés par une corde et devront survire à un parcours plein d’obstacles et de dangers. Mais cela, vous le découvrirez PROCHAINEMENT !
En attendant, pour tenter de gagner la somme de DIX MILLES GALLEONS, répondez à cette question : Durant l’ÉPREUVE d'IMMUNITÉ, qui a osé prendre la clé dans l’équipe JAUNE : Réponse A. « Fatale » ou Réponse B. « Alkor » ? »
Après s’être acquittée de ses tâches, Elh s’était installée devant le feu pour se replonger dans sa rêverie. Elle était encore fébrile de l’épreuve qu’ils avaient passée plus tôt. Elle repensait à la chance qu’ils avaient eu d’avoir une Lyrienne du Feu parmi eux. Ça s’était joué à rien. Ils auraient pu perdre. Que se serait-il passé s’ils avaient perdu ? Lesquels d’entre eux auraient été éliminés en premier ? Elh regarda un à un les membres de son équipe pour les jauger. Elle n’était pas la plus forte. Elle aurait pu y passer. La jeune femme eut un frisson. Elle chercha Aylivae du regard pour capter un peu de réconfort. Ils avaient beau être une équipe, Aylivae était son binôme. Elle ignorait exactement pourquoi elle appréciait la Sirène. Il lui semblait pourtant qu’elles étaient très différentes. Ce n’était peut-être qu’une impression, mais elle restait néanmoins troublante. Plus tôt, Aylivae avait failli l’étouffer avec son étreinte. Elh ne la lui avait jamais rendue, par inhabitude. Mais elle aurait aimé.
Elh n’écoutait l’histoire de Lara que d’une oreille. Elle l’entendait partir dans les graves et les aigus, puis pousser des grondements sourds pour imiter les bestioles qu’elle racontait avoir croisé. On aurait presque dit qu’elle s’adressait à des enfants, mais personne n’en fit la remarque, car ils avaient tous grand besoin de divertissement. Il n’empêche qu’il était incroyable de pouvoir amuser tant avec un périple dans la Forêt des Murmures. La Lyrienne n’y était jamais allée, mais les histoires glaçantes qui la racontaient avaient largement fait sa réputation.
Comme pour donner un peu plus de réalisme à l’histoire, un cri d’effroi retentit soudainement. Les oiseaux les plus inoffensifs de l’île s’envolèrent, causant un brouhaha de feuilles et de battements d’ailes. Tout le campement se redressa. Lily poussa un couinement suraigu. Elh était devenue immatérielle. Link avait attrapé un bâton, certainement pour s’en servir comme d’une épée. Lara avait ses mains à sa ceinture, prête à dégainer on ne savait trop quoi. Alkor, lui, avait resserré son étreinte sur le totem, qu’il n’avait pas lâché depuis leur victoire. Heureusement que Derby était là pour faire quelque chose d’un peu plus censé.
« Manger »
L’annonce retentit avec une sonorité étrange. Manger. Elh refusait de comprendre, et plusieurs avec elle. On ne dit rien.
-Le dîner est prêt ? Demanda Kévin, qui était parti chercher des coquillages à faire cuire avec le riz.
Personne ne l’écouta. Lui était un peu vexé qu’on ait pu terminer la cuisine sans lui. En même temps, il se disait que Madison était étrange. Elh avait vécu des choses peu réjouissantes, mais n’avait jamais entendu un silence aussi glaçant.
-Ok… Derby analysait la situation. Viens avec nous, Madison…
-MAIS C’EST PAS POSSIBLE ! C’était Malcolm. Il pointa un doigt accusateur en direction de la jeune femme, traumatisée. VOUS LES MAGICIENS VOUS ETES PAS FOUTUS DE FAIRE LES CHOSES CORRECTEMENT !
Il se leva d’un bond et se jeta sur la survivante. Il l’attrapa par le cou. Il allait la tuer. Il allait l’emporter avec lui dans sa tombe. Lily poussa un cri strident et Derby arriva à temps pour tirer le Sorcier en arrière, en le prenant par le col. Lara vînt en aide à sa compatriote. Elle porta le jeune homme et le plaqua sur le sable.
-Tu la fermes ! T’avais qu’à y aller si t’étais plus compétent, espèce de sac à…
-Lara ! Cria Derby.
Ce n’était pas le moment de générer des tensions pareilles dans le groupe, ou ils allaient finir par perdre d’autres membres inutilement. Surtout pas à cause un homme mort. Elh assistait à la scène avec beaucoup d’angoisse. Son pouvoir d’empathie était en action bien malgré elle, ce qui faisait qu’elle captait à peu près les sentiments de tout le monde à la fois. Elle se serait volontiers isolée loin du campement, mais il allait de soi que c’était la pire idée qu’elle pouvait avoir en ce moment-même. Alors, elle restait recroquevillée sur elle-même, toujours intangible pour prévenir le moindre coup perdu ou qui lui serait inexplicablement destiné.
Si seulement on pouvait tuer Malcolm tout de suite, pensa-t-elle, ça serait terminé. Un songe ignoble et étonnamment immoral venant de sa bouille d’enfant. Un songe auquel personne ici présent ne devait adhérer, et pourtant, le résultat était le même.
Heureusement, la crise vînt enfin prendre fin lorsqu’un flash lumineux fit relever les quelques têtes qui ne s’étaient pas impliquées dans la dispute avec le Sorcier. L’éclat s’était à peine dissipé qu’une voix retentit. Ils savaient tous à qui elle appartenait.
-Bien, je crois que le moment est venu. C’est dommage, vous formiez une belle équipe. J’espère que cela ne vous affectera pas trop. Malcolm, vous venez avec moi ?
Lara le lâcha. Malcolm beugla à pleins poumons, si bien qu’il crachait sur la Réprouvée. Il s’agrippait à elle tandis que Dany le tirait, par magie, dans l’autre sens. Il lança un sort à l’animateur, qui le contra sans aucun problème, puis finit par céder. Dany sourit. Malcolm ne faisait pas le poids face à ce dernier. Elh réalisa qu’aucun d’entre eux ne faisait le poids.
-Merci bien, et bonne soirée ! A bientôt pour la prochaine épreuve… ~
Les deux disparurent dans un nouvel éclat et le silence retomba, entrecoupé par les sanglots de Madison et de Lily.
-Qu’est-ce qu’il s’est passé ? S’écria Kévin, qui avait été incapable de suivre.
Fatale lui lança un regard noir, secondée par les deux Alfars de l’équipe qui s’était regroupés entre eux pour faire des messes basses. Franchement, pensait-il vraiment que quelqu’un était d’humeur à lui expliquer ? La femme soupira.
-Manu et Malcolm sont morts. Allez. On mange, et on va se coucher.
On ne chercha pas à rétorquer. Kévin se sentait très bête avec ses coquillages, qu’il avait disposé dans un tissu qui lui servait de sac, alors, Fatale tendit la main pour qu’il le lui donne. Même dans ce geste, sa colère et sa frustration étaient palpables. La prochaine fois, elle le jurait, l’équipe adverse auraient plus de deux tombes à creuser.
Sous le soleil brulant, Dany faisait face à l’océan d’un bleu si clair qu’il en était presque transparent. Encore une fois, comme un rituel étrange dont lui seul connaissait les tenants et aboutissants, il commença à parler seul. « À Asgösth, le Conseil a eu lieu. Les ROUGES se sont débarrassés du BINÔME composé de JACKIE et d’HARICOTA ! Les JAUNES, eux, ont dû faire face à un imprévu de TAILLE...» Il commençait à faire des gestes dramatiques avec ses mains. « En EFFET, chez les JAUNES, le binôme de MALCOLM et de MANU a été ÉLIMINÉ de l’aventure, suite au décès du jeune MAGICIEN. Les JAUNES sont PRÉVENUS et savent qu’ils DOIVENT faire ATTENTION aux dangers de l’ÎLE centenaire ! Et, ces derniers sont NOMBREUX ! Entre les créatures qui bordent l’ÎLE et les STRATÉGIES qui se mettent doucement MAIS surement en place, les deux équipes devront lutter pour pouvoir ESPÉRER survivre ! Il ne reste à présent plus que six binômes dans chaque équipe ! AUJOURD’HUI sera une journée MÉMORABLE car l’épreuve de confort POURRAIT bien m’être à mal l’UNICITÉ des AVENTURIERS. Mais tout de suite, RETOUR AU CAMP ! »
***
Le soleil venait de se lever. Je regardais l’océan cristallin. Même si j’ignorais sur quelle île je me trouvais, je savais que les courants marins pouvaient m’aider à retrouver mon chemin jusqu'à chez moi. Pourtant, à chaque fois que la pensée de partir m’effleurait l’esprit, j’étais incapable de la réaliser, comme retenue par un maléfice invisible. « Encore un peu de riz ? » Je tournais mes yeux vers Kévin qui venait de m'interpeller. Il me souriait tristement. « Non, merci. Il faut penser à rationner. » « Vous inquiétez pas : je sais chasser. » Lara avait déjà englouti son coquillage de riz. Elle était en train de se confectionner un arc. Avec son binôme, Link, ils étaient très doués pour ce qui était de la survie et des épreuves physiques. Derby avala sa portion de nourriture pour pouvoir parler. « Unh-Unh. » Elle secoua négativement la tête. « On ne sait pas ce qu’il se cache dans la forêt. Après ce qui est arrivé à Manu… » Tous, ou presque, baissaient la tête, abattus par ce qu’il s’était passé hier au crépuscule. Mes yeux regardaient Madison. Elle n’avait plus rien dit depuis l’évènement. Le deuil marquait ses traits désormais fatigués. Lily, qui avait pleuré avec elle toute la nuit, lui tenait la main. Toutes les deux n’avaient pas mangé ce matin. Elles nous affaiblissaient. Je savais pour qui voter si nous étions amenés à perdre l’épreuve d’immunité. Mais tout d’abord, il fallait affronter l’épreuve de confort. Nous avions reçu la bouteille annonçant cette dernière durant la nuit…
« Après ce qui est arrivé… » Derby reprenait plus fermement. « … je ne préfère pas risquer de perdre d’autres éléments. Il faut que nous restions soudés ! » Dereck et Orion, les deux alfars de l’équipe, se souriaient à cette mention de solidarité. Ils étaient vicelards. C’était bien. Il fallait se rapprocher d’eux. Je posais mes yeux sur Elh et essayai de lui offrir un sourire rassurant, presque maternelle. Lara râla. Alkor, le partenaire de jeu de Fatale, eut un rictus. Il n’avait pas lâché le totem d’immunité une seule fois depuis notre retour. Je le soupçonnais même de partir se soulager avec. « De toute façon, la place d’une femme n’est pas à la chasse. » finit-il par dire en cachant son opinion sous le ton de la plaisanterie. Lara et Derby le regardèrent froidement. Je me retins pour faire de même. Orion et Dereck chuchotaient discrètement quelque chose entre eux pour établir des stratégies. « Le temps n’est pas à la discorde. Nous devons nous préparer afin d’entamer cette nouvelle quête. » Link avait parlé, son chapeau hideux toujours sur le crâne. « Il n’a pas tort. » relança Kévin. Doucement, je me levais. J’avais fini mon riz. « Oui. Il nous faut rester concentrés… » L’ensemble de l’équipe hocha la tête. Les yeux étaient parfois rougis par le chagrin ou la fatigue mais il ne fallait pas baisser les bras. D’ailleurs, je m'en grattais un discrètement. Les moustiques n’étaient toujours pas enclins à nous laisser dormir…
***
« BONJOUR les JAUNES ! » Notre équipe, après avoir été une nouvelle fois forcée à nous rendre sur la plage de l’épreuve en trottinant, s’arrêta sur le sable. Les rouges faisaient de même en face de nous. « BONJOUR les ROUGES ! » « Oh… Jack et Haricota ne sont plus là » chuchota Kévin. « Comme vous le constatez, un binôme a DISPARU de CHAQUE ÉQUIPE. Vous revoilà donc à ÉGALITÉ ! Mais pour gagner aujourd’hui, il va vous falloir vous BATTRE ! » Nous nous regardions tous, prêt à défendre notre équipe coûte que coûte. Mes yeux se baissèrent sur Elh. Je lui lançais un regard entendu : nous devions gagner. « Cela fait trois jours que vous n’avez QUASIMENT rien mangé et pourtant, il va falloir vous DÉPASSER pour la RÉCOMPENSE d’AUJOURD’HUI ! Parce que la récompense c’est… » Mes yeux se mirent à la recherche d’un gain éventuel. Il n’y en avait pas… Je fronçais mes sourcils. « … un MAGNIFIQUE REPAS composé de viandes vous permettant de SURVIVRE plusieurs jours ! Vous n’auriez donc pas à RISQUER vos vies en allant pêcher ou chasser ! » Quelques soupirs de soulagement se firent entendre dans chaque équipe. Moi-même je commençais à imaginer cette bonne viande. La chair rouge me manquait atrocement. C’était presque salivant.
« Dans CHAQUE équipe, vous devrez DÉSIGNER un binôme de FUGITIFS ! » Danny avait un ton si dramatique qu’il captait l’attention. J’essayais de me concentrer un maximum maintenant que les consignes avaient commencé à être énoncées. Elles n’étaient pas toujours très claires et demandaient une oreille attentive. « Ces FUGITIFS devront franchir leur parcours le plus rapidement possible SANS se faire RATTRAPER par les ATTRAPEURS de l’équipe ADVERSE qui les poursuivra SANS RELÂCHE ! Ces attrapeurs, seront tous RELIÉS ensemble. Vous l’avez COMPRIS : cette ÉPREUVE demandera COHÉSION et RAPIDITÉ ! Je vais à présent vous laisser quelques minutes pour CHOISIR vos FUGITIFS ! »
-Très bien, il nous faut le binôme le plus sportif et le plus endurant. Il faut que les fugitifs parviennent à les semer le plus rapidement possible. L’équipe d'attrapeurs de fatiguera toute seule ensuite.
-Mais eux vont faire pareil, objecta son binôme Kévin, ils vont nous mettre à poursuivre les plus forts d’entre eux, et il va nous falloir de la force pour les rattraper.
-Le reste de l’équipe sera accroché ensemble, s’il y en a un qui traine tout le reste du groupe, ça sert à rien. Le groupe doit être homogène, ce qui s’annonce compliqué si les plus sportifs sont attrapeurs. Ça vous va tous ?
Derby regarda ses coéquipiers à tour de rôle. La plupart acquiescèrent.
-J’veux bien y’aller si Link veut bien. Déclara Lara.
-Moi ça me va.
Elh les regarda avec un profond respect. C’était très courageux de leur part. Ils prenaient de grands risques. Même s’il ne s’agissait « que » d’une épreuve de confort, elle ne pouvait s’empêcher de penser qu’il arriverait encore malheur aux perdants. Ça serait trop incohérent autrement. Ils ne pouvaient pas risquer leur vie un jour, et juste perdre un plateau de steak le lendemain. Cependant, elle ne voyait pas trente-six mille solutions pour rééquilibrer la balance. Soit le parcours était particulièrement dangereux et ils risquaient la mort à tout instant, soit la récompense était empoisonnée. Est-ce qu’ils étaient tous bien conscients de ça ? Elle l’ignorait, et c’était ce qui l’inquiétait. D’un autre côté, il fallait bien faire un choix et dans le cas présent, miser gros était malheureusement la meilleure manière de s’en sortir. Les deux jaunes désignés levèrent la main pour signaler leur participation à Dany. De l’autre côté, c’était Kro et Hercule qui seraient les fugitifs. Le directeur du jeu frappa dans ses mains, satisfait. Il leur tourna alors le dos.
-Les fugitifs sont PRETS ! La course poursuite s’annonce d’ores et déjà très SERREE ! La tension est à son COMBLE ! Quelle EQUIPE va remporter cette épreuve ? VOUS LE SAUREZ DANS QUELQUES INSTANTS ! MAIS AVANT, répondez à cette QUESTION : quel binôme de l’équipe JAUNE a été éliminé CETTE NUIT ? Réponse A : Manu et Malcolm, ou réponse B : Lily et Madison. Pour jouer, c’est très simple : il vous suffit d’envoyer une prière à l’Aether d’Asgösth avec votre réponse. Vous avez cinq minutes pour jouer !
Tandis que Dany leur tournait le dos, les coéquipiers s’échangeaient des regards incertains.
-On peut partir ? Demanda Marshall dans l’équipe rouge.
Dany leva la main pour demander le silence. Il était particulièrement concentré, mais personne ne savait sur quoi.
-Laissez-leur cinq minutes.
-A qui, au juste ? Parce que vous faites ça depuis le début et c’est très bizarre.
-Aux téléspectateurs !
Silence interloqué. Danny devina aussitôt leur incompréhension. Il avait changé de ton. Il paraissait plus calme, et surtout, bien plus naturel que lorsqu’il hurlait un mot sur trois.
-Vous êtes au courant que le monde entier vous observe en ce moment même, n’est-ce pas ?
-Pardon ? S’exclama Fatale.
-Bien sûr que oui ! Mais ce n’est pas important, l’épreuve va bientôt commencer. Les attrapeurs, allez vous attacher.
Il y eut encore un silence. Visiblement, les cinq minutes ne s’étaient absolument pas écoulée, mais Dany avait préféré couper court à la discussion. Fatale bouillonnait. Pendant ce temps, les deux équipes s’attachèrent les uns aux autres tandis que les fugitifs se préparaient pour la course. Dany leva sa main et plia un à un ses doigts, comme un compte à rebours.
-Les équipes sont PRETES à commencer la COURSE POURSUITE ! Les FUGITIFS vont pouvoir PARTIR dans TROIS… DEUX… UN… TOP !
Les fugitifs commencèrent le parcours. Elh les observait, très nerveuse. Elle était en plein milieu de la chaine que leur équipe formait. Tout devant était placée Fatale. Derby fermait la marche pour aider les potentiels retardataires. La Lyrienn chercha la main de son binôme, qui se trouvait juste devant elle. Elle avait peur de ne pas être à la hauteur. Elle ne voulait pas être un poids.
-C’est au tour des ATTRAPEURS ! TROIS… DEUX… UN… TOP !
Les deux équipes partirent au quart de tour. Elles étaient évidemment bien plus encombrées, ce qui rendait leur course assez disgracieuse, mais tout le monde s’en fichait. Tout le monde avait peur et courait de toutes ses forces, de crainte que cette épreuve de confort n’en soit pas seulement une. Ce qui les effrayait aussi autant, c’était que si la course poursuite commençait sur la plage, le parcours s’enfonçait ensuite dans la forêt. Les fugitifs partis, ils n’avaient plus aucune idée d’où ils en étaient.
Ils arrivèrent devant un premier obstacle, des barrières par-dessus lesquelles ils devaient passer chacun leur tour. Elh était petite et avait du mal à passer par-dessus. Il en allait de même pour Lily, derrière elle. On les aida et ils repartirent en direction de la forêt. Fatale criait toute sa rage. Ils n’avançaient pas assez vite pour elle. Elh redoubla d’effort.
Dans la forêt, les obstacles s’enchainaient, mais ils découvrirent que certains – les plus difficiles – avaient déjà été défaits lors du passage des fugitifs. Ainsi, après quelques minutes de courses, ils finirent par les retrouver dans leur champ de vision. Pendant ce temps, les fugitifs escaladaient un filet haut d’environ trois mètres pour passer de l’autre côté. Les garçons de l’équipe rouge allaient à la même cadence. Lara commençait à ralentir… Et les attrapeurs rouges, eux, commençaient à prendre de l’avance sur eux. Il fallait dire que depuis hier, Frada l’avait mauvaise. Elle était aussi coriace que pouvait l’être Fatale, mais avec l’agilité et la souplesse en plus. Elh constatait tout cela avec terreur. Elle aussi avait la rage au ventre, elle ne lâchait rien malgré son cœur qui battait à tout rompre et ses poumons qui brûlaient face à l’effort. Ils étaient tous à leur maximum. Mais il n’y avait pas à dire : les fugitifs des rouges étaient bien plus performants que les leurs.
« Bravo les ROUGES ! C’est une très belle victoire avec une SUCCULENTE récompense à la clé ! D’après VOUS, qu’est-ce qui vous a permis de faire la différence contre les JAU… » Je déglutissais et n’écoutais plus Dany. La défaite était amère. Comment avions-nous pu perdre ? Comment était-ce possible ? Lara et Link étaient si sportifs… Si rapides… Jamais je n’aurais pensé qu’ils auraient pu être rattrapés. Jamais... Dany félicitait les gagnants, faisant leur éloge avant de se tourner vers nous. « Les JAUNES, que s’est-il passé ? Votre binôme de fugitifs était pourtant très habile. » « Nous n’avons pas été assez rapides. » dit Kévin. « Alkor, je vois que vous avez envie de dire quelque chose. » « Ouais, je suis frustré et énervé de cette défaite. Tout ça parce qu’on a des pleureuses dans notre groupe. C’est de leur faute. Elles nous ont ralenti. » « AH ! Derby, je sens que vous n’êtes pas d’accord avec les propos tenus. » « Évidemment que j’le suis pas. On a tout donné mais c’est vrai qu'on n’avait peut-être pas assez le mental du combattant. Peut-être qu’on était fatigué. Mais faut pas rejeter la faute sur deux-trois personnes. On a perdu en groupe. C’est la faute du groupe et on sera meilleur pour l’épreuve d’immunité. En tout cas, Link et Lara ont géré et ils auront bien mérité d’être cajolé lors de notre retour au camp. » « Ah ! Cela est impossible, Derby... »
Je relevais la tête pour regarder ce qui se passait. Les expressions n’étaient pas difficiles à cerner. Beaucoup de déception et de frustration chez les nous. Beaucoup de fierté et de sérénité chez le Rouges. « Comment ça "pas possible" ? J’en ai marre de vos règles à la con là !! Et puis d’ailleurs, j’ai jamais signé pour une aventure comme ça ! Vous vous croyez pour qui à nous enlever de chez nous comme ça ? Hein ! » Derby jura dans une langue que je ne reconnaissais pas. Du Zul’Dov peut-être ? « Les ROUGES... » Dany se retournait vers l’équipe gagnante, sans paraître le moins du monde affecté par la colère de la capitaine jaune. « ... Je vous avais promis une BELLE récompense et la VOICI ! » D’un geste des mains, il désigna Link et Lara. Nous étions tous un peu bouche bée, ne comprenant pas vraiment. « Heu… J’suis pas sûre de comprendre. On doit rejoindre l’autre équipe ? On change de couleur ? » dit la sportive. « Non, non, non. Vous allez servir de nourriture, Lara. » finit par expliquer Dany aussi naturellement que possible.
Les exclamations fusèrent alors. Tous donnaient de la voix. Je me taisais. Cette aventure n’avait aucun sens. Aucun. Allions-nous tous finir ainsi ? Avions-nous au moins une chance de nous en sortir ? « DU CALME ! DU CALME ! Dans As-Gösth, l’aventure est IMPITOYABLE ! Il va vous falloir davantage de mental si vous voulez aller au bout et affronter l’épreuve mythique des poteaux ! En attendant, Link et Lara, le jeu a décidé de vous éliminer et sa sentence est IRRÉVOCABLE. » Link et Lara ouvrirent la bouche pour protester mais Dany ne leur en laissa pas le temps. D’un claquement de doigt, le binôme s’effondra au sol, les yeux grands ouverts, sans vie. Ils étaient morts. Instinctivement, je serrai Elh dans mes bras. « Ne regarde pas. » lui chuchotais-je. « Tout va bien se passer. » continuais-je alors que des hurlements et des pleurs s’élevaient à nos côtés, dans les deux équipes. « On va s’en sortir. Je te le promets. » J’affermissais mon emprise sur elle. Fatale sauta sur Dany, hurlant sa rage. Ce dernier sourit et ferma les yeux, alors qu’il allait bientôt recevoir le coup. Cependant, jamais le poing n’atteint sa cible. L’instant d’après nous étions tous réapparus sur notre camp. Sans Lara. Sans Link et son horrible chapeau vert.
J’entraînais rapidement Elh plus loin du groupe. Les membres qui composaient ce dernier étaient à moitié en train de pleurer, de sombrer dans la folie ou de défouler leur rage contre le sable. « Hey, ça va, toi ? » Je posais mes deux mains sur les petites joues de la jeune fille, l’obligeant à me regarder. J’essayais de ne pas paraître triste. J’essayai de sourire. J’essayai d’être forte. Pour nous deux. « Elh… Si tu veux pleurer, tu peux. Je suis là pour toi... » Je tournais mon visage vers les autres. « J’irais leur parler dès qu’ils se seront calmés... » finissais-je par dire. Le binôme d’Alfars semblait être le moins touché. Il scrutait et analysait, cherchait une réponse à la situation. Tous deux regardaient l’équipe, comme des vautours mettant en place leur plan funeste. Je me reconcentrais sur Elh puis m’assit sur le sable, face à la mer. j'invitais Elh à faire de même avant de continuer. « Tu sais… hum… Tu peux être triste pour Lara et Link mais… Væ mud ryuk, hai’ræ zolya. » finis-je en Valærian. « Chez les miens, cela veut dire que même si la vague se brise sur la terre, l’eau qui la compose reste. Lara et Link sont encore ici. » Je plaçais ma main sur mon coeur. « Et ici. » L’index de mon autre main finit sur ma tempe. « Tu comprends ? » Je regardais l’océan calme. Le temps s’écoula et bientôt, le silence nous engloutit.
Quand le crépuscule fut arrivé, je soupirai. « Il est temps de rejoindre les autres. » Je me levais doucement puis partis en direction du camp. Les membres du groupe étaient tous plus ou moins autour du feu. Ce dernier semblait faible, comme reflétant l’état d’esprit de sa créatrice : Fatale. Au-dessus des flammes, Lily et Kévin s’occupaient de la cuisson du riz. Il y avait un silence pesant. Je regardais les places vides de Lara et Link. J’imaginais les Rouges découper leurs pauvres cadavres pour pouvoir les déguster. Je fermais les yeux. Nous n’étions plus que 5 binômes chez les jaunes.
« Écoutez. » Je rouvrais mes yeux. Mon regard était calme. « Je sais la peine qui nous traverse. Je la vois en nous regardant. Je sais la douleur. Je sais la fatigue. Le deuil. » Je déglutissais. « Ce matin, nous l’avions aussi ressenti après ce qui est arrivé à Manu et Malcolm. Nous nous sommes battu avec elle à l’épreuve. Nous avons perdu. Mais nous avons aussi compris. Nous avons compris les dangers qui nous entouraient. Nous ne pouvons plus perdre. Nous allons devoir nous battre. Oui. Nous avons compris et ce soir nous pleurons. Nous pleurons des membres puissants et forts. Nous pleurons leur sourire, leur rire et leur bravoure. » Je posais un instant ma voix. Mon charisme naturel m’aidait pour les prises de parole. J’étais écoutée. « Mais les larmes devront cesser avec l’arrivée du Soleil. Nous ne pouvons plus nous permettre de nous battre la mort dans l’âme. Nous devons nous battre pour vivre. Nous devons lutter contre les sentiments qui nous enveloppent. Nous devons lutter pour nos vies. Nous devons lutter pour leur mémoire. Link et Lara étaient des battants. Faisons leur honneur. Il nous faut gagner la prochaine immunité. Il nous faut le totem. » Je les regardais tous un par un, leur faisant comprendre que je ne plaisantais pas. J’essayais de leur transmettre à tous la rage de vaincre. J’essayais de rendre leur peine plus supportable sous couvert de la survie. Oui… La vague se brise mais l’eau reste. Il fallait qu’ils transforment leur tristesse en rage. Il fallait que demain tous se lèvent en pensant à gagner.
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Mer 06 Mai 2020, 23:20
As-Gösth : la guerre des tribusft. Aylivæ
Elle n’arrivait plus à respirer. C’était un cauchemar. Ça ne pouvait pas être réel. Elle avait vu les corps s’effondrer malgré les avertissements de la Sirène. Elle aurait hurlé si elle en avait été capable. Elle avait voulu se jeter sur Dany pour soutenir Fatale et le tuer avec elle. Mais Aylivae avait refermé son emprise sur elle et elle avait été incapable de lui échapper. Elle l’avait tapée et griffée, pourtant, mais ses gestes n’avaient rien changé. Peut-être qu’elle n’avait pas vraiment voulu qu’elle la lâche, au final. En bon maitre de son élément, elle aurait facilement pu se dégager de son étreinte, mais elle ne l’avait pas fait. La peur de faire un acte regrettable aux conséquences désastreuses ? Ou la conviction qu’au fond, quoi qu’ils fassent, ils subiraient ce châtiment jusqu’au bout sans aucun moyen de se rebeller ? Cette perspective terrifia la jeune femme, mais elle avait vu juste. En un rien de temps, ils se retrouvèrent près de leur campement, comme si de rien n’était.
Elh respirait fort, la mâchoire serrée et les poings fermés. Elle enfonçait volontairement ses ongles dans sa paume pour faire passer sa rage. L’Ondine avait beau tenter de la raisonner, c’était impossible. La jeune femme s’éloignait déjà dans la forêt, s’emparant du premier bâton qu’elle trouva pour le fracasser plusieurs fois contre un tronc. Elle se fichait du nombre de monstres qu’elle pourrait croiser ici, elle avait besoin de se défouler. Et puis, s’ils étaient condamnés dans tous les cas, qu’est-ce que ça changeait ? Une fois qu’elle eut détruit un premier bâton, elle passa à un autre, plus solide. Elle imaginait que ce dernier était Dany. Elle le frappait et le brisait pour lui montrer les horreurs qu’il leur faisait subir. Mais c’était aussi un peu elle, qui se sentait impuissante face à ce qu’il venait de se passer. Sans le savoir, ils avaient envoyé deux personnes à l’abattoire. A cause d’eux, ils étaient morts de manière humiliante et inutile. Ils avaient fini en rôti, comme s’il avait s’agit de simples morceaux de bœuf. Comment pouvait-on vivre et accepter ça ? Elh réduit le bout de bois en miette et s’arrêta. Elle avait mal aux poignets et avait marqué ses paumes à force des chocs. Reprenant sa respiration elle se retourna vers Aylivae, le visage trempé de larmes. Elle l’étreignit. Elle qui avait raison. Ils ne les oublieraient pas.
De retour au camp, tout le monde était à peu près dans le même état : dévasté. Lily était inconsolable malgré les arguments de Madison, Kévin semblait mort à l’intérieur, Derby réfléchissait tout en contenant sa rage, Alkor boudait et Fatale compensait sa frustration par le lien affectif qu’elle entretenait avec son fils de feu de camp. Les deux Alfars étaient les seuls à sembler n’en avoir rien à foutre, ce qui avait le don d’agacer Elh. Malgré tout, ce fût la mine triste, mais avec un peu des paroles réparatrices de l’Ondine que le camp se coucha ce soir. Elh s’endormit blottie contre sa partenaire.
*
Le lendemain matin, sur la ligne d’horizon bleue et rose que dévoilait le soleil, un dauphin sauta pour impressionner la galerie. A deux kilomètres de là, les deux équipes couraient le long d’une bande de sable immaculée pour aller rejoindre Dany. C’était une belle journée, qui s’annonçait être particulièrement chaude et sans nuages.
-BONJOUR A TOUS ! S’exclama Dany les bras écartés. Comment allez-vous aujourd’hui ? En réponse, il n’eut que des mauvais regards ou des mines de dégoût. J’espère que les rouges ont pu profiter de leur MAGNIFIQUE repas ! FRANCIS, racontez-moi. Comment était la viande ?
Le chef s’équipe ne répondit pas tout de suite. Il était assez pâle, comme quelques-uns de ses coéquipiers. Il était évident qu’il avait eu du mal à fermer l’œil de la nuit, rongé par sa conscience.
-Je n’en ai pas mangé, Dany.
L’animateur fut surpris par le commentaire. Rosenfeld caressa le dos du Magicien pour le détendre. Elle, visiblement, n’avait plus ça en tête. La Déchue de la Luxure ne perdait pas le nord.
-Une autre impression alors… Marshall ?
-Moi non plus. Lâcha-t-il les bras croisés, après avoir poussé un long soupir. Personne n’en a mangé de votre foutu repas, SAUF SOPHIA.
-Hein ?
-Ouais, espèce de sale dégueulasse ! C’est ignoble ce que t’as fait ! Monstre ! Renchérit Jenny. C’était bien la première fois qu’elle approuvait les dires du Sorcier avec qui elle était associée.
-Ouais, bah si on n’était pas coincés sur cette foutue île à crever de faim, je l’aurais pas fait ! Vous avez qu’à rajouter un peu de sel au riz en plus, c’est lui qu’est dégueulasse d’abord ! On a besoin de forces pour gagner, et au moins, Lara et Link ne seront pas morts pour rien !
Comme on n’osa rien rajouter, Dany frappa dans ses mains pour attirer l’attention.
-Bien. AUJOURD’HUI est un grand jour, car vous allez disputer votre DEUXIEME épreuve d’IMMUNITE ! Après avoir prouvé votre force physique ces derniers jours, vous allez maintenant devoir faire preuve de PATIENCE et de REFLEXION ! Il s’écarta pour désigner deux tables au milieu desquelles les attendaient un petit tas indéfini. Curieusement, personne ne les avait vues avant. En effet aujourd’hui il vous suffira de résoudre le plus rapidement possible un PUZZLE de cinq cent pièces ! Chaque binôme de l’équipe sera responsable de la constitution D’UNE PARTIE du puzzle. Tant que ces parties ne seront pas COMPLETES, elles ne pourront pas être RASSEMBLEES ! LES ROUGES comme vous avez un binôme de plus dans votre équipe, il va falloir en écarter un pour cette épreuve.
On se méfia profondément de cette nouvelle, de peur que le binôme écarté ne termine au fond d’un cercueil. Curieusement – du moins, pour l’instant – il n’en fût rien, et ce fut le binôme de Sophia et Khaleesi qui fut écarté du jeu par tirage au sort. Pour elles, le principe était simple : elles n’avaient qu’à attendre patiemment la fin de l’épreuve, pouvant vaquer à toutes sortes d’occupations tant qu’elles ne tentaient pas de sortir du périmètre de l’île. La Khaleesi croisa les bras.
-J’espère que ça ne va pas durer toute la journée… Marmonna-t-elle.
-Pourquoi croyez-vous qu’il est si tôt ? Ne put s’empêcher de répondre l’animateur avant de reprendre son sérieux. Vous êtes prêts ? Allez-y !
Vite, les deux équipes coururent jusqu’à la table. Elh rassemblait vite les bords de puzzle qu’elle trouvait. D’autres les triaient par couleur. Orion et Dereck, eux, s’afféraient au même type de tri, mais sur des pièces centrales. On les avait désignés pour s’occuper de la partie la plus difficile car il s’agissait certainement du binôme le plus à même de se concentrer dans l’équipe.
Elh n’avait jamais cru ressentir autant de motivation pour faire un puzzle. Elle n’avait pas la moindre idée du temps que tout cela allait leur prendre, et pas non plus du dessin qu’ils allaient reconstituer. Peu importait. Après avoir à peu près tout trié, Elh attira l’attention de son binôme sur un tas de pièces vert clair. Est-ce que cela représentait un coin de mousse ? Elle n’en savait rien. Et ça ? Un sabot ? Elle s’empara du petit morceau de bois, poussa Madison et posa la pièce dans la main d’Orion avant de reprendre sa place auprès d’Aylivae. La Lyrienn avait la rage. Ce n’était pas un puzzle qui allait décider de leur vie ou de leur mort.
~1243 mots~ hmmm j'ai presque pété un câble
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Dim 09 Aoû 2020, 23:18
As-Gösth : la guerre des tribus [Aylivæ]
Le puzzle s’éternisait. La patience de tous était mise à l’épreuve. Je fronçais mes sourcils. J’en avais assez de me tenir debout, à enchaîner les pièces entre elles pour ne réussir qu’à en emboîter une sur trente. Ma réflexion était presque à bout. Je prenais machinalement deux pièces aux motifs semblables et essayai en vain de les assembler. Un échec une fois de plus. Avec ma vision défaillante et presque achromate, je me savais être un poids pour le groupe. J’étais agacée, tous comme les autres membres de mon équipe. Je voyais que l’on me lançait des œillades appuyées à mesure que j’enchaînais échec sur échec. Rien n’allait plus. Les moments de ma vie où je me sentais absolument impuissante et nulle étaient rares – mon ego n’y aurait pas survécu autrement – mais je vivais l’un d'eux. Je regardais Elh qui était aussi rapide que le vent, heureusement pour notre partie du puzzle. La mort de Link et Lara l’avait beaucoup touchée. Elle les avait tous touchés. Si hier ils avaient pleuré, aujourd’hui ils se démenaient et luttaient de toute leur force. Même Madison avait cet air concentré que je ne lui connaissais pas encore. « Tu vas avancer un peu, espèce de limace. » Je tournais les yeux rapidement vers Alkor. « Tu l’ouvres encore une fois et je te promets que je te fais bouffer ta langue. » lui assénai-je rapidement. « Taisez-vous et concentrez-vous, tous les deux. » Mon front était barré de ridules tant je le fronçais. Dans mes mains, enfin, une pièce finit par s’emboîter à une autre. Heureusement car j’étais sur le point de simplement péter un câble.
Je levais les yeux vers la table adverse. Il était impossible de voir l’avancement de leur puzzle tant tous étaient agglutinés autour. Pourtant, les commentaires de l’horrible « Dany » nous permettaient de savoir à peu près où en était chacun par rapport aux autres. « Voilà maintenant presque DEUX heures que les cerveaux des équipes ADVERSES s’affrontent. ALORS que les erreurs s’accumulent chez les JAUNES, les rouges prennent une NETTE avance ! » Honnêtement, je ne savais pas si je n’aurais pas préféré ne rien savoir. La défaite semblait nous faire encore de l’œil et j’avais la désagréable impression d’être la fautive. « Fatale et Alkor ! Essayez au moins de regarder les pièces que vous prenez au lieu d’essayer de les emboîter bêtement à la chaîne. Vous vous rendez compte que vous n’avez qu’une chance sur trois cents de réussir à trouver la bonne paire ? » « Chacun sa technique, Derby. Au moins, on ne perd pas de temps à chercher LA bonne pièce. » La capitaine d’équipe se contenta de grincer des dents pendant que nous luttions tous sur ce puzzle. Notre destin était en jeu et nous ne pouvions pas renoncer. Nous nous démenions pour réussir et pour rattraper ce retard que nous avions sur l’équipe adverse. Pour le binôme rouge qui attendait sans prendre part à l’épreuve, le temps devait être long mais, pour nous, chaque seconde s’enchaînait. Les unes après les autres, elles continuaient à défiler avec rapidité.
« Cela fait maintenant TROIS heures que l’épreuve a débuté et les ROUGES semblent enfin être sur le point de finaliser leur puzzle. Les JAUNES ne sont plus loin derrière. » Persévérer n’avait jamais été un mot ayant autant de sens qu’aujourd’hui. Le dessin d’un Kelpie, cheval légendaire vivant dans les eaux, était désormais facilement devinable. Il était plus aisé d’emboîter les pièces maintenant que nous avions une idée du produit final. Cependant, ce qui était plus facile pour nous l’était aussi pour les rouges. Déjà, leurs exclamations se faisaient plus joyeuses. Ils avaient bientôt fini. « PLUS VITE ! ON NE SE DÉCOURAGE PAS ! » scandait notre chef qui avait fini sa partie avec son binôme. Madison et Lily, elles aussi avaient terminé leur mission et s’empêchaient de toute leur force de ne pas mettre la main à la pâte pour aider à la finalisation des dernières parties. Le binôme d’Alfar ne semblait pas montrer de signe de faiblesse depuis le début. Ils étaient concentrés et agissaient comme un seul cerveau, méthodiques et précis. Bien vite, ils achevèrent de mettre leur dernière pièce, un sourire aux lèvres. « Chez les ROUGES, seuls Teheiura et Claude, le binôme s’occupant de la partie centrale, la plus difficile, n’ont pas fini. Chez les JAUNES, le binôme d’Alkor et Fatale et d’Elh et Aylivae semble sur le point de finir leur partie. Les prochaines secondes vont être CRUCIALES ! » Il ne nous manquait presque plus rien. Les encouragements retentissaient dans chacune des équipes. Les voix s’élevaient avec de plus en plus de puissance. C’était la panique. Et pourtant, je me sentais, dans ces dernières secondes, extrêmement calme. J’étais méthodique. Elh était parfaite et j’avais l’impression qu’elle enchaînait les dernières pièces avec fluidité. Je l’imitais maintenant que les couleurs n’étaient plus un problème pour m’y retrouver. Fatale s’exclama avec joie quand elle plaça la dernière pièce de sa partie. Il ne nous restait plus qu’une pièce à nous aussi. J’attrapai cette dernière pour la glisser à l’emplacement final. Nous avions gagn… « LA VICTOIRE EST POUR LES ROUGES ! » J’écarquillais les yeux, relevant la tête alors que j’emboîtais la pièce finale. Quoi ? Non. Ce n’était pas possible. Pas de si peu. Pas comme ça. « Raah ! J’en ai assez d’être dans cette équipe de perdants. » s’égosilla notre Alkor national. Les Alfars avaient l’air du même avis. Tout le groupe semblait être soudainement à bout. Les visages étaient tirés, tendus, colériques ou fatigués. Un peu de tout parfois.
Le sable me cuisait le dos tandis que Dany annonçait la mine grave que nous, les jaunes, nous le retrouverons ce soir, au conseil, pour éliminer l'un des nôtres. La défaite était particulièrement amère. De si peu… Si seulement j’avais été une seconde plus rapide. Si seulement...
Le retour au camp se fit dans un silence particulier. Je tenais la main d’Elh durant tout le trajet. Une relation de confiance s’était nouée entre nous. Je n’aimais pas particulièrement les Gaelyan mais, comme elle ne parlait pas, elle ne m’agaçait pas, et, avec son visage aux traits enfantins, elle attendrissait mon instinct maternel. Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir responsable d’elle. Mais, aujourd’hui, j’avais plus l’impression qu’elle me servait de soutien émotionnel que l’inverse. J’avais échoué, lamentablement et aucune parole réconfortante ne pouvait me convaincre du contraire. Les échecs me démoralisaient complètement et je n’avais pas la force de faire un nouveau discours pour rassurer le groupe. Demain, nous aurons encore deux personnes de moins pour affronter les épreuves…
Le camp fut complètement silencieux le reste de la journée. Tous réfléchissaient dans son coin pour savoir contre qui voter sans en y avoir le cœur. La nuit arriva bien vite et chacun fit son sac, sans vraiment de raison. Sur cette île cruel, l’élimination ne voulait-elle pas dire la mort ? Alors pourquoi préparer ses affaires ? Pour ne plus laisser de traces de notre passage ? Je souriais, amère, alors que je saisissais le flambeau qu’avait allumé Fatale pour chacun d’entre nous et qu’elle me tendait. Il était l’heure de se rendre au conseil. J’y allais à reculons. Heureusement, Elh était présente avec moi. Avait-elle peur ? Pensait-elle que nous risquions notre peau ? J’appréhendais moi-même. Si seulement j’avais fini ma partie avant Fatale alors… alors jamais je n’aurais pensé que l’on puisse recevoir un seul vote mais, là, ce n’était pas le cas. C’était moi qui avais manqué la victoire de quelques microsecondes.
« Bienvenue les Jaunes. » asséna gravement Dany à notre arrivée au conseil. L’endroit était sinistre. Des torches encadraient deux rondins de bois sciés pour en faire des bancs sur lesquels nous prenions place prudemment. Les ombres qu’elles projetaient dans la jungle étaient terrifiantes. Des sons bestiaux résonnaient entre les feuillages et buissons de cette dernière, pour ne rien arranger. Dany, lui, se trouvait en maître de cérémonies devant les bancs. Derrière lui un brasero énorme donnait un jeu de lumière sur son visage au sourire carnassier. La scène me donnait des frissons. « Si vous êtes là ce soir, c’est que vous avez échoué à l’épreuve d’immunité. C’est vous, Aylivae, qui aviez la dernière pièce ! Que s’est-il passé ? » Je levais les yeux au ciel. Ce n'était pas par d’exaspération mais par incrédulité en repensant à la scène. La victoire nous avait échappé de si peu… « Je ne sais pas, Dany. J’avais la pièce et, à la seconde, où j’étais en train de la placer… C’était fini. Je ne comprends pas pourquoi les Rouges ont été meilleurs que nous, une fois encore. » « Ah ouais ? Tu ne comprends pas ? Tu ne penses pas que c’est un peu de ta faute et de ta foutue vision ? » Je jetais un regard noir à Alkor. « Ce n’est pas ma faute si je ne peux pas voir les couleurs, Ducon. Si tu n’avais pas pris ton temps à essayer chaque pièce avec chaque pièce jusqu’à trouver la bonne paire, on ne serait peut-être pas là ce soir. » C’était officiel, je ne le supportais plus. Mon vote semblait tout désigné. « Calmez-vous, vous deux. Ce n’est la faute de personne et en même temps la faute de tout le monde. On devrait être simplement plus soudé et je suis certaine qu’on réussirait mieux. » « Vous ne pensez pas être assez soudé, Lily ? » La jeune fille secoua la tête négativement. « Non. La preuve : voyez ce qu’il vient de se passer. Alkor passe son temps à rabaisser les filles et... » « ET VOUS VOUS NE FAITES QUE JACASSER ! » la coupa Alkor sans préavis. Lily rougit de honte. « Assez ! » s’exclama vivement Derby. « Ce n’est pas avec cette attitude que nous allons gagner les prochaines épreuves. Et cela vaut pour tout le monde. Nous sommes une équipe. Je ne vous demande pas de vous apprécier, seulement de ne pas vous tirer des bâtons dans les roues. On doit avancer ensemble et pas les uns contre les autres. » Un silence se fit après l’exclamation de la Réprouvé. « Nous allons perdre deux éléments ce soir alors faisons en sorte de penser avec notre tête et non pas avec nos rancœurs. Nous allons avoir besoin de toutes nos capacités pour espérer remporter les prochaines épreuves. » Dany hocha la tête pour conclure le débat. « Derby, c’est à vous. » annonça-t-il, marquant le début des votes.
Les uns après les autres, nous quittions les bancs pour nous rendre plus loin dans la jungle jusqu’à trouver une sorte de hutte. Là, illuminée par une torche, une table invitait les aventuriers à inscrire le nom de l’un des binômes sur un parchemin avant de mettre celui-ci dans une urne celée. Quand ce fut mon tour, je notai le nom de Lily et de Madison, contre toute attente. J’avais longtemps hésité avec celui d’Alkor et Fatale mais j’appréciais la dernière et, force est d’avouer, nous avions besoin des muscles du premier. Je retournais aux bancs une fois mon vote placé dans l’urne.
Après un temps, Dany s’exclama enfin : « C’est l’heure du dépouillement. » Je déglutissais tandis qu’il ouvrait le contenant. Mes mains devenaient moites et je lançais des coups d’œil à Elh. « ALKOR et FATALE ! » hurla soudainement Dany en tendant le premier parchemin vers nous pour qu’il soit visible. « LILY et MADISON ! » Il replongea sa main de l’urne. « LILY et MADISON ! » L’une des deux émit un petit glapissement apeuré. « Cela fait une voix pour votre binôme, Alkor et deux voix contre le vôtre, Lily. » Les ombres dansaient, semblant se repaître de notre terreur. « AYLIVAE et ELH ! » Sur le bout de papier nos deux noms étaient, en effet, écrits ; bien que mal orthographiés. « Hey-Livaé » et « Aile » ? Sérieusement ? « AYLIVAE et ELH ! » s’écria une nouvelle fois Denis. Je frémis. « Une voix contre vous, Alkor, deux voix contre vous, Lily, et deux voix contre vous Aylivae et Elh. » Il se saisit d’un nouveau papier, le lu et s’écria en le tendant vers nous : « AYLIVAE et ELH ! » Ma respiration se coupa pendant une seconde. Je portais ma main à celle de ma partenaire qui était assise à mes côtés. « ALKOR et FATALE ! » « Non mais sérieux, les gars ? « Fatale » avec un « F », pas avec « P-H » ! Ce n’est pas compliqué ! » Dany toussa pour réclamer l’attention de son public. « Deux voix contre vous Alkor. Deux contre Lily et trois contre Aylivae. Ce vote peut DÉJÀ être décisif. » Les votes semblaient serrés. « LILY et MADISON ! » Ma respiration se fit plus calme, quoique pas encore apaisé. « Le prochain vote peut encore être décisif… … … ALKOR et FATALE ! » « « Fat-HAL » ? Mais qui ne sait pas écrire ?!! Ce n’est pas vrai ! » « Trois voix contre le binôme d’Alkor. Trois contre celui de Lily et trois contre celui d’Aylivae. Vous l'avez compris : CE dernier vote est décisif. » Le silence se fit pendant que Dany dépliait le dernier parchemin. Mon ventre se nouait et le temps semblait infini. « AYLIVAE ET ELH ! » finit-il par hurler. Le monde s’écroula. « Toutes les deux : apportez-moi votre flambeau et votre sac. » Livide, j’obéis et me plaçai devant le cruel Dany sans chercher à prendre mes jambes à mon cou, comme manipulée par un sortilège invisible. L’homme avait une une expression sinistre. « Aylivae, les membres de la tribu jaune ont décidé de vous éliminer et leur sentence est irrévocable. » D’un geste brusque, il étouffa la flamme de ma torche. Je déglutis, m’apprêtant à rendre mon dernier souffle d’une minute à l’autre mais rien ne vint… Je me contentais donc d’observer Elh subir le même discours que moi. Puis, un hurlement franchit mes lèvres alors qu’une douleur soudaine et terrible me prit le corps. Celui-ci se désagrégea aussitôt en un millier de particules tandis que la tribu jaune se révoltait. J’avais l’impression que je brulais sur place, que l’on m’avait balancé dans le brasero et que mon corps entier était happé par une force terrible. Les ténèbres m’enveloppaient entièrement.
Puis... plus rien.
La douleur s’était tue aussi rapidement qu’elle était apparue. J’ouvrais les yeux et les écarquillai. J’étais dans ma chambre… dans ma maison ! Avais-je rêvé ? Non… Mon corps était courbaturé et recouvert d’une épaisse couche de saletés. Mes cheveux étaient collants de sable. Mais, j'étais vivante. Et j'espérais qu'Elh l'était aussi.
En exclusivité : Les témoignages des membres de la tribu jaunes contre les éliminées.
Alkor, un sourire mauvais aux lèvres : « Aylivae est une chieuse et Elh une gamine. Franchement, je serais heureux si elles nous quittent ce soir ! La brunasse est bonne qu’à piailler et l’autre semble être une incapable. Au moins, Lily fait la cuisine sur le camp, elle ! »
Fatale, toujours aussi déterminée : « Je vote un peu par dépit. J’aime bien les filles, surtout Elh que je trouve plutôt cool, mais… Je pense qu’Aylivae et Elh vont mettre mon nom… enfin celui d’Alkor sur leur parchemin. Alors je me défends. J’espère ne pas me tromper ce soir. »
Lily, rougissante et en larmes : « Je suis sincèrement désolée… C’est qu’ils vont tous voter contre moi parce que je n’arrête pas de pleurer et que je ne suis pas aussi forte que les autres. J’ai juste peur. Je veux rentrer chez moi… Aidez-nous. Je vous en supplie. »
Dereck, un rictus au coin des lèvres : « C’est stratégique. Je pense que malgré ses petits airs, la Lyrienn est plutôt douée. Et déterminée. Quant à la grande brune… Elle dégageait une aura de chef. Il fallait l’évincer avant qu’elle ne saisisse l’occasion de le devenir. Les plus faibles sont bien sûr Lily et Madison – qui ne sont clairement pas faites pour la survie – mais il faut regarder plus loin que cela. Pour le moment, mon binôme et moi, nous nous sommes montrés indispensables. On restera donc longtemps. Et ce sera nous les chefs. Personne d'autre. »
Post VI | 2600 Mots | Fin Hum... J'ai pété le câble pour toi du coup XD
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