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 A - Le fou des Dieux - chapitre II

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Sam 22 Déc 2018, 02:07


Catégorie de quête : A
Partenaire(s) : Me, Myself and I
Intrigue/Objectif :
Quête précédente -
Après avoir déclenché l'apparition du temple de Raanu et des pierres de souvenirs, Devaraj combat Gideon pour la dernière fois. Il est sauvé par Amshloumkarhya qui lui propose un pacte. En acceptant ce dernier, Devaraj va en découvrir les fâcheuses conséquences.




La vue était effarante. Animée par une force sublime la roche se modelait comme du papier, noyée sans pitié dans la Mer Maudite, coulée et creusée par la lave, ensevelie dans les tremblements : pièce maîtresse d'une peinture divine, l'Île changeait selon les désirs de la main folle qui tenait le pinceau. Ses traits étaient parfois brutaux et meurtriers, parfois subtils et doux. Dans un chaos innommable et un fracas général, tout se déconstruisait sans logique ni raison. Seul spectateur amène à pouvoir contempler la scène dans son ensemble, Devaraj regardait son foyer, impuissant. Terrorisé, il crut pendant de longues minutes que tout allait finir englouti, qu'il avait fait la seule chose à ne pas faire, que sa réponse était mauvaise et qu'il allait causer la fin de tout, que sa foi s'était éteinte dans l'Emprise et qu'il s'agissait de sa punition. Pourtant de nouveaux reliefs apparurent du Néant, bien que le chaman était beaucoup trop agité pour en saisir les contours. Tout se termina d'un seul coup, dans un silence autant assourdissant que l'apocalypse qui l'avait précédé. En apesanteur dans les cieux, il était probablement le seul à pouvoir s'en rendre compte : les côtes de l'île ne formaient plus un corbeau, mais un immense crabe aux pinces géantes, dont la surface était beaucoup plus grande, si bien qu'il peinait à discerner le bout des plages est et ouest. Malgré la violence du changements, il remarqua à travers les fumées de cendres et de terre que les principaux lieux d'habitations et tous les temples semblaient avoir été épargnés. Il retomba à terre, lourdement. Sa peau le brûlait, elle aussi objet de ceux qui usaient de leurs vies comme de simples jouets de bois. Étouffant un grognement, le chaman se passa la main dans son dos. Il ne pouvait pas voir le dessin qui s'y révélait mais au fur et à mesure que le tatouage s'étendait sur son épiderme, le long des bras et du torse, il le reconnut. Un crabe pour Nidalu, au beau milieu de son bassin, une colombe et un corbeau sur ses paumes droite et gauche, enfin un pont en bois brisé, échouant à relier deux rives d'un gouffre ornait son dos. Le cœur battant, le chaman continua d'inspecter soigneusement son corps et sa magie. Tout fonctionnait normalement, il avait toujours un pied chez les Vivants, l'autre chez les Morts. Pourtant quelque chose avait changé. Des morceaux de sa mémoire... Des sentiments aussi, qu'il se souvenait avoir eu mais qui étaient morts, qu'il ne retrouvait pas même en fuyant chaque recoin de son être. Prudemment, il traîna son corps poussiéreux et encore brûlant jusqu'au bord d'un fleuve qu'il lui était inconnu. Après s'être assuré que l'eau n'était pas néfaste, Devaraj s'immergea dedans, le cœur toujours battant. Être seul ne lui plaisait pas. Il voulait s'assurer que son peuple allait bien, que ce qu'il avait vu n'était pas une illusion, que Nidalu avait réellement changé la forme de l'île afin de remplacer le symbole d'Ezechyel comme si ce dernier était devenu obsolète ? "Heam'mawihio?!" hurla-t-il, abandonna ses habits brûlés et déchirés sur la rive. L'herbe sous ses pieds était froide. "Amshloumka... ka... Merde. Eh oh !?" En jurant, il regarda prudemment tout autour de lui. Sa mémoire était brouillée... Il se rappelait sa colère contre Jun pourtant cette dernière avait disparue. Il se rappelait de l'Emprise, de l'éruption du volcan et de l'étrange dialogue qui avait suivit... De sa réponse. Pourtant faire le lien entre le moment où il s'était prononcé et celui où il s'était retrouvé suspendu dans le ciel sous une vision d'apocalypse était impossible. Combien de temps s'était écoulé entre les deux, une seconde, une semaine ? Que lui avait-on fait ? Calme, il était beaucoup trop calme. Un calme glacial qui l'emprisonnait, comme si la panique avait été bannie de ses sentiments propres. C'était une paix orageuse, qui laissait dans sa trainée une sensation écrasante. Il en vint à se demander simplement : où était Gideon ?!

Mort ? Certainement pas. Comme les Dieux ne semblaient pas répondre à ses cris, le chaman marcha sans destination le long d'un paysage lugubre : un banquise sans début ni fin, sans vie, immobile et plongée dans une fumée froide. Qu'il aille en avant ou en arrière ne changeait rien, pourtant il se mit en tête de retrouver son adversaire. Le peu de foi qui lui restait lui dictait qu'il s'agissait d'une épreuve et et que toute épreuve avait sa fin et ses règles. Le Parasite était là, quelque part. Devaraj ne savait pas ce qu'il pourrait faire une fois face à lui... Probablement tout tenter pour le tuer. Il n'y avait pas de stratégie à avoir dans ce monde construit par et pour la Folie. Ses pieds s'enfonçant dans une neige pure, le chaman ruminait. Sa force était toujours tirée de ses émotions les plus extrêmes... Il ne savait que faire de la sombre paix qui l'avait envahi et se sentait dépouillé de la magie qu'il pensait être son atout, loin de se douter que ce qui sommeillait en lui était bien plus puissant. De plus en plus incertain, le chaman finit par s'arrêter, contemplant sans comprendre l'horizon blanc. Improbable et imprévue fut la main glacée qui s’abattit sur son épaule. Tout ce qui était blanc vira au noir et le calme avant la tempête ne faisait que décupler le choc du changement. Il lui aurait fallu un millénaire de plus pour ne pas défaillir complétement, écrasé par la puissance d'un Parasite en rage. Les deux hommes éthérés se dévisageaient. Il n'y avait qu'un seul corps destiné à accueillir l'un d'entre eux. "Je t'ai cherché partout. Tu n'as pas fini de te cacher comme un misérable ?" Les ailes de l'Ange étaient immenses, lourdes et coupantes. Sa prestance était éclatante, son contentement aussi. Gideon semblait si sûr de sa victoire. Sa patience maladive avait porté ses fruits : il avait dans la main le corps d'un homme puissant, qui occupait une place enviable et dont les possibilités politiques étaient infinies. Ce n'est qu'en se sentant réellement mourir et tomber dans le Néant que le chaman réalisa enfin ce qui avait changé.

A - Le fou des Dieux - chapitre II Sebast13

Contre toute attente il n'opposa aucune résistance à son adversaire qui fondit sur lui dans un tonnerre de puissance aveuglante. En contemplant la gloire de l'esprit parasite et l'aura qu'il dégageait, Devaraj avait ressenti un sentiment indescriptible, une puissante envie, de celles qui fait venir l'eau à la bouche, de celles que l'on ressent devant un beau dessert au chocolat, sur le point de croquer un morceau de nougatine. Son cœur se mit à battre. Il avait bien reconnu son envie de dévorer. Mot pour mot, littéralement avec ses dents. Il ne savait pas encore quoi exactement, ni comment, mais il se rendit très vite compte qu'il s'agissait d'un véritable besoin vital et non d'un simple caprice. Ses gencives se mirent à le brûler, provoquant une sourde douleur. Sans comprendre ce qui le poussait à agir ainsi, il céda à un puissant instinct et plongea ses canines éthérées dans le cou de du parasite. Les deux corps roulèrent dans la poudreuse, laissant les traces d'une lutte dramatique. Le cri de douleur que poussa Gideon lui procura une satisfaction sans nom qui manqua de le déconcentrer complétement. Abasourdi, Devaraj réalisa sans y croire : il lui avait fait mal. Son adversaire n'était plus intouchable, ni même invincible. Ce qui avait changé, c'était qu'il était maintenant en son pouvoir de le blesser. Un sourire macabre déforma sa bouche. Dans les yeux du parasite se voyait un trouble, une vraie peur qui déclencha un rire effréné de la part du chaman. "Alors... C'est comme ça que tu m'a dévoré ? C'est ça que ça fait, d'avoir l'Emprise ?!" Il souffla, laissant le temps à sa proie de reculer, encore sonné par le flux étrange qui coulait dans ses veines et qu'il était tout à fait incapable de contrôler. S'il se trompait en comparant son nouveau pouvoir à l'Emprise, il avait vu juste quand à la finalité des deux dons qui était de réduire des esprits au Néant. "Le Fumeur Macabre tient toujours ses promesses." Ce fût les seuls mots qu'il réussit à prononcer avant de donner libre court à son envie débordante, qui consistait à arracher morceau par morceau l'esprit de celui qui avait fait l'erreur d'être son bourreau pendant de trop longues années. Lorsqu'il eut terminé, il ne restait plus rien d'autre que Lui, entièrement lui, allongé à bout de souffle dans la neige.

Sa magie se calma et le grand vide que laissait l'absence du parasite se dévoila enfin. Il comprit que c'était ce manque qui le déstabilisait depuis tout à l'heure... Un manque qui était désormais éternel. Tout était silence, il n'y avait plus de voie moqueuse, plus de regard hautain et malveillant, plus d'ombre menaçante, plus d'aura écrasante, rien. Gideon était parti, emportant avec lui tout ce qu'il avait grignoté au fil des années : des mémoires perdues, des sensations, une part de l'identité du chaman. Des larmes coulèrent sur ses joues, de joie ou de tristesse, il n'en savait rien. Libéré d'un lourd fardeau, il peinait à se remémorer celui qu'il était avant et à discerner ce qu'il ressentait. "En vie" était probablement la seule réponse qu'il serait capable de donner. Il regagna son corps, parcourant pensivement ses nouveaux tatouages du bout des doigts. D'une façon ou d'une autre, ses prières avaient été exhaussées, bien qu'il soit incapable de définir l'Aether qui en était responsable. Il comprit qu'il n'aurait pas d'autre choix que d’exhausser à son tour les demandes des divins, qu'il était vain de se lasser de ce rôle ou de vouloir y échapper. Résister à Nidalu aussi longtemps avait été une profonde erreur, bien que l'on puisse aussi blâmer le manque de diplomatie du principal concerné. Mais le Destin était tracé et le chaman marchait désormais entièrement sur la voix de l'Aether de la Folie. Cela ne l'empêchera pas de répondre à la mission donnée par Raanu et Edel. Ils seront d'ailleurs des millions de chaman à le faire alors ses préférences de croyances personnelles n'importaient pas. Quant à Ezechyel... Plus il repensait au miroir, plus son dégoût pour son père augmentait. Il ne regrettait pas d'avoir détruit son Temple sous les affres de la colère. Ses homologues le reconstruiront bien assez vite de toute façon puisque son culte était ancré même dans l'essence de son peuple. Cela n'excusait pas ses actions, jamais. Immobile, Devaraj ne bougea plus jusqu'à sentir tout ses os geler. Le chaman prit la décision d'abandonner ses recherches sur Ostara Stark. Jun n'était plus digne d'être obéit, pensa-t-il, esquissant une sombre grimace. C'était certainement de l'orgueil, mais il réalisait que les desseins des Aetheri étaient trop souvent contradictoires et qu'en toute logique il fallait peut-être éviter de violer la femme du Suprême de l'Au-Delà avant d'utiliser ce dernier comme serviteur. Il fallait qu'il se débarrasse de la ridicule équipe que son père lui avait imposée dans sa mission.

La première chose qu'il fut de retourner dans l'Au-Delà. Dans l'aube des jours sans fin, cinq esprits parasites moururent, dévorés. Il était un pion, oui, qui avait même l'ambition de devenir extrêmement fiable : cependant son utilisation se méritait.

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Ven 11 Jan 2019, 19:20






"Ça suffit." Devaraj débarqua sans prévenir dans la tente du Conseil tribal, retournant s'asseoir sur son trône comme si de rien n'était, écopant de la curiosité générale. Il regarda les bouches bées et les yeux écarquillés, et cela l'énerva encore plus qu'il ne l'aurait redouté. "Vous me croyiez si faible ? Vous avez prié pour moi au lieu de vous lamenter sur ma mort ?" Comme personne n'osait répondre à la question, il continua. "Retournez dans vos tribus pauvres fous ! Il me semble avoir vu des champs à faire pousser, des blessés à soigner, des morts à brûler, des temples à honorer, des côtes à surveiller, et des bêtes à tuer." Il ne donna pas d'explications sur son retour : il n'en avait pas. Les tatouages qu'il portait le brûlaient toujours, si bien qu'il abandonna l'idée de mettre un tissu dessus et laissa Satinka déposer un onguent sur sa peau, tout en prenant le temps de manger une assiette qu'on se dépêcha de lui amener. Cela faisait trois jours qu'il marchait pour rejoindre Zaowa en pestant contre son sens de l'orientation trompée par les reliefs qu'il ne reconnaissait plus. Son entrée triomphante n'était dû qu'aux tatouages et à sa manie d'exagérer sa gestuelle ; autrement il était couvert de poussière boueuses et de longues cernes s'était incrustées sous ses yeux. Mais tous remarquèrent que ces derniers n'étaient plus voilés par la douleur. La Folie qui brillait en eux était aussi claire que de l'eau de roche.

Il lui fallu deux heures de plus pour remercier Delawam de son travail après avoir écouté le récit de ce qu'il s'était passé pendant son absence. Le Suprême de l'Au-Delà dû rassurer et convaincre les Draugr que la catastrophe naturelle qu'ils venaient d'essuyer ne provenait pas de la colère des Aetheri mais plutôt d'un don de leur part. Pour une raison qui lui échappa, l'Oracle Kaori resta en retrait du débat, refusant d'aider Devaraj alors qu'elle était pourtant la seule à connaître la vérité. Comme le chaman ne se sentait pas l'âme d'un grand orateur, il proposa simplement que chacun prenne sa forme éthérée, s'élève dans les cieux et constate avec lui qu'il semblait y avoir plus de terres habitables qu'avant, que les villages avaient été épargnés, que les champs s'étaient agrandis. Ensuite, lorsque les cœurs se furent épanchés et apaisés, il déclara qu'il fallait faire confiance, en particulier à Raanu ; qu'il y avait du bon dans Nidalu pour peu qu'on sache lui offrir le sacrifice adéquat ; et qu'il avait vaincu son ennemi grâce au Dieu du Volcan.  "Dans la lave il sera purifié de tous ces ennemis. Amshloumkarhya  a parlé." rappela-t-il, s'amusant de voir l'étonnement dans les yeux de Delawam - qui pensait être le seul à avoir entendu l'Oracle dévoiler sa prophétie. Devaraj conclut par un long monologue dont il ne se serait jamais crût capable. "Cette prophétie ne me concerne pas seulement moi mais mais l'Île entière. Cette dernière est un cadeau des Aetheri offert au peuple chamanique, il est donc normal qu'elle recèle en son sein les horreurs et les trésors de chaque divin. Enfin, après avoir perdu si durement la guerre, il ne me semble pas idiot de se détacher de ce monde qui n'a rien à nous offrir. C'est en réalité une bonne chose pour nous de voir autant d'Aetheri se presser à leur porte afin de délivrer leurs messages. N'est-ce pas le rôle de notre peuple ? De protéger le Cycle et d'écouter les dieux dans l'attente d'un nouvel ordre ? Je l'ai rêvé plus jeune et en prenant  cette couronne, mais à présent je sais qu'il est vain de constamment courir derrière les autres Vivants pour rattraper le retard culturel et économique que des millénaires d'existence ont creusé entre eux et nous. L'on ne peut pas avoir l'ambition de construire le nouvel Avalon en ayant un pied dans le monde des Morts, ni celle de faire la guerre comme les Démons en habitant sur une île particulièrement perdue et désavantagée. C'est de l'aveuglement que de se reposer seulement sur les critères de gloire des Vivants, car  leurs réussites sont inadaptées à notre essence. Ce n'était pas une question de favoritisme et il serait orgueilleux de croire qu'un chaman sera le serviteur chouchouté de la voute divine devant toutes les autres peuplades à cause de sa grande religiosité... Mais les chamans ont combattu contre Sympan par fidélité, ainsi nous devons faire de cette dernière notre première qualité et une force dont se souviendront chaque divinité au moment voulu. Edel et Ezechyel sont les piliers de notre raison de vivre et de notre Création. Le Cycle reste notre priorité, mais il ne faut pas interdire aux autres Dieux de vouloir à leur tour se pencher sur nous pour modeler à leur guise ce peuple si jeune qui peut encore prendre tant de directions différentes." Il laissa couler un silence, se rendant compte qu'il avait beaucoup trop parlé, de choses qu'il ruminait depuis longtemps et qu'il n'avait pas eut l'intention de dévoiler, mais qui étaient sorties d'elles-mêmes comme un flot ininterrompu.

Personne ne parlait du temple d'Ezechyel qu'il avait brûlé de ses propres mains... Le sujet était épineux en réalité, mais Devaraj préféra être honnête. "Nidalu a exigé de nous un tribu trop ambitieux, vous l'avez tous compris. Ce... changement... est peut-être sa façon à lui de ré-équilibrer la balance de notre petit monde." Un sourire apparut sur ses lèvres. La Folie avait-elle une balance à respecter ? Seul l'Aether devait le savoir, et encore... Au fond de lui, Devaraj connaissait le sacrifice qu'il avait offert à Nidalu : une partie de son identité, de sa vie, de lui ; ainsi qu'une place dans chacune des futures décisions qu'il prendra. C'est peut-être cela qui avait provoqué le cadeau de l'Aether. "Quoiqu'il en soit, notre pays a prit la forme de son symbole. Maintenant que nous savons qu'il existe un temps donné pour chaque symbole, nous ferions mieux d'organiser notre calendrier en fonction." Cela promettait de nouveaux maux de tête pour réfléchir à un moyen adapté de refléter leur situation temporelle. Mais comme d'autres explications lui venaient en tête, Devaraj refoula la réflexion pour plus tard. Ce qu'il venait de prononcer signifiait aussi que le symbole de Jun avait terminé son temps. Il ne pouvait plus fuir un sujet qu'il venait d'introduire aussi clairement... "Quant à J-... Ezechyel." Le Chaman marqua une pause, se mordant la lèvre, dardant un regard songeur sur la tenture de sa Dynastie qui pendait mollement le long des murs. Que devait-il dire ? Qu'il le haïssait et n'avait plus foi en lui ? Était-ce tout simplement possible de leur faire comprendre la relation complexe qu'il entretenait avec son père ? Aucun ne comprendrait. "Personne ici n'est sans savoir que l'Orphelin de la Mort entretient des relations compliquée avec cette dernière. C'est inscrit même dans ce surnom qu'on lui donne." Il croisa le regard d'Alséa et le soutint, peu effrayé par ce que pouvait bien penser cette dernière. Il trancha. "C'est ainsi. J'ai son sang dans mes veines, c'est un sang glorieux mais qui est jaloux et violent." Cela sembla dissuader les plus mauvais esprits d'avoir leur mot à dire. "Il faudra du temps pour que je l'honore à nouveau, mais cela viendra. C'est inévitable." avoua-t-il, d'avance vaincu. Puis, comme si parler de l'épine qui l'avait transpercé de part et d'autre l'avait définitivement épuisé, il vérifia que personne d'autre n'avait besoin de lui parler et prit congé.




Le flanc de la montagne volcanique était scié par le vent. Les rares pousses qui parvenaient au sommet étaient âpres et sulfureuses. Pourtant cela n'empêcha pas Devaraj d'assembler un amas de pierres de jade le long d'un renfoncement caverneux qui semblait à peu près à l'abri du monstre qui soufflait autour. Pour terminer l'autel, il chercha un rocher plutôt plat et long qu'il déposa sur le reste. Puis il sortit de son sac deux poupées en bois peints, chacune représentant les deux créatures du volcan telles qu'il s'en souvenait. Le Chaman avait passé plusieurs jours à sculpter ces dernières, repensant sans cesse le souvenir du pacte qu'il avait fait dans sa tête. Maintenant qu'il pouvait se remettre de ses émotions, il ne savait plus s'il devait avoir peur ou être heureux. Il se sentait décharné, perdu, un peu fou. Comme une mère cherchant son enfant disparu dans le désespoir, son esprit s'attendait sans cesse à retrouver Gideon, à combattre, à souffrir. A la place de tout ceci, il ne rencontrait qu'un grand et sombre vide. Un frisson parcourut son échine. Il déposa les statues-totem sur la pierre, ainsi qu'une pièce d'or sur laquelle était sculptée le crabe de Nidalu et une miniature du pont qui permettait d'entrer dans l'Au-Delà en référence à Raanu. Devant ces trois entités qu'il comprenait si peu, il pria. Puis, avant de partir, il remarqua à ses pieds plusieurs cristaux ambrés semblables à ceux qu'il avait vu près d'Amshloumkarhya qu'il ramassa consciencieusement et fourra dans ses poches.




"Delawam... Mon frère."
; "Hofdingi." Après avoir salué Kewanee, le Suprême de l'Au-Delà autorisa une longue accolade à son vieil ami, bien qu'ami soit un grand mot. Il espérait l'être encore, il n'en était pas certain, conscient que leurs chemins avaient viré à l'opposé. Pourtant c'était tout naturellement qu'il s'était tourné vers le Draugr pour lui confier sa demande. "J'aimerai que nous partions délimiter les emplacements des temples sur la nouvelle carte." Il y en avait cinq en comptant celui récemment apparu de Raanu et il s'agissait de leur priorité. Le voyage à vol d'oiseau en forme éthérée aidait mais les distances semblaient s'être dangereusement agrandie entre chaque point et il était nécessaire de trouver un chemin terrestre afin de continuer à protéger et approvisionner les religieux. C'était une tâche difficile que certains jeunes Zawa'Kar aurait accomplis avec joie et impatience, mais le Maître des Esprits, qui semblait avoir oublié son rang, se gardait la mission pour lui seul. il se justifia en disant que l'urgence de la situation méritait des personnes qui ne seraient pas retardées par un manque d'endurance et d'expérience... En réalité, il avait simplement le désir fou de retrouver cette ambiance qu'il y avait entre eux une ère en arrière lorsqu'ils partaient à l'aventure, un souvenir qu'il s'en voulait pour avoir à moitié perdu.

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Jeu 17 Jan 2019, 13:00




Comme il avait laissé tant de choses en suspens avant sa grande absence et que beaucoup avait changé entre temps, Devaraj ne trouva pas le temps de s'inquiéter pour ce qui lui était arrivé. A vrai dire, il disposait à peine de quelques heures de sommeil avant que son énergie complète ne soit requise par les Draurg. L'on voulait fêter son retour et sa guérison, mais les circonstances ne pouvaient par le permettre... Le Suprême de l'Au-Delà s'était absenté plus d'une lune en compagnie de Delawam et Kewanee afin de tirer une rapide esquisse des reliefs, puis de s'assurer du bien-être de tous les temples et totems. Ce n'est que lorsqu'ils eurent épuisés toutes leurs réserves en sacrifices à l'ensemble du panthéon chamanique que l'urgence retomba, entrainant avec elle la peur et le choc. Enfin, l'ombre d'un calme plana sur eux. Enfin, les mots prononcés par le roi à ses Draugr avaient fini de descendre la chaîne hiérarchique, de façon à ce que tout le monde soit au courant et que chacun ait eut le temps de digérer. Personne ne pouvait se douter qu'il serait le dernier à se remettre des événements. Il avait l'air en bonne santé -ce qui changeait beaucoup par rapport aux semaines passées dans le coma et aux nombreux évanouissements qu'il avait subit sous l'Emprise. Il était capable d'être de bonne humeur, un fait innovant pour l'ensemble de ses proches. On le pressait de questions concernant sa guérison, et il ne savait pas quoi répondre d'autre que de leur rappeler la prophétie désormais réalisée de l'Oracle. Ses lèvres se scellaient dès qu'il envisageait de parler du Pacte qu'il avait fait ; non pas par honte mais par peur. Il était encore loin de saisir l’ampleur de la réponse qu'il avait donné à Amshloumkarhya. En réalité s'il y avait bien un chaman qui se sentait quotidiennement comme une brindille odieusement balancé dans un océan enragé : c'était bien lui. Autour de lui, ses frères reconstruisaient leurs campements, retrouvaient leurs proches morts ou vivants ; ainsi que leurs habitudes. Et pour ceux qui avaient le plus de mal, il y avait encore les croyances indestructibles pour rassurer et redonner espoir. Lui se sentait étranger devant son peuple et devant lui-même. Sa Folie avait brûlé ses relations ; même Lilith était partie. Sa foi ressemblait à un temple déchiqueté par un tremblement de terre et dont les morceaux étaient éparpillés dans le sable. Il examinait les pierres de la ruine une par une, se demandant si cela valait le coup de la remettre à sa place ou s'il ne valait plutôt pas la jeter dans le Néant. Il portait en lui des connaissances sur les Aetheri qu'il aurait préféré ne jamais toucher du doigt et se demandait avec une amertume sans nom si le fardeau du Suprême de l'Au-Delà n'était pas tout simplement maudit ; à moins qu'il se soit trompé de A à Z. Peut-être que le calice qu'on lui imposait de boire n'était que le fruit de son échec ? Voilà ce que ruminait intérieurement le roi, pendant qu'une partie de son esprit était toujours occupé à essayer de se rappeler de son identité, de reconstruire tout ce que le Parasite avait dévoré. Il avait bonne mine et on le nommait Héro mais lui se trouvait sale et faible. Maintenant que le fardeau de l'Emprise s'était envolé, il goûtait à sa liberté avec joie tout en apercevant à l'horizon un autre genre de torture qui l'attendait ainsi que beaucoup de doutes concernant le futur de son peuple. Ainsi à peine prenait-il le temps de sourire que son regard redevenait sombre. Jour après jour, il ne trouvait refuge que dans l'idée qu'il devait devenir le Fou des Dieux et que si les Aetheri avaient pitié de lui et trouvaient cela nécessaire, il finirait par se reconstruire. L'air sûr de lui, il arpentait l'île en refusant de laisser apparaître quoi que ce soit de son trouble.

Mo'Mani'Uk'Aylimr n'avait pas dévoilé son visage depuis des décennies, sous prétexte que cela arrangeait ses affaires et qu'il pouvait ainsi modeler le personnage qu'il jouait devant les autres peuples comme il le souhaitait. Devaraj ne croyait absolument pas à cette ridicule excuse et y voyait plutôt une décision religieuse dont il se moquait éperdument contrairement à beaucoup qui adoraient fouiller les rumeurs sur le sujet. "Nous allons rouvrir les voix commerciales." dit-il, caressant pensivement l'accoudoir de son siège. Il avait délaissé son trône pour un tabouret rembourré de fourrure. Le silence s'installa dans la salle du Conseil, comme si chacun ruminait ce qui venait d'être dit. "Je me sens vieux, Hofdingi. Ces changements me fatiguent." Aylimr pencha la tête, le regard perdu vers les rives du passé. Ce n'était pas la réponse qu'attendait le Suprême de l'Au-Delà, qui avait cru soulager le Draugr d'un grand maux en lui permettant de continuer à nouveau ses activités. Cet aveu était la preuve d'une faiblesse qui pourrait faire tomber sa tête, alors pourquoi le dévoiler aussi brutalement ? "Moi aussi je suis fatigué." susurra-t-il. Il marqua une pause, reprenant doucement. "Cela ne me rend pas incompétent." La menace était voilée par un certain paternalisme, mais bel et bien présente. "Je comprends que rester enfermé sur notre terre ne répond pas à vos ambitions, vous savez. Je vois aussi que nos projets sont contradictoires... Pourtant, une partie de nos chemins pourraient concorder. Il ne tient qu'à vous d'accepter." Les pupilles du chef de tribu se mirent de nouveau à briller. Devaraj n'était pas dupe. Ses ordres étaient indiscutables et il avait été obéit mais il ne tenait pas à mettre dans de mauvaises positions certaines parties de son peuple. Si l'union était leur principal mérite, ce n'était pas seulement parce-qu'il disposait des pleins pouvoirs divins mais aussi parce-que tout le monde y trouvait son compte. Ainsi ses relations avec cet homme s'étaient dégradées malgré le respect que l'un devait à l'autre. Voyant qu'il était sur la bonne pente pour y remédier, Devaraj continua. "Je vais aller droit au but : il nous faut construire, planter, cultiver. Que nous soyons indépendants pour nos besoins et que notre artisanat garde sa valeur." Comme il était clair que leur commerce ne serait destiné qu'à mettre en place une certaine autonomie, Aylimr se rembrunit tout en regardant son futur avec un certain fatalisme soumis. "Arrêtez donc de vous lamenter, je ne suis pas aveugle et je n'ai pas terminé. Plus d'importation qui soit inutile à notre future autonomie ou à notre survie actuelle." Cela était déjà en partie le cas, mais les chamans avaient prit l'habitude d'importer les produits déjà transformés ; par convenance et parce-que manipuler les matières premières n'étaient pas dans leur culture. Lorsque leurs frontières avaient été condamnés, les plus habiles s'étaient alors débrouillé pour produire par eux-même sur les sols infertiles de l'île et dans les forêts coupantes et dangereuses. "Il va nous falloir un temps considérable pour récolter le fruit d'un tel travail et il n'est pas dit que nos ressources commerciales soient suffisantes pour passer de tels marchés." Le chaman regarda plus profondément dans les yeux d'Aylimr, jusqu'à trouver dans l'esprit de son homologue ce qu'il cherchait. Il vit que ce dernier avait depuis longtemps eut la même idée que lui, sans pour autant oser la formuler. Le sage avait besoin que les mots soient prononcés sous ses yeux par le roi, afin qu'il ne soit pas le seul à en supporter la responsabilité. "Oui. Envisage la vente d'informations, dans ce cas." Après tout, le Royaume des Morts était une source sans fin pour l'espionnage. Une sorte de soulagement détendit alors le Draurg, qui se voyait à nouveau voyager avec en main une nouvelle marchandise suffisamment bonne pour avoir de l'espoir concernant sa mission ; sans compter le défi et l'excitation de la nouveauté qui achevèrent de lui redonner vie. . "Toutefois il faudra consulter Taom et l'Oracle, avant de passer des accords de ce genre, et être extrêmement prudent concernant le Cycle." Afin d'être certain de l'aval divin d'une part et de leur propre sécurité d'autre part. Mais la discrétion du commerçant ainsi que sa prudence n'étaient plus à prouver, puisque ce dernier était déjà un de ses plus vieux espions. Le vieil homme se prosterna avant de prendre congé. Il regrettait profondément d'avoir eut des doutes sur son roi et le Fumeur Macabre se contenta de cette douleur pour le lui pardonner.

De nouveau seul, le chaman s'affala un peu plus sur son siège. Lui-même n'arrivait pas à voir clair dans ce qu'il leur arrivait, c'est pourquoi il avait prit le temps de discuter avec chacun des Draugr individuellement pour redéfinir le tir. Peu à peu, certaines directions se clarifiaient : Aylimr et Kazak semblaient satisfaits par la ré-ouverture de leurs affaires. Mior avait montré l'envie de se rapatrier sur l'Île qui était désormais suffisamment grande pour subvenir à leurs besoins de chasse et pour le travail du cuir dans lequel il voulait s'installer. Delawam se réjouissait de tout ce qu'il voyait sur son territoire et voulait construire. Mais à elles deux, Alséa et Raoni représentaient plus de la moitié des chamans, soit plus d'un million... Et ils avaient besoin de trouver leur part. Quand à Raya, elle se trouvait mécontente de voir l'île fermée aux étrangers ; sans parler de Zawa'kar qui était intenable. Devaraj esquissa un sourire. Lui aussi avait été intenable en tant que Zawa'Kar ; et son prédécesseur de même. Comment leur en vouloir ? S'ils cessait les contacts avec l'extérieur, l'ombre d'une guerre s'éloignait et avec eux la joie de la tribu militaire. Le chaman se pinçait les lèvres, perdu dans le cercle sans fin de ses réflexions. Les dieux ne l'aidaient pas beaucoup sur ce point et il comprenait que beaucoup plus de temps et d'efforts seront nécessaires pour résoudre ces problèmes. Désormais obsédé par cette idée d'autarcie et parfaitement convaincu que l'Île devait tomber dans le secret le plus absolu pour sa propre survie et pour protéger le don fait par les Aetheri, Devaraj ne cessait de s'inquiéter et d'envisager mille et un moyen pour y arriver. Lorsqu'il sentit la présence de Taom à ses côtés, il parla sans même lui adresser un regard. "Surveille Aylimr. Aussi, j'aimerais en savoir plus sur cette Terre d'Edel... " Si l'Île demeurait inviolable en tant que terre sacrée, alors le chaman avait bien conscience qu'un autre pied à terre leur serait utile ; autant pour tromper les curieux que pour faciliter le commerce. "Promettez-moi d'être diplomate." Devaraj afficha une moue. "Je vais essayer de ne pas entrer en guerre avec les Ygdrae. Et encore, je trouve que c'est déjà suffisamment complexe." Un petit rire ironique fusa. "Je parlais de nos alliés." ; "Oh. Hum... C'est un bien grand mot. Cela fait longtemps que le Pacte a été conclu. Il n'est pas dit que vouloir le mettre à jour soit apprécié par l'Esprit de la Mort."

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Jeu 17 Jan 2019, 14:36







Le moment où il se réfugiait sous les fourrures de son lit était toujours le plus perturbant. En regardant autour de lui, il se trouvait seul. En fermant les yeux et sondant son esprit, il se trouvait encore seul. Le Chaman avait prit l'habitude de dormir d'un sommeil léger et de barricader son esprit avant de s'assoupir, de peur que Gideon n'en profite pour se glisser  dans ses rêves pour le tuer ; ainsi il répétait bêtement ce rituel même en ayant le souvenir très clair en tête du moment où il avait dévoré son bourreau. Puis il goutait au silence et à la paix, admirant chacune de ses formes et s'en délectant avant de passer une bonne heure à fouiller sa mémoire pour la réparer et et en retrouver les lambeaux déchiquetés par l'Emprise.

C'était avant que les rêves apparaissent.

Des rêves que l'Oracle ne sût expliquer autrement que par un regard effrayé et un cri lugubre. Des rêves qui contenaient myriades de personnages réels qu'il n'avait jamais rencontré de sa vie ; de lieux qu'il n'avait jamais visité ; d'histoires qui appartenaient au passé mais qu'il vivait réellement, plongé dans la peau d'un des protagonistes. Il se réveillait en sursaut, peinant à se remémorer où il se trouvait, parfois même à reconnaître sa chambre. Son premier réflexe fut de s'éloigner de son campement, puis de l'île. L'Au-Delà paraissait être un refuge adéquat, alors il s'y enfouit en prétextant vouloir parler à Nyam. Devaraj se sépara de son corps, et, persuadé d'être libéré de ses visions sans queues ni têtes, commença la longue montée dans les cieux qui menaient à la capitale des Morts. Il n'y arriva pas. Il réalisa une partie de son horrible condition avec panique lorsque de nouveaux morceaux de lui-même s'échappèrent dans le Néant et qu'il se sentit sur le point de mourir. C'était idiot car un esprit ne pouvait pas mourir... Seulement il se rappela la nature de son nouveau pouvoir et se dit qu'Amshloumkarhya  pouvait les tuer lui, les esprits ; le sien en particulier. Malade, Devaraj regagna son corps aussi vite qu'il le put. C'est un cadeau empoisonné, lui avait précisé l'une des deux créatures de feu. Le contrat parlait d'un lien avec le cœur de l'Île Maudite, mais Devaraj n'avait pas pensé qu'il s'agirait ni d'une question vitale pour lui ; ni d'un quelconque rapport avec sa position géographique. En prenant soin de cacher cet affreux incident, le chaman contempla avec rage ce qui était sa prison dorée : s'en éloigner provoquerait sa mort, celle qui le jetterait dans le Néant et à laquelle il avait crut échapper en se débarrassant de l'Emprise. En sueur, il fit un effort considérable pour se remémorer les paroles exactes, arpentant sa chambre d'un pas fiévreux. Certaines étaient imprimée dans sa mémoire mais d'autres, qu'il avait jugé moins importantes, avaient été effacées par le choc. Le Dieu -sil s'agissait bien d'un dieu- avait précisé que les effets pourraient s'estomper avec l'habitude bien que la finalité reste la même : en signant le Pacte, il ne faisait plus qu'un avec l'île et s'en éloigner le conduirait à la Mort, lentement s'il parvenait à surmonter les malaises, mais sûrement. Mais Devaraj n'avait pas du tout la patience d'attendre, ni d'essayer à nouveau. Il tournait en rond, en rageant. L'Au-Delà lui avait été interdit dans la Mort, car il était depuis longtemps destiné à disparaître dans le Néant plutôt qu'à entamer une nouvelle vie sous forme d'esprit. Il ne supportait pas que vivant, il ne puisse plus non plus accéder à ce royaume tant chéri des chamans. En colère, Devaraj s'embarqua sur un navire Kazak auquel il ordonna de s'éloigner des côtes chamaniques ; jusqu'à ressentir un picotement dans les entrailles et une pression dans sa tête qui le fit vomir. Il évalua la distance qui lui était permise de prendre par rapport au Volcan, tant sous forme éthérée qu'humaine ; puis recommença la même expérience accompagné des cristaux qu'il avait ramassé. L'idée lui était venue à force de tourner et retourner nerveusement les petites pierres entre ses doigts. Il ne lui avait pas fallu beaucoup de temps pour remarquer que ces foutus cailloux attiraient son attention plus que nécessaire et qu'il finissait toujours par les chercher du regard comme une mouche tournant autour d'une lampe. En amulette, broyé puis ingurgité, brûlé puis inhalé, il essaya tout, en passant un temps considérable à faire des allers-retours pour aller remplir sa réserve de cristaux. "Réfléchis, idiot. Elles sont tirées du cœur de l'île. Les avoir à tes côtés ne peut que te faire du bien." lui avait un jour crié l'Oracle alors qu'il revenait couvert de poussière et de sueur en portant deux grands sacs remplis. Elle avait raison, comme toujours. Contrairement aux insectes, il ne se brûlait pas les ailes en se plongeant dans la lumière des cristaux, au contraire cela lui procurait un apaisement que même l'herbe à pipe n'égalait pas. Pour contrer ces rêves qui ne cessaient de l'envahir, le chaman passait des heures entières à fixer son regard sur l'ambre orangé qu'il tenait entre ses doigts, obnubilé. Il en accrocha partout au dessus de son lit et se fabriqua quantité d'objet avec. La rumeur se propagea comme une trainée de poudre : l'Hofdingi avait trouvé une nouvelle drogue ! Tous voulurent avoir leur mot à dire, mais il se révéla que la substance n'était efficace que pour les personnes mentalement instables et souffrantes. On la baptisa "Demencia", on en fit des bijoux de toutes sortes, des onguents, des sels de bains et même un pigment coloré.




La Demencia était certainement un coup de pouce d'Amshloumkarhya pour se pardonner de l'avoir emprisonné ; mais pas une solution à part entière. Devaraj s'était habitué à son utilisation, puis il avait peu à peu accepté sa condition, fataliste. La rage qu'il avait ressenti en se cognant à l'une des limites de sa prison s'était estompée. Même le vide provoqué par l'absence de Gideon commençait à lui être plus naturel... Ce qui ne l'était pas, c'était les visions. S'agissait-il bien de visions ? Perturbé, Devaraj commença par demander qu'on lui trouve de quoi l'empêcher de dormir : un sort magique, du café particulièrement fort, n'importe quoi qui fonctionne. Enfin privé de son sommeil qui s'avérait être tout sauf réparateur, le chaman commença à occuper ses nuits autrement. Il dressa un schéma du panthéon sur une énorme table dans sa chambre, puis il détermina en dessus chaque symbole divin et chaque sacrifice adéquat. Il ne pouvait pas s'imaginer qu'il se trompait gravement en cherchant la signification de son mal dans les messages que les Aetheri lui transmettaient par le Lien Divin. Depuis qu'ils existaient, les chamans voyaient dans les visions en tout genre un signe des dieux. Enfin ! Comme il ne dormait plus, cette mascarade étrange avait cessé. Les prières qu'il s'occupait à envoyer à l'ensemble du panthéon, dieu après dieu et nuit après nuit semblèrent efficace. Par la même occasion, il se trouvait à méditer sur l'existence de chaque Aether et à se demander où sa foi se trouvait par rapport à ce dernier, quel affection portait-il pour qui et quels troubles étaient provoqués par qui ; ce qui lui permit au moins de raffermir ses croyances pour ceux qu'il aimait encore et d'essayer de pardonner à ceux qui l'avaient abandonné ou ceux qui l'avaient fait souffrir. La vanité de cette entreprise était claire à ses yeux, mais il n'avait pas d'autre moyen pour retrouver foi.

Sa garde se baissa et son inquiétude disparut.




"Votre fils est malade. Je vous en prie, rendez-lui visite..."
Devaraj dévisagea longuement Satinka. La chamane voyait que quelque chose n'allait pas chez le Suprême de l'Au-Delà, mais elle ne savait pas quoi exactement. Il avait l'air guéri, fort, très sûr de lui, ses yeux n'étaient pas voilés. Elle le trouvait plus beau qu'avant. Rien à voir avec celui qu'elle avait vu mourir à petit feu... Et pourtant - "Quel fils ?" répliqua subitement le blond en se pinçant l'arrête du nez, les poings serrés, le ton trop brusque. "Eh bien le prince Oswald, enfant d'Edel." Elle n'avait pas comprit la question dans le bon sens et pensait naïvement que le chaman demandait lequel parmi sa nombreuse progéniture était malade, ce qui semblait être une question tout à fait normale. "Mais je n'ai pas de fils." répondit presque aussitôt l'homme avant de tourner les talons. Lui aussi sentait au fond de son esprit quelque chose d'inhabituel, mais il ne s'en inquiétait pas et ne se rendit compte qu'une vingtaine de mètres plus tard de la grossièreté de ce qu'il avait dit. Faisant demi-tour avec précipitation, il reprit, sentant son cœur battre trop vite et l'angoisse paralyser ses membres. "Je ! Euh... Dresse-moi la liste. De mes enfants... Le premier s'appelle Ignace. Hein ? Ragnar. Oui, Ragnar, c'est ce que j'ai dit. Et Isabelle ? Comment ça qui est Isabelle ?!" Essoufflé, il clignait des yeux sans raison et semblait particulièrement agité. Il parlait très vite, ne finissant pas ses phrases. "Thor ? Qui est Thor ?" hurla-t-il, à bout. "Mais vous avez joué avec lui, hier matin ! Je... Je vais le chercher ! " La jeune femme ne voulait qu'une excuse pour s'éloigner. "Non ! Attends, non ! C'est bon... Je me souviens." Perdant son équilibre, il s'était affalé contre un mur. "Je me souviens." répéta-t-il en blêmissant.  Ce n'était pas des rêves. C'était des souvenirs. Haletant, il se releva trop brusquement et manqua de s'évanouir. Des souvenirs ! Et certainement pas les siens ! Il couru, ne trouvant qu'une seule direction ayant du sens.  Il savait que son emprisonnement sur l'île n'était qu'une contrepartie du Pacte et que les autres conséquences ne lui seraient révélées que plus tard. Mais avec toute l'imagination qu'il possédait -particulièrement vaste- il n'avait tout de même pas vu envisager la vérité. En chassant d'autres visions qui lui arrivaient, il continua sans s'arrêter jusqu'à atteindre l'entrée du temple de Raanu. Il glissa sur une des marches et manqua de se casser une jambe. Des putains de souvenirs, se répétait-il comme si cela allait le sauver, il avait hérité des putains de souvenirs de tous les Parasites qu'il avait mangé par vengeance !

Devaraj était prêt à endurer beaucoup de choses pour permettre à son peuple de continuer sur sa voie. Seulement ce qui lui arrivait dépassa tout entendement de sa part. Il avait toujours disposé d'une arme pour se défendre. Sa curiosité lui avait permise d'échapper à l'ennui et de grimper les échelons, sa force et sa magie lui avait permis de se battre contre les hérétiques, sa Folie lui avait permis de résister à l'Emprise, maintenant la Dementia l'aidait à supporter sa prison. Mais là : contre la perte de son identité, de sa nature, de sa mémoire et contre l'invasion de souvenirs étrangers, il n'avait plus rien et fondit en sanglots en se traînant sur le sol éthérée du Temple, ne sachant s'il devait insulter la déesse ou chercher refuge en son sein. Il en voulu à Edel aussi, car elle l'avait sauvé d'un premier Parasite sans le punir assez pour qu'il n'ai plus le goût de recommencer ; et elle l'avait chargé d'une mission incompréhensible qui le dépassait : d'une énigme. Le fou qu'il était détestait les énigmes.

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A - Le fou des Dieux - chapitre II

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