À genoux devant un autel dédié à Raanu, les mains posées sur ses cuisses, Elyot priait. Seul dans l’immensité de la salle, il avait pour compagnie que le léger crépitement du feu qui dansait sur les longues bougies de cire installées sur chaque côté du petit monument religieux. Des pétales de lys, de fleur de cerisier et des rameaux d’olivier avaient été éparpillés un peu partout sur le dessus de la structure : certains d’entre eux étaient tombés, recouvrant une portion du plancher de pierre. De plus, on avait fait brûler quelques branches d’encens dont l’odeur de pomme de pin se répandait à travers toute la pièce. Des fils de fumée blanchâtre émanaient de leur pointe calcinée en créant des formes abstraites qui se volatilisaient presque aussitôt dans les airs. Le lieu de prière dégageait une aura mystique et surréaliste qui était sensée rapprocher l’Ygdraë des Dieux. Il devait s'efforcer de bâtir un passage entre les Terres des Mortels et le Royaume des êtres divins pour entendre leur parole et s’imprégner de leur grâce tout en purifiant son esprit. Il était également important de faire circuler le Yi dans l’ensemble de son corps pour éveiller ses sens à la Nature qui le guiderait vers un nouvel état de conscience, supposément. La pratique de cet art était difficile, et bien qu’il s’y entraînait depuis plusieurs semaines, il était encore loin d’atteindre la perfection pour réussir à entrer en communication avec les Aetheri. Le temps s’écoula légèrement au cœur du silence, lent et irréel, avant que le jeune garçon finisse par soupirer. « Je vous remercie, ô grande Raanu, du temps que vous m’avez humblement accordé. » Puis, il baissa la tête au sol en joignant lentement ses paumes, muet et les paupières closes. L’enfant demeura figé dans cette pose de soumission – par respect à l'égard de la Déesse – le corps parfaitement immobile, comme une statue de pierre. Au bout de quelques minutes, il finit par se redresser, s’inclinant une dernière fois devant l’autel avant d’éteindre les bougies.
Il tourna les talons pour sortir, refermant les portes sur une pièce sombre et ténébreuse. Dehors, trois Braskä lourdement armés l’attendaient de pied ferme, le dos droit. Aucun d’entre eux n’avait les yeux posés sur l’Ygdraë et pourtant, lorsque ce dernier se mit à marcher, ils suivirent son pas sans hésitation. Le garçon s’était habitué à leur méthode au fil des jours qui se sont succédé depuis que l’Enelyë avait tranché sur son statut. Il était une réincarnation d’Yggdrasil, condamné à l’isolement et au silence jusqu’au prochain solstice qui marquerait définitivement son rôle dans la société elfique. Néanmoins, pour le moment présent, il était seul, errant à travers les corridors d’un temple beaucoup trop grand à l’attente de son prochain devoir. Il était supposé aller manger à vrai dire, mais l’appétit ne lui était toujours pas venu malgré les heures qu’il avait passé le ventre vide. Après tout, ce n’était pas ses gardes du corps qui le ramèneraient à l’ordre, puisqu’ils avaient l’interdiction formelle de lui adresser la parole – et même de le regarder en face d’ailleurs. Les conversations lui manquaient terriblement, et ça le rendait presque fou d’ouvrir la bouche en sachant pertinemment que personne ne lui répondrait. Il ressentait constamment cette envie de pleurer lorsqu’il réalisait tout le poids que la solitude le forçait à porter, et c’était insupportable. L'Elfe ignorait comment il avait fait pour passer à travers ces dernières semaines, prisonnier au cœur de ces quatre murs, sans perdre la tête. Il voyait rarement sa mère, alors que Caäheliel avait purement et simplement été rayé de sa vie. De plus, il n’avait plus eu de nouvelles de son père depuis tellement longtemps qu’il avait arrêté de compter, et mis à part les quelques missives que sa sœur lui avait envoyé, il savait qu’il ne la reverrait plus. Cette réalité était dure à accepter et bien qu’il essayât de se montrer fort, la tristesse continuait de le ronger à petit feu en le faisant souffrir. Il ne disait rien cependant, acceptant l’honneur qui s’était offert à lui sans se plaindre. Il remerciait les Dieux pour ce présent inestimable de porter en lui l’âme d’un ancien Yggdrasil, tentant désespérément de se convaincre qu’il parviendrait, un jour, à en surmonter tous les obstacles.
Le cœur serré, Elyot bifurqua sur le couloir de gauche en s’avançant vers une large porte de bois aux poignées de bronze. Le trio de Braskä s’était déjà positionné autour de lui. L’un d’entre eux – le plus grand – venait de dépasser l’Ygdraë en se plaçant devant lui. Le guerrier ouvrit la porte en inspectant minutieusement l’intérieur de la chambre, avant de s’écarter pour laisser passer le Löth. Ce dernier se précipita aussitôt vers le lit qui reposait au centre de la pièce. Alors que les géants se plaçaient lentement autour de lui, l’enfant s’était déjà enfoncé la tête dans ses oreillers pour étouffer le son de ses pleurs.
