Edwina avançait dans le couloir qui menait jusqu’aux bains royaux. Quelle idée… Le pire c’est qu’elle ne pouvait en vouloir au Nylmord. Elle avait dû acquiescer lorsqu’il avait émis la proposition, plongée dans ses pensées. Le problème c’est qu’elle ne connaissait pas assez cet homme et ses méthodes de travail. Il semblait légèrement farfelu et ses réflexions internes sous couvert de « hum » et de « oui » évasifs lui semblaient à présent dangereuses en sa présence. C’était à cause de son manque d’attention qu’elle se retrouvait à devoir se baigner en compagnie du Chef des Armées pour parler des affaires courantes du royaume. Alors qu’elle se préparait à l’épreuve, une silhouette se dirigea vers elle. L’homme semblait habillé pour faire une randonnée. Une fois en face d’elle, il baissa respectueusement la tête avant de s’appuyer contre le mur avec son avant-bras. « Bonjour Majesté. Malheureusement, nous devons repousser notre rendez-vous dans les bains. Il semble qu’un petit malin ait mis une substance colorante dans l’eau. J’ai croisé l’Eliassen un peu plus tôt, le pauvre a viré au bleu. ». « Comment ça, une substance colorante ? ». La chose semblait peu probable. « Je n’en sais pas beaucoup plus mais le personnel est en train de régler le problème et je me suis fait jeter comme un malpropre. De ce fait, je me suis dit que nous pourrions faire une petite promenade à la place. Ce ne sera pas aussi relaxant mais marcher tranquillement sur les chemins blancs possède également ses vertus. » fit-il en plaçant son bras de telle façon à obliger l’Impératrice Blanche à faire demi-tour. « Je connais un endroit… Je suis certain qu’il vous plaira. Permettez que je nous y téléporte ? ». Il parlait beaucoup si bien qu’Edwina ne trouva rien d’autre à dire que d’acquiescer. Après tout, elle préférait l’idée de la balade à celle du bain.

« Et donc je lui ai dit que ce serait bien qu’il arrête de dormir pendant le service. ». L’homme se mit à rire à la fin de son histoire, qui aurait sans doute paru très drôle à la Reine si elle n’était pas en train d’essayer de se dépatouiller comme elle le pouvait. Le Nylmord marchait devant, ses pieds, confortablement installés dans des bottes, n’éprouvant aucune difficulté à marcher dans la boue. Ce n’était pas le cas des chaussures d’Edwina qui, bien que ne possédant qu’un talon minime, s’enfonçaient ou glissaient dans la terre détrempée. Chemin blanc… Elle ne voyait pas où était le blanc dans l’histoire. Ce n’était qu’un chemin, comportant un nombre faramineux de flaques d’eau marrons. « Ah ! » laissa-t-elle échapper en manquant de tomber pour la énième fois. Le Chef des Armées se retourna vers elle. « Vous allez bien ? ». « Oui oui. » répondit-elle en continuant de s’enfoncer dans son idée. « C’est drôle… La dernière fois que je suis venu ici, le paysage était un peu différent. » dit-il d’un ton sérieux avant de se remettre à marcher, un léger sourire éclairant son visage une fois qu’il fut sûr qu’elle ne le verrait pas. Il leva les yeux vers le ciel. Ce ne serait qu’une question de minutes. D’un côté, elle l’épatait. Elle était couverte de gadoue jusqu’aux chevilles et elle n’avait pas encore utilisé sa magie. Il se demandait combien de temps elle allait encore tenir. En attendant de le savoir, il se mit à lui raconter la fois où il avait surpris l’un des diplomates Lyrienns se relever en pleine nuit pour piquer du vin alors qu’il avait assuré plus tôt qu’il n’en boirait jamais tellement la production magicienne était immonde.

« Oh… » fit l’homme en interrompant son histoire. Il venait de recevoir une goutte d’eau sur le front. Edwina s’arrêta, essoufflée. Les épaules avachies, elle releva les yeux vers le ciel. Elle avait réellement l’impression d’être maudite. Plus ça allait, plus la rage pointait le bout de son nez en son esprit. Elle serra les dents. Tout l’agaçait. Ce chemin, cet homme, cette pluie. Comme pour la punir de ses pensées assassines à son égard, la pluie se mit à battre plus fortement et, bientôt, fut remplacée par des grêlons. « Ah ! » fit-elle, trempée jusqu’aux os. « Ça va aller Majesté ! » fit le Nylmord d’un air un peu mielleux. Edwina releva le regard vers lui et se mit à crier au milieu des bois. « Non ça ne va pas aller ! Vous m’agacez avec vos histoires sans queue ni tête dont je me fous totalement ! C’est quoi votre problème à la fin ? Ça vous fait rire de m’amener dans des endroits si reculés et sales par ce temps pourri ? ». Elle l’avait rejoint de façon plutôt maladroite et se trouvait à présent en face de lui. Il laissa passer quelques secondes avant de déclarer sans la moindre hésitation. « Assez oui. ». Puis, sans un mot de plus, il lui tourna le dos et se remit à marcher, la laissant totalement pantoise.

Comme elle voyait qu’il ne l’attendait pas, sans pour autant marcher vite, et que la colère montait crescendo, elle jeta ses chaussures dans la boue d’un geste agacé et se mit à suivre l’homme d’un pas décidé. Une fois arrivée à son côté, elle le dépassa, se retourna et lui envoya sa main en pleine face. Le silence s’installa un instant. Elle avait le souffle court. Elle se sentait au bord du gouffre. Son autre main vint le frapper de la même façon puis elle s’en prit à son torse qu’elle martela plusieurs fois avant d’éclater en sanglots. Elle n’avait plus la force de faire semblant. Le Nylmord sourit tendrement, amenant ses bras dans le dos de la Reine pour la serrer contre lui. Il posa son menton sur le sommet de son crâne, écartant les nuages magiquement pour faire revenir le soleil. La pousser à bout lui avait demandé une stratégie un peu fourbe mais, finalement, il y était arrivé. Elle devait se reposer sur lui, bien plus qu’elle ne l’avait fait avec l’ancien Nylmord. Il n’avait pas cette vision paternaliste de la Souveraine. Il avait vu rapidement qu’elle souffrait et qu’elle restait dans le déni. Elle devait se confier à lui sinon, elle finirait par imploser. Les pertes, la douleur, les obligations de la royauté, la charge d’une vie personnelle presque inexistante, tout ceci devait lui peser. Il était son bras droit, il devait porter le poids de son fardeau avec elle. Plus que tout, il fallait qu’elle s’octroie du temps libre et qu’elle s’amuse, vraiment. « Je vais vous amener chez moi. » fit-il doucement. « Nous pourrons discuter de tout ça. Et je vous présenterai Zane. ». Finalement, bien qu’il en ait parlé uniquement pour plaisanter, il avait fini par adopter l’idée et par acheter une chèvre. « Son nom officiel sera Zaza, je ne voudrais pas vous créer des problèmes diplomatiques. » rajouta-t-il en caressant son dos.