P

lains ceux qui ont peur,
car ils créent leurs propres terreurs.

La Ligne verte, Stephen King

Partenaire : Solo.
Intrigue/Objectif : Afin de faire son entrée dans la Compagnie de Yüerell, Laëth doit, après plusieurs mois d'entraînement et de leçons auprès des membres de la milice, passer le Test des Preux. Chronologiquement, ce rp se passe avant les expéditions.

Deux croix en intersection, telles des épées dont le fer se croiserait, trônaient au-dessus d'une paire d'ailes blanches. Les yeux presque imperceptiblement plissés, Laëth lisait l'affiche de la Compagnie de Yüerell. Elle l'avait déjà vue, et étudiée, même. Elle avait déjà un pied dedans ; l'organisation ne lui était plus étrangère. Chaque mois, la milice entreprenait des campagnes de recrutement. Depuis qu'elle vivait aux Jardins, elle y portait de l'intérêt. C'était Isley qui l'avait introduite, avec Jenna, lorsqu'il les avait guidés, elles et d'autres jeunes Anges, à travers leur nouvelle demeure. Seule, elle n'aurait probablement jamais pu - ou osé - franchir le pas. Pourtant, même sans cela, même en participant à des leçons dispensées par les membres de la Compagnie, elle avait plus ou moins consciemment reculé son inscription officielle au Test des Preux. Il lui avait d'abord fallu s'acclimater à sa nouvelle vie, puis Priam l'avait rejointe bon gré mal gré, les événements s'étaient enchaînés, et désormais... A ses pieds, Picasso bailla, faisant claquer ses petites mâchoires, avant de s'étirer de tout son long. « Hm... Tu en penses quoi, toi ? » Le chat miaula. « Ouais. » Elle appréhendait. Elle était pourtant soldate, et ses séances avec les membres de la milice se déroulaient plutôt bien, ce qui indiquait qu'elle avait quelques capacités militaires et qu'ils ne la jugeaient pas parfaitement inapte. Elle apprenait encore, mais elle ne pouvait plus être considérée comme une néophyte. Il y avait aussi l'écho de cette prophétie énoncée lors de cette soirée à laquelle elle préférait ne pas trop penser - le souvenir de l'Honorable la hantait avec trop d'impétuosité. Un destin l'avait prise par la main et lui promettait de grands desseins. Pourtant... Et si je ratais ? C'était cette question qui freinait toutes ses ardeurs, tandis qu'elle savait pertinemment que son anxiété ne fuirait jamais. Elle devait juste prendre son courage à deux mains pour sauter dans un inconnu familier. Ce n'était qu'une question d'audace.


« Je signe là ? » - « C'est ça. Et juste ici. » L'Ange pointa du doigt les deux espaces blancs qui devaient porter son écriture. Appliquée, Laëth y traça l'initiale de son prénom et son nom de famille. « Parfait. » La jeune femme releva la tête. Un sourire frémissant chatouillait ses lèvres. L'Ailé le lui rendit. Le sien portait une forme d'affection et de confiance qui la galvanisa. Il parcourut une liste, puis se redressa. « Tu passeras le Test demain soir. Est-ce que cela te convient ? » Elle acquiesça, empruntant une expression plus sérieuse. Elle avait surpassé son inquiétude première. Elle se battrait pour ne pas laisser ses autres craintes la dévorer. Lors de l'épreuve, elle ferait de son mieux. Elle ne se laisserait pas déborder par ses émotions. Elle se le promettait. Puisqu'elle haïssait que l'on brisât les promesses qu'on lui adressait, elle honorerait la sienne.


Les bras appuyés sur la barrière qui entourait la petite arène d'entraînement, le menton posé sur les mains, Laëth songeait qu'elle ne remercierait probablement jamais assez Isley pour cette offre. Au cours des derniers mois, elle avait  acquis la plupart des savoirs et des aptitudes essentiels pour le passage du Test des Preux. Au côté des membres du Cortège Religieux, elle s'était appropriée les préceptes et l'idéologie de la milice. Les maîtres d'armes l'avaient félicitée pour ses progrès. Elle n'était pas infaillible, cependant, elle avait été jugée prête à se confronter à l'épreuve qui attendait chaque engagé. Et en dépit de l'appréhension qui lui crispait l'estomac, la lumière de cette nouvelle vie l'attirait avec une force inouïe. « Alors ? » Comme elle se redressait, elle pivota légèrement et vit Jenna. La rouquine lui adressa un sourire chaleureux. « Stressée. » admit-elle avec une moue embarrassée. « Et toi ? » - « Pareil. » Elle passa un bras autour des épaules de la brune. « Mais tout va bien se passer. On s'entraîne depuis des mois, on a toujours pris ça au sérieux - enfin, presque... » Elles échangèrent un regard complice. « A ton avis, à quoi va ressembler l'épreuve, cette fois ? » - « Aucune idée. J'imagine que ça ressemblera un peu à nos entraînements, avec un peu plus de difficulté. Peut-être plusieurs adversaires, ou alors une configuration particulière... Ou alors on devra agir par équipes ? Je ne sais pas. » Jenna hocha la tête, les yeux dans le vide. Puis, elle se gaina un peu plus. « T'as mangé ? » La brune grimaça. « J'ai l'impression que si je mange quoique ce soit, je vais vomir. » - « C'est aussi ce que je pensais, mais en réalité, ça se fait très bien ! Allez viens par là ! J'aurais trop honte que tu t'évanouisses en pleine épreuve. » Sans lui laisser le temps de répliquer à sa taquinerie, elle la prit par le bras et l'entraîna à sa suite.


Le crépuscule drapait le monde de ses couleurs vibrantes. Le parme se mélangeait aux bleus délavés et se fondait dans les nuances dorées. Laëth n'était plus dans la carrière sableuse. Les contours délimités de l'espace d'entraînement avaient cédé la place à une vaste plaine habitée par le fracas des combats et les corps des macchabées. L'illusion était particulièrement troublante. Elle tenait fermement son arme et ne quittait pas des yeux son adversaire. Le pantin magique attendait qu'elle entamât le combat, campé sur ses jambes, son épée en garde. Elle avait enclenché son pouvoir lui permettant de contrôler ses émotions pour s'isoler dans une bulle de tranquillité. Celle-ci ne pouvait être parfaite, compte tenu de sa maîtrise de ce don, mais elle l'aidait. Le plus difficile était de conserver une certaine stabilité. Les vagues émotionnelles renversaient si bien sa raison qu'elles en étaient insoutenables, pour elle. L'Ange jeta un regard de chaque côté de ce qui fut la carrière d'entraînement. Les Capitaines et les maîtres d'armes s'étaient probablement tous installés et devaient observer les deux protagonistes, prêts à juger des aptitudes de la jeune femme. Elle ne les voyait pas. Elle inspira profondément. Puis se lança.

Les lames s'entrechoquèrent. Le soldat éthéré appuya de sorte à la repousser vers l'arrière. Pour ne pas perdre l'équilibre en cédant, elle se décala rapidement sur le côté, puis s'envola. Dans les airs, elle aurait plus de liberté de mouvement, et risquait moins de subir les coups des autres combattants, aussi fictifs fussent-ils. Elle attendit qu'il la rejoignît pour réitérer une attaque. Il para, et alors, ils entamèrent véritablement le ballet des combattants. Celui des fentes, des pirouettes, des faux-pas, des feintes, des erreurs, des estocs et des tailles. L'arme de son adversaire siffla plusieurs fois à ses oreilles, mais elle parvint presque toujours à l'éviter de justesse. Elle ne reçut que quelques coups minimes. L'un d'entre eux, toutefois, la déconcentra suffisamment pour qu'elle ouvrît la vanne imposée à son cœur. Ses émotions, brutalement éveillées, déferlèrent sur ses épaules avec une puissance haïssable. L'aspirante fut trahie par ses ailes. Elle chuta et se rattrapa de justesse à un arbre - elle dût batailler pour dégager l'une de ses ailes, ce qui lui fit craindre le pire. Son ennemi en profita pour fondre sur elle. Laëth hoqueta. L'épée tombait sur elle à une allure folle. Elle allait rater son Test et être gratifiée d'une plaie sanguinolente si elle ne réagissait pas. Non ! L'adrénaline et la frustration s'assemblèrent en une tornade qui secoua tout son corps : à la dernière seconde, elle présenta sa propre lame et rejeta l'assaut. Elle ne devait plus perdre une minute ; sans attendre, elle l'assaillit à nouveau jusqu'à l'acculer contre un rocher, qu'elle avait repéré quelques secondes plus tôt. Là, surplombant son opposant et le contraignant à l'aide de sa lame, elle tendit la main et la serra progressivement. Le casque de métal du pantin se contracta suffisamment pour provoquer de sévères maux de tête et plusieurs plaies. Lorsqu'elle fut certaine qu'il n'était théoriquement pas en état de riposter, elle brandit son épée et asséna le coup de grâce. Le décor fondit peu à peu, pour révéler le terrain si coutumier. Essoufflée, elle laissa son arme choir et s'écarta de quelques pas, le temps de recouvrer ses esprits. Elle voyait un peu trouble et son ventre semblait essayer de se transformer en océan houleux. Comme le lui avait conseillé les maîtres d'armes lors des sessions d'entraînement, elle marcha pour récupérer. Quelques minutes plus tard, une main se posa sur son épaule. Elle se retourna. « Félicitations. » La brune cligna des yeux, puis un sourire éclaira son visage. Elle avait réussi. Des larmes de bonheur envahirent ses iris verts sans qu'elle ne pût y faire quoique ce fût. Elle avait réussi.


Le discours de l'Imperator Séraquiel Tarveras résonnait dans sa tête et son cœur. Toutes les Recrues étaient regroupées autour de leur supérieur hiérarchique et de ses subalternes - Fantassins et Patrouilleurs destinés à devenir leurs mentors. Jenna se tenait juste à côté de Laëth - leurs épaules se frôlaient. Elle se sentait nettement mieux qu'à la fin de son combat : elle n'était plus à deux doigts de rejeter ses tripes sur le sol. Les hématomes qu'elle portait blessaient à peine sa peau. Ses sens étaient endormis par l'excitation. « Behök Jenna. Troupe Kahena. » Son amie se tourna vers elle et lui sourit, puis, comme les autres avant elle, s'avança vers les guerriers. L'un d'eux se détacha du groupe et la salua avec chaleur. Son mentor. La brune trépignait. « Belegad Laëth. » Son cœur rata un battement et sa respiration se suspendit. « Troupe Xēna. » A l'instar de la rousse, la joie illumina ses traits - ainsi qu'une once de surprise dans les pupilles. Compte tenu de sa déstabilisation aérienne, elle ne pensait pas être retenue dans cette unité. Elle se dégagea du groupe et s'avança vers ceux qui étaient désormais ses collègues. Une femme s'écarta en lui adressant un discret sourire en coin. Son épaisse chevelure blonde encadrait un visage petit et fin. La fille de Réprouvés remarqua immédiatement ses yeux perçants. Elle devait faire quelques centimètres de moins qu'elle, mais une aura imposante l'auréolait. Elle l'avait déjà remarquée, au sein des Jardins, et surtout sur le terrain d'entraînement. Face à face, la mentor plaça son poing sur son sein gauche, bientôt suivie par sa Conscrite. « Sois la bienvenue. Je suis Hena Lilayel. » D'une impulsion magique, elle fit apparaître une hallebarde qu'elle tendit à la jeune femme. « Voici ta première arme, forgée par les artisans de la Compagnie. Nomme-la et prends-en soin. Elle sera ta compagne la plus fidèle. » Laëth la reçut avec une humilité apparente, quand tout son esprit criait la joie de sa réussite. « Merci. C'est un honneur d'être placée sous votre tutelle. » Elle se rangea à son côté. La cérémonie n'était pas terminée. Dans un chuchotement, Hena déclara : « Tu t'es bien débrouillée, pendant ton combat. Malgré ta chute... » L'Ange baissa les yeux, dépourvue de toute fierté. « En toute honnêteté, j'ai d'abord pensé qu'elle me coûterait mon entrée dans la Compagnie, puis qu'elle m'écarterait forcément de la Troupe Xēna. » La blonde acquiesça. « On ne vous demande pas d'être infaillibles. Vous apprenez encore. On veut juste pouvoir évaluer votre potentiel, et voir comment vous réagissez en cas de difficulté. Tu ne t'es pas laissée abattre, tu n'as pas paniqué, tu as agi. C'est ce qu'on attend d'un guerrier. » La plus jeune demeura muette, néanmoins, les paroles de la doyenne l'avait soulagée. « Xēna, c'est celle que tu voulais ? » - « Je ne sais pas. J'ai essayé d'éviter de trop y réfléchir, puisque rien n'était sûr. Mais elle était certainement dans le trio de tête. » - « Hum. »

Lorsque chaque duo fut formé, les Recrues s'avancèrent toutes d'un pas. Elles entamèrent ensemble le Serment de l'Honneur, poing sur le cœur. Puis, lentement, les premières notes du chant de la nation angélique montèrent, douces et puissantes.


Priam l'attendait sur le pas de la porte. Comme il la vit revenir souriante et une arme à la main, son visage se dérida. Il tendit les bras vers elle ; Laëth courut vers lui, lâchant sa hallebarde dans sa course, puis se jeta contre son torse pour le serrer contre elle. « J'ai réussi ! » - « Papa et maman seraient fiers de toi. La première guerrière de la famille ! » Il lui ébouriffa les cheveux, geste qui la fit grogner - cependant, pour une fois, elle ne se dégagea pas. « Je leur écrirai. » Leurs yeux brillaient de fierté ; elle, d'avoir triomphé de ses appréhensions et de ses erreurs ; lui, de la savoir vainqueur. « Il nous reste plus qu'à fêter ça dignement. » - « Avec modération, bien sûr... » - « Oui oui, comme toujours ! » - « Hein-hein. » Il lui adressa un clin d’œil équivoque.