« (…) Je vous recommande de vous rendre à l’endroit indiqué en temps et en heure. Comme je vous l’ai dit, je connais votre secret. ».

Edwina fixait la missive depuis un long moment, ignorant l’autre. « Tu ne vas pas y aller tout de même ? Les Terres Arides appartiennent aux Démons. Tu risques de te faire tuer. ». Elle marqua une pause, un sourire malsain se dessinant sur ses traits. « Remarque… Ta magie fait toujours des ravages lorsque l’on t’accule. Si tu pouvais réduire à néant la moitié de ces immondes créatures, l’on pourrait te trouver un titre un peu plus flatteur que l’Ingénue. ». Elle ne l’écoutait pas, la laissant discourir sur le bien, le mal, sa véritable nature, les fantasmes qui lui passaient par la tête. Elle se serait volontiers abstenue de s’y rendre si les derniers mots n’avait pas éveillé sa curiosité. Son secret… Lequel ? Elle doutait que son lien de sang avec les Syrkell ait pu sortir au grand jour. Si c’était le cas, la piste d’une éventuelle trahison de Lucius était envisageable. Néanmoins, la piste lui semblait impossible pour l’instant. Il n’aurait pu faire les déductions adéquates, pas avec une histoire aussi vieille, pas simplement en constatant que ses cheveux étaient roux. Alors… quel secret ? L’Impératrice Blanche envisagea la possibilité d’un jeu auquel se serait adonné Zane. Pourquoi maintenant ? Elle n’en avait aucune idée et le fait qu’elle l’ignore la rendait fébrile. Était-ce à cause de sa visite sur la Terre Blanche ? « Hum… » finit-elle par émettre, pensive. L’autre était partie depuis bien longtemps, comprenant que ses interventions étaient inutiles.

Foulant le sol des Terres Arides, elle se dirigea vers le lieu de rendez-vous : un petit village de quelques habitations qui semblait actuellement désert. Edwina inspira. Elle avait emprunté, pour l’occasion, une physionomie totalement différente de la sienne, ayant abandonné son voile. La rencontre n’était pas officielle, après tout. Elle se sentait légèrement étrange mais le sentiment qui prenait place dans sa poitrine n’attira pas particulièrement son attention. Elle se dit simplement qu’elle était nerveuse. Aussi, elle frappa à la porte d’une bâtisse à l’allure modeste. L’homme qui lui ouvrit la fixa de la tête aux pieds prestement avant de l’attirer à l’intérieur, tirant d’un coup sec sur son poignet. Il lui sembla rapidement antipathique. « J’exige des explications. » fit-elle, légèrement impressionnée par sa carrure. À peu de choses près, il équivalait Zane. Elle se demanda quelques secondes s’il n’avait pas changé d’apparence, s’il n’était pas en train de l’entraîner dans un jeu douteux, mais ses doutes ne durèrent pas plus longtemps. Ce n’était pas le Diable, elle en était certaine. Qui était-ce alors ? Il resta silencieux un moment, semblant la jauger. Elle fit de même, détaillant son visage ovale et ses longs cheveux gris. En réalité, il gagnait du temps mais elle n’avait aucun moyen de le savoir. « Je ne suis pas aussi magnanime que Zane au sujet de la malédiction que vous lui avez infligé. Je n’ai pas non plus sa patience pour vous tirer les vers du nez. ». Il s’avança. Au début, elle ne recula pas mais quand elle vit qu’il allait finir par lui rentrer dedans, elle suivit le mouvement. Le fait est qu’elle n’avait pas envie de se servir de sa magie maintenant. Il semblait ne pas l’apprécier, c’était un fait. Cependant, il connaissait le Monarque Démoniaque. Edwina ne se sentait pas particulièrement en danger. Elle savait qu’elle pourrait partir quand elle le voudrait et qu’il ne pourrait pas la retenir. Elle se trompait. « Qui êtes-vous ? » fit-elle, une fois qu’elle fut dos au mur. Il la regardait d’une façon déplaisante, semblant chercher quelque chose sur son visage. Il finit par sourire, sachant qu’il venait de la battre à plate couture. La Belle ne le sentit qu’après. Sa magie était en train de filer à une vitesse flagrante. Elle eut un vertige et faillit tomber à terre. Ce fut la main de l’homme sur sa gorge qui la retint. Plusieurs Humains venaient d’entrer dans la pièce, enchaînés et amenés là par deux Démons qui regardèrent le plus puissant d’un air entendu. Proche d’elle, il lui souffla quelques mots, son physique bien plus imposant que ce qu’il était il y a quelques temps. « Je suis d’avis que les malédictions cessent lorsque l’on tue ceux qui les lancent. Sachez que j’apprécie trop Zane pour laisser n’importe qui le déstabiliser. Il en va de même pour Lucius. Je sais que vous vous êtes vus. ». Ce qu’il disait paraissait lointain à la Magicienne. Le paradoxe était que ses mots la percutaient avec une violence inouïe. Il allait la tuer si elle ne faisait rien, elle en avait la certitude. Pourtant, son propre corps ne voulait pas réagir. Elle n’était debout que parce qu’il la tenait, une poigne qui cessa lorsque l’un des autres Démons entra dans la pièce, articulant des paroles qu’elle ne comprit pas. Elle entendit une sorte de claquement de langue, signe évident de mécontentement. « Restez dehors. Elle ne risque pas de s’échapper mais sait-on jamais, quelqu’un d’autre pourrait la trouver le temps que je m’occupe de la nuisance. ».

Edwina, qui avait fini à quatre pattes sur le sol, comprit qu’il partait et qu’elle n’aurait pas d’autres chances. Elle se mit à respirer profondément, essayant de garder une vision stable tout en avançant vers la porte qu’elle tenta de pousser sans succès. Son cerveau un peu embué avait envisagé le fait qu’il n’aurait pas oublié de fermer à clef mais, dans le flou général, il lui avait aussi semblé que la chose aurait pu être possible. Elle fixa la pièce, tout lui semblant tourné au ralenti. Elle avait chaud, suait, et des ronds noirs obstruaient sa vision à certains endroits. Les Humains semblaient profondément désolés mais ils ne pouvaient strictement rien faire pour l’aider. Il n’y avait pas de fenêtre praticable. La Reine se laissa un moment choir sur le dos, élevant ses jambes pour que le sang irrigue mieux son esprit. Alors que le tissu de la robe qu’elle portait tombait sur son ventre, ses yeux roulèrent sur la dague qui était attachée à sa cuisse par une lanière de cuir. Il allait bientôt revenir. Elle n’avait pas le temps et était à cours d'idée. Si elle le menaçait de son arme, nul doute qu’il lui rirait au nez. Elle pourrait éventuellement le blesser mais il n’était pas seul et elle ne s’en sortirait pas ainsi. La Reine Blanche serra les dents tout en prenant la seule décision qui s’imposait à elle, celle menant à l'unique solution viable. Elle se releva, l’effet de sa perte de magie quelque peu atténué, et s’avança vers l’un des Humains qu’elle contourna. « Désolée… » murmura-t-elle doucement, tout en attrapant les cheveux de l’inconnu. Elle passa sa lame sur sa gorge et trancha d’un geste profond et sec tout en maintenant fermement son crâne contre elle pour bloquer toute tentative désespérée. Le mouvement fut répété dans le plus grand silence. Tout le monde ici savait qu’il allait mourir dans tous les cas. Prisonniers des Démons, beaucoup avaient déjà pensé au suicide et beaucoup n’avaient pas eu l’occasion de le réaliser. Un jour prochain, les êtres maléfiques les auraient tués, salement, longuement. « Je vous assure que je vais le tuer… je vais tous les tuer… » répéta-t-elle, visiblement entrée dans une intense colère froide. Elle épargna la vie de deux Humains, ayant retrouvé assez de puissance magique pour faire sauter la cervelle de n’importe quelle stupide créature qui se dresserait sur son chemin.

Se dirigeant vers la porte, elle dessina brièvement un pentacle sur le bois, se reculant avant qu’elle n’explose dans un fracas qui aurait réveillé les morts. Les vitres se brisèrent et le verre vint se ficher dans les corps démoniaques de ceux qui gardaient l’entrée. Elle aurait pu les étouffer, elle aurait pu les empoisonner, oh elle aurait pu faire beaucoup de choses en réalité. L’Impératrice Blanche, les vêtements écarlates du sang des Humains qu’elle avait sacrifié, plissa les yeux. Où était-il ? « Vous savez, je suis très patiente, moi ! » lança-t-elle à voix haute après un temps certain à le chercher, des fois qu’il sortirait de sa cachette. Le silence, seul, lui répondit. Elle le promettait : elle le tuerait. Peut-être pas aujourd’hui mais, un jour, elle le retrouverait et, proche de Zane ou non, elle vengerait les vies qu’elle avait dû prendre par sa faute.