La tête pleine et le corps engourdis par les heures de marche, Helly avançait sans but précis. La quiétude des lieux ne présageait en rien d’un éventuel danger et pour la première fois depuis des jours, elle profitait de sa solitude. Trop de rebondissements l’avaient amenée sur des chemins bien éloignés de ses habituelles zones de confort. Et un peu de calme après le tumulte de ses péripéties étaient appréciables. La bélua se perdait volontiers dans ce décor bucolique, sous les pâles reflets lunaires qui se reflétait dans les étendues limpides. Cela aurait presque été tentant de s’y baigner si seulement…
Un éclair bleuté lui passa sous le nez, ricochant plusieurs fois sur la surface du lac, ridant le paisible miroitement lunaire. Surprise plus qu’effrayée Helly s’immobilisa aussitôt. Les yeux plissés dans l’obscurité de la nuit, elle se recula sur ses gardes. À pas feutrés, presque aussi légère que le vent, à peine penchée en avant, elle ne quittait plus des yeux les sorciers qui se lançaient des sors. « Un duel? Il ne manquait plus que cela ». Si la curiosité l’avait poussée à arpenter les abords du Lac de la transparence, elle n’avait pas pensé un seul instant à se retrouver entre deux esprits magiques en compétition. Et si le spectacle en valait sûrement le coup d’oeil, elle préférait rebrousser chemin sans demander son reste. Les rencontres fortuites et les situations alambiquées s'accumuler un peu trop en ce moment pour qu’elle ne tente davantage le diable, en succombant à la tentation de découvrir l’étendue de leurs compétences. Elle soupira doucement pour ne pas attirer leurs attentions et finit par se retourner sans prendre garde à la présence derrière elle. Elle heurta sans ménagement l’inconnu avant de sursauter dans un hoquet de surprise. Les deux mains sur la bouche pour étouffer les cris qu’elle avait failli pousser, elle découvrit avec stupeur la raison de son « stupide réflexe ». Il était grand, bien plus qu’elle est son regard noir de jais reflétait l’étendue de la profondeur de son âme. Une arme redoutable, qui dilata brusquement les pupilles d’Helly alors qu’elle se noyait dans cette contemplation en penchant sa tête sur le côté. C’était une emprise toute particulière que sûrement d’autres n’auraient pas relevé. Helly était sensible aux regards que l’on pouvait poser sur elle et celui-ci était indescriptible, faisant perler sa peau d’un langoureux frison qui remonta toute sa colonne vertébrale. Elle ne remarqua pas tout de suite qu’elle baissait ses bras au fur et à mesure des secondes qui s’écoulaient. Il lui semblait que le temps s’était arrêté à leurs pieds, la laissant totalement hypnotisée par l’aura de l’inconnu. Son coeur sembla louper un battement alors qu’elle refaisait surface en jetant un coup d’oeil derrière son épaule vers les sorciers qui venaient de faire trembler le sol. Elle leva un bras pour préserver son équilibre et ramena sa main vers son visage pour replacer une mèche de cheveux qui lui chatouillait le nez. La bélua fixait le sol à s’en bruler les yeux de peur de se retrouver une nouvelle fois captive de cet étranger. S'il semblait bénéficiait de tous les charmes de ce monde cela n’en était pas moins suspect. Elle fit bouger ses lèvres dans une petite moue tout en réajustant sa posture et se statufia dans une appréhension de l’instant. « Fallait-elle qu’elle se méfie, qu’elle fuit ou bien qu’elle affronte ce ténébreux inconnu.?" Le vent enveloppa leurs corps dans une brise tiède qui fit se contracter Helly. Elle ignorait pourquoi mais tout son corps venait de se tendre comme si elle était face du plus grand des prédateurs. Son instinct ne la trompait que rarement, la troublant un peu plus encore. Parfaitement droite, le regard fuyant, elle entrouvrit ses lèvres dans un filet de voix à peine audible. Ses joues devenues écarlates parlaient pour elle, traduisant l’hésitation dans laquelle, elle s’enfonçait lentement.

- Je… Je suis désolée…
Elle se sentait stupide de s’être fait possédée aussi facilement et finit par serrer ses poings en toisant le jeune homme du regard. « Il déborde de charisme et alors? » Elle en avait vu d'autres. Rien de plus et rien de moins  que ce qu’elle n'avait pu déjà expérimenter. « Alors quoi? Qu’est-ce qui faisait écho aux battements de son coeur? De la peur? Un sixième sens animal? Et lui? Il était quoi pour lui glacer le sang ainsi? »
Helly fronça ses sourcils reportant avec méfiance son regard vers le sien.

Un « Boum » caractéristique d’une explosion fomenta un vent de panique dans les quartiers d’une petite métropole du continent naturel. Le crépitement des flammes asphyxiait vaguement la stupeur du voisinage, alors que l’écran de fumée, lui, celait l’ombre d’une silhouette qui s’extirpa sans peine de la prison cendrée. Le démon connu de tous pour sa solide réputation de fléau tenait deux grands sacs en toile dans chacune de ses mains. Il avait commis un simple pillage, sans aucune forme de pitié. Si de prime abord, il avait agi dans la retenue la plus totale en s’infiltrant comme un chef. Son extravagante soif d’interprétation avait poussé le vil personnage à finir son larcin en beauté. Maintenant qu’il avait suffisamment attiré l’attention dans cette partie de la ville, Zane effaça sa présence avant de tomber malencontreusement nez à nez avec les gardes. S’il était venu avec une convivialité presque louable — le dérapage ayant eu lieu en cours de route —, il ne comptait pas empirer son cas en s’éternisant ici, d’autant plus qu’il n’avait plus rien à y faire. En possession de ses gains, une forme élancée par de grandes ailes se crayonna dans les cieux, cette dernière se camouflant auprès des nuages avant de diminuer son attitude quand il le jugeait le plus opportun.

Il devait gagner un point de rendez-vous dans le but de passer à ce qu’il savait faire le mieux : la négociation. Enfin, ça, c’est ce qu’il était censé accomplir avant de changer de cap. En effet, il n’avait pas pu passer outre les sortes de fulgurance magiques qui ensemençaient la glèbe par ses éclats étincelants pour le moins distinctifs. Son défaut le plus patent étant celui de la curiosité, il se sentait incapable d’ignorer ces manifestations. Il renonça donc aux battements de ses membres rachitiques, plongeant directement dans la direction du phénomène. Il dévia légèrement de sa trajectoire pour abandonner ses trésors un peu au hasard, mais il arriva ensuite à bon port en toute quiétude, arrangeant avec délicatesse la pointe de ses pieds sur la terre ferme. Il rétracta ensuite ses outils de navigation, axant tout de suite ses sens sur les sons émis qui lui généraient quelques frémissements dans les tympans. Une brève rafale lui choya le creux des reins, le laissant pantois quand il comprit ce qui se passait. Un duel. De fichus sorciers en plein devoir de domination, ce qui expliquait la source des éclairs aperçus un peu plus tôt. Ce n’est qu’après qu’il éprouva une légère perception à hauteur de son torse. Lorsqu’il décrut le regard, il identifia la présence d’une femme. Tiens donc. Il n’avait pourtant fait aucun vœu, du moins à sa connaissance.

Sans dire mot, il s’attarda sur les parties de sa silhouette, la dévisageant de la tête aux pieds comme une vulgaire marchandise. Aux termes de son étude, il comprit qu’elle était trop affectée pour avoir une discussion plus consistante. Zane pencha légèrement son buste, approchant son visage du sien pour l’ébranler davantage. « Désolé ? » Il s’esclaffa dans un fou rire qui dura plus que de nécessaire. « Quand une proie s’excuse, son goût est souvent fade. » Il humecta ses lèvres en glissant sa langue sur celles-ci, baissant ses yeux sur la poitrine de la jeune femme sans gêne aucune. « hm. Mais je porte sûrement un jugement trop hâtif. » Il cogitait. On lui proposait du bain béni sur un plateau d’argent, alors pourquoi s’en priver ? Il se rappelait avoir déjà foulé ces lieux dans de plaisantes circonstances. D’autre part, le cadre ne correspondait pas du tout aux confrontations. Le vacarme que causaient les apprentis sorciers commençait à lui faire monter la sauce. « Attends-moi ici. Je reviens. » Il plaça sa main sur son bras pour la dégager de son passage. Si elle se retournait, elle constaterait qu’il avait déjà disparu de son champ de vision. Il suffisait de tendre l’oreille pour distinguer — en dépit d’un repère visuel restreint — l’amplification des bruits de guerre.

Ils gagnaient graduellement en intensité, encore et encore, jusqu’à ce qu’ils s’expirent quelques instants plus tard, rendant le calme à l’environnement qui lui était dû. Il ne revint pas immédiatement auprès de la femme, ou du moins pas comme elle devait s’y attendre. C’est elle qui le rejoignit. Comment ? Eh bien, tout simplement par le biais de sa chevelure prolongée qui se noua autour de ses chevilles, s’engageant par ses mollets en grimpant finalement sur ses cuisses. Le tissu capillaire étant plus tenace que de l’acier, il tracta précipitamment la demoiselle à lui. Son corps patina sur le sol avant de se retrouver suspendu la tête en bas, au-dessus du lac. Le démon était allongé sur une solide branche, lui-même près de cette eau aux reflets scintillants. « Où en étions-nous ? Ah oui. Déclinez votre identité ainsi que vos intentions, et peut-être, j’ai bien dit peut-être que je vous libérerais. » Une de ses mèches vint titiller le creux de ses oreilles tandis qu’il affichait un rictus sardonique. « Oh et puis zut. Je vais être généreux. » Il renonça instantanément à son emprise, contribuant à procurer un relaxant bain de minuit à l’inconnue qui emporta l’honneur de se rafraichir. Parfois, son cœur était trop grand.

Helly se renfrogna lorsque l’inconnu au sourire narquois se rabaissa à son niveau. Cette soudaine promiscuité la fit légèrement reculer, l’obligeant à ancrer fermement ses pieds dans le sol dans une petite moue boudeuse. L’attitude de son interlocuteur débordait d’arrogance, la laissait sans voix, à fleur de peau, à peine impressionnée par cet étalage d’ego. Elle le toisa d’un regard aussi sombre que les ténèbres qui se reflétaient dans ses charmantes pupilles et pencha sa tête sur le côté pour mieux lui faire face dans une expression tout aussi blasée qu’emprunt de désinvolture. Passé la première impression qui l’avait statufiait aux pieds de l’agaçant individu au ton persifleur, elle ne pouvait que constater son affligeante outrecuidance. Elle arqua un sourcil en l’entendant se reprendre de lui-même et changea immédiatement d’attitude se demandant à qui elle avait à faire. Il l’écarta de son chemin comme une vulgaire brindille et disparu dans l’ombre du sous-bois sans qu’elle ne comprenne les raisons de ce soudain changement de cap. Le bruit des confrontations raisonnait dans les hauteurs des arbres, se répercutant contre les troncs dans une symphonie étrange qui fit une nouvelle fois sourciller la bélua. « Était-il parti se confronter aux duellistes? ». Helly ne savait pas vraiment ce qu’elle devait faire. S'il lui avait dit d’attendre, elle se demandait pourquoi elle obéissait à ses ordres. Les affrontements montèrent subitement en intensité, l’incitant à faire un pas vers la direction des combats. « S’était-il réellement engageait dans une lutte contre deux assaillants? » Helly pencha sa tête en direction de l’obscurité sursautant au bruit sourd d’un sort qui fit craquer un arbre. Il avait sonné le glas du duel improvisé ne laissant guère de possibilité quant au dénouement. Elle pinça ses lèvres dans une petite moue et déposa ses mains sur ses hanches, hésitant à aller vérifier de la bonne tournure des événements. Après tout elle n’avait rien à voir dans cette histoire et continuer son chemin était sans doute la meilleure des choses à faire. Elle mordit sa lèvre inférieure en laissant tomber ses bras le long de son corps et pesta contre elle même dans un râle plaintif.
- Ce n'est pas vrai…
C’était plus fort qu’elle, il avait suffisamment piqué sa curiosité pour l’inciter à emboiter le pas vers la direction des échauffourées. Les poings serrés elle fit quelques pas et s’immobilisa dans l’ombre d’un arbre. Elle hésitait encore. Cela faisait quelques secondes que plus aucun bruit ne provenait du conflit, l’obligeant à envisager une nouvelle approche. Alors qu’Helly se perdait dans les tortueuses pensées alambiquées qui la caractérisaient, une ombre noire serpenta dans les herbes hautes, glissant jusqu’à ses pieds pour s’enrouler autour de ses jambes. Estomaquée de constater qu’il s’agissait de cheveux, Helly ne pouvait qu’observer sidérer l’ascension des extensions capillaires la faire captive. C’était bien la première fois qu’on utilisait ce genre de piège sur elle. Entravée et soumise à la force des diaboliques mèches charbonneuses, elle chuta sur le sol, dans une trainée de poussière qui l’amena droit vers les étendues limpides du lac. La tête en bas, pendue par les pieds, elle contemplait le reflet de son impuissance dans un déconcertant soupire.
Perché au-dessus d’elle, l’arrogant personnage quant à lui, fanfaronnait encore.
- Lâche- moi… Souffla-t-elle en se balançant au-dessus du vide.
Il se moquait d’elle ouvertement et elle le trouvait de plus en plus pompeux. « Comment avait-elle pu s’inquiéter à son sujet? »
- Je t’ai dit de me lâcher, insista-t-elle en s’agitant.
Elle n’eut le temps de voir que l’amorce de son sourire que les liens se desserraient d’un coup, la plongeant inéluctablement dans un bain de nuit forcé. Les eaux cristallines étaient fraiches, du moins assez pour revigorer ses membres et donner un nouvel élan à son esprit. Elle ignorait pourquoi, mais il la faisait bouillir intérieurement d’envies meurtrières et sanglantes, imposant subitement en elle une pernicieuse idée qui la fit sourire à son tour. Avec une lenteur exagérée, elle refit surface, plongeant son regard dans celui de l’outrageante créature au sourire démoniaque. Alors qu’elle devinait le cheminement de ses yeux sur son corps détrempé, elle s’empressa de laisser ses mains se promener sur sa poitrine, largement exposée sous la transparence de ses vêtements humides, avant de glisser vers l’intérieur de ses cuisses encore immergé. Elle arqua un sourcil en se mordant les lèvres dans un regard sulfureux et s’empressa de se balancer sur elle-même dans une attitude faussement ingénue. Ses lèvres s’étirèrent à outrance avant d’empoigner les extensions de la chevelure du bellâtre, de les enrouler dans un mouvement de poignet autour de son bras et de tirer fermement dessus pour le faire chuter à son tour dans la froideur du Lac.
- Imbécile, souffla-t-elle en fronçant les sourcils.

Très fier d’avoir œuvré sur une facétie aussi aboutie, le démon étrangla un rire qu’il libéra franchement une fois que sa victime fut intégralement immergée dans le liquide. Elle pouvait bien lui crier dessus qu’il n’en aurait rien à faire, tout simplement, car il agissait avec sa marque de fabrique, en dépossédant autrui de ce qui leur était le plus cher : leur fierté. Zane était d’autant plus dur avec les femmes qu’il aimait domptées à sa manière, parfois avec douceur. Parfois pas du tout. Qu’elle se rassure, il comptait juste s’amuser un tout petit peu et repartir ensuite comme il était venu. L’ennui et les sorties nocturnes ne faisaient pas bon ménage avec quelqu’un d’aussi excessif que lui. Si elle se laissait sagement faire, elle aurait toutes les chances de se retirer très vite, et tout ça en un seul morceau. Néanmoins, il écarquilla grandement les yeux lorsqu’il sentit sa belle crinière être anormalement tendue. Ses réflexes furent trop tardifs, par conséquent il ne parvint pas à rétracter sa corde capillaire à temps. Il sombra maladroitement dans l’eau, et telle une bombe lancée à l’aveugle, le poids de sa chute déversa une immense vague qui déborda sérieusement du bassin, ajustant une douche supplémentaire à cette mystérieuse inconnue. Elle avait donc osé ? Dans ce cas, que le jeu commence ! Bien incapable de décliner une proposition de défi, voilà sans doute son plus gros travers. Il ne renoncerait pas avant de l’avoir implicitement entendu dire qu’il gagnait la partie et qu’elle s’abstenait d'essayer l’impossible. Quelques secondes après la disparition des bubulles qui indiquaient plus ou moins approximativement où se trouvait le prédateur, un geyser explosif inonda le réservoir, mouillant une troisième fois sa victime du moment.

Quand le soufflet s’arrêta, l’homme n’était plus. Ni sa présence ni la plus infime des silhouettes ne pataugeait dans les parages. La réalité l’avait définitivement supprimé de ce monde auquel il n’avait pas sa place… ou alors… son aura démoniaque se manifesta sous la forme tangible d’une projection qui traversa le corps de la femme, ceci dans le but d’essentiellement l’effrayer en lui révélant rapidement à quelle catégorie de type il appartenait. Ceux des méchants, ceux des pas beaux, ceux qui n’hésitaient pas à découper de la chair fraiche pour le simple prétexte que c’est joli. C’est exactement le genre d’affect qu’il tentait de lui transmettre en la fixant minutieusement de son regard vide de compassion, où les ténèbres y résidaient en compagnie d’une minuscule lueur dorée, pourtant loin d’accueillir la sainte lumière en question. Il aurait pu s’arrêter là en la contraignant par l’intimidation, toutefois s’il agissait de la sorte, il est certain qu’il ne pourrait pas sciemment se délecter de la beauté de son visage au moment de la cuisante défaite qu’il voulait totale et sans discussion possible. La terre, qu’il était capable d’asservir au même titre que sa crinière léonine, souleva une motte qui encercla les pieds de la petite insolente. Il marqua une courte pause, et d’un geste scénique, il acheva sa prison rocheuse en entravant magnifiquement ses pattes arrière. Qu’elle dispose d’un contre-pouvoir ou non, il s’en fichait à partir du moment où il se savait en tout point supérieur. « Tu n’es qu’un simple femmes après tout. Le sexe inférieur. Une femelle ne sait faire que deux choses pour s’en sortir : supplier et couiner. Dans quel ordre veux-tu commencer ? »

Il tâta la marchandise en la maniant de ses mains viciées. Il ne se gênait aucunement pour toucher TOUTES les parties de son corps malgré le refus insistant de cette dernière. « Ce qui est dingue, c’est que tu mouilles déjà. » À ne pas prendre au pied de la lettre. Ou plutôt, si. Il parlait bien de son corps trempé de la tête aux pieds par préférence à ce qui lui servait d’engin de reproduction. Il cherchait la blague facile et salace dans le but de la faire sortir de ses gonds. Il voulait qu’elle se défende, qu’elle lui hurle dessus, qu’elle fasse tout son possible pour se venger. Le démon ne s’égayait pas des petits plaisirs quotidiens. Il lui fallait quelqu’un au tempérament fort et anguleux en mesure de répondre du tac-o-tac, d’où l’intérêt des provocations qu’il s’évertuait d'introduire à tout va. Pour enclencher l’interrupteur principal, il fouetta brusquement la fesse gauche de sa captive. Sans attendre ses réactions qu’il espérait à la hauteur, il se laissa tomber vers l’arrière afin de rejoindre le lac. Il enchaina quelques brasses pour se rendre de l’autre côté de la rive, puis il commença à lentement se déshabiller. L’eau étant très claire et attisée par les rayons de la lune, elle pouvait probablement distinguer une partie de cette nudité. Le sourire jusqu’aux oreilles, le point lui revenait sans le moindre doute.

Helly essuya son visage d’un revers de la main pas peu fière de son petit tour de force. Il s’était joué d’elle mais elle avait su y répondre en ébranlant le piédestal sur lequel il s’était allègrement posté. Son petit bain forcé avait sûrement dû lui rafraichir les idées voir même éroder son ego surdimensionné.
Le calme était retombé autour d’elle, laissant la tiédeur de la nuit redonner aux abords du lac une quiétude presque reposante. Si elle avait fait fi du corps immergé et des possibles répercussions que son geste allait entrainer, elle aurait presque pu en apprécier toutes les nuances. Au lieu de cela, l’agaçant trouble-fête remonta à la surface de la façon la plus non moins attendue qui soit. Le geyser arrosa la bélua qui prit alors une position de défense. Sur ses gardes, elle fit le tour d’elle-même à la recherche de la présence de l’inconnu sans pour autant le trouver. Si cela la fit sourciller, elle ne tarda pas à comprendre face à l’apparition fantomatique qui passa au travers de son corps. Elle se statufia plus que surprise et se crispa légèrement face à la sensation désagréable que cela avait produit. Un long frisson remonta toute sa colonne, faisant vibrer ses membres dans un spasme musculaire. Rares étaient les personnes capables d’un tel exploit, laissant la bélua plus que prudente concernant la suite des événements. L’inconnu n’était pas n’importe qui, cela devenait plus qu’évident. Son esprit était à présent en effervescence, à la recherche d’un moyen quelconque de trouver une parade pour échapper aux griffes de la présomptueuse créature. Il avait beau étaler sa puissance, il commettait des erreurs comme tout un chacun. Le tout était d’être observatrice et réactive. Alors qu’elle tentait de comprendre ses intentions, il utilisa ses pouvoirs pour la bloquer une nouvelle fois. Pas assez rapide pour se dégager du piège infernal, elle se contenta de raidir son corps en le toisant d’un regard sombre. Son calme était sa meilleure arme face aux provocations et la diabolique repartie de son agresseur. Alors qu’il s’avançait vers elle en lui balançant au visage ses arguments misogynes, Helly leva les yeux au ciel, ne s’attendant pas une seule minute à ce qu’il la touche de façon plus que déplacée. Elle tenta de se dégager en vain avant de s’immobiliser impuissante. Cela ne servait à rien de tenter de lui échapper, cela ne faisait que lui conférer un pouvoir sur elle qu’elle se refusait à lui donner. Ses paroles glissèrent sur elle comme l’eau du lac avant qu’elle ne plisse ses yeux en réponse à cette attaque douteuse. Un sourire narquois apparu ses lèvres carminées, avant qu’elle ne souffle avec ironie.

- Tu cherches quelque chose? La modestie peut-être?
Elle se doutait bien que l’arriviste prétentieux ne comprendrait surement pas le double sens de ce petit jeu de mots. Il avait la langue volubile mais surement pas autant qu’elle.
La claque qui lui administra sur ses fesses la fit cependant soupirer.

- Si tu veux me faire crier, il va falloir plus qu’une fessée… Je suis du genre à trouver cela agréable…
Elle le regarda fanfaronner et nager vers les abords du lac plus qu’amusée par son comportement. Puisque le jeu semblait être la provocation autant y aller franchement et vu sa position elle n’avait plus que cette arme pour elle.

- Hey! L’interpella-t-elle. Tu sais ce que l’on dit des mecs qui ont une grande gueule?
À force de patience elle réussit à s’extirper de la vase lui laissant enfin l’aisance nécessaire pour nager à son tour vers les berges. Elle décolla le tissu de sa chemise détrempée pour l’essorer tout en le dévisageant de haut en bas sans aucune retenue.
La tête penchée, presque hilare, elle s’avança vers lui.

- Un peu froide cette eau non?
Elle pointa son index vers lui et pinça ses lèvres.

- Tu as de la vase là.

Y aller doucement. C’était la formule pour ne pas effaroucher les moustiques. Manifestement, elle résistait très bien à ses charmes, sans doute car il voulait qu’elle le voie comme un prétentieux dénué de toutes prédispositions apparentes. Zane était toutefois plus vicieux que ça, ses artifices n’étant encore pas du tout soignés proportionnellement à ce qu’il savait faire de ses dix doigts. La réalité, c’est qu’il était le seul à disposer de longues ficelles au bout de ceux-ci, lui permettant entre autres de contrôler sa marionnette comme il l’entendait. Quand elle se moquait, c’est parce qu’il lui en laissait l’occasion. Quand elle remportait une manche, c’est, car il souhaitait perdre à ce moment précis. Quand il échouait, c’était par distraction. Il était assez charitable aujourd’hui pour entreprendre de commercer sa malveillance contre de la miséricorde. Après tout, du moment qu’elle ne voyait qu’à travers ses yeux, c’était tout bénéfique pour le souverain qui se ferait une joie de la mettre à genoux une fois qu’il en aurait marre d’elle. Tant qu’elle répondrait avec ce ton de vanité dans la voix, il continuerait de l’écraser petit à petit pour lui illustrer lors de son grand final que le Diable était de sortie. Il en riait d’avance. Plus encore au moment où elle parvint à se déballer de l’encombre pour se rectifier sur la berge. Son visage se corrompit en une malice perfide.

Il porta sa main devant sa bouche avant d’écarquiller subitement les yeux. Que se passait-il ? Zane se précipita en dehors du lac, s’époumonant de la même façon que s’il venait de contracter une étrange maladie. Il éprouva de réelles difficultés à sortir du bassin, comme si quelque chose lui étranglait fermement les jambes pour l’empêcher d’y parvenir. Finalement, il porta sa main crispée à hauteur de son cœur, respirant de plus en plus avec tourment. Sa bouche était béante, ses yeux convulsés, et le pire dans tout ça, c’est que son corps semblait fondre comme du chocolat. Ses muscles se dégonflaient au profit de bras aussi efflanqués qu’une brindille, le visage devenant à son tour plus famélique que celui d’une momie. Sa teinte blanchâtre n’était pas non plus là pour être consolante. Bientôt, ce qui devait arriver arriva ; l’homme poussa son dernier souffle en levant le bras comme s’il tentait désespérément d’implorer de l’aide. La mort du Démon eut lieu une seconde plus tard puisque sa tête aussi lourde qu’une enclume s’offusqua contre une motte de terre. Que s’était-il passé pour qu’une telle chose se soit produite ? Ce trépas émouvant laissait penser qu’il avait été sévèrement empoisonné par une substance ignorée. L’eau peut-être ? Bien sûr que non ! Les longues mains du Monarque recouvrèrent très vite les yeux de la femme qui avait eu la mauvaise idée de le défier dans un jeu qu’il ne pourrait jamais perdre. Avec un enthousiasme certain, il fredonna dans le creux de son oreille comme une douce et ensorcelante victoire : « C’est quiiiiiiiiiiiii ?! » Puis il avança son visage pour asperger ses lèvres de sa bouche humide.

C’était fantastique de voir à quel point il pouvait être génial. Il reprit possession de ses mains, s’éloignant de son piquenique pour s’asseoir en position indienne. « C’est la deuxième fois que tu perds. On va jouer ce pari sur dix points. Si tu l’emportes, j’assouvirai l’un de tes vœux ; même si celui-ci est de me voir partir très loin. Si en revanche je gagne… » Il extériorisa sa magie en une sombre vague qui la fit régresser de quelques pas. Son aura était si meurtrière qu’elle pouvait s’en rendre compte sans poser les yeux sur lui. « Si je gagne, je volerai une partie de toi. » Venant d’un Démon, cette notion était très vague. Zane pouvait lui arracher tous ses doigts un par un ou au mieux, la priver de ses jambes simplement en pliant l’index. Il pouvait tout aussi bien lui prendre d’autres choses moins tangibles telles que sa fierté, son honneur ou encore son âme. Les choix étaient variés et ne manqueraient pas de faire appel à son imagination expansive. Un nouveau plan vint d’ailleurs se graver dans sa tête malsaine. Jouant de ses doigts comme un pianiste invétéré, la bête fit poindre cinq gobelets dans sa main gauche, suivie d’une bille aux reflets dorés et transparents dans la seconde. « Viens t’asseoir près de moi. N’aie pas peur. » Il plaça la sphère sur un sol plat et le referma grâce à l’un des godets. « Jouons de cette manière : si tu trouves la baballe, tu auras le droit de m’exiger ce que tu veux. Sinon, je te montrerais qui je suis vraiment. » Sans plus attendre, le Démon mélangea les récipients sereinement avant d’endiabler ses gestes dans un ballet inattendu. L’œil nu n’était pas assez vif pour le capter.

Défi réalisé:

C'était facile de se prendre au jeu, de se laisser tenter de la sorte et de se laisser envouter par ce beau parleur. Le démon était un partenaire de choix. Il avait beau être exaspérant, il n'en était pas moins fascinant. Helly avait pour elle cette faculté à pousser le vice lorsque la situation lui plaisait plus que de raison. Et au diable la raison lorsqu'un adversaire aussi joueur venait à la tenter de la sorte. Il y avait quelque chose de l'ordre du masochisme dans cette approche et peut-être était-ce pour cela qu'elle lui tenait si bien tête. Ce n'était ni de l'aplomb, ni de la fierté, mais une sorte de plaisir malsain dissimulé pour mieux lui voler cette attention qu'elle cherchait tant à provoquer.
Son sourire s'agrandit alors que son regard se perdait dans les courbes et creux du corps du démon. Il y avait de quoi tomber sous le charme de cette plastique parfaite et cette promesse de domination qui s'annonçait de plus en plus à la hauteur de ses espérances. Si il cherchait à la soumettre, elle ne demandait qu'à être dominer, car tel était son jeu préféré, celui de la soumission proche de la perversion. Noyée dans la contemplation des perspectives des plus appétissantes qui s'offrait à elle, Helly ne remarqua les prémices du petit tour qu'il venait de lancer. Elle écarquilla les yeux en le voyant se flétrir comme une fleur fanée et se figea dans un frisson d'effroi sans comprendre les raisons qui l'avaient mis à mal. Dans un stupide réflexe dû à sa bonté d'âme, elle tendit son bras vers lui, avant qu'elle ne referme son poing en le ramenant contre sa poitrine. Il était trop tard, tout c'était passé extrêmement vite pour qu'elle n'agisse. Il y avait de la déception dans son regard, elle qui le pensait à la hauteur, n'en était pas moins déçue de cette infortunée disparition. Alors qu'elle soupirait, quelqu'un obstrua son champ de vision. Des mains fermes et chaudes qui firent perler tout son corps dans un lancinant frisson. La voix et le ton utilisés lui rappelèrent bien vite celle de l'agaçant trouble-fête la faisant sourire outrageusement. Il se joueait d'elle en perfide diablotin, la faisant secrètement frémir d'excitation. Si il s'amusait ainsi avec elle, elle ne donnait pas cher de sa résistance. Elle écouta d'une oreille distraite les règles qu'il commençait à énoncer bien trop obnubiler par la vision qu'il lui offrait. La vague d'énergie qui freina les pas qu'elle avait amorcés, la fit sourciller. Tandis qu'elle se protégeait de cette démonstration de puissance en se protégeant de son avant-bras, tout son corps répondit dans un spasme d'excitation. C'était une énergie sombre et assassine, lui donnant la chair de poule, alors qu'elle fermait les yeux pour en apprécier toute la puissance de son interlocuteur. Elle pencha sa tête sur le côté dans un sourire tout aussi machiavélique que l'instigateur de cette démonstration de force. Il ne semblait pas encore avoir perçu la potentielle ascendance qu'il avait déjà sur elle, lui conférant l'assurance de faire monter encore les enchères. Helly s'approcha avec méfiance, jugeant d'un regard sombre le démon installé en tailleur. Ce qu'il proposait semblait piper d'avance ne laissant que peu de chance à la bélua de remporter cette manche. Elle s'installa à son tour, à genoux, les mains posées sur ses cuisses. Le corps légèrement pencher vers l'avant, ce n'était pas les balles qu'elle regardait, mais le yeux du démon.

- Pourquoi jouer si tu es sûr de ta victoire? Il n'y a aucune excitation à cela… Et puis si tu veux me prendre quelque chose, je doute d'avoir les moyens de t'en empêcher, précisa t-elle d'une voix mielleuse.
Elle étira ses lèvres dans un sourire espiègle soufflant les prochaines paroles avec un plaisir non dissimulé.

- Pourquoi pas pimenter tout cela? Et donner de ta personne également… Tu as l'air d'avoir besoin de distraction…
Elle devina l'intérêt dans le regard de son interlocuteur lui donnant un regain d'assurance pour poursuivre.

- Je ne suis peut-être rien pour l'instant mais j'ai en tête de grandes choses… Peut-être peux-tu lire en moi?
La tête penchée sur le côté, elle laissa glisser ses cheveux nivéens le long de son corps, tandis qu'elle fermait les yeux dans un soupir lascif.

- Ne voudrais-tu pas posséder tous mes pouvoirs à ce moment là? Et même avant? 

Toute diablerie — qu’elle soit faible ou au contraire ferme — devait semer le doute dans l’esprit de la personne qui y était confronté. En tant que cible, la jeune femme devait briser toutes les limites qui étaient siennes pour transporter le jeu auquel elle s’aventurait malgré elle dans une autre dimension. Défaire ou être défait n’étaient que les conséquences de l’acte qui prendrait fin au terme de la soirée, mais rien de tout cela n’avait d’importance, car en tant que prédateur, Zane ne cherchait pas à mettre ses vices à profit pour assurer son ascendance sur elle. Il savait ce qu’il valait depuis bien longtemps, par conséquent il n’avait plus besoin de faire ses preuves à quiconque dans ce monde. Seuls les Dieux pouvaient en outre lui houspiller un manque d’ambitions, car quand bien même il était au sommet de son art, il cherchait encore à franchir cette frontière pour se situer au-delà des lisières communes. Comme un père qui mettait tout en pratique pour éduquer ses enfants, c’est un peu de cette manière qu’il évaluait la capacité d’une personne. Nombreux étaient à l’avoir déçu lors d’un test de performance, c’est pourquoi il se méfiait toujours des nouvelles têtes qu’il mettait à l’épreuve. Elle pouvait se penser plus belle qu'un citoyen lambda, plus dangereuse ou encore plus téméraire, il n’en demeurait pas moins qu’il s’agissait d’une moyenne. Le Démon, lui, avait dépassé ce stade depuis une éternité. Les femmes ne lui procuraient plus le même effet qu’autrefois. C’est à présent lui qui faisait main basse sur tout ce qu’il souhaitait, et rares étaient les jouvencelles à pouvoir lui refuser quoi que ce soit.

Si d’aventure il consentait à lui imposer un suicide dans l’immédiat, elle aurait peu de chances de pouvoir résister à l’envoutement. Peut-être qu’elle voulait le voir au summum de ses aptitudes, auquel cas elle jouait avec le feu, un feu qu’elle ne pourrait probablement plus éteindre si elle venait à le toucher de trop près. « Je ne joue pas. Du moins, pas encore. Le doute est l’essence même d’un jeu. Vais-je remporter la partie, ou la perdre ? Le hasard peut décider à lui seul de cette issue, mais c’est principalement le parieur qui mise toute sa fierté en jeu pour être le meilleur. » Il marqua une pause en tapotant de son index sur le haut du gobelet, dans un rythme lent et sinistre. « Quelle recrue penses-tu être, Helly ? C’est bien comme ça que tu t’appelles, non ? » Il s’arrêta, obliquant sa tête sur le côté avec un sourire de diablotin. « Tu as une proposition à me faire ? » Si elle avait vraiment une idée derrière la tête, elle devait la lui présenter. Il pouvait certes requérir de nombreuses contributions émanant d’elle, mais elle avait davantage à gagner en étant à ses côtés que l’inverse. Vu la position qui était la sienne, ses services comportaient un certain prix qu’il était préférable d’envisager avant son achat. L’homme avait toutefois envie de s’amuser et de voir jusqu’où elle était en mesure d’aller en sa compagnie. Se distraire avec un novice est une chose qu’il est facile de faire, mais le faire avec un expert en la matière en est une autre.

Se projetant vers le lac dans un cumulus de noirceur, il récolta de l’eau grâce à l’un des récipients qui n’avaient finalement pas servi au jeu qu’il avait désiré mettre en place un peu plus tôt. Il s’avança à pas feutrés jusqu’à elle, arrachant l’un de ses multiples bijoux pour renverser un liquide qu’il contenait à l’intérieur. Le mélange se fit avec un second produit qui dériva d’une potion, cette dernière se manifestant de nulle part entre ses mains. Il tendit le réceptacle à Helly. « La parlote est une bonne recette, mais personnellement je préfère de loin l’action. Tu as certainement eu beaucoup de conquêtes dans ta vie, et tu es indubitablement très intéressante pour le commun des mortels, mais ça ne suffit pas avec moi. Je ne vise que l’excellence, par conséquent, j’aimerais confirmer ou affirmer de ta position. De cette façon, je pourrais savoir si je perds mon temps en restant ici à tes côtés. Le produit que je te propose peut avoir des effets néfastes sur ton corps, ou bien au contraire te procurer un certain… plaisir. En fait, je n’en sais pas plus. Ce que je sais c’est que tu vas devoir le boire, ensuite seulement tu pourras me prouver de quel bois tu es faite. Ai-je été assez claire ? » Ce n’était pas une blague. Pour rendre sa vie un peu plus palpitante, Zane portait constamment sur lui des potions aux effets méconnus, si bien qu’il était le plus souvent en mauvaise posture à cause de ses extravagances. Quoi qu’il en soit, il avait posé ses conditions. À elle de les accepter ou non.

La bélua observait le démon à s’en bruler les yeux. Il y avait quelque chose en lui de l’ordre de la fascination. Comme si elle avait scrutait un peu trop longtemps un soleil trop brillant, il venait d’occulter le monde autour d’eux dans une curieuse sensation que la réalité lui échappait dans un tourbillon noir. Aveuglée et soumise, elle but cependant chacune de ses paroles, ne les comprenant que partiellement. Ses mots résonnaient en elle comme un sort enveloppant son âme. Une complainte diabolique bien enivrante qui aurait sans doute fait mouche s'il ne l’avait pas subitement éveillée.
Son nom fit vaciller cette emprise surnaturelle, dans un froncement de sourcil qui endeuilla son enthousiasme. Helly avait oublié l’espace d’un instant face à qui elle se tenait. Elle, la bélua, lui, le démon, deux êtres à l’extrême opposé par tant de choses, ne serait-ce que l’immensité du fossé creusé par la différence de leurs pouvoirs.
Son regard descendit vers le sol qu’elle balaya dans un profond soupir.
Que pouvait-elle proposer qui aurait pu l’intéresser?
L’orgueil était loin d’être ce qui la caractérisait, pourtant, son regard remonta brusquement sur lui dans un regain de force qu’elle puisa dans sa plus grande crainte.
N’être rien, pour rien ni personne, abandonnée et seule… Helly le craignait plus encore que la mort elle-même.

- Il y a bien des parties à mener en une seule vie et il est bien aisé de prendre ce qui est déjà… Mais quand est-il de ce qui n’est pas encore? Le pari est de prendre ce qui sera un jour… Parier sur le devenir d’une personne est bien plus exaltant qu’arracher une maigre mise… Je n’ai pas la prétention de posséder quoi que ce soit qui pourrait t’intéresser, souffla-t-elle en plaçant une mèche de cheveux derrière son oreille. Mais un jour viendra où je suis certaine que cela sera différent… La roue tourne. Les races se font et se défont. Les alliés retournent leurs vestes, et ceux qui étaient nos amis deviennent nos ennemis. Avoir l’assurance d’une carte à jouer, quelle qu’elle soit, pour un démon, est l’assurance d’une longue prospérité.
Ses propres paroles la firent frissonner. Elle ignorait ce qu’elle mettait à proprement parler en jeu et cela avait quelque chose de tout aussi fou que suicidaire.
Helly ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur les raisons d’une telle décision. Était-ce l’aura si attrayante du démon ou bien une chose plus insidieuse en elle qui l’avait poussé à formuler cela?
Il était bien difficile de répondre même pour elle.
L’enfant de Phoebe avait bien des défauts, dont celui de flirter avec les frontières de la raison. Une attitude bien risquée en ces temps si troublés et devant pareil interlocuteur, mais quoi de plus naturel lorsque la seule chose qui avait de l’importance en ce moment précis était de répondre au démon.
Si elle avait eu plus de recul, elle aurait sûrement compris le piège qu’il lui tendait. Elle aurait pu éviter de chercher son attention, si seulement elle ne s’était pas sentie rejetée à ses dernières paroles.
Ses lèvres s’étirèrent dans un sourire débordant de spontanéité. Amusée par sa folie, elle détourna ses yeux en prenant appui sur ses mains. Penchée vers l’arrière, elle pinça ses lèvres dans une brève hésitation avant de perdre toute contenance face à la prise d’initiative du démon.
En un battement de cils, il avait disparu de sa vue pour revenir avec la même aisance devant elle, la laissant totalement hébétée.
Elle papillonna des paupières complètement ahuries par ce qu’il venait de se passer et intensifia son effarement à la suite des propos de l’outrageante créature.
Pensait-il réellement qu’elle tentait de le séduire?
Il était diablement attirant certes et surement à la hauteur de bien nombre de ses fantasmes mais il ne s’agissait pas de cela.
La fascination était quelque chose d’assez imprévisible et dans le cas présent plus que normal. La tentation faisait partie de l’attirail de bien des démons et Helly aimait ce qu’il se dégageait de lui. Pourtant, ce qu’elle voyait en lui dépassait cela.

- Des prétendants... Répéta-t-elle plus pour elle-même que pour lui.
Bien étrange conclusion en vue du parcours chaotiques de ses relations avec les autres mais cela était bien moins étonnant que la suite.
Elle fronça les sourcils à la dernière mise en garde du démon et attrapa le gobelet sans l’ombre d’une hésitation, avalant la totalité d’une traite, épanchant sa soif de curiosité et son envie de lui prouver qu’il n’avait pas tort de rester.
Elle le regretterait sûrement mais pas autant qu’elle aurait éprouvé du remords à ne pas se laisser tenter par aussi beau parleur. Il était le premier à repousser les limites et à lui demander de faire ses preuves. Les règles étaient floues, dangereuses, voir suicidaires… Peu importaient à présent les répercussions d’un tel acte. Les dés avaient été lancé et elle jouerait cette partie jusqu’au bout.
Si elle avait fait preuve de courage ou de folie, en serait-il de même pour lui?

Adroitement, le Roi de la farce caricaturait l’indifférence, tant dans ses propos que dans ses interactions avec ce qui l’entourait. Pour quelle raison restait-il ici à deviser de tout et de rien sans aucun but précis ? Si tuer le temps semblait être l’option la plus favorable, il n’en était rien. À tout moment, il pouvait quitter la place en laissant Helly derrière lui. La seule explication qui accentuait sa patience n’était nulle autre que le cran avec lequel elle le défiait pour simplement oser se prêter au jeu de toutes ses revendications insalubres. Extravagant au-delà des orées, il appuyait sur différents boutons, déclenchant de cette façon diverses mécaniques aux terminaisons bien distinctes, et ce pour la simple curiosité de savoir jusqu’où la machine irait avant de dysfonctionner. Les mots qu’elles échangeaient avec lui traitaient d’une certaine solitude. Il ressentait cette prise de risque comme une confession affirmant d’une perte qui ne pourrait pas l’atteindre. Si le profil s’avérait exact, alors c’est tout à fait ce qu’il prospectait chez ce type d’individus. « Tu deviens très philosophique, ce qui n’est pas pour me déplaire. Tu prétends aimer collaborer avec le danger qui t’entoure, c’est effectivement un état d’esprit appréciable. Tu assures pouvoir m’être bénéfique un de ces jours, c’est tout à fait envisageable. La seule faute dans ton discours, c’est le terme que tu as utilisé pour me définir. Je ne suis ni un Démon ni un homme. Je suis une bête parmi les hommes, un loup perdu au milieu des brebis. Que suis-je exactement ? hm. Vois-moi comme une chimère. Après tout, je suis né de la magie dans le ventre des ténèbres. J’ai le corps d’une divinité, l’esprit d’un renard et l’aura d’un monstre. Je suis... »

Alors qu’il se dissipa en une multiplicité d’étincelles bâtie à partir d’une tornade, il disparut la seconde d’après pour réapparaitre au même endroit avec lui aussi une fiole entre les doigts. « Le grand Z. » Afin de s’engager également sur le terrain glissant de la vicissitude, il rejoignit la Bélua en avalant tout son contenu. Tous deux méconnaissaient leurs effets, y compris celui qui en était à l’origine. En tant que pseudo-scientifique, l’un de son passe-temps saugrenu consistait à composer des créations alchimiques. Certes, à l’aide de certains spécialistes — pour que celles-ci ne soient jamais mortelles —, mais dont les propriétés ne lui étaient jamais divulguées. Dans les nombreuses besaces qu’il possédait, il disposait tout de même de potions aux résultantes expérimentées. Aussi dingue qu’il fût, il demeurait tout à fait conscient que sa vie ne pouvait pas dépendre d’une incartade suicidaire. Quoi qu’il en soit, les conséquences de ce jeu considérablement excitant lui concédèrent une mutation pour le moins inattendue. En effet, sa peau se flétrissait à vue d’œil, octroyant lentement au corps du Démon une apparence d’homme mûr, très mûr. De l’Apollon suborneur, il passa à celui de vieillard cacochyme doté d’une longue barbe. Sa chevelure avait toutefois préservé de sa luxuriance, bien qu’ayant égaré sa carnation bleutée lors de la transformation. Ses muscles étaient quelques peu atrophiés. « Hé hé hé... Amusant. J’ai toujours souhaité savoir ce que… je vaudrais… si je n’étais pas éternel. » Sa voix enraillée peinait à suivre la cadence habituelle de sa locution.

Se penchant laborieusement à cause de son corps dépassé, l’homme ramassa un morceau de bois qu’il se servit comme d’une canne. « Au moins… nous sommes au même niveau… à présent. » Sa vue n’avait pas échappé aux conséquences de la sénilité, c’est pourquoi elle n’était plus aussi aiguisée qu’avant. Néanmoins, en dépit de ce flou visuel, il comprit que la potion qu’avait sifflée Helly lui avait procuré une certaine légitimité. Actuellement, elle seule devait être considérée comme étant la bête. Derrière cette abondance de poils se cachait probablement une jeune femme dépitée par l’expectative qu’elle avait eue en absorbant le liquide. « Prends garde de ne pas tomber sur les chasseurs… ils sont nombreux dans cette partie de la région. » Il s’esclaffa quelques secondes avant de tousser fortement. « Bien... Changeons de décor. » Il frappa l’extrémité de sa canne sur le sol à trois reprises, actionnant la téléportation qui amena le couple de dégénérés à suivre une nouvelle direction. Leurs finalités — intentionnelle ou non — de la part de son utilisateur les contraignirent à ressurgir à l’intérieur de ce qui ressemblait à un camp purgé de tous soldats. En dehors de la nuit, les yeux d’une grande variété de prédateurs étaient visibles tout autour d’eux. « Oups. On dirait que mes pouvoirs manquent de précision. » Il tenta d’avancer pour y voir plus clair, sauf qu’il trébucha sur un obstacle, se précipitant dans une chute des plus risibles. Il se releva après quelques longues secondes d’immobilisation. « Je suis désolé de te l’apprendre, mais tu vas devoir nous sortir de là. » Son sourire de vieillard corrompu semblait se complaire de cette situation inconcevable.

Le dos courbé, Helly se laissa tomber sur le sol dans une telle suffocation, que toutes ses plaintes firent étrangler avant même de lui échapper. Les effets de la potion s’étaient lentement insinuées en elle comme du venin, se propageant dans son corps au rythme endiablé de son rythme cardiaque, la laissant dépourvue de toute stratégie qui aurait pu lui éviter ce dénouement pourtant tant redouté. Ses muscles s’étaient contractés brusquement, dans une douleur qui n’en finissait plus de prendre en intensité. Un bref instant, il lui avait semblé que ses os s’étaient violemment disloqués avant de s’étirer et de s’enflammer dans des spasmes d’une intolérable douleur.
Sa vision trouble, ne lui permettait plus de prendre la mesure de ce qui était en train de se jouer aux abords des eaux si paisibles du Lac. Elle n’entrevoyait que partiellement cette métamorphose s’accomplir, parsemant ses avant-bras d’une pilosité aux reflets anthracite, tandis qu’ils prenaient en épaisseur, changeant radicalement sa nature profonde. Elle, l’enfant de Phoebe, aux caractéristiques si particulières, partageant l’apparence d’un oiseau et d’une humaine, se voyait de nouveau contrainte d’emprunter les traits d’une créature totalement méconnue.
La bélua se souvenait comme il avait été difficile la première fois, de s’habituer au corps de son totem, d’accepter cet appel profond, ce cri indescriptible qui avait bien failli la perdre. Peut-être que le démon avait surestimé les effets de la potion ou bien tout au contraire, savait-il parfaitement ce qu’il faisait .
Bien que cette réponse ait pu aider Helly à anticiper les évènements futurs, elle ne lui aurait pas permis d’éviter la nouvelle entourloupe de son imprévisible interlocuteur. À présent qu’ils avaient tous deux revêtu leurs nouvelles formes, le démon les transporta dans un lieu inconnu.
Le vieillard sénescent s’écrasa au sol, dans une chute non moins grotesque, qui ne fit absolument pas bouger d’un poil la créature au pelage sombre qui se tenait derrière lui. Ses pattes velues venaient d’écraser le crâne d’un cadavre en décrépitude. Seule la taille monstrueuse de cette extrémité de la bête, pouvait révélait la taille imposante de celle-ci. Cette différence flagrante de force à l'état pur, jouait en faveur de la bélua. Le démon était non moins affaibli par son propre jeu, du moins en apparence, et bien qu’elle n’ait encore aucune idée des nouvelles capacités de ce nouveau corps, elle n’en appréciait pas moins les avantages.
Sa gueule se fendit d’un éclatant sourire carnassier, laissant entrevoir ses canines tranchantes qui n’auraient fait qu’une bouchée de l’outrageant et misérable ancêtre qui se trainait sur le sol dans un rire macabre. Son charisme en avait pris un coup, mais le démon semblait avoir plus d’une carte dans sa manche.
Helly n’était pas dupe, et bien qu’arracher un membre à ce corps desséché lui avait bien traversé l’esprit, l’odeur qui emplissait à présent ses narines l’arrêta brusquement. Les lieux empestés la mort à dix lieux à la ronde, imprégnant son palais dans un désagréable arrière gout qui lui donna la nausée.
Dans un léger jappement plaintif, la créature qu’était devenue la bélua, se recula en baissant l’échine. Elle n’appréciait pas vraiment cette visite sur ses terres désolées et se demandait ce que pouvait bien avoir en tête le démon. Son regard ténébreux se posa sur la silhouette bringuebalante du vieillard tandis qu’une envie violente naissait en elle. L’arrogance du vieillard lui revenait au visage sous forme d’agression. C’était comme si elle ne comprenait plus ses paroles et ne se fiait seulement qu’à ses gestes. Son instinct animal prenait le pas sur sa raison, faisant taire toutes réflexions qui auraient pu freiner sa nature de prédateur. Helly s’avançait sans le vouloir, d’un pas aussi léger que sûr, prêt à bondir sur lui et laisser exploser ce nouveau totem qui criait à la liberté. Elle ne pouvait lutter contre, la bête était trop forte et cette abondance de mort ne faisait qu’accroitre l’instinct de survie de la créature qui hurlait en elle. Helly se sentait disparaitre au profit de cette effervescente envie de lâcher prise. Elle était terrorisée. Elle craignait le sourire de cet homme qui étalait sa confiance avec arrogance et défi. Elle n’oubliait pas qu’il était dangereux et par ce fait, la seule chose qui comptait, était de se défaire de ce danger, de cette soumission qui allait à l’encontre de sa nature sauvage. Elle vivante, il ne l’apprivoiserait jamais. 

La bête sentit le gout du sang imprégner sa langue, chatouillant son envie profonde de saigner aux quatre vents sa victime. Mais, il allait en être autrement, du moins dès l’instant où la voix nasillarde du vieil homme raisonna dans l’obscurité du décor sans vie dans lequel ils avaient atterri.
La bélua se résigna, reculant d’un pas et observant la meute de créatures parasites qui avaient relevaient leurs nez des cadavres laissés en putréfaction sur le champ de bataille.
Une créature affamée, se jeta sur eux dans un élan qui décida une poignée de ses congénères à faire de même. Cette vague d’attaques, libéra un cri inhumain du thorax de la bélua qui raisonna dans les ruines, dans un vrombissant glas de libération. Submergée par les instincts de la bête, elle broya à coup de mâchoire ses adversaires sans aucune pitié, transformant le sol poussiéreux en bain de sang qui n’en finissait plus de refléter l’animosité de ce massacre. 
Elle ne faisait aucune distinction entre les espèces, seule sa survie comptait et prenait le pas sur toute raison. Il n’y avait là, aucune réflexion, seulement un ensemble de gestes parfaitement maitrisés par la terrifiante créature qu’elle était devenue.
Alors qu’elle arrachait la chair encore tremblante de vie de sa dernière victime, Helly se redressa vers le démon. Son regard n’était plus le même. Il s’était éteint avec le dernier souffle de son humanité.