Mitsuko fixait le Manoir Taiji comme l'on observe un trésor. La bâtisse était le symbole de sa famille, le symbole de sa réussite. Oh, elle n'était rien en comparaison du Palais du Millénium d'un point de vue extérieur, mais il y avait tellement de richesses, tellement de mystère à l'intérieur qu'elle valait bien tous les châteaux des Terres du Yin et du Yang ; du moins, aux yeux de la Dame. Le paysage était devenu chaotique autour d'elle mais dans l'Antre des Damnés, chaque parcelle de terrain l'était naturellement. Un véritable Enfer pour quiconque y mettait les pieds en y étant guère habitué. Que faire du monument ? Si elle mettait son plan à exécution, bientôt, elle serait morte aux yeux du monde. Être privée de festivité, d'invitations et que savait-elle encore ne la dérangeait pas le moins du monde. La femme avait pris soin de se faire passer pour ce qu'elle n'était pas pendant des années. Le monde la voyait comme une alcoolique, maîtresse de la luxure, obsédée par la gloire et la réussite, obsédée par son image. Tout n'était pas faux, certes, la gloire et la réussite étaient ses penchants les plus acérés. Tout le reste, par contre, lui était bien égal. Tout ce temps à boire de l'eau colorée d'une douce couleur bordeaux l'avait bien amusé. Tout ce temps à faire croire aux individus ce qu'ils souhaitaient voir. Mais les Hommes sont bien sots. Ils ne se contentent que de ce qu'ils voient. Après tout, n'avait-elle pas été l'amante d'un Génie ô combien exquis ? Il aurait été bien idiot de penser un seul instant qu'elle n'aurait tiré aucune leçon de ce contact si précieux, de celui là et de bien d'autres encore. Aussi, depuis quelques temps, elle rendait des visites à l'Ultimage. Contrairement à ses habitudes avec autrui, elle ne la manipulait pas. Elle devait beaucoup à l'ancêtre de cette dernière, une femme qui, elle-aussi, lui avait légué des savoirs que les précepteurs qu'elle avait eu jadis ne lui aurait jamais inculqué. Edwina était dans la même posture qu'elle : une femme que son entourage pensait pouvoir manipuler sans aucun problème. Elle connaissait trop bien la situation pour infliger encore plus de tourments à la Reine. Et puis, d'une longue discussion avait résulté une promesse : celle de la soutenir quand elle déciderait de quitter le joug de la royauté démoniaque. La Souveraine des Magiciens était donc devenue une alliée importante. Dire que Mitsuko l'appréciait aurait été s'avancer un peu trop, mais elle l'aidait, à sa manière. Aussi, quelque chose la démangeait depuis maintenant quelques temps : Gaston, le fiancé que l'on avait imposé à l'Ultimage. Elle se l'était promis : avant de disparaître, elle se ferait un plaisir de l'éliminer. Mais, pour l'heure, le temps n'était pas encore à ces considérations. La Taiji se devait d'aller trouver Edwina afin de lui expliquer que le moment était venu, enfin.

Une fois arrivée au Lac de la Transparence, elle fut surprise par l'ambiance qui y régnait. Quelques questions adroitement posées lui apprirent que la sentence était enfin tombée. Ainsi donc les Archimages véreux avaient été démis de leurs fonctions. Bien, très bien. Son sourire s'agrandit. Elle n’œuvrait pas pour le bien, loin de là mais elle était hautement satisfaite que le chaton que représentait Edwina à ses yeux ait enfin décidé de montrer les griffes. Après tout, pourquoi s'attaquer au bien si l'on savait d'avance que la victoire était notre ? Quitte à engendrer mort et destruction, autant que cela soit un défi ; Sinon, les choses étaient d'un ennui mortel... Quant à la localisation de la Reine des Magiciens, cela demeura un mystère longtemps. Le peuple n'en avait aucune idée, ou, du moins si, chacun avait son idée et elles étaient tellement différentes les unes des autres que la Démone finit par en soupirer de lassitude. Finalement, les vivants n'étaient jamais d'une grande utilité. « Toi ! » dit-elle en direction d'un Esprit. Il ne l'entendit pas la première fois, non habitué à être vu des vivants. « L'Esprit ! » redit-elle d'une voix un peu plus forte, ce qui eut pour effet de stopper net dans son vol le concerné. « Je cherche la Reine des Magiciens. Sais-tu où elle se trouve ? ». Il réfléchit un instant avant de déclarer. « Si je te le dis, me rendras-tu un service ? ». « Ai-je le choix ? » demanda-t-elle, de plus en plus lasse. « Elle se trouve dans le Temple de Lyre, au sein du Cœur Bleu. ». « Et ce service ? ». « Dis à la Reine que l'ancien Archimage Sirigon est mort. Elle ne l'apprendra sans doute pas autrement puisque son corps a été entièrement détruit. Cocain a besoin d'aide, par contre. ». Mitsuko tiqua. Qui pouvait porter un nom aussi ridicule de nos jours ? « Cocain ? ». « Oh, tu ne sais pas ? ». L'Esprit se fit malicieux. « Je te connais, toi et ta lignée. Mais pour Cocain, tu l'apprendras sans doute un jour... ». Puis, il s'en alla, flottant dans les airs. La Démone savait que rien ne servait de chercher à le rattraper. Les Esprits allaient et venaient comme ils le souhaitaient. Ils parlaient, de la même manière, uniquement lorsqu'ils en avaient envie. La conversation était, de ce fait, terminée. Cependant, elle grava cet étrange prénom dans un coin de sa tête. Elle saurait, oui.

« Ultimage. » murmura-t-elle à l'intention de la concernée. Le Temple de Lyre révélait les auras, une véritable aubaine pour déceler les traîtres. La jeune femme aux cheveux de jais leva ses yeux bleus vers la Démone. « Cela fait longtemps. Je viens à vous pour vous annoncer que le temps est venu. ». Il y avait une sorte de respect entre les deux et cela se sentait dans le vouvoiement de la Démone. Parfois, elle s'amusait à le faire avec des individus qu'elle n'estimait pas, mais dans le cas présent, il n'en était rien. La Magicienne semblait réfléchir. Si les choses s'étaient passées comme les villageois l'avaient décrit, alors elle devait certainement se mettre à la place de Gaïa. « Votre Reine sera déçue, je n'en doute pas... » fit-elle. La Taiji sourit. La crédulité d'Edwina était belle à voir. « Elle n'est pas ma Reine et ne le sera jamais. Ce n'est qu'une enfant pour moi et je n'ai jamais eu l'intention de me laisser dominer par qui que ce fut qui ait comme seule vision l'étau d'une race. Je ne veux remettre en cause vos convictions, mais les miennes sont plus larges que celles-ci. ». Mitsuko n'avait jamais été pour la division du mal et du bien, elle n'avait jamais été non plus pour la création de cette chose idiote que l'on appelait la neutralité. Être neutre... Qu'est ce que cela signifiait hormis que l'on n'avait pas d'avis, un cerveau vide de toute réflexion ? Les races neutres comportaient des êtres bons et des êtres mauvais, pourquoi les cantonner à la neutralité alors ? Est-ce que les bons aimaient ce statut ? Est-ce que les mauvais pensaient pareil ? Hum. C'était idiot. De son temps, chacun choisissait son clan. L'équilibre parfait pour elle n'existait pas. Le cœur et l'esprit des Hommes penchaient forcément d'un côté. Et puis... Il y avait l'innommable, l'exception, ce qui était secret et qui, de toute façon, n'avait aucune décision à prendre. Edwina soupira. « Parfois je vous comprends. Parfois, oui, je songe à ce qui est ou non Magicien. Sommes-nous si différents des autres peuples ? Doit-on toujours vivre entre nous ? Oh bien sûr d'autres peuples habitent le Lac mais... ». « Ce qui est important, Ultimage, c'est qu'enfin vous osez vous interroger. Peu importe ce que vos questions amèneront, je constate avec plaisir que vous réfléchissez, à présent. ». Car avant, ce n'était pas le cas.  Après une courte pause, Mitsuko ajouta : « Je dois, pour vous prouver ma bonne foi, accomplir une épreuve, comme nous avions convenu jadis. Vous m'accueillez parmi les vôtres et je comprend que cela puisse poser quelques problèmes. Mais je vous promets qu'une fois que j'aurai disparu aux yeux de ma race, je ne causerai aucun dommage aux vôtres si un jour je devais venir me réfugier sur vos terres. Cela ne sera sans doute pas nécessaire cependant. J'ai une idée bien précise concernant mon avenir. L'on devrait venir me chercher. ». Elle resta mystérieuse sur ce « on » qui devait venir. Ce n'était pas une bonne idée d'ébruiter ce genre de choses. L'affaire devait rester secrète. Edwina réfléchit un instant. « Je vous fais confiance et je suis à cours de connaissance. J'aimerai que vous me rameniez une personne à qui vous faites également confiance afin qu'elle devienne Archimage. Une personne puissante et intègre, qui aura à cœur l'honneur des siens et leur prospérité. ». Mitsuko sourit. « Très bien. Je lui demanderai de vous rejoindre le plus tôt possible. ».

Aria se trouvait à présent devant une grande demeure cachée au cœur de la forêt enchanteresse. La Magicienne qui habitait ici avait fuis le régime précédent et, depuis, vivait paisiblement et simplement. Comment se connaissaient-elles ? Ce n'était pas la question, mais Mitsuko avait tout de suite penser à elle pour le rôle. Elle frappa à la porte mais, n'ayant aucune réponse, poussa le bois. A l'intérieur, une sorte de jungle se tenait, des plantes de toutes formes et de toutes couleurs zigzaguant dans l'espace et les murs. Ainsi donc n'avait-elle pas changé ? « Sophie ? ». Le silence vint, comme toute réponse. Néanmoins, après quelques pas et quelques marches de gravies, Mitsuko finit par apercevoir l'intéressée, endormie sur sa table de travail. Une Magicienne adepte de potions, voilà ce qu'elle était, et ce lieu n'était autre qu'une sorte de laboratoire géant où elle créait des plantes, mêlant plusieurs espèces pour donner des spécimens magiques. Une tape sur l'épaule eut raison du sommeil de la dite Sophie qui en sursauta. Elle était négligée, un peu à l'image de sa demeure. Ses cheveux n'étaient pas domptés et ses vêtements n'avaient pas dû être changés depuis plusieurs jours. « Mitsuko ? » dit-elle d'une voix pâteuse et surprise à la fois. « Elle-même. N'as-tu pas suivi ma renaissance ? » s'étonna-t-elle. Avant, elle se tenait informer des nouvelles du monde... à présent, rien n'était plus sûr. « Qu'importe. » finit par murmurer la Démone. « L'Ultimage m'a chargé de lui choisir une personne qui serait compétente pour devenir Archimage. C'est sur toi que mon dévolu s'est porté. Tu dois te rendre au Temple de Lyre le plus vite possible afin de la rencontrer. ». « Qu... Quoi ? ». « Ne discute pas. Je sais que tu en meures d'envie. Les traîtres ont été mis à genoux et plusieurs places ont été libérées. C'est le moment de montrer au monde quelle femme de talent tu es. ». Surtout que Sirigon n'était plus. Oh... avait-elle omis de le préciser à Edwina ? Elle sourit. « J'ai un message également que tu transmettras à la Reine et qui, je suis sûre, te ravira... ». Il en fallait si peu pour reconstruire les fondements de tout un Royaume. Aussi, Mitsuko ne douta jamais un seul instant que Sophie accepterait l'offre qu'elle lui proposait. Elle avait voué sa vie jadis à la protection des Terres Magiciennes et son influence auprès des anciens monarques avait fait de l'ombre aux noirs projets de Sirigon et sa clique. Il l'avait menacé, menacé sa famille et elle avait fuis. Sophie avait enfin l'occasion de prendre sa revanche, de crier qu'elle ne les avait pas tous abandonné mais qu'elle y avait été forcée.

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