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 L'étincelle éteinte [Solo]

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Mar 06 Jan 2015, 21:57

Ce jour-là avait commencé comme n’importe quel autre jour à Sceptelinost. Lully se levait en même temps que le soleil, comme chaque jour. Elle commençait alors à peindre et à faire un peu de violoncelle, puis la voilà qui était prête pour affronter une nouvelle journée dans l’univers débauché de cette ville. La jeune femme avait très souvent des contrats dans son quartier, presque quotidiennement ; c’était des têtes qui étaient mises à prix par quelques riches contrariés. Bien souvent, elle terminait la journée par un bon pactole qu’elle avait empoché, après avoir fait monter les contrats sur la tête soit de celui qui l’avait engagée, soit de la victime qui l’avait mieux payée. Et ça, c’était sans compter tous ses boulots de musicienne et les œuvres qu’elle parvenait à vendre… ainsi, dans la folie tourbillonnante de sa vie, la sirène avait fini par trouver une routine à laquelle se rattacher.

Ce matin-là promettait de ne pas être différent des autres. Ce fut un ciel nuageux qui accueillit son réveil. Cette dernière se leva de son lit, habillée de son pyjama dans sa chambre miteuse. En se levant, elle écrasa l’un des nombreux cafards qui avaient pris possession de la pièce.


« Ah, ces sales bêtes puantes… » ronchonna-t-elle, encore somnolente.

Après s’être vaguement essuyé la plante de son pied souillée par le sang blanc de l’insecte, elle se dirigea aussitôt vers son chevalet, où trônait une petite toile vierge. A sa droite, sa palette d’aquarelle et ses pinceaux étaient déjà prêts. Utilisant son contrôle de l’eau, elle prépara la couleur qu’elle avait en tête et commença une toile de plus. Autour d’elle, des dizaines de toiles terminées s’appuyaient contre le mur. Lully les avait toutes emballées, sachant exactement ce que chacune d’elles représentait. Elle arriverait à en vendre certaines, et quant aux autres, elle les jetterait, quand elle n’aurait plus le choix. Ou bien, elle les donnait comme cadeau de fidélité aux clients qui avaient profité de ses services de tueuse à gages.

La sirène passa à peine une heure à peindre sa toile. Quand elle l’eût fini, elle convoqua ses amis imaginaires pour entendre leurs applaudissements et leurs félicitations, ce qui la remplit de fierté. Ce jour-ci, sa toile ne détonnait pas du tout avec ce qu’elle peignait d’habitude. Comme toujours, elle était faite de teintes sombres et ne représentaient rien qui inspirait à la joie. Cette fois, elle avait peint une méduse rougeâtre, utilisant toutes les teintes possibles et imaginables de la couleur pour orner ses filaments. Quant au fond, il s’agissait tout simplement d’une crevasse qui se perdait dans les abysses ; avec un poisson-chat en fond –sa signature.

Seconde étape de la matinée, la sirène se leva non sans peine et se dirigea vers son violoncelle. Elle n’avait plus besoin d’aucune partition quand elle s’entraînait ; cela faisait des mois qu’elle rabâchait toujours les mêmes morceaux. Il fallait dire que malgré son amour pour cet instrument de musique, personne ne voulait l’entendre en jouer toute seule. C’était le genre d’instrument qui ne brillait que parmi les autres. Or, quand Lully trouvait des boulots pour animer des soirées dans divers bars dansants, les tenants n’engageaient que rarement plusieurs personnes… ses chances se trouvaient largement augmentées quand elle montrait ses talents au violon. Mais cela ne changeait en rien ses préférences en matière de musique ; c’était le violoncelle d’abord, et ensuite le violon, et occasionnellement le piano. Récemment, elle s’essayait aussi à l’ocarina, à cause d’une certaine rencontre qui l’avait marquée… mais ce n’était pas encore ça (du tout).

Quoiqu’il en soit, après s’être lentement réveillée dans son petit monde, elle se décida à s’habiller, non sans réticence, mais l’appel de la faim commençait à être trop grand. Ah, dans l’Océan, au moins, Lully n’avait pas besoin de porter ces tissus ennuyants, qu’il fallait tout le temps nettoyer (dans son cas, une petite fois par semaine) et acheter à des prix qui lui semblaient toujours trop exorbitants…


« Bon, tu viens avec moi, ma renarde ? On va regarder notre courrier, et ensuite, trouver de quoi manger dans le coin. »

Lully sourit à son compagnon imaginaire, puis elle s’arma de son manteau et de ses bottes usées pour sortir dans son quartier miteux. La tête dans les nuages, comme à son habitude, elle descendit les escaliers, sans porter attention aux personnes qu’elle croisait une énième fois. De toute façon, plus personne ne lui adressait la parole, ici : elle avait mis les choses au clair quand elle était arrivée, de la façon la plus commode pour elle et la plus compréhensive pour les autres, c’est-à-dire celle qui impliquait l’intervention de son couteau. Ce langage était universel, après tout. Pas besoin de se casser la tête avec des formules de courtoisie. Quoiqu’il en soit, quand elle fut arrivée au rez-de-chaussée de son auberge favorite, elle se dirigea vers la tenancière. Cette dernière, sans piper un mot, se retourna et alla fouiller dans ses papiers, puis elle en ressortit trois lettres. Quand Lully les empoigna, elle sembla vouloir dire quelque chose, mais sa bouche se referma dès que son regard croisa celui de la meurtrière. C’était une très bonne initiative de sa part ; la sirène était rarement encline à discutailler, et ce matin ne dérogeait pas à la règle.

Tout en sortant dans la ruelle, Lully jeta un œil rapide à ses lettres. Evidemment, aucune n’annonçait clairement sa provenance : la discrétion était de mise. N’ayant pas la tête à penser à tout cela, elle se contenta de traverser les rues au hasard, jusqu’à être guidée par une bonne odeur de soupe. Sans faire attention à la nature de l’établissement où elle allait se ravitailler, comme à chaque fois, elle alla s’asseoir dans un coin et attendit que l’on vienne prendre sa commande. La sirène demanda la soupe la moins chère qu’elle avait, et sans poisson, puis elle attendit que la serveuse disparaisse de son champ de vision pour porter plus d’attention à son courrier du jour. Trois lettres, c’était bien plus que d’habitude…


« Une nuit qui promet d’être chargée, ma petite renarde. Mmmh, mon couteau me démange déjà », marmonna-t-elle en ouvrant la première lettre.

Quand elle déchira l’enveloppe, Lully devina tout de suite de qui il s’agissait. C’était un marchand bien connu dans la ville, d’abord parce qu’il vendait des substances qui étaient spécialement prisées par les habitants de cette ville macabre, mais aussi car il avait presque le monopole sur la chose… un monopole qui n’était évidemment pas dû au hasard. La sirène jouait un rôle constant dans cette place chérie par ce dernier, en éliminant des concurrents réticents à se ranger sous sa coupe. Ses missions demandaient des jours entiers de préparation et demandaient une subtilité qui échappait un peu trop à la sirène, mais avec un peu d’aide, elle finissait par y arriver et empochait un pactole bien mérité. En général, cela lui suffisait pour survivre un bon moment. Sur cette lettre, il n’y avait qu’une seule indication
: « Adam Gorbia ». Le nom sur la tête mise à prix.

Ceci était amplement suffisant pour la sirène : elle n’avait jamais à contacter ce client, car il la trouvait tout seul. Lully ne l’avait jamais vu. Elle se contentait de tuer la cible, et du jour au lendemain, elle retrouvait dans sa chambre la récompense due, atterrie elle ne savait ni quand, ni comment dans une de ses demeures provisoires. D’ailleurs, ce client était le seul à toujours la retrouver. Autant dire qu’elle n’aurait pas aimé ne pas être de son côté… rien que pour cela, elle ne refusait jamais une de ses missions. En revanche, l’affaire serait plus compromise si l’une de ses deux autres lettres contenait un autre contrat juteux. Alors que Lully allait ouvrir sa deuxième lettre, la serveuse lui apporta une soupe à la tomate.


« Bien », se contenta-t-elle de répondre à la serveuse.

Puis, tout en commençant à manger, elle ouvrit la deuxième. Il s’agissait cette fois d’une lettre de l’organisation à laquelle elle appartenait : en voyant la signature apposée de sa famille préférée, son cœur fit un bond. Il ne s’agissait pas d’une nouvelle mission pour elle, mais d’un rapport de sa dernière mission à Stenfek. Selon l’émetteur, Lully avait fait sensation au dîner du réprouvé, et pour cause : avec la cuite monumentale qu’elle s’était prise, elle n’avait pas le souvenir de toute la soirée, mais elle savait qu’elle avait fait des choses un peu folles qui n’étaient pas passées inaperçues. Alors que Lully était dans une humeur médiocre, cette lettre lui remonta le moral comme jamais. Pour elle, la reconnaissance d’une organisation qu’elle idéalisait signifiait tout, surtout dans cette vie qui n’avait que de sens grâce à la routine qu’elle s’était façonnée.

Joyeuse, Lully prit alors la troisième lettre, qui était aussi vierge que les autres. C’était certainement un contrat. Non sans impatience, elle déchira l’enveloppe entre deux bouchées. Une fois fait, elle en tira le contenu puis le déplia. Quand elle lut les deux petits mots qui y étaient inscrits, son sang ne fit qu’un tour. Ses yeux s’écarquillèrent, sa bouche s’ouvrit, et elle aurait presque avalé de travers. A cette vue, Lully s’était tout bonnement pétrifiée, et elle ne doutait pas que son teint était devenu pâle comme un linceul. Sur le papier vierge, ces deux mots étaient écrits dans une police qu’elle ignorait encore :


« Lully Lin ».


Au bout de quelques secondes, la sirène rassembla les morceaux de son esprit. Son cerveau se redémarra lentement. Du calme, du calme… la panique ne l’aiderait pas à réfléchir. Or, garder la tête froide serait la seule solution pour mettre fin à ce problème de taille.

D’abord, un constat simple : quelqu’un avait mis sa tête à prix. C’était donc quelqu’un dans la ville qui avait quelque chose contre elle. Ensuite, une conséquence : soit elle avait donné son adresse à cette personne, donc il s’agissait d’un ancien client –une cible ratée ? un client déçu ? … soit cette personne l’avait tout bonnement retrouvée, auquel cas Lully n’était plus en sécurité, où qu’elle soit. Et enfin, une proposition : la sirène devait impérativement retrouver l’émetteur de cette menace. Ou du moins, elle devrait le retrouver avant que son tueur ne la trouve, elle. Luttant contre la panique, Lully jeta un regard à sa renarde imaginaire, qui paressait en face d’elle :


« Je dois faire vite. D’abord, mon organisation mal-fâmée. Si ça ne donne rien, un contrat pour un réseau d’espionnage. Et peu importe le résultat… mon déménagement imminent. »

Oui, voilà ce que la sirène devrait faire. Encore choquée, la jeune artiste resta encore longtemps figée devant les deux mots qui promettaient sa mort certaine. Elle ne sut combien de temps passa avant qu’elle puisse enfin digérer la menace, mais quand ce moment arriva, sa soupe était froide. Et quand ce moment arriva, sa détermination avait enfin pris la place de la panique. Lully n’allait pas se laisser faire, oh non. Lully allait découvrir ce qu’il se tramait derrière tout cela, et elle allait tuer celui qui lui voulait du mal. Comme tout obstacle dans sa vie, elle le démolirait.

C’était aussi simple que ça.
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Ven 27 Mar 2015, 13:28

Lully dévia soudain de sa trajectoire, manquant de se prendre un arbuste. Il faisait nuit noir ; c’était presque impossible pour elle de s’orienter, surtout en allant aussi vite. Mais elle ne pouvait pas ralentir. Si elle ralentissait la cadence un tant soit peu, elle perdrait la chasse, et c’en serait fini de sa vie. Cela faisait un temps infini que les deux couraient à travers les bois. Une heure, plusieurs, une demi-journée, même. La sirène n’avait plus aucune notion de rien du tout. Elle savait juste qu’elle avait commencé la traque au coucher du soleil et que la lune, son allié le plus précieux actuellement, brillait de mille feux.

Soudain, la sirène entrevit une opportunité : les arbres laissèrent place à une plaine de quelques kilomètres, mettant fin au périple compliqué dans la forêt. Sa proie était totalement à découvert et Lully n’avait plus qu’à courir sans se soucier de rien. Il ne lui fallut pas plus de temps pour réfléchir : c’était le moment idéal de se servir d’un pouvoir qu’elle n’avait encore jamais exploité jusqu’ici. Elle allait ralentir le temps, juste assez pour le rattraper, et elle mettrait fin à sa misérable vie et à tous le tort qu’il aurait pu lui causer. Ensuite, elle couperait ses membres avec son couteau, les donnerait en pâture aux renards et conserverait ses canines en souvenir. Peut-être même qu’elle les garderait dans un bocal, oh oui, dans un bocal rempli de sang.

Alors elle mit son plan à exécution. Lully se concentra comme jamais sans quitter des yeux sa proie : et, quelques mètres de course plus tard, elle eut l’impression d’aller de plus en plus vite. Elle avait réussi à ralentir le temps dans une zone assez grande pour que sa future victime ralentisse. Lully était surpuissante. Avec une précision digne d’un chasseur ivre, la sirène sauta sur le dos de ce dernier pour le plaquer au sol. Elle ne réussit qu’à toucher l’une de ses épaules, mais ce fut heureusement assez pour que ce dernier tombât. Sans son pouvoir, elle l’aurait certainement manqué.

Lully tomba parterre et roula pour amortir le choc. Son ennemi en fit de même ; et alors qu’elle se relevait et dégainait son couteau, le temps reprit son cours normal. Son ennemi récupéra la même vélocité qu’elle ; en réponse à son attaque, ce dernier se décida enfin à se battre vraiment. Il lui fit face et leva ses poings en position de défense. Quoi, il n’avait même pas d’arme pour se défendre ?! Non seulement il s’était fait avoir comme un bleu en manquant d’effacer ses traces, ce qui avait permis à Lully de le retrouver au bout d’une journée seulement, mais en plus, il comptait dominer l’ondin avec ses seuls poings et ses crocs de vampire. Lully ricana en se positionnant à son tour. Sans doute ignorait-elle qu’il était tout aussi idiot de poursuivre un vampire la nuit plutôt que le jour, alors qu’ils étaient précisément éveillés la nuit et qu’en plus, ils y voyaient parfaitement.

Tout allait se jouer maintenant. La sirène avait des dizaines de questions qui lui brûlaient les lèvres, mais si c’était pour tuer cet avorton, le fait de ne jamais avoir de réponse ne l’ennuyait guère, au contraire. On ne pouvait que se réjouir d’un problème en moins. Décidée à frapper la première, la sirène tenta d’asséner un coup de poignard dans le ventre de son adversaire ; mais, comme s’il avait prévu la cible de son coup avant même qu’elle y pense, il lui attrapa le bras et la força à laisser tomber son couteau en le lui tordant, tout en lui lançant un regard fier. Mais Lully ne restait pas sans défense : dans sa pseudo-victoire, ce dernier s’était laissé à sa portée. Sans plus réfléchir, la sirène se servit de son bras libre pour lui mettre une sacré droite. Sonné par le choc, le vampire se laissa tomber lourdement parterre, le nez déjà en sang. Alors qu’il tentait de reprendre ses esprits, la sirène ne lui offrit aucun répit. Elle se jeta sur lui et lui coinça la trachée avec son coude, tout en bloquant les mouvements potentiels de ses jambes en mettant les siennes pardessus. Sa victime avait crié : mais ici, personne ne pouvait l’entendre appart elle. Il était fait comme un rat, c’en était fini de lui. Alors qu’il se débattait autant qu’il pouvait avec ses bras, la sirène ne lâchait pas sa prise d’un millimètre, insensible à ses essais. Et à chaque seconde qui passait, elle sentait le souffle de la vie le quitter.

Les tentatives vaines de sa proie devenaient de plus en plus faibles : c’était la fin. La fin de ces tracas, de cette poursuite, de toute cette histoire qui lui avait rongé l’esprit. Maintenant, elle allait le tuer. Grisée par l’adrénaline mêlée au sentiment de victoire, Lully maintenait sa victime avec plus de ferveur que jamais… mais soudain, elle entendit des pas précipités se rapprocher d’elle. Vaguement, elle imagina qu’elle allait se faire attaquer : mais, dans un ultime espoir, elle ignora cette éventualité et ne réagit pas. Malheureusement, ce fut exactement ce qu’il arriva, et elle ne put rien faire pour se défendre. Des assaillants fondirent sur elle et lui écartèrent les bras, la forçant à libérer le vampire, qui s’écroula parterre. Ensuite, Lully eut juste le temps de voir deux silhouettes avant de se faire assommer par une troisième qu’elle ne put avoir le loisir de remarquer. Et ce fut le noir complet.


*

Dans un champ enflammé, tu cours, nue. Dans tes deux mains, il y a des torches enflammées. Des gens crient derrière toi. Des cris de désespoir, des cris d’admiration. Ils sont tous différents, mais tous te concernent. Tu continues à avancer dans ce monde dévasté. Tes sous-fifres enchaînés te suivent avec inquiétude. Puis, quand tu arrives au bout du champ, c’est Steinfek que tu surplombes. Ou plutôt, ce qu’il en reste. Les bâtiments sont enflammés, les citoyens sont torturés et tués. Et tout ça, c’est pour toi que c’est arrivé. Tu domines Steinfek. Tu domines le monde. Rien ne peut plus t’atteindre… mais soudain, les flammes des torches qui te brûlent les épaules s’éteignent à cause d’une eau glacée qui a été jetée sur toi. Qui a osé te faire ça ? Que se passe-t-il ? …où es-tu ?

Le garde balança un second seau d’eau glacée sur la figure de Lully. Tiraillée par la morsure de l’air froid sur sa peau mouillée, cette dernière quitta définitivement le monde des rêves pour revenir à la réalité. Maintenant, c’est elle qui est enchaînée. Elle se rend rapidement compte qu’elle est dans une cellule, et que la personne qui se tient devant elle avec un air diablement satisfait, c’est la personne qu’elle avait pensé tuer avant d’être assommée sournoisement. Désormais, elle préfèrerait retourner dans son monde de domination. Mais elle devinait qu’elle va passer un mauvais quart d’heure, et qu’elle ne pourrait rien faire pour l’éviter. Le vampire qui se tenait en face d’elle était calme, impassible. Elle sentait qu’il avait tout préparé. Elle sentait qu’il allait tout faire pour qu’elle craque. Lully ne savait toujours pas pourquoi il lui faisait subir tout ça, mais ce qu’elle savait, c’était que ce n’étaient pas les motifs qui manquent. La sirène avait plus d’ennemis qu’elle ne pouvait compter et elle accomplissait des méfaits chaque jour. Nul doutait qu’une rancune infaillible, et certainement fondée, se tenait derrière tout ça.

Elle n’avait pas idée à quel point ça l’était.


« Tu sais pourquoi tu es là ? C’est que tu as été très, très vilaine, ma petite Lully. » Déjà, les nerfs de la sirène étaient mis à vif : s’il y avait bien une chose qu’elle ne supportait pas, c’était qu’on lui parle d’un air condescendant de parent agacé. « Les meurtres. Les tortures. Les trafics… quand compte-tu t’arrêter, hein ? » Bon, apparemment, cet imbécile avait opté pour le monologue. Très bien. Elle le laisserait baratiner tranquillement ; cela lui laissait le temps de trouver un plan pour s’échapper. « Oh, ne pense même pas à t’échapper. Tu es dans les entrailles de la Prison des sorciers. » Lully lui jeta un regard noir. Mais désormais, elle avait une idée de ce qu’il se tramait, et c’était bien pire que ce qu’elle avait imaginé.

« S’il n’y a que ça qui t’inquiète, je retournerai volontiers dans l’Océan pour me faire emporter par la milice. J’en ai assez de rencontrer des primates bipèdes comme toi. Vous pensez m’impressionner avec vos menaces de petite délinquance, mais je n’en ai cure. Va rejoindre tes potes qui ne savent pas se battre à la loyale, comme des hommes, et laisse-moi imaginer ta petite bouche se déchirer de ta tronche pour rejoindre tes fesses de sanguinaire. Mh, tu ne peux pas savoir à quel point cette configuration t’irait mieux. Au moins, lui écouterait tes pseudo-menaces. »

Son ennemi lui sourit, pas déstabilisé d’un sou par ce qu’elle lui balança. Cela vexa Lully, même si elle évita de le montrer. En général, évoquer des choses gores dégoûtait ses ennemis, à défaut de leur faire peur. Devait-elle imaginer encore pire ? Ou changer de technique ? La sirène le regarda avec insistance, mais il semblait impassible. Pour tenter de se rassurer, elle préféra imaginer l’expression qu’il avait arboré quand elle avait fondu sur lui. Ha ! Et dire qu’elle l’avait presque tué. Même s’il semblait ne rien ressentir, il avait forcément peur d’elle. Si on lui enlevait ces chaînes, elle ne ferait qu’une bouchée de ce primate.


« Je vois que tu es bien sûre de toi… mais ne t’inquiète pas, je te ferai craquer. Et le mieux, tu sais ce que c’est ? Je n’aurai même pas besoin de te toucher. » Lully ricana une nouvelle fois, avec une confiance à toute épreuve. « Oh… »

« Encore quelque chose à dire ? Je suis prête à t’entendre une dernière fois, dans la grande bonté d'une femme qui te tuera bientôt. »

« Je remarque que tu portes encore ton alliance. Que c’est pitoyable… même lui, il ne la porte plus. »

Et il s’en alla.

Cette dernière phrase avait été comme un coup de poing dans son ventre. Cela avait dû se percevoir dans sa réaction, puis qu’il eût un grand sourire en partant de sa cellule, la laissant seule avec elle-même. Ou plutôt, avec ses démons du passé. Comment… ? Est-ce qu’il était en vie ? Après avoir été dans l’Au-Delà, Lully savait à quel point la notion de vie et de mort pouvait être relative. Quand elle avait fait ça… peut-être que son esprit était allé autre part. Peut-être errait-il quelque part, peut-être même qu’il avait réintégré un corps… était-il même responsable de cela ?!

Ou alors, il n’avait dit qu’un mensonge. Il avait fait des recherches sur son passé et fait le lien avec tous ces meurtres. Dans ce cas, c’était réellement la milice qui l’attendait. Mais elle préférait bien cela au retour d’une personne qu’elle avait haï plus que n’importe quoi dans sa vie. D’ailleurs… la sirène n’arrivait même pas à réaliser qu’une telle chose puisse se produire. Ce n’était pas possible.

Il était mort. Il l’était depuis longtemps et il le serait toujours, tout comme son passé.


« Pitié, faites qu’il soit mort. »
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Jeu 02 Avr 2015, 15:41

« Monsieur,

Cela fait maintenant une semaine que Lully Lin est dans sa cellule. Elle ne nous pose pas de difficultés, si ce n’est que je dois la forcer à manger. Plus je la connais, plus je me rends compte à quel point vous aviez raison à son sujet. Elle n’est jamais sur la défensive, mais toujours sur l’attaque. Et quand elle ne le peut plus, elle opte pour l’auto-destruction. Je crois que si je n’avais pas obtenu vos conseils, je l’aurais déjà relâchée… quoiqu’il en soit, je vous envoie cette lettre pour vous informer que l’objectif est en passe d’être atteint. Comme vous me l’aviez dit, la seule chose que nous pouvons faire pour la briser, c’est la laisser seule avec elle-même. A chaque jour qui passe, elle abandonne un peu plus son combat contre moi. Ou contre le monde entier, c’est à voir…

Je la ferai sortir dans, je pense, quelques jours : inutile de payer les sorciers plus longtemps. Personnellement, je ne rêve que d’une chose : partir de cet endroit maudit et m’éloigner de ces viles créatures.  »

*

Soudain, Lully remit les pieds dans la réalité : elle se réveilla en sursaut de son énième cauchemar. Depuis qu’elle était coincée dans cette cellule, la bague au doigt, son esprit était torturé par une pensée qui ne voulait jamais s’en aller. Elle était devenue tellement obsédante que plus aucun de ses alliés ne venaient : la sirène ne voyait plus ni sa renarde, ni son poisson-chat. Car quelqu’un les retenait, quelqu’un qui avait mis pied dans la réalité à force d’être imaginé par Lully. Son mari. Il se tenait là, dans un coin. Il la regardait de ses yeux infiniment bleus, de son regard infiniment bienveillant. Il attendait quelque chose. Mais quoi ? Que pouvait le faire partir ? Dans un souffle de désespoir, la sirène lui soufflait de partir à chaque minute. Mais il restait là. Lully entendait le son incessant de son sang qui gouttait sur le sol. Ploc, ploc, ploc… chaque goutte de sa vie s’en allait en glissant sur le poignard pour être achevée sur le sol, où elle explosait en des dizaines de particules rougeâtres. Il était à l’agonie. Mais jamais il ne ployait, et c’était elle qui faiblissait.

Oh, Lully avait tenté de poser des questions au vampire ; mais, sûrement par rancune, il n’y répondait jamais, si bien qu’au final, elle se disait que ça n’avait pas d’importance. Elle en avait deviné assez : il avait envoyé Alviss pour la tuer et, bien sûr, la torturer avant. Peut-être même qu’il viendrait l’achever lui-même. Au fond, elle n’attendait plus que ça : être achevée. Mais au lieu de ça, il y avait ce fantôme de son passé qui restait là pour lui rappeler ce qu’elle avait fait, comme un constant reproche.

Et puis soudain, une révélation la frappa de plein fouet.

Lully n’avait jamais été désolée de ce qui était arrivé. Depuis trois ans maintenant, elle remettait la faute de cela sur le dos du monde entier. De tous ceux qui pouvaient être plus heureux qu’elle : ces couples niais, ces riches pompeux, ces petites fées toutes mignonnes que la sirène avait envie d’écraser de ses petits doigts. Maintenant, elle comprenait l’origine de tous ces sentiments. Ils venaient tous de lui. Mais aussi d’elle. De sa lâcheté. Dans sa vie, elle avait toujours avancé sans rien ne se reprocher. Mais même les Aethers faisaient des erreurs, n’est-ce pas ? Se rendant compte de tout cela, Lully fut noyée dans un tourbillon de pensées plus douloureuses les unes que les autres. Et elle se mit à pleurer. Elle répétait des excuses auprès de cet homme. Ce qu’elle refoulait depuis tant d’années, c’était le deuil et la culpabilité, autant d’émotions qu’elle avait oublié ressentir. Et ses larmes coulèrent sans s’arrêter, pendant un temps que Lully ne pouvait compter. Finalement, elle se rendormit sans s’en rendre compte, les yeux bouffis et l’estomac noué.

La nuit qui suivit fut la première sans douleur. Elle se réveilla après ce qui lui semblait être une éternité. Elle n’était pas en panique, elle ne tremblait pas : elle avait juste dormi paisiblement. Et Lully en connaissait la raison. Quoiqu’elle puisse se cacher à elle-même, sa conscience en décidait autrement. Sa vie avait été une course effrénée à la recherche du bonheur et de l’oubli, mais son passé était toujours revenu à elle, ce qui, à chaque fois, l’avait conduite dans des dépressions qui se résumaient en l’accomplissement de crimes et délits divers… ce qui n’avait point dérangé à Sceptelinôst. Mais la sirène se rendait compte maintenant qu’aucun problème n’avait été réglé ; au contraire, elle avait fouillé jusqu’aux entrailles du pire d’elle-même. C’était maintenant que la page se tournait. Maintenant qu’elle se mettait face à elle-même, face à sa partie maléfique, celle qu’elle avait toujours exprimé tout en se la cachant. Lully était perdue. Qui était-elle ? Une meurtrière sans cœur ? Une sirène perdue à la Surface ? Cette dernière songea aux souvenirs qui l’avaient rendue la plus heureuse à la Surface.

Ces derniers n’étaient pas ses meurtres ni ses vandalismes, ni encore ses disputes ou ses batailles. Elle pensait naturellement à Ritournelle et à Mircella. Aux expositions de ses œuvres d’art, ou encore de la fierté qu’elle avait ressenti à la Coupe des Nations, même si elle n’avait pas gagné. Aucun de ses souvenirs ne s’était déroulé dans l’Océan. Il s’était déroulé à la Surface, et dans les moments où Lully ne pensait plus à son passé. Où, tout compte fait, elle avait été elle-même et appréciée ainsi. Néanmoins, certains autres souvenirs lui venaient à l’esprit, totalement opposés : certains meurtres de personnes de puissance lui étaient précieux également. Comment pouvait-elle se contredire autant ? Finalement, Lully se noyait un peu plus à chaque réflexion. Sa vision d’elle-même passait d’un portrait propre à un mélange discordant de teintes vives, dans lequel aucune forme ne pouvait être distinguée.


« Après avoir abandonné la colère pour le désespoir, voilà que tu es enfin calme. »

Soudain, Lully releva la tête vers le vampire, non sans difficulté. Tout son corps était endolori par le froid de la cellule et l’immobilité de la Sirène. C’était une douleur qui ne la dérangeait pas. « Je ne serai calme pas très longtemps, si t’es là. Amuse-toi, vas-y. » Son ennemi sembla interloqué par sa réaction. Il s’attendait certainement à ce qu’elle lui crache plutôt à la figure, ce qu’elle avait fait depuis le début. Pour le coup, il ne sut quoi répondre pendant un bon moment. Puis, il sembla prendre une décision et se releva. Son regard ne montrait plus aucune animosité à son égard. Il lui sembla même qu’il ressentait de la pitié pour elle, ce qui raviva vaguement sa colère. Mais elle était trop lasse pour l’attiser. Alors, elle se contenta de lui lancer un regard vide en attendant son heure.

«  Je vais tout t’expliquer. Tu es prête. » Lully fut surprise, mais elle ne dit rien de plus, installant un silence entre eux. Sa curiosité était piquée. « Tu ne l’a pas vraiment tué ; au contraire. Il est bien plus heureux dans sa vie de maintenant que dans l’Océan. Il est à Avalon. » Une fois de plus, le sang de l’ondin ne fit qu’un tour. Elle ouvrit la bouche, à la recherche d’une expression assez forte pour exprimer ce qu’elle ressentait. Mais elle n’en trouva aucune. Elle se contenta de regarder l’annonciateur de mauvaise nouvelle, les yeux ronds comme des billes. « Je vois… tu n’aimes pas les anges, c’est ça ? On ne va pas s’entendre. » « Un vampire n’est pas censé ‘aimer’ les anges, ou alors tu parles plutôt du goût de leur sang. » Ce dernier lui sourit tristement. Chaque mot que la sirène avait prononcé dégoulinait de méprise. Sans doute le prenait-elle pour une honte à sa race… comme le pensaient la plupart des gens, de toute façon. «  Peu importe, je ne m’étendrai pas là-dessus. Je suis chargé de te remettre dans le droit chemin. » Cette fois, c’en était trop : plus qu’incroyable, cela devenait absurde. Rien qu’à essayer de se l’imaginer, Lully fut secouée par un rire dément, incontrôlé. Face à cette réaction, le vampire décida d’abandonner : il sortit une énième fois de sa cellule et la laissa croupir, s’affronter avec elle-même. Elle savait comment ça se passait, maintenant : il reviendrait le lendemain avec une information supplémentaire, et ainsi de suite.

« Monsieur,

Je m’excuse d’avoir pris autant de temps avant de partir de la prison. Le prix a été réglé avec Guinn. Nous partons. J’espère vous revoir bientôt, mais pour le moment, le chemin vers la rédemption de Lully Lin est à peine entamé et bien loin d’être terminé.

Ses séquelles sont encore vives, mais elle ne me voit plus comme un ennemi. Nous avons convenu d’un premier objectif ensemble : aller au Temple des Esprits. Elle ne m’a pas encore révélé pourquoi, mais je soupçonne le fait qu’elle-même ne le sache pas encore. Néanmoins, elle n’a encore tenté de tuer personne –ni moi-même, et semble calme. Je vous tiendrai bien sûr au courant. Mais j’espère recevoir régulièrement des nouvelles de vos enfants et de ma fiancée. Bonne continuation. »

Alviss posta sa lettre et revint vers Lully, qui l’attendait patiemment. Elle était calme, oui, bien trop calme. Ses yeux étaient dans le vague, ses poignets gardaient encore les marques des chaînes. Rien qu’à les voir, ce dernier se sentit affreusement coupable. Il l’avait tellement fait souffrir… même si c’était pour son bien. Pour se remonter le moral, il pensa à son visage quand elle serait enfin libérée des chaînes qu’elle s’est imposées. Elle rayonnerait de bonheur et de spontanéité. Ce serait une nouvelle vie pour elle. Au fond, il ne savait toujours pas si cela fonctionnerait : était-ce dans sa nature de vivre comme ça, après tout ? Si oui, son cas était perdu d’avance. Mais si tout cela n’était lié qu’à son passé… c’était en passe de s’arranger. Il fallait qu’il soit optimiste. En souriant, il rejoignit Lully et lui tendit un petit sac en toile. « Sur le chemin, j’ai trouvé des châtaignes. Je les ai grillées, si tu en veux… elles sont encore tièdes. » Soudain, son sourire disparut. Elle frappa sa main en faisant tomber le sac, sans aucune pitié. Mais ce dernier, habitué à ce genre de réaction, les ramassa et les lui tendit encore une fois, s’exposant à un nouvel échec. Effectivement, elle le fit encore tomber. Alors il abandonna, puis ils partirent en direction des berges du continent. Le chemin allait être très long… et Alviss se demandait encore comment il allait arriver à être aussi loin de sa partie pendant si longtemps. Puis, il se rappela de toutes les atrocités qu’il avait fait en tant que vampire. Il pensa à la bienveillance de sa famille adoptive angélique et au pardon qu’ils lui avaient accordé. Lui aussi, il était en équilibre sur un fil, tel un funambule, qui risquait de tomber d’un côté à tout moment. Il chassait encore, et seule sa maladie inconnue lui empêchait de s’attaquer encore aux hommes. Ainsi, en l’aidant, c’était un peu comme s’il s’empêchait lui-même de retomber dans les méfaits typiques à sa race. Mais il savait qu’il retomberait un jour. La question, c’était de savoir quand et de repousser l’échéance. Lully, elle, avait toutes ses chances, au moins.

« Merci. »

Soudain, Alviss se stoppa net et regarda Lully. Elle était en train de décortiquer une châtaigne et le regardait avec un air qu’il ne lui avait encore jamais vu. Etait-il… emprunt d’affection ? Ou rêvait-il ? Et étrangement, cela le bouleversa. Le vampire baissa la tête pour cacher sa réaction et, sans répondre, se remit à marcher. Ce remerciement signifiait tout pour lui, maintenant.

C’était son unique récompense.
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L'étincelle éteinte [Solo]

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