« On ferait mieux de rentrer.» Petite voix douce et chantante, comme une mélodie fébrile qui flotterait dans les airs sans briser la quiétude d'une région calme et tranquille. Nerveuse, Juri enroulait frénétiquement ses longs cheveux sombres autour de ses doigts pâles. Ses grands yeux céruléens glissaient lentement sur les paysages des Terres d'Émeraude, avant de s'attarder un peu sur Risa. Loin d'être préoccupée, cette dernière se prélassait paisiblement dans l'eau froide d'un grand lac. « Ne sois pas si tendue. Qu'est-ce qu'on risque dans les parages? » répondit-elle simplement en laissant un petite sourire étirer ses lèvres roses. Sereine, la Rehla tressait sa chevelure d'ébène. Bien qu'elles n'appartiennent pas à la même époque et qu'elles ne soient pas réellement sœurs, les deux demoiselles se ressemblaient de façon frappante. Toutes deux étaient filles d'une Lily-Lune et d'un Caleb. Ainsi, elles abordaient une longue crinière noire, des grands yeux clairs, un visage en forme de cœur et des traits digne d'un Ange. Mais l'une avec les iris bleues, et l'autre d'un étrange or. « Mère va s'inquiéter.» insista Juri, qui avait décidé de quitter ses temps si sûr pour leur préférer un univers bien plus troublé mais où elle pourrait rencontrer ses parents. Très attachée à eux, elle avait du mal à les quitter, et par dessus tout, elle cherchait à les rendre fier. « Elle doit dormir, Juri.» L'Orine hocha la tête négativement. « Elle n'a pas l'air d'aller très bien ces temps-ci. Je n'ai pas envie qu'on lui rajoute des tracas.» Risa soupira. « Nous sommes à moins d'une heure de Maëlith. Détends-toi, respire.» - « Il est tard.» - « D'accord d'accord. J'ai compris.» - « Tout le monde n'est pas comme toi. Oiseau de nuit.» Et elles sourirent. Risa prit quelques instants pour sécher les vêtements qu'elle n'avait pas enlevé pour sa baignade, avant de se mettre en route en compagnie de sa sœur.

Les Terres d'Émeraude. Merveilleuses de jour, elles devenaient enchanteresses une fois la nuit tombée. Le ciel était d'un bleu sombre, parsemé des pointes lumineuses et scintillantes qu'étaient les étoiles. Malgré l'heure tardive, les environs rayonnaient d'une étrange clarté. Les deux demoiselles traversaient lentement les terres de leur mère en bavardant. Elles s'entendaient très bien, malgré leurs différences. « Il y a quelqu'un. Là-bas.» souffla Juri tout bas. Risa suivit son regard. Dans les hauteurs d'une butte se dessinait une ombre aux contours évasifs. La silhouette d'une femme à n'en pas douter. « Qu'est-ce que tu peux être angoissée. C'est très certainement un voyageur qui s'est égaré.» - « Et toi tu es trop naïve.» la réprimanda l'Orine en voyant la Rehla s'éloigner d'un bon pas pour s'approcher de l'étrangère. « Bonsoir. Perdue dans les méandres d'un territoire trop vaste ? » Elle sourit. Juri emboita le pas à sa sœur, muette. Mais un petit sourire ornait tout de même ses lèvres pâles. Cependant, l'inconnue n'eut guère l'occasion d'ouvrir la bouche. Au loin, un gros fracas résonna, comme un éboulement de pierres qui s'effondrait. Mais bien au contraire, un rocher entier s'élevait à quelques lieux. Avec une tête, deux bras et deux jambes, il avait plus ou moins forme humaine. Et lentement, il se mit à marcher. Ses yeux étaient brillants, et il guettait le sol. Mais ni Juri ni Risa ne bronchèrent à ce spectacle pour le moins étonnant et un tantinet effrayant. Si elles semblaient un peu inquiètes, le golem de pierre ne semblait pas en être la source.

« Où vous rendiez-vous ? Mieux vaut ne pas traîner. Des individus peu recommandables pourraient rôder.» - « Je pense qu'ils feront face à un élément dissuasif. Mais soit, on ne sait jamais. Si vous le souhaitez, nous pouvons vous conduire chez nous. Seulement, nous vous demanderons d'être discrète. Tout Maëlith dort. Et les escapades nocturnes ne seront pas foncièrement bien vu.» Juri transperça sa sœur de son regard bleu plein de reproches. L'aventurière intrépide jouait les innocentes. Quoiqu'il en soit, les deux jeunes femmes étaient vêtues de longues et vaporeuses robes blanches. Elles étaient facilement repérables.

Un petit sourire étira doucement les lèvres de l'adorable Risa. Elle acquiesça doucement aux paroles de la jeune inconnue. Vive et charmante, elle brandit le poing en l'air dans un petit saut dansant en s'exclamant : « Allons-y ! » Et elle tourna les talons dans une envolée de dentelles blanches, déjà prête à se mettre en route pour regagner Maëlith. « Risa.» La Rehla soupira en jetant un coup d'œil las à sa sœur. « Quoi encore? » - « Le Golem vient vers nous.» Risa suivit le regard de Juri qui, interdite, contemplait le nord, inquiète. Le Grand Protecteur avançait bel et bien à l'orée des bois septentrionaux. Ses pas lourds et pesants résonnaient jusque dans les tréfonds des terres, faisaient frémir les herbes hautes. Risa haussa les épaules. « Ce n'est pas grave il …» La jeune femme n'acheva pas sa phrase. Certes, elle savait que le monstre de pierre était bon, protégeait Maëlith et les Orines. Pour autant, c'était un être de magie pure qui ne se dévoilait que lorsque c'était nécessaire. Chasseur et vengeur, il ne pouvait exister qu'une raison à sa marche infernale. Quelque chose s'approchait du groupe des demoiselles. Peu importe de quoi il s'agissait, le Golem avait jugé qu'il représentait un danger. Et cela, ce n'était en rien une bonne nouvelle car le Protecteur des Terres d'Émeraude ne se déplaçait pas pour rien. « Ah.» finit par lâcher Risa. Rapidement, elle scruta les alentours. Un peu plus loin, des ombres filaient. « On cours.» Les deux sœurs se donnèrent la main et, petites gazelles, se mirent à filer comme le vent. Risa se retourna brièvement pour vérifier que la jeune fille qu'elle avait rencontré suivait bien le mouvement.

Un mystérieux péril planait sur les Terres d'Émeraude, un danger assez critique pour réveiller le Golem. Au final, il était assez rare que les Grands Marcheurs arpentent les plaines vertes et sauvages des Orines. Ils ne se montraient que si un risque pesait sur l'une ou l'un de ses protégés. Les criminels de passage étaient laissés en paix. Et voilà que l'un deux tâchait de faire son travail. Les jeunes femmes devaient se hâter d'aller au delà des frontières de Maëlith, où elles seraient en sécurité, ou tout du moins espérer que le Golem soit plus rapide que la menace. « Deux ! Il y en a deux.» Les lèvres de Juri se tordirent en une moue retenue. Au sud un autre Golem arrivait. Il devait pourchasser le même embarras. À ceci près qu'il était dans le sens inverse de son collègue. On voulait les prendre au piège. Et si les bandits ou les bêtes se tenaient suffisamment loin de la forêt, les Golems ne pourraient rien faire, car ils ne pouvaient sortir des bois des Terres d'Émeraude. Il fallait continuer à courir. Le souffle court, Risa murmura. « Ce sont des marchands d'esclaves.» Elle prit une grande inspiration. À présent, on pouvait voir les assaillants. Il s'agissait d'un petit groupe d'hommes. Certains étaient à pied, d'autres à cheval, et ils tiraient des caravanes qui devaient servir de prisons ambulantes. « Encore des ...» Juri ne prit pas la peine de terminer, préférant conserver ses forces. La suite était évidente. Bon nombre de mécréants cherchait à s'emparer des villageoises de Maëlith. En cueillir certaines étaient une aubaine. Il ne restait plus qu'à les faire parler.

Maëlith n'était pas vraiment près d'une forêt. Risa et Juri, dans l'espoir de regagner leur village, durent se résoudre à s'éloigner des bois et des Golems. C'était un risque à prendre, jouer le tout pour le tout. Malheureusement, ce fut une échec et les trois jeunes filles étaient encerclés par des hommes d'un sérieux implacable qui se félicitaient de cette première prise, projetaient la suite des évènements. Ils étaient une demi-douzaine. Bien trop nombreux pour des demoiselles épuisées par une course effrénée. Un homme, grand et fort, descendit de sa monture. Faussement poli, il ouvrit les cellules et esquissa un geste de la main. « Mesdemoiselles, si vous voulez bien vous donner cette peine … » Il n'eut pas le temps de dire un mot de plus. Après la satisfaction, la douleur intense. Les racines qui parcouraient le sol jaillirent de la terre pour fouetter et entraver les scélérats. Les fleurs et les plantes grossissaient à vue d'œil pour se faire carnivore et mordre les assaillants. Une meute de loup déboula de l'ouest pour bondir sur les bêtes des marchands et ceux encore debout. « Qu'est-ce que …? » L'homme qui avait parlé jura, furieux. « Soyons clairs. Ce sont mes filles.» Voix douce et chantante, une douce mélodie à peine murmurée mais au ton tranchant. Ceux qui se retournèrent pour voir qui avait pu parler purent la voir. Elle était là. La Vénus.

Lily-Lune Araé, debout près de la caravane, contemplait la scène sans laisser la moindre émotion teindre son visage de porcelaine aux traits d'Ange. Elle portait une longue et élégante robe rouge, blanche et noire. Ses cheveux noirs étaient remontés en un chignon raffiné. « La Reine. Alors ça ...» Le type devait y avoir une prise considérable. Alors le fou, sans se soucier de la puissance de la Souveraine, lui fonça dessus. Elle n'eut qu'à tendre le bras. Délicate, elle posa simplement sa main sur le cou de son agresseur. Celui-ci s'immobilisa quelques instants avant de s'effondrer par terre, couvert de sang. Les autres, dans un courage infini, s'enfuirent. Lily-Lune tourna simplement la tête sur ses enfants. « Pardon.» murmura Juri. Risa s'essaya à un sourire innocent. « On voulait juste aider … euh ...» Risa se tourna vers la Bélua dont elle ne connaissait pas le nom.