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 Chapitre II | Ébauche | Solo

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Eerah
Æther des Bergers et des Wëltpuffs

Æther des Bergers et des Wëltpuffs
◈ Parchemins usagés : 3537
◈ YinYanisé(e) le : 20/07/2013
Eerah
Sam 17 Aoû 2013, 07:56

D'un geste expert, Eerah traça une nouvelle encoche dans l'écorce, ajoutant une marque de plus aux quatre déjà présentes. Depuis une demi-dizaine de jours, déjà, il avait établi son camp à l'ombre des feuilles du grand chêne. C'était un des seuls arbres qui poussait dans les plaines, et il avait choisi de grandir en contrebas d'une colline, dans le creux d'une petite rivière calme. Ce qui était alors un magnifique monument de bois et de sève avait du être un jour un simple gland, qui, charrié par le courant, était venu s'échouer ici. Le hasard, ou ce que certain nommait destin, avait voulu que les conditions soit propices à son développement, afin qu'il puisse un jour abriter le Déchu. Là, au bord de l'eau, il s'était aménagé de quoi vivre, un petit feu de camp, une couche faite de feuilles et d'herbes séchées, et une branche basse en guise d'étendage, pour laver ses vêtements. Le Déchu s'y sentait bien. Une vie simple, sans problèmes, avec le strict nécessaire pour vivre. Le cours d'eau lui fournissait de quoi boire et se rafraîchir, et lorsque la nuit tombait, il sortait chasser, tel un rapace nocturne, les quelques proies qui osaient s'aventurer sur son territoire. Le reste de ses journées, il méditait, et attendait, parfois allongé dans l'herbe, ou bien immergé dans la rivière, sans savoir réellement ce qu'il espérait entendre, ou sentir. En réalité, il patientait vainement que quelqu'un, ou quelque chose, viendrait le voir, pour lui donner la clé de l'énigme que lui avait laissé le vieux Sonenzio Vilipare.

Quelques jours auparavant, il se trouvait encore en sa compagnie, dans le temple abandonné où l'ermite avait élu domicile, et recevait sa première mission en tant que disciple du vieil homme. "Contribue à ton propre savoir, gagne en expérience.". Tels avaient été les mots de son "maitre", et tel était le lourd fardeau d'Eerah, qui ne saisissait pas ce qu'on attendait de lui. Au sortir des Montagnes de l'Edelweiss, et de leur climat extrême, il s'était dirigé vers l'endroit qui lui paraissait le plus calme, le plus serein : les Terres d'Émeraude. Il espérait trouver là-bas la quiétude nécessaire à la méditation, et peut-être le déclic qui lui donnerais un but clair et précis. Mais rien depuis lors n'était venu le frapper. Ces mots restaient pour lui un mystère, un poème aux significations si nombreuses et variées qu'il ne pouvait sans se tromper en choisir une. Il était à ce point étreint par le doute, et pressé d'obtenir tout ce savoir, qu'il n'osait pas prendre de décision. Fallait-il qu'il récolte des livres, qu'il combatte des démons, ou qu'il trouve des reliques, pour satisfaire les attentes de l'ermite ? Il n'était même pas envisageable de retourner voir le vieil homme, de toute évidence, il n'avait pas la moindre intention de laisser filtrer d'avantage d'informations, et Eerah le soupçonnait même de s'en amuser. Il avait beau reconnaitre la sagesse du vieillard, il n'en était pas moins retors et paradoxal.

Et il en était là. Tracer des entailles dans le tronc d'un arbre, comme un détenu qui attendrais la fin de sa peine. Est-ce que c'était vraiment ça qu'on lui imposait ? Avait-il été accusé et jugé sans en avoir connaissance ? Peut-être qu'il vivait maintenant son châtiment; une éternité d'indécision, une vie vouée à l'attente, capitonné dans une forteresse de questions sans réponses. On aurait eu du mal à trouver pire punition pour quelqu'un atteint de son mal. Rien qu'à cette idée, le Déchu se sentait monter des crises d'angoisse. Il rangea précipitamment son couteau, et sans attendre, partit à grands pas dans les plaines. Sa marche forcée était ponctuée par de lourdes inspirations, puis expiration. Il avait besoin d'air. D'un air pur. Penser à autre chose.

Le soleil chutait peu à peu derrière l'horizon, maculant les grandes prairies d'ocre et de rouge, allongeant les ombres sans fin. Le ciel virait peu à peu au noir, et des étincelles brillantes venait consteller la voûte céleste. Tout ça, Eerah l'avait déjà vécu. Dans une autre vie, dans un autre temps. Mais les souvenirs étaient là, et il n'y avait rien de pire que de savoir qu'on avait définitivement perdu quelque chose. En lâchant un cri de rage exaspéré, il se rendit compte qu'il était inconsciemment en train de s'enfoncer de plus en plus dans la dépression. Il chassa ces idées morbides de son esprit, et se focalisa sur ce qui l'entourait. C'était un bon exercice, qu'il avait découvert la veille, en se posant au creux d'une petite vallée. Il stoppa net sa marche, et s'assit en tailleur au sol. Tout ce qu'il lui fallait, c'était du calme, le silence. Il se forçât à modérer sa respiration, décrispa ses muscles, et relâcha ses membres, comme une poupée de chiffon. Au bout de quelques minutes, les rides de contrariété qui ornaient son front disparurent, et il finit par se détendre entièrement. Les questions se turent une à une, et l'anxiété qui lui nouait les tripes s'échappa lentement, au profit d'une douce sérénité mélancolique. Il se mit à écouter le vent, l'eau et la terre, ouvrit ses sens, son odorat et son ouïe, prêt à tout capter, de la moindre vibration au plus ténu des bruits. L'endroit était parfait, presque tout ce qui l'entourait se prêtait à l'exercice. Il captait le ruissellement de l'eau, les soupirs du vent d'Ouest, les craquements du feu, la chaleur qui s'échappait lentement du sol gorgé de soleil. Au loin hurlaient les loups, chouettes et coyotes, les cliquetis des criquets, le chant des cigales. Une abeille le frôla, bourdonnant sans vergogne, une pie le survola, dans un léger froissement d'ailes.

Serein. Apaisant. Il aurait pu trouver des centaines de mots, inventer une nouvelle langue que cela n'aurait pas suffit à décrire ce qui l'envahissait, ce sentiment vigoureux qui se répandait en lui, qui rendait mielleuses ses pensées, jusqu'à ce qu'il se perde en divagations et en rêves éveillés. Dans son esprit et dans son corps, des étoiles se frôlaient, s'entrechoquaient en explosant, exhalant des senteurs épicées, des effluves d'un autre univers, vibrant d'un même cœur de chants oubliés, dans un silence assourdissant. Il voyait le ciel, il voyait la terre, la pluie et les éclairs, et dans un équilibre parfait, l'horizon lointain, pur et sans limite. Puis le noir, l'oubli. Comme pris d'un doute, Eerah glissa hors de sa torpeur, relâchant les liens, qui le reliaient au monde, à son monde. Il retrouva ses mains, ses pieds et ses jambes, ses bras et son torse, réapprenant à les utiliser, comme une lourde chaîne le gardant emprisonné de sa propre vie. Ses doigts tremblant montèrent à son visage, arrachèrent le bandeau. Pouvait-il seulement y croire, pendant une seconde ? Il ouvrit les yeux, et contempla les plaines. En vain. Les pupilles vaironnées s'ouvraient sur le vide, l'obscurité absolue, celle qui l'accompagnait depuis tant de temps. Bien sûr. Un rêve. D'une expiration empreinte de lassitude, il relâcha ses membres, et tomba en arrière, dans l'herbe accueillante. Comment pouvait-il se laisser berner, après toutes ces années ? Ces images du passé, qui hantaient sa conscience, il croyait les avoir détruites en entrant dans la Garde, en les remplaçant par des plans de batailles, des schémas alambiqués d'offensives. Et maintenant qu'il osait à peine se libérer l'esprit, elles revenaient intactes, tout comme aux premiers jours, prêtes à le torturer, à lui rappeler ce qu'il perdu en ouvrant cette porte. Pourquoi ? Sa propre malchance le dépitait, il en gémissait de douleur en se tordant au sol; pourquoi maintenant ? Il commençait enfin à vivre, à entrevoir un chemin, pourquoi devait-il encore et encore supporter les frasques de son esprit malade ? Au bout de quelques minutes, trop fatigué pour continuer à se tordre, Eerah sombra dans un sommeil comateux, les yeux entrouverts, la bouche remuant faiblement aux sonorités d'une antique mélodie. Ses murmures disparaissaient bien vite, happés par le vent, le laissant pour unique auditeur de sa propre voix.

-« Je connais le son, De chaque entité; J'aime ce que d'autres fuient. De ce noir royaume, J'ai jeté la clef; Seuls mes semblables y sont admis... »

L'identité même de celui ou celle qui lui avait enseigné ces paroles lui échappait, il se contentait de les réciter, comme une vieille tisserande, fixant sans consistance le produit de son travail lui filer entre doigts.

-« La nature chante, En un même accord; Pour moi c'est une vie, Pour d'autres la mort. Tout a été changé, abandonné; Dans mon royaume sans gaieté... »

Même l'évidente tristesse qui grippait ses propos lui était inconnue, comme si les couplets ne prenaient sens que maintenant qu'il les chantait.

-« Comme le chêne, S'enchaîne au sol; pour rester en vie, Moi je vis seul; Mon univers, est solitaire; Sur cette terre, moi je vis seul... »

Une boule vint se coincer dans sa gorge, et ses cils papillonnèrent sur ses yeux imbibés. Il se racla douloureusement la gorge, et poursuivit de sa voix basse.

-« J'ai vu le monde, De mes propres yeux; Il est bien trop sombre, bien trop douloureux. J'ai connu la peine, j'ai vu fuir ma vie; Maintenant plus de compromis... Comme le chêne... »

Les derniers mots moururent dans sa gorge, et il abaissa une dernière fois les paupières, avant de tomber de fatigue, et de s'assoupir, étendu entre les hautes herbes. Des rêves de couleurs, de lumières et d'étoiles vinrent ponctuer son souffle, affichant enfin sur son visage une paix harmonieuse, seulement perturbée par les sillons de ses larmes, grisant légèrement ses pommettes, en lui donnant l'allure d'une statue, simple et impavide.

Quand l'heure vint de se réveiller, que les prairies se couvraient d'un manteau d'or chatoyant des reflets de la rosée, le feu s'était depuis longtemps réduit à un petit tas de cendres famélique, et une partie des réserves de nourriture du Déchu avait été emporté par un animal moins farouche que les autres. Lui remuait le nez sous les assauts sans relâche d'un moucheron de prairie, intrigué par la grande masse vivante qui écrasait ses herbes favorites. Après quelques passes, coups de taille et d'estoc nasales, Eerah mit fin à la glorieuse bataille d'un éternuement disgracieux, qui envoya bouler l'indécente créature. Décidément tout à la poésie, il gratifia les plaines d'un bâillement à s'en décrocher la mâchoire, avant de s'ébouriffer négligemment le cuir chevelu. Il lui fallu une minute supplémentaire pour saisir où il s'était endormi, et encore une pour comprendre ce qui était surement advenu de son camp. Un bond de lapin et une douzaine de jurons plus tard, l'aveugle y parvenait, découvrant les restes de ses réserves, éparpillées sous les branches du chêne centenaire. Une partie de "cherche ta nourriture à genoux dans l'herbe trempée" s'annonçait. Non sans un soupir exaspéré, et une seconde bordée de jurons imagés, le Déchu commença à s'y employer. La tâche était ardue. Pas question de situer quoi que ce soit dans l'herbe grâce aux sons, les échos étaient bien trop dispersés. Quand à son odorat, il ne s'appliquait qu'à ce qui avait une odeur plus forte que celle de la terre humide, ce qui n'était pas le cas des tranches de lard séché et des quelques pois qu'il avait emmené. Ainsi lorsqu'il ne pouvait pas localiser quelque chose, il en était réduit à tâtonner. Une chose qu'il n'avait pas faite depuis ses premières terreurs nocturnes en tant qu'aveugle. Décidemment, les Terres d'Émeraude étaient propices à la recrudescence de ses souvenirs enfouis. Il repensa furtivement à la soirée précédente, et choisi délibérément de ne pas abîmer à nouveau dans ses sombres traumas,   en s'adonnant complètement à sa tâche ingrate. Une quarantaine de minute plus tard, la majeure partie de son stock était amassé près du feu ravivé, et il continuait de ramper à tâtons, se demandant chaque seconde s'il restait effectivement quelque chose à trouver. Il lui fallu une dizaine de minutes pour arriver à se persuader du contraire, et de s'asseoir lourdement sur une des racines du grand arbre, les mains teintées de chlorophylle et son pantalon à moitié déchiré. Il était sur le point de lâcher un de ses sempiternels soupirs, lorsqu'une voix chantante jaillie de nulle part manqua de peu de lui causer une crise cardiaque.

-« Bonjour, Eerah. »


2039 Mots


Chapitre II | Ébauche | Solo GqzDWY

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Eerah
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Eerah
Sam 17 Aoû 2013, 08:10

D'ordinaire, les Terres d'Émeraude étaient un endroit calme, silencieux. Il n'y régnait que les chants des blés, vibrants d'insectes. Or ce matin-ci, c'est à un tout autre orchestre qu'eurent affaire les chiens de prairies et les tourterelles. Pendant une seconde, on pu entendre à plusieurs kilomètres le glapissement du Déchu. C'était le genre de cri que l'on pouvait pousser après s'être encastré le petit orteil dans une table basse, ou bien quand une voix venue de nulle part venait s'adresser à vous sans prévenir. En occurrence, la brutale exclamation lui avait échappé tandis qui se redressait d'un bond fort disgracieux. Eerah, depuis qu'il avait perdu la vue, et même auparavant, détestait les surprises. Elles annonçaient souvent chutes, coups ou trahison, en aucun cas une bonne nouvelle, et toujours un rythme cardiaque bien trop élevé à son goût. Il s'acharna presque une minute entière à déclamer non sans rage le moindre juron qui lui passait par la tête. Quand enfin il reprit le contrôle de son souffle et la maîtrise partielle de ses émotions, il leva la tête vers un éventuel interlocuteur, sans parvenir à déterminer d'où avait surgi la voix.

-« Bordel. Qui êtes-vous ? »

Ses mots s'échappaient encore par saccade, insistant sur chaque syllabe, comme pour signifier verbalement son mécontentement. Le vouvoiement employé était plus du à une habitude à la peau dure qu'à une réelle forme de déférence ou de respect. Il ne fallut pas une seconde pour que la réponse sonne.

-« Oh, je t'ai fait peur ? J'en suis désolée. Je croyais que tu m'attendais... »

C'était une voix de jeune femme, presque de fillette, mais, loin d'être humaine, elle résonnait comme un concert de sons cristallins, comme une pluie douce frappant un millier de tubes de verre en une agréable mélodie. Cependant, si elle eut effectivement un effet apaisant sur le Déchu, il prit encore quelques secondes pour se calmer, les mains sur les genoux. La colère s'effaça sous une lassitude renouvelée, due à son réveil récent et à la suite ininterrompue d'événements désagréable qui lui tombaient dessus depuis la veille.

-« Quoi ?.. Mais je ne sais même pas qui vous êtes, comment vous êtes arrivée là sans que je vous entende, ou vous sente... Et vous connaissez mon nom en plus... »

Encore et toujours ce vouvoiement. Et elle venait pourtant de le tutoyer, l'enjoignant donc à faire de même. D'autres questions venaient pourtant s'emparer de l'esprit d'Eerah, à son grand dam, alors qu'il pensait réussir à passer une journée sans trop se torturer. Raté, se dit-il. Un malaise profond vint l'habiter sans attendre, avide de réponses. Las et torturé, l'aveugle retourna s'asseoir sur son banc d'écorce improvisé. La voix reprit, toujours inconnue et introuvable. Elle émanait de partout à la fois.

-« Hum. C'est plus grave que ce que j'imaginais. Je suis celle que tu attendais... Ta révélation. »

L'ange noir releva la tête avec un rictus sceptique.

-« ... Ma révélation ? Vous allez me donner toutes les réponses à mes questions ? Me conduire sur le chemin de mon destin, etcetera ? Dites-moi, petite voix, vous ferez ça pour moi ? »

Quelques heures auparavant, il aurait peut-être accepté cette aide providentielle avec joie, sans poser de questions ni même s'interroger sur l'improbabilité de la situation. Mais le doute avait déjà planté ses griffes, et il redoutait une nouvelle mise à l'épreuve, ou une autre moquerie de la part de son maître. Pour la première fois depuis le début de la "conversation", il perçut une émotion chez son interlocutrice. Légèrement outrée, elle se récria :

-« Je ne m'appelle pas 'petite voix' ! ... J'ai un nom. Avril. Et oui, je suis là pour t'aider ! »

Elle était pour le moins convaincante. Son petit ton froissé, à la limite de l'indignation, la rendait au moins un peu plus vivante. Eerah commençait presque à y croire, et pris d'un doute, il fit en sorte de ne pas perdre sa meilleure chance. II prit sur lui même, et étira un sourire amusé, avant de reprendre sur un ton plus badin.

-« Si vous voulez m'aider de nouveau à l'avenir, tachez de prévenir un peu plus... Doucement ? »

Elle répondit en ronchonnant :

-« Oui, j'ai bien vu... J'ai pas fait exprès, et puis c'est ma première fois, alors un peu de compréhension, s'il te plait. Je suis sensée te donner de quoi avancer avant ce soir, on va avoir à faire. »

Le Déchu en était bouche bée. 'Avril' était bien moins impressionnante que lorsqu'elle lui avait adressé la parole pour la première fois. Elle semblait bien moins sûre d'elle, et pour couronner le tout, il ne comprenait plus rien. Pire encore, elle venait de soulever un bon millier d'autres questions, de quoi rendre fou l'infortuné. Il ne tenu pas une seconde avant d'exploser.

-« Quoi ?! Votre première fois de quoi ? Pourquoi moi, pourquoi maintenant, pourquoi ici ? Non, en fait, juste POURQUOI ? Et pourquoi BORDEL, pourquoi suis-je incapable de vous tutoyer ? »

Et voilà, il avait craqué. Il n'en était pas fier, mais c'aurait été mentir que de prétendre que ça ne lui avait pas fait du bien. Trop de pression accumulée, et sa Révélation qui venait par dessus, c'en était trop. Une fois sa tirade terminée, il regretta quelque peu son éloquence. Avril n'avait pas réellement, quoi ou qui qu'elle soit, mérité ça. Elle avait seulement eu la malchance d'être le premier être doué de parole qu'Eerah ait rencontré depuis son entrevue avec le vieux Vilipare. Haletant, il demeura quelques instants en suspens, avant de lâcher un hasardeux :

-« ... Désolé ? Je ne contrôle pas ça... Avril ? »

Si le Déchu ne voulait pas se l'avouer, c'était pourtant un fait : Il se sentait stupide. S'il avait vexé son unique chance d'avancer, et qu'elle refusait de lui parler de nouveau, il ne lui restait plus qu'une solution. Avec un air sombre, il effleura doucement le pommeau de son poignard. Plutôt en finir vite que d'endurer cette folie plus longtemps. Il n'eut heureusement pas à en arriver là, puisque la demoiselle éthérée finit par faire retentir sa voix de nouveau.

-« Je suis désolée... Je ne suis pas habituée à tout ça, et on m'avait prévenu de ton cas... Ne t'énerve plus s'il te plait... »

Pleurnicharde, presque suppliante, et donc à la limite du supportable. Il acquiesça vivement en lui promettant de se contrôler, et elle poursuivit enfin.

-« Bon... Alors, un des oracles t'as pris sous son aile. En conséquence, tu mérite une aide extérieure, au moins pour t'aider à progresser. Je suis là pour ça. Quant au vouvoiement, c'est une histoire d'enchantement, de magie, tout ça... Moi-même je ne peux pas faire autrement que de te tutoyer. Une lubie de Ceux D'En-Haut, je suppose... »

En voyant l'air d'Eerah, elle dut sentir qu'il était de nouveau prêt à craquer, puisqu'elle enchaîna précipitamment :

-« Donc dans l'objectif de te former, je vais te confier le savoir absolu. »

Un silence. Le cœur du Déchu s'était arrêté. Il observait le vide, mâchoire décrochée, sans plus savoir quoi dire. Il finit pourtant par lâcher quelques mots hésitants :

-« Que... Je... Mais pourquoi ? Enfin, je veux dire, oui, allez-y ! »

C'était trop beau, trop parfait ! Au diable le travail, les efforts, il voulait tout, maintenant ! Il s'était relevé d'un bon, regardait le ciel, impatient. Non, décidément c'était bien trop beau. Il désenchanta vite quand Avril parla.

-« Oui... Alors j'ai peut-être omis de préciser un détail... Le fait est que tu ne garderas aucun souvenir de notre entrevue, ni de ces connaissances... »

Il en resta bouche bée. De sa gorge pointa un minuscule :

-« Hein ? »

Comme honteuse, elle continua d'une petite voix :

-« Oui, nous agissons dans l'ombre, et aucun aventurier de doit se souvenir de notre passage. C'est un peu bête, hein, mais en réalité je vais surtout t'indiquer une route, ton subconscient devra faire le reste... »

Cette fois, point de murmure, et ce fut un rugissement bruyant qui éclata dans sous les feuilles :

-« QUOI ?! »

C'était inadmissible, inacceptable. Son sang bouillait, ses phalanges était blanches à force de serrer les points, et il s'était mordu la langue, une goutte vermeille perlant au coin de ses lèvres. La jeune 'femme' s'écria, affolée :

-« Tu avais promis de ne plus t'énerver, et... et... oh et puis zut ! »

Toute la colère d'Eerah disparut. Tout comme sa lassitude, et sa tristesse. Et toutes ses émotions, ses questions, ses sensations, pensées. La dernière chose qui sentit fut un éclair de chaleur dans la poitrine, et ses yeux illuminèrent de l'intérieur. Puis le déferlement commença. Une à une, puis par dix, cent, mille, et bien plus encore, les données affluèrent dans son esprit. Il emmagasinait le savoir à la vitesse de la lumière, comme un livre vierge assoiffé de lettres et de connaissance. Tout, absolument tout lui était révélé. Des lois majeures de la nature aux moindres pensées de tout ce qui avait été, qui était et qui serait un jour. Il ne parvenait pas à en traiter la moindre fraction, son esprit n'était qu'un seul réceptacle qui se remplissait de plus en plus vite. Mais aussi véloce qu'était son apprentissage, il resta là, à genoux, pendant trois jours, trois jours entiers sous le regard invisible d'Avril, qui se contentait de le protéger des assauts extérieur des animaux de la plaine. Si on l'avait gratifiée d'une enveloppe physique, on aurait sûrement pu la voir faire les cents pas, en se mordant la lèvre inférieure. Le Déchu, lui, n'avait aucun répit. Si de l'extérieur, on aurait pu jurer qu'il n'était que figé dans une position de prière, son for intérieur était brisé et reconstitué sans cesse par le savoir qu'il accumulait, dans une tempête d'une violence inimaginable. Au soir du troisième jour, ses paupières se fermèrent brusquement, et il tomba, face contre terre, dans un bruit mat. La nuit était déjà tombée sur les débris de son camp. Tout ce qui pouvait lui rester de comestible avait depuis longtemps disparu, et les braises du feu n'étaient plus qu'un lointain souvenir. La voix cristalline retentit de nouveau autour de lui.

-« ...Eerah ? »

Il n'y eut tout d'abord aucune réponse. Puis un léger rire se fit entendre, qui s'amplifia, encore et encore, jusqu'à devenir un véritable concert d'hilarité. Le Déchu roula sur le dos, la poitrine secouée de spasmes, des larmes aux yeux. Pendant une longue minute, rien d'autre ne vint perturber le silence qui régnait sur les lieux. Les animaux, les insectes, tous étaient pétrifiés devant ce rire malsain. Lentement, il commença à se calmer, et quand ses rires ne furent plus que des gloussements étouffés, on l'entendit distinctement :

-« Je sais tout. »

Il rit de nouveau, comme amusé par cette constatation. Tout, oui, il savait vraiment tout ce qu'il y avait à savoir. Il connaissait le but de sa vie, son avenir, son passé, mais également celui de chaque être, chaque chose. De la recette de la pierre philosophale au nombre de lézards en vie à Sceptelinôst. Il se remit debout, et, le visage éclairé d'un sourire dément, se répéta plusieurs fois, en frémissant.

-« Je sais tout. »

C'en devenait presque une chanson, tant il s'appliquait à le répéter, de plus en plus fort, en riant de plus en plus. Il se riait des questions, des interrogations, il possédait toutes les réponses. Sonenzio n'était qu'un bambin à côté de lui. Les rois n'étaient que des insectes, les sages de vulgaires singes, il savait tout, était tout. Sans qu'il n'y prête attention, un filet de sang se mit à couler de ses narines et de ses tympans. Son cerveau brûlait littéralement sous la tâche, tandis qu'il appelait à lui toutes les connaissances de l'univers. Voyant cela, et pendant qu'il retombait à genoux, pris de convulsions qui n'avaient cette fois rien à voir avec ses rires, Avril lâcha d'un ton sentencieux :

-« Voilà ce qui arriverais si nous cédions à tes caprices. Tu mourrais. La voie est longue vers le savoir, et tu n'as même pas encore posé le pied sur la route. »

Sous ces mots, Eerah riait encore, les dents écarlates du sang qu'il s'était mit à cracher. Son corps le trahissait de plus en plus au fur et à mesure que sa conscience s'épanouissait. Imperturbable, la jeune 'femme' poursuivit :

-« Tu ne parcours pas un sentier en ligne droite, Eerah, et il n'y a personne pour t'indiquer le chemin, personne sauf toi. »

L'intéressé se trouvait dors et déjà à terre, son visage tournant peu à peu au blanc-craie.

-« Je ferais en sorte que ton manque soit apaisé, et tes ardeurs en seront refrénées. Mais tu reste seul maître à bord, et ton propre sort dépendra des choix que tu feras. »

Les rires du Déchu se faisaient plus ténus, faible. A chaque expiration qu'il produisait, le sol était aspergé d'un peu plus de sang.

-« Tu voulais que l'on t'indique la voie, mais elle est déjà là. Vit, Eerah. Apprends à vivre, apprends à aimer, détester, rire et pleurer, apprends à être toi, et tu auras acquis plus de savoir que bien des hommes sur cette terre. »

Il cracha une nouvelle fois, en se recroquevillant sur lui-même, trempant ses cheveux dans liquide poisseux. Chaque seconde le rapprochait désormais de son dernier soupir. Au dernier instant, et pour la première fois, il aurait pu jurer avoir senti le contact de lèvres sur son oreille, avant de s'entendre murmurer :

-« C'est tout pour aujourd'hui... À la prochaine fois, Eerah Scaldes. Va et deviens. »

En un claquement de doigt, tout s'effaça. Son crâne se vida de tout ce qu'il venait d'acquérir, et quand il retourna à son état initial, les quelques souvenirs qu'il avait pu obtenir de sa rencontre avec Avril se dissipèrent peu à peu, ne laissant que de faibles traces, dans les recoins les plus enfouis de son subconscient.

Une fois de plus, une fois encore, le soleil se leva sur les plaines verdoyantes. Une fois de plus, une fois encore, les oiseaux chantèrent, les grillons crissèrent. Une fois de plus, une fois encore, Eerah s'éveilla doucement, sortant lentement de la torpeur de ses rêves, où, une fois n'est pas coutume, il s'était imaginé détenir le savoir absolu. Il avait même rêvé qu'il en mourrait. N'importe quoi, lâcha-t-il tout bas. Sa tête lui faisait un mal de chien, il grimaçait comme un diable en lui attribuant le prix bien mérité de pire migraine qu’il n’ait jamais eu. Il se souvint soudain là où il était, là où il s'était endormi la veille, après avoir chanté. Dans un juron étrangement familier, il couru jusqu'au campement, pour le découvrir entièrement saccagé. Par un quelconque miracle, son sac avait survécu à l'assaut, mais plus question de nourriture. Il ragea une minute contre le vieil arbre, et alla se passer le visage à l'eau fraiche, regardant sans voir le filet sanguin qui glissa dans le ruisseau, petit éclat rubis se reflétant faiblement dans ses yeux aveugles. Une fois bien débarbouillé, il s'approcha de l'écorce, et sortit son couteau. Un nouveau jour, une nouvelle entaille. Six jours qu'il attendait sa révélation, six jours déjà, et toujours rien.


2579 Mots, 4618 au total, Fin du RP


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