Lily-Lune observait silencieusement l'averse qui sévissait sur les terres d'émeraude. Assise sur le rebord d'une fenêtre de sa demeure, un vieil ouvrage aux pages jaunis entre les mains, elle contemplait l'horizon grise et lugubre. Même le magnifique village de Maëlith, chef-d'œuvre architectural, considéré comme une capitale d'art et de beauté, prenait des airs obscurs sous la grisaille, avec les longues branches des arbres alentours qui se balançaient frénétiquement au gré des grosses bourrasques de vent glacials. La jeune femme avait beau être confinée dans ses appartements, luxueux et confortables, elle entendait le grondement du vent menaçant, qui s'engouffrait là ou il le pouvait. Lentement, l'orine referma la livre poussiéreux qu'elle tenait sans même lui accorder un regard. Silencieuse, elle se releva gracieusement pour le reposer sur une des grandes bibliothèques en bois sombre qui longeaient les murs de la pièce circulaire. Elle resta de longues minutes immobile face aux rangées de manuscrits aussi âgés que précieux. Depuis peu, Lily-Lune avait collecté de nombreux écrits sur les thèmes qui l'intéressaient le plus, et dénichait chez des antiquaires et des libraires que l'on croyait dépassé de véritables trésors qu'elle faisait restaurer. Mais elle ne songeait pas à ses nouvelles acquisitions, ces pensées étaient tournées vers des éléments bien plus grave et préoccupant. Soudainement, quelqu'un frappa timidement à la porte, brisant le silence ambiant. Lily tourna la tête, mains jointes face à elle, elle dit simplement de sa voix claire et douce:

« Entrez.»

Elle se doutait de l'identité de son visiteur, puisqu'elle avait fait quérir une jeune orine qui souhaitait s'investir. Les Orines du village osait rarement venir voir leur reine chez elle sans y être invité, malgré les protestations de Lily-Lune qui espérait que bientôt, les villageoises se sentiraient plus à l'aise avec elle et viendraient lui parler spontanément. Comme elle l'avait prévu, une petite blonde aux cheveux coupés courts dont le visage en forme de cœur reflétait une anxiété non feinte. Les traits d'ange de Lily-Lune s'illuminèrent avec l'apparition d'un très léger sourire amusé sur les lèvres rouges de la demoiselle.

« Keavy. Merci de t'être déplacée. Toujours prête à rendre service?»

Le visage de la jeune fille s'ouvrit, soudainement radieuse. Cette petite était infatigable et était toujours ravie de se rendre utile, même pour les tâches les plus faciles qui ne duraient que quelques secondes. La jeune cheffe du conseil avait pris l'habitude de faire appel à la demoiselle quand elle avait besoin d'une aide quelconque, Keavy accomplissait la moindre petite chose avec sérieux et attention. Celle-ci hocha vivement la tête, le regard pétillant. Lily-Lune enchaina doucement en jetant un coup d'œil à la fenêtre

« Enfin si cela ne te gêne pas de braver la pluie et le vent.»

« Bien sûre que non ! J'ai l'habitude de sortir par tout temps ! Ce ne sont pas trop gouttes et quelques brises qui vont me freiner!»

Lily-Lune sourit. Elle écarta doucement une mèche d'ébène qui tombait devant ses grands yeux noirs, aussi profonds qu'envoutants. Keavy observa, dubitative, sa reine, avec un petit air entre curieux et hésitant. Elle finit par lui demander dans un murmure mal à l'aise:

« Vous allez bien Dame Araé? Vous êtes toute pâle.»

La jeune femme soupira en passant une main sur son visage de lys qui semblait bien blême.

« Ne t'inquiète donc pas pour moi, tout va bien. Mais peux-tu aller voir celles qui travaillent dans les galeries? Il faut qu'elles rentrent. Je pense qu'une tempête approche. Que tous se mettent bien à l'abri.»

Keavy esquissa une petite révérence maladroite avant de s'éclipser rapidement pour faire passer le message à travers tout le village. Elle détala joyeusement, et Lily-Lune put la voir danser et tournoyer sous la pluie quelques instants avant de filer dans les sous-terrains.

Lily-Lune baissa son regard pour aviser ses main blanches aux longs ongles bien entretenus peints de rouge. Elle frotta lentement ses paumes d'aller s'assoir sur un grand canapé pourpre, et prit le tas de tissu qui s'y trouvait. Cela faisait plusieurs longues semaines qu'elle s'acharnait sur sa création, une robe déjà magnifique mais qu'elle voulait parfaite dans ses plus moindres détails, travaillant chaque motif avec soin, et ajustant parfaitement la tenue à sa silhouette. Elle avait cependant bien du mal à se concentrer, son esprit s'évadant sur de biens sombres horizons, et distraite, elle n'était que très peu attentive à ce qu'elle faisait. Préoccupée, elle n'était guère d'humeur créative. Elle attendait la venue des muses du conseil d'un instant à l'autre, et les sept orines ne venaient pas la couvrir de politesses, mais tâchaient de la convaincre des bienfaits de leurs recommandations qui avaient des allures d'ordres.

Lily-Lune songea à cette éventualité, pouvait-elle renoncer à cette chose si chère à son cœur? Bien qu'elle ait toujours été une mauvaise orine, son maitre, Vlad, tenait une place bien spéciale dans sa vie, et il occupait souvent ses pensées. Elle était liée à lui, lui avait offert son énigme. Cela ne signifiait pas rien pour elle. S'il avait bien voulu d'elle, elle l'avait aussi en quelque sorte choisie en lui posant une devinette des plus simples pour être sûre de lui appartenir. Devait-elle renoncer si facilement à ce vampire, à le servir? Ces derniers temps, il se faisait très discret parmi les personnalités du yin et du yang, et de nombreuses rumeurs circulaient sur sa disparition, sa mort. Lily-Lune savait que Vlad n'était pas partie pour l'au delà, elle l'aurait sentie et aurait du recycler son âme. Et mourir dans quelques années.

Une légère grimace déforma un court instant les traits lisses de la jeune femme, qui s'était enfoncée par mégarde l'aiguille dans un doigt. Une goutte de sang perla, et Lily-Lune s'empressa de porter le doigt blessé à ses lèvres pour ne pas souiller le vêtement qu'elle réalisait. Comme un vampire.

« Lily-Lune?»

Elle tourna brusquement la tête. Sans qu'elle s'en aperçoive, les muses du conseil avait ouvert la porte et toutes contemplaient leur reine avec un visage aussi impassible que possible, quoi que ouvert et respectueux. Lily fronça ses petits sourcils, irritée et mécontente. Elles n'avaient pas à entrer dans ses appartements sans son autorisation, même si elles n'avaient pas osé trop pénétré dans l'enceinte de la pièce. La jeune reine se releva rapidement et fit quelques pas en direction des orines qui semblaient soudainement soucieuses. D'une voix aussi calme qu'acide, elle lança sans cérénomie:

«Puis-je savoir mesdames qui vous a conviées ici?»

Après un court silence électrique ou les jeunes femmes ignoraient comment agir, l'une d'entre elles osa prendre la parole et répliqua d'un ton aussi ferme que possible:

« Mais il était prévu que nous discutions aujourd'hui..»

« En effet» la coupa immédiatement Lily-Lune, peu patiente « Vous avez décidé qu'une audience avec moi était nécessaire pour me convaincre de me débarrasser de mon maitre, un sacrifice qu'aucune d'entre vous n'a jugé utile, du moins, pour vous, puisque vous avez toutes un maitre quelque part sur ses terres.»

« Mais nous ne sommes pas la Cheffe du..» protesta vainement une seconde

« Cessez ses arguments de mauvaise foi. Je sas très bien que si Vlad n'était pas un vampire fuyant la société ces derniers temps, mais un elfe ou un rehla haut placé, vous ne seriez pas là en ce moment.»

Une des Orines s'avança, sûre d'elle, pour annoncer simplement:

« Nous craignons surtout pour vous, Dame Araé. Vlad Sparrow semble ne plus se montrer, et, je pense ne pas être trop hâtive en disant que sa mort est imminente. Mais il ne doit pas vous emporter dans sa tombe. Soyez une orine libre.»

« Une Orine ne peut se débarrasser de son maitre si facilement.»

« Mais votre rang vous permet de procéder à un échange. Vous pouvez confier votre maitre à l'une d'entre nous.»

Lily-Lune resta interdite de longues secondes qui s'écoulèrent dans un silence mortuaire. Elle recula de quelques pas, observant tour à tour le visage des muses qui la contemplait, nerveuses. Lily sentait son cœur battre dans sa poitrine aussi violemment que des tambours de guerre.

« Êtes vous en train de me suggérer que je devrais condamner à mort l'une de mon peuple?»

« Oui.»

Au fond de la pièce brulait dans la cheminée quelques buches de sapin qui réchauffaient l'atmosphère et rendaient agréable la pièce. Les flammes rouges léchaient l'écorce, et leur crépitements seuls brisaient le silence lourd et pesant qui s'était installé. Lily-Lune dévisageait les muses du conseil, s'attardant tout particulièrement sur la plus âgée d'entre toutes, une orine prénommée Siobanne et qui remplissait le rôle d'Erato, celle qui venait tout juste d'affirmer avec conviction que sa reine devrait, pire devait, envoyer une orine à la mort en lui confiant Vlad comme maitre. D'un léger signe de tête, la jeune femme invita les muses à entrer, puisque celles-ci n'avaient pas bougé de l'encadrement de la porte et se collaient les unes aux autres pour pouvoir entrevoir les réactions de leur souveraine. Lily-Lune alla s'assoir près de la fenêtre tandis que les muses restèrent debout, à quelques pas d'elle. La plupart était encore très gênée, et leur petits gestes vifs et brusques reflétaient bien leur état d'esprit. Seule Erato demeurait posée et calme, visiblement fière de ses paroles et de leur impact. Lily-Lune avait l'air grave, à la fois choquée et peinée. Elle annonça dans un souffle :

« Vous rendez vous compte de vos paroles? Une telle décision m'est impossible. Ce n'est purement et simplement qu'un meurtre. Je m'y refuse, je ne sacrifierai jamais quelqu'un de mon peuple pour ma propre survie. Entendez-vous?»

« Pourtant» la corrigea aussitôt la vieille orine avec un léger sourire audacieux « Vous allez bien devoir vous y résoudre. C'est la meilleure solution, elle est rapide et efficace, sûre pour vous. Vous êtes notre priorité et votre vie nous est très précieuse. Vous avez donné un souffle nouveau à notre race.»

« Cessez donc de m'amadouer, je ne peux faire une telle chose. Vous n'êtes pas sans ignorer que j'ai déjà tué de nombreuses fois, mais en aucun cas je ne m'attaquerai à mon peuple, et ce même pour toutes les bonnes raisons du monde que vous pourrez trouver. Il en est hors de question. Comment demander à une orine de choisir de mourir? C'est horrible, c'est entre le meurtre et le suicide. Ma fonction est de vous protéger pas de vous éliminer!»

« Je comprend votre colère, Lily-Lune. Elle est justifiée et je serai aussi, à votre place, outrée que les muses me conseillent une telle chose. Mais je tiens à souligner que vous n'aurez pas à choisir l'une d'entre nous pour remplir ce morbide rôle, simplement, accepter de faire l'échanger. Quelqu'un s'est proposé en toutes connaissances de causes.»

Lily-Lune planta son regard sur Erato, une moue agacée sur ses lèvres de sang. Une question s'imposa à son esprit, mais elle craignait de la poser, la réponse lui semblant malheureusement évidente. Elle tapota ses longs ongles sur le bois rouge de son bureau, piquée à vif. Erato attendait simplement que l'interrogation tant attendu sorte de la délicate bouche de la jeune reine. Elle cligna lentement des yeux avant de dire dans un soupire:

« Qui? »

« Moi bien sûr. Vous sembliez avoir oublié, en vue de vos paroles d'y il y a quelques minutes, que je n'ai jamais eu de maitre.»

« Je ne peux pas, Erato. C'est du...»

« Oui je sais. Mais si tel était mon choix, ma décision? J'ai plusieurs centaines d'années. Je suis las de la vie. Et même si mes bons et loyaux services m'ont permis de devenir une muse du conseil, et je suis ravie que sa majesté ait pensé à moi pour remplir ce rôle, je n'ai guère envie de continuer à jouer la comédie ainsi. Si mon sacrifice peut servir à notre cause, pourquoi pas?»

« Erato...»

Tant d'idées se bousculaient dans l'esprit de Lily-Lune, et elle avait encore bien du mal à se remettre de ses émotions. Ce qu'elle lui demandait n'était pas une mince affaire. Alors qu'elle allait lui répondre, Keavy déboula comme un boulet de canon, trempée de la pointe des cheveux jusqu'aux pieds. Des murmures accueillirent son arrivée, tandis que la petite reprenait son souffle. Elle bégaya du mieux qu'elle puisse:

« Ma Dame... Le rôdeur... a … été vu... Juste... là... Aux portes.. du village.»

Les muses se jetèrent des regards paniqués et eurent à peine le temps de réagir que Lily-Lune sortait déjà de sa demeure pour se diriger à l'autre bout de Maëlith. Des protestations se firent entendre, de vaines clameurs, elle ne les écouta pas. Cela faisait plusieurs jours qu'un étranger rodait dans les alentours du village, effrayant les petites orines qui voyaient une ombre insaisissable passer près d'elles, leur frôler les cheveux, effleurer leur joues. Toutes ressentaient la désagréable sensation d'être observées, épiées par un œil pervers. Lily-Lune ne permettait pas que l'on perturbe la vie du village, à peine remis des destructions qui la menèrent au pouvoir. Les dégâts matériaux avaient été plus que très importants, des battisses entières rasées jonchaient l'herbe teintée du sang mêlés des victimes comme des agresseurs. Déterminée et d'humeur massacrante, la jeune femme s'arrêta à l'entrée du village. Ses cheveux dégoulinaient d'eau, de longues mèches collaient à son visage d'ange tandis que la pluie s'infiltrait à travers le tissu des vêtements pour couler sur sa peau, qui devenait glacée avec le vent frais qui soufflait fort. Elle observa les environs, aux aguets. Très bruits de pas se firent entendre, des orines arrivaient en trombe derrière elle. Essoufflées et frigorifiées, elles imitèrent leur reine.

Lily-Lune écarta quelques cheveux humides qui la gênait, avant de prononcer un simple mot. Mais les autres allaient surement comprendre qu'il était loin d'être anodin, mais sans appel, un ordre duquel elle n'accepterait aucune opposition.

« Partez.»

Après quelques hésitations, les jeunes femmes partirent se mettre à l'abri, ce que sous entendait Lily-Lune dans cette injonction. Elle attendit quelques instants que la place soit vide avant de faire quelques pas en avant. Au loin, le tonnerre gronda, plusieurs éclairs fendirent les cieux.

« Approchez. Je vous vois.»

Son regard était vrillé sur un arbre proche au tronc large, dont la cime paraissait toucher le ciel gris. Un des centaines qui bordait Maëlith. Mais s'il on observait plus attentivement la flore, on décelait parmi les fougères et les branches quelques centimètres de tissu noir qui voletait. Puis une jambe apparut, et enfin, tout un homme caché derrière une grande cape et un chapeau digne des grands comédiens que l'on voyait sur scène. Il avança d'un pas assuré puis s'arrêta à bonne distance de Lily-Lune, laissant un espace plus grand que celui de deux êtres qui conversaient. Ni l'un ni l'autre ne semblaient décider à prendre la parole. L'homme, immobile et mystérieux, avait la tête basse comme pour dissimuler ses traits alors que la jeune souveraine, se tenant bien droite, élégante et digne malgré l'averse qui la trempait. L'eau de pluie avait toujours eu tendance à emmêler la longue chevelure de jais de Lily, et elle savait qu'elle allait devoir passer de très longues minutes face à un miroir à les peigner, mais qu'importe, cela n'importait pas. L'inconnu était la priorité.

Les secondes s'écoulèrent, puis les minutes. Et chacun restait camper sur ses positions. Surement à cause du stress, l'étranger se décida à parler.

« Je suppose que vous vous demander les raisons de ma venue ici?»

« A vrai dire, je m'interroge plus sur les raisons qui vous poussent à ne pas partir. M'attendiez-vous?»

« En effet, plus ou moins. J'avoue avoir deux motivations. Si l'une vous paraitra surement noble, l'autre risque de vous écœurer.»

« Je vous en pris, exprimez-vous. Je suis prête à tout entendre, des plus beaux motifs aux pires aberrations.»

« Voilà une bonne nouvelle. J'ai une question pour vous. A votre avis, de quel race suis-je? Avez vous une petite idée?»

« Tout à fait au hasard, je dirais vampire.»

Lily-Lune était impassible, elle s'exprimait calmement, flegmatique comme jamais. Ces paroles étaient dénuées de toute émotion, et le ton en devenait presque monotone, bien que le son cristallin de la voix de l'orine soit des plus agréables à l'oreille. Pourtant, la jeune orine hésitait entre rire et s'apitoyer. Depuis de longues années, la source de tous ses problèmes étaient les vampires. Cela avait toujours été ainsi.

« Bien vu, ma belle. Je tairais mon identité. Mais acceptez l'échange avec la vieille orine. Bien des choses se trament dans mon monde, et certaines têtes risquent de tomber.»

« Et pourquoi ma survie vous intéresserait-elle?»

« Vous tenez vraiment savoir pourquoi?»

Face au léger hochement de tête de Lily-Lune, l'homme s'approcha d'elle, toujours immobile. Elle ne réagit pas lorsqu'il écarta sa longue chevelure trempée pour dégager son visage, ni quand il passa délicatement sa main sur sa joue. Il se pencha sur elle pour lui susurrer quelques mots à l'oreille. Au fur et à mesure, les yeux de la jeune femme s'écarquillèrent et elle vacilla légèrement. Satisfait de son petit effet, il recula avec un rire gras avant de s'éclipser rapidement. Lily-Lune resta longtemps immobile sous la pluie, pensive. Combien de temps? Dur à dire, elle perdit cette notion en se plongeant dans les méandres de son esprit. Quand le ciel s'assombrit avec la nuit tombée Erato rejoignit la jeune femme. Juste derrière elle, elle demanda simplement:

« Quelle décision avez-vous prise?»
~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~ ~

Allongée dans son lit, les traits légèrement déformés par la douleur, Lily-Lune attendait. Le changement, s'il était bénéfique, n'avait pas que de bonnes répercutions sur son état physique. Son corps était comme déréglé et subissait mille mots, son esprit était soumis à de grandes pressions.

« Ma Dame... Vous allez bien?»

« Oui... J'ai juste besoin de calme. Ne vous inquiétez pas.»

« Vous n'avez pas manger depuis trois jours !»

« Ça ira.»

Comme toujours. Il le fallait bien. La porte se referma. Les orines avaient la sagesse de ne pas l'importuner pendant ce moment difficile autant sur le plan de la santé que sur le plan psychologique. Elle avait abandonné son maitre.

Au fond de son cœur, elle sentait comme une vive déchirure, une plaine ouverte, béante, qui peinerait surement à cicatriser, et que seules les années pourraient apaiser. Cette douleur indescriptible qui la tiraillait aussi bien dans son âme que dans son corps la consumait lentement, dévorant chaque partie de son être. Était-ce une punition, un châtiment quant à son comportement honteux? Elle avait plier face aux exigences ridicules des muses bien trop entreprenantes ces derniers temps et dont la paranoïa n'avait d'égal que dans leur bêtise. La peur avait beaucoup joué dans le choix qu'avait fait la jeune reine. Dans son esprit résonnait les paroles de l'étranger, des mots qu'elle ne révèlerait à personne mais qui l'inquiétaient.

Pourtant, Lily-Lune, même si elle ne voulait se l'avouer, se sentait libérée. Malgré un vide, elle se sentait plus légère et enfin elle-même. Peut-être avait-elle commis une erreur en choisissant Vlad comme maître, il y a de longs mois de cela? C'était son physique qui l'avait attiré, le mystère qu'il dégageait, mais si elle le fuyait autant, peut-être était-ce parce qu'elle savait que leur caractère ne s'accordait pas? Ces questions demeureraient surement sans réponse, et la jeune femme allait tâcher de les effacer de ses pensées, et elle savait que cela ne lui demanderait que très peu d'efforts.

Au bout de quelques jours de repos, le feu qui dévorait son corps et son âme s'éteignit enfin. Lily-Lune se releva doucement, elle avait passé de longues journées sans manger, se contentant de quelques gorgées d'eau, inerte dans ses appartements. A pas de loup, tremblante et les jambes faibles, elle tituba jusqu'au grand miroir qui occupait une bonne partie d'un des murs de sa chambre. Elle s'observa quelques instants. Elle avait maigris, évidemment. Les muses allaient encore en faire une affaire d'Etat. Ce qu'elles ignoraient, c'était que pendant ses derniers jours, elle avait eu le temps de songer à bon nombre de problème, et elle avait aussi pris de nombreuses décisions, dont certaines n'allaient guère plaire aux sept orines. Peu importe. Personne ne demandait leur avis.